CEDH, sect. 1, 3 décembre 2015, n° 6314/12
COUR EUROPÉENNE DES DROITS DE L'HOMME
ARRET
PARTIES
Demandeur :
AFFAIRE KANTARELIS
Défendeur :
c. GRÈCE
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Mirjana Lazarova Trajkovska
Juges :
M. Armen Harutyunyan
La Cour européenne des droits de l’homme (première section),
PROCÉDURE
1. À l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 6314/12) dirigée contre la République hellénique et dont un ressortissant de cet État, M. Theodoros Kantarelis (« le requérant »), a saisi la Cour le 11 janvier 2012 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).
2. Le gouvernement grec (« le Gouvernement ») a été représenté par la déléguée de son agent, Mme K. Nassopoulou, assesseure au Conseil juridique de l’Etat.
3. Le requérant se plaint en particulier du refus des autorités de se conformer à une décision de justice et de réajuster sa pension de retraite (articles 6 § 1 de la Convention et 1 du Protocole no 1).
4. Le 3 mars 2014, les griefs concernant les articles 6 § 1 de la Convention et 1 du Protocole no 1 ont été communiqués au Gouvernement et la requête a été déclarée irrecevable pour le surplus.
EN FAIT
I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE
5. Le requérant est né en 1926 et réside à Athènes.
6. Le requérant est un officier de la gendarmerie en retraite depuis 1977.
7. Le 3 novembre 2005, la Comptabilité Générale de l’Etat (Γενικό Λογιστήριο του Κράτους) (la CGE) rejeta une demande du requérant tendant au réajustement de sa pension de retraite (décision no 96613/2005). Le 17 février 2006, le requérant formula des objections contre ce rejet.
8. Le 31 août 2006, la CGE procéda à un certain réajustement de la pension de retraite du requérant (décision no 51762/2006). Elle la fixa à 1 395,20 euros par mois. La décision fut notifiée au requérant le 9 mars 2007. Elle précisait que si le requérant n’était pas d’accord avec le contenu de celle-ci, il pouvait, dans un délai d’un an, formuler des objections devant la GCE ou introduire un appel devant la Cour des comptes.
9. La CGE n’ayant pas répondu aux objections du requérant du 17 février 2006, celui-ci saisit, le 4 octobre 2006, la Cour des comptes d’un recours contre le rejet tacite des objections précitées. Alors que cette action était pendante, la CGE rejeta les objections du requérant par une décision no 1708/2007. La décision soulignait que les lois nos 2838/2000 (réglementant certaines questions concernant les personnels de police) et 3016/2002, amendant la précédente, invoquées par le requérant concernaient les promotions des militaires de l’active et ne s’appliquaient pas à ceux déjà partis à la retraite avant l’entrée en vigueur de celles-ci, comme c’était le cas du requérant.
10. Par un arrêt no 577/2010 du 5 mars 2010, la Cour des comptes accueillit l’action du requérant. Elle souligna que les articles 5 et 6 de la loi no 2838/2000 (relatifs aux augmentations salariales) prévoyaient l’augmentation du salaire de base des militaires d’active et que ce mode de calcul devait s’appliquer aussi pour l’augmentation de la pension des militaires qui ont quitté l’armée avant l’entrée en vigueur de ces articles, dans les mêmes conditions que pour les militaires de l’active. Elle considéra que les lois précitées s’appliquaient donc dans le cas du requérant. Elle annula alors les décisions nos 96613/2005 et 1708/2007 et renvoya l’affaire à la CGE pour que celle-ci se prononce sur la demande du requérant tendant à l’augmentation de sa pension, sur le fondement des lois nos 2838/2000 et 3016/2002. La Cour des comptes ne fit aucune mention du réajustement de la pension effectué le 31 août 2006.
11. L’Etat ne se pourvut pas en cassation contre cet arrêt.
12. Le 2 juillet 2010, le requérant saisit le comité de trois membres de la Cour des comptes, chargé de surveiller l’exécution des arrêts de celle-ci, d’une demande tendant à obliger la CGE à se conformer à l’arrêt no 577/2010.
13. Le 23 décembre 2010, le comité de trois membres constata qu’en dépit du fait que l’arrêt précité avait été notifié à la CGE le 15 mars 2010, plus de trois mois s’étaient écoulés sans que celle-ci se conforme à l’arrêt. Il accorda à la CGE un délai d’un mois pour indiquer les motifs de son refus de donner suite à l’arrêt.
14. Dans sa réponse, la CGE indiqua qu’elle n’était pas obligée de se conformer à cet arrêt définitif de la Cour des comptes car l’article 122 du décret no 1225/1981 prévoyait que la CGE était obligée à se conformer aux arrêts de la Cour des comptes qui n’étaient plus susceptibles de recours (αμετάκλητες) et que cette disposition l’emportait sur celle de l’article 61 du décret no 774/1980 qui consacrait le caractère exécutoire des arrêts définitifs (τελεσίδικες) des chambres de la Cour des comptes. La CGE précisait que l’article 122 précité visait à écarter l’incertitude créée pour les finances de l’Etat par l’exécution d’arrêts définitifs qui risquaient d’être infirmés suite à un pourvoi en cassation devant la Cour des comptes, siégeant en formation plénière. Elle ajoutait que cet article tendait à protéger les finances publiques d’une charge financière imprévue que provoquerait l’exécution d’un grand nombre d’arrêts donnant gain de cause aux retraités. Enfin, elle alléguait que les demandes des militaires retraités pouvaient être satisfaites par le versement d’un réajustement calculé en vertu des dispositions de la loi no 3408/2005 relative à l’augmentation des pensions de retraite des fonctionnaires.
15. Par une décision du 1er avril 2011, la CGE fixa la nouvelle pension du requérant au même montant que celui qui figurait dans la décision no 51762/2006 du 31 août 2006. La décision précisait que la pension était réajustée sur le fondement de l’article 37 § 1 de la loi no 3016/2002 et de la loi no 3408/2005 portant augmentation des pensions de retraite des fonctionnaires.
16. Le 13 avril 2011, le comité de trois membres délibéra une deuxième fois dans l’affaire du requérant. Il considéra que le refus de la CGE de se conformer à l’arrêt no 577/2010 de la Cour des comptes était injustifié et l’invita à exécuter l’arrêt dans un délai de trois mois.
17. Répondant aux motifs invoqués par la CGE pour justifier son refus de se conformer à l’arrêt no 577/2010, le comité de trois membres rappela que le 19 mars 2003, l’assemblée plénière de la Cour des comptes avait considéré que l’exécution d’une décision judiciaire faisait partie intégrante du « procès équitable » de sorte que le refus d’exécution ou le retard dans l’exécution d’un arrêt immédiatement exécutoire et contraignant, tel un arrêt définitif, équivalait à une « privation de propriété ». En outre, l’invocation des motifs des finances publiques ne suffisait pas à justifier une attente de plusieurs années jusqu’à ce qu’un arrêt devienne insusceptible d’appel car l’Etat avait la possibilité, en cas d’issue favorable d’un pourvoi en cassation, de se faire rembourser la somme qu’il aurait versée.
18. Enfin, le comité de trois membres affirma, d’une part, que l’article 122 précité était contraire tant à la législation interne qu’aux textes de l’Union européenne, et d’autre part, que le réajustement de la pension des retraités de l’armée qui avaient obtenu des décisions judiciaires favorables ne pouvait pas se faire selon les dispositions de la loi no 3408/2005. Il précisa que ces derniers avaient droit à ce que les décisions judiciaires soient exécutées à leur égard.
19. Le comité de trois membres notifia sa décision du 13 avril 2011 au requérant et à la CGE le 20 avril 2011.
20. La CGE notifia sa décision du 1er avril 2011 (paragraphe 15 ci-dessus) au requérant le 22 juillet 2011. La lettre d’accompagnement de la décision précisait que celle-ci n’entrainait aucune modification du montant de la pension versée au requérant. Elle indiquait aussi que si ce dernier n’était pas d’accord avec le contenu de la décision, il pouvait, dans un délai d’un an à compter de la notification, soit présenter des objections contre celle-ci devant la Commission de contrôle des actes fixant les pensions, soit introduire un appel devant la Cour des comptes.
21. Le 15 octobre 2011, le requérant saisit à nouveau la Cour des comptes se plaignant du refus continu de la CGE de se conformer à l’arrêt no 577/2010. Toutefois, la Cour des comptes considéra que la demande du requérant, n’ayant pas revêtu la forme requise, ne répondait pas aux conditions d’un recours recevable et, par conséquent, elle ne l’examina pas.
II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS
22. Selon l’article 95 § 5 de la Constitution hellénique, telle que modifiée en avril 2001, la CGE est tenue de se conformer aux décisions de justice.
23. Le 14 novembre 2002, la loi no 3068/2002 sur l’exécution des décisions de justice par la CGE entra en vigueur (Journal officiel no 274/2002). Elle fut par la suite amendée par la loi no 3900/2010, entrée en vigueur le 1er janvier 2011. Elle dispose entre autres que la CGE a l’obligation de se conformer sans tarder aux décisions de justice et de prendre toutes les mesures nécessaires pour exécuter lesdites décisions (article 1). Cette loi prévoit la création de comités de trois membres au sein des hautes juridictions helléniques (Cour suprême spéciale, Cour de cassation, Conseil d’Etat et Cour des comptes) et des juridictions administratives ordinaires, chargés de contrôler la bonne exécution, par la CGE, des décisions de leurs juridictions respectives dans un délai qui ne peut dépasser trois mois (à titre exceptionnel, ce délai peut être prorogé une seule fois). Ces comités peuvent notamment désigner un magistrat pour assister la CGE en proposant à celle-ci, entre autres, les mesures lui permettant de se conformer à la décision en question. Si la CGE n’exécute pas une décision dans le délai imparti par un tel comité, elle se voit imposer des pénalités, lesquelles peuvent être renouvelées tant qu’elle ne s’est pas conformée à la décision (article 3). Des mesures disciplinaires peuvent également être prises contre les agents de la CGE qui sont à l’origine du défaut d’exécution (article 5). Les dispositions de la loi no 3068/2002 s’appliquent aux décisions rendues après son entrée en vigueur (article 6).
24. L’article 3 § 1 de la loi no 599/1968 prévoit que l’acte fixant le montant d’une pension de retraite est sujet à objections présentées devant la Commission de contrôle des actes fixant les pensions. L’article 2 § 1 de la même loi dispose que l’acte fixant le montant d’une pension ainsi que la décision de la Commission de contrôle sont susceptibles d’appel devant la Cour des comptes.
EN DROIT
I. SUR LES VIOLATIONS ALLÉGUÉES DES ARTICLES 6 § 1 DE LA CONVENTION ET 1 DU PROTOCOLE No 1
25. Le requérant se plaint du refus de la CGE de se conformer à l’arrêt no 577/2010 de la Cour des comptes et de l’impossibilité qui s’ensuivit de percevoir la différence du montant de sa pension de retraite qui résulterait du calcul de celle-ci en fonction des considérants de cet arrêt. Il allègue des violations des articles 6 § 1 de la Convention et 1 du Protocole no 1, qui sont ainsi libellés :
Article 6 § 1
« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement (...) par un tribunal (...), qui décidera (...) des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil (...) »
Article 1 du Protocole no 1
« Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d’utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international.
Les dispositions précédentes ne portent pas atteinte au droit que possèdent les Etats de mettre en vigueur les lois qu’ils jugent nécessaires pour réglementer l’usage des biens conformément à l’intérêt général ou pour assurer le paiement des impôts ou d’autres contributions ou des amendes. »
A. Sur la recevabilité
26. Le Gouvernement soutient que par sa décision du 1er avril 2011, la CGE a réajusté la pension du requérant et s’est ainsi conformée à l’arrêt no 577/2010 de la Cour des comptes. Toutefois, le requérant n’a ni formulé d’objections contre cette décision devant la Commission de contrôle des actes fixant des pensions, ni formé un appel devant la Cour des comptes. Par ailleurs, cette décision n’avait pas été portée à la connaissance du comité de trois membres qui a statué le 13 avril 2011 car le dossier du requérant lui avait été transmis déjà depuis le 22 février 2011. Par conséquent, le grief tiré de l’article 6 est soit prématuré, soit non-fondé car le requérant a choisi de ne pas contester cette décision, marquant ainsi son accord avec celle-ci.
27. Le requérant ne présente pas d’observations sur ce point.
28. La Cour estime que l’exception soulevée par le Gouvernement est étroitement liée à la substance du grief énoncé sur le terrain de l’article 6 de la Convention et décide de la joindre au fond.
29. Elle constate par ailleurs que la requête n’est pas manifestement mal fondée au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention. Elle relève en outre qu’elle ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité. Il convient donc de la déclarer recevable.
B. Sur le fond
30. Le Gouvernement soutient que par sa décision du 1er avril 2011, la CGE a procédé à la modification de la pension du requérant et s’est ainsi conformée totalement à l’arrêt no 577/2010 de la Cour des comptes. Le requérant a continué à recevoir régulièrement sa pension sans interruption et sans réduction du montant de celle-ci. Le fait que la CGE a initialement refusé d’augmenter ce montant ne constitue pas une atteinte au droit de propriété du requérant, l’article 1 du Protocole no 1 ne garantissant pas une pension de retraite d’un montant déterminé.
31. Le Gouvernement souligne que l’arrêt no 577/2010 n’a pas fixé le montant de la pension qui devait être versé au requérant mais a renvoyé l’affaire à la CGE pour que celle-ci examine si les conditions pour un réajustement du montant se trouvaient réunies. Le 1er avril 2011, la CGE a réajusté la pension de manière rétroactive pour une durée de trois ans, conformément à l’article 60 § 1 du décret 169/2007 (qui prévoit qu’il n’est pas permis de reconnaître rétroactivement à l’encontre de l’Etat des droits de retraite pour une période dépassant trois ans).
32. Le requérant soutient que la décision de la CGE ne correspond ni à la lettre ni à l’esprit des lois pertinentes et de l’arrêt no 577/2010. Le réajustement litigieux n’incluait pas l’augmentation qui devait en résulter en application des lois no 2838/2000 et no 3016/2002. Or, le terme « réajustement » au sens propre signifie « augmentation » et non « maintien du montant versé ».
33. La Cour rappelle que le droit d’accès à un tribunal garanti par l’article 6 § 1 de la Convention serait illusoire si l’ordre juridique interne d’un Etat contractant permettait qu’une décision judiciaire définitive et obligatoire reste inopérante au détriment d’une partie (Buyan et autres c. Grèce, no 28644/08, § 33, 3 juillet 2012). L’exécution d’un jugement, de quelque juridiction que ce soit, doit être considérée comme faisant partie intégrante du « procès » au sens de l’article 6. La Cour a déjà reconnu que la protection effective du justiciable et le rétablissement de la légalité impliquent l’obligation pour la CGE de se plier à un jugement ou arrêt prononcé par la plus haute juridiction administrative de l’Etat en la matière (voir notamment Hornsby c. Grèce, 19 mars 1997, § 40, Recueil 1997‑II).
34. En l’occurrence, la Cour relève d’emblée que le 31 août 2006, la CGE a procédé à un certain réajustement de la pension de retraite du requérant (décision no 51762/2006), en la fixant à 1 395,20 euros par mois. La décision, qui a été notifiée au requérant le 9 mars 2007 précisait que si le requérant n’était pas d’accord avec le contenu de celle-ci, il pouvait, dans un délai d’un an, formuler des objections devant la CGE ou introduire un appel devant la Cour des comptes. Entretemps, le 4 octobre 2006, le requérant avait saisi la Cour des comptes d’un recours contre ce rejet tacite de sa demande de réajustement de la pension datant du 3 novembre 2005. Le 5 mars 2010, la Cour des comptes a donné gain de cause au requérant et a renvoyé l’affaire à la CGE pour se prononcer sur cette demande de réajustement de la pension.
35. Toutefois, la Cour note que dans son arrêt, la Cour des comptes ne s’est nullement référée au réajustement de la pension auquel la CGE avait procédé le 31 août 2006 au bénéfice du requérant. Il ne ressort pas du reste du dossier que cet élément avait été porté à la connaissance de celle-ci.
36. Le 1er avril 2011, et alors que la procédure engagée par le requérant depuis le 2 juillet 2010 devant le comité de trois membres de la Cour des comptes était encore pendante, la CGE a fixé la nouvelle pension du requérant au même montant que celui qui figurait dans la décision du 31 août 2006. Dans sa décision, la CGE précisait que la pension était réajustée sur le fondement de l’article 37 § 1 de la loi no 3016/2002 et de la loi no 3408/2005 portant augmentation des pensions de retraite des fonctionnaires (paragraphe 15 ci-dessus), un élément qu’elle avait écarté initialement lorsqu’elle rejetait les objections du requérant par sa décision no 1708/2007 (paragraphe 9 ci-dessus).
37. Le 13 avril 2011, le comité de trois membres a invité la CGE de se conformer à l’arrêt de la Cour des comptes dans un délai de trois mois.
38. La Cour attache beaucoup d’importance au fait qu’à cette date le comité de trois membres ne disposait pas du texte de la décision du 1er avril 2011 fixant la nouvelle pension du requérant. Cette dernière, étant notifiée au requérant seulement le 22 juillet 2011 – soit après que le comité se soit prononcé sur son cas –, n’a pas pu faire l’objet du contrôle du comité. Il en résulte que ni la décision du 31 août 2006, ni celle du 1er avril 2011 n’ont été soumis à un contrôle juridictionnel. Si le requérant conteste le mode de calcul utilisé dans la décision du 1er avril 2011 et soutient qu’il ne constitue pas une exécution de l’arrêt du 5 mars 2010 au motif qu’il n’y avait pas eu augmentation du montant fixé le 31 août 2010, il n’appartient pas à la Cour de se prononcer sur cet aspect de l’affaire qui n’a pas été soumis à un contrôle juridictionnel interne. La Cour relève cependant que le 1er avril 2011, la CGE a indiqué expressément que la pension avait été réajustée selon les dispositions des lois no 3016/2002 et 3408/2005. Il n’en reste pas moins qu’il a fallu un an pour que la CGE prenne une décision montrant sa volonté de se conformer à l’arrêt lui intimant de se prononcer sur la demande de réajustement de la pension du 3 novembre 2005.
39. Ces éléments suffisent à la Cour pour conclure que la CGE a omis de se conformer en temps utile à l’arrêt no 577/2010 de la Cour des comptes, privant ainsi l’article 6 § 1 de la Convention de tout effet utile. De plus, la Cour considère que dans la mesure où ledit arrêt fait naître dans le chef du requérant, une créance suffisamment établie pour être exigible (voir Raffineries grecques Stran et Stratis Andreadis c. Grèce, 9 décembre 1994, § 59, no 301‑B), le refus de la CGE de calculer dans un délai raisonnable le montant de la pension de retraite du requérant selon les directions de la Cour des comptes a aussi entraîné la violation de l’article 1 du Protocole no 1.
40. Par ailleurs, comme le 15 octobre 2011 le requérant avait à nouveau saisi la Cour des comptes se plaignant du refus continu de la CGE de se conformer à l’arrêt no 577/2010, il serait superflu de lui demander d’exercer les recours mentionnés par le Gouvernement au titre de l’épuisement des voies de recours internes.
41. En conclusion, la Cour rejette l’exception d’irrecevabilité soulevée par le Gouvernement et conclut qu’il y a eu violation en l’espèce des articles 6 § 1 de la Convention et 1 du Protocole no 1.
II. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION
42. Aux termes de l’article 41 de la Convention,
« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »
43. Le requérant réclame 20 160 euros (EUR) environ au titre du préjudice matériel qu’il aurait subi. Il soutient que le somme supplémentaire à laquelle il avait droit s’élève à 120 EUR par mois, ce qui correspondrait à 1 440 EUR par an à multiplier par 14 ans (depuis l’an 2000). Le requérant s’est aussi référé au préjudice moral subi, mais sans en avoir précisé, ni invité la Cour à fixer ce montant, et aux frais et dépens encourus, sans les spécifier.
44. Le Gouvernement invite la Cour à rejeter les prétentions du requérant dans leur ensemble au motif que celui-ci n’a pas respecté les dispositions de l’article 60 du Règlement. Il souligne notamment que le requérant n’a pas soumis, conformément au paragraphe 1 de cet article, des prétentions chiffrées et ventilées et accompagnées des justificatifs pertinents.
45. La Cour relève que dans son arrêt no 577/2010, la Cour des comptes n’a indiqué ni le montant de la pension supplémentaire qu’aurait dû recevoir le requérant ni la méthode de calcul de celle-ci. La Cour des comptes a seulement considéré que les articles 5 et 6 de la loi no 2838/2000 (relatifs aux augmentations salariales) prévoyant l’augmentation du salaire de base des militaires d’active devaient s’appliquer également au cas du requérant et a renvoyé l’affaire à la CGE pour le calcul du montant. Par la suite, le comité de trois membres a estimé que la CGE ne s’était pas conformée à l’arrêt susmentionné. Dans ces conditions, la Cour estime que la somme réclamée par le requérant est hypothétique et pour cette raison elle ne peut pas la lui accorder.
46. En revanche, elle considère qu’il y a lieu d’octroyer, au titre du dommage moral subi, 1 300 EUR au requérant, plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt sur ladite somme.
47. Enfin, en ce qui concerne les frais et dépens, le requérant n’ayant pas fixé ses prétentions, la Cour n’estime devoir accorder aucune somme à ce titre.
PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,
1. Joint au fond l’exception du Gouvernement tirée du non-épuisement des voies de recours internes et la rejette ;
2. Déclare la requête recevable ;
3. Dit qu’il y a eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention ;
4. Dit qu’il y a eu violation de l’article 1 du Protocole no 1 à la Convention ;
5. Dit,
a) que l’Etat défendeur doit verser, pour dommage moral, 1 300 EUR (mille trois cents euros) au requérant, plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt, dans les trois mois à compter du jour où l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention ;
b) qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ce montant sera à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;
6. Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.