Livv
Décisions

CEDH, 5e ch., 7 mars 2013, n° 10131/11

COUR EUROPÉENNE DES DROITS DE L'HOMME

ARRET

PARTIES

Demandeur :

AFFAIRE RAW ET AUTRES

Défendeur :

c. FRANCE

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Mark Villiger

Juges :

Mme Helena Jäderblom

CEDH n° 10131/11

6 mars 2013

La Cour européenne des droits de l’homme (cinquième section)?

PROCÉDURE

1.  A l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 10131/11) dirigée contre la République française et dont une ressortissante du Royaume-Uni, Mme Samantha Raw (« la première requérante ») a saisi la Cour le 7 janvier 2011 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »). Elle déclare agir en son nom ainsi qu’au nom de ses enfants mineurs, D., A. (« le deuxième requérant ») et C. (« la troisième requérante »). Ces derniers ont la double nationalité française et britannique.

2.  Les requérants sont représentés par l’AIRE Centre (Advice on Individual Rights in Europe), une organisation non-gouvernementale dont le siège se trouve à Londres. Le gouvernement français (« le Gouvernement ») est représenté par son agent, Mme Edwige Belliard, Directrice des Affaires juridiques du ministère des Affaires étrangères.

3.  Le 29 juin 2011, la requête a été communiquée au Gouvernement. Informé de son droit de prendre part à la procédure (articles 36 § 1 de la Convention et 44 § 1 du règlement), le gouvernement britannique n’a pas répondu.

4.  Le 23 octobre 2012, la greffière de la section adressa à l’AIRE Centre une lettre indiquant qu’elle avait constaté que D. atteindrait la majorité le 9 janvier 2013 et l’invitant à produire une déclaration signée par ce dernier précisant qu’il souhaitait poursuivre la procédure en qualité de requérant ainsi qu’un pouvoir désignant l’AIRE Centre pour le représenter devant la Cour. L’AIRE Centre répondit le 9 novembre 1012 ne pas être en mesure de donner suite à cette demande.

EN FAIT

I.  LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE

A.  La genèse de l’affaire

5.  La première requérante est née en 1972. D. et A. sont nés en 1995 et 1997 de son union avec un ressortissant français. C., la troisième requérante, née en 2000, est la fille de la première requérante et d’un autre ressortissant français.

6.  La première requérante et le père de D. et A. se séparèrent en 1999. En mars 2001, la première requérante et ses enfants quittèrent la France et s’installèrent au Royaume-Uni.

7.  Le divorce de la première requérante et du père de D. et A. fut prononcé le 28 juin 2001. Par un jugement du 10 janvier 2002, le juge aux affaires familiales du tribunal de grande instance de La Roche-sur-Yon dit que l’autorité parentale serait exercée conjointement par les deux parents et fixa la résidence habituelle de D. et A. chez leur mère, en Grande-Bretagne. Il accorda au père un droit de visite et d’hébergement qui, sauf meilleur accord, devait s’exercer durant les vacances scolaires des enfants, à l’exclusion des vacances de Noël et nouvel an (lesquelles devaient être partagées entre les parents) et des trois premières semaines du mois de juillet.

8.  Le 29 mai 2006, le père de D. et A. saisit la County Court de Norwich d’une demande de transfert de résidence. Par une décision du 30 octobre 2006, la Country Court ordonna à l’organisme public Children and Family Court Advisory and Support Service (CAFCASS) de préparer un rapport sur la question de savoir avec qui les enfants devaient résider et sur les modalités de leurs contacts avec l’autre. Le rapport fut déposé le 26 janvier 2007. Après avoir entendu les deux parents, la Country Court, par une ordonnance provisoire du 1er février 2007 puis une ordonnance du 9 mai 2007, confirma la résidence de D. et A. chez leur mère, le père conservant des droits de visite et d’hébergement durant les vacances scolaires.

9.  Les 6 février, 7 novembre et 27 décembre 2006, le père de D. et A. déposa une plainte contre la première requérante devant la gendarmerie de La Roche-sur-Yon pour non représentation d’enfants. Il lui reprochait de ne pas lui avoir remis A. lors des vacances scolaires. Certaines de ces plaintes firent l’objet, le 17 septembre 2007, d’une dénonciation officielle aux autorités britanniques, laquelle fut retournée le 13 mars 2008 au parquet de La Roche-sur-Yon sans qu’aucune suite n’y ait été donnée.

10.  En 2007, D. et A. passèrent les vacances scolaires de printemps, d’été et d’automne avec leur père. Ils passèrent également deux semaines avec lui à Noël, à l’issue desquelles il n’accepta de les renvoyer en Grande-Bretagne qu’après l’intervention d’un gendarme.

11.  En 2008, D. et A. passèrent les vacances scolaires de printemps et d’été avec leur père. Ce dernier les ayant gardés avec lui à la fin des vacances d’été, la première requérante saisit la County Court de Norwich qui, le 22 août 2008, ordonna au père de renvoyer les enfants en Grande-Bretagne avant le 27 août. Il obtempéra.

B.  L’ordonnance de placement provisoire du juge des enfants du tribunal de grande instance de La Roche-sur-Yon du 30 décembre 2008

12.  Le 28 décembre 2008, alors que D. et A. étaient en France pour Noël et devaient retourner chez leur mère le 3 janvier 2009, leur père se présenta à la gendarmerie de La Roche-sur-Yon, évoquant la souffrance de ses enfants, leur peur de retourner en Grande-Bretagne, les carences éducatives de la première requérante, des faits de maltraitance et des menaces de D. contre lui-même et cette dernière.

Le 30 décembre 2008, le parquet de La Roche-sur-Yon saisit le juge des enfants du tribunal de grande instance de La Roche-sur-Yon sur le fondement notamment de l’article 20 du règlement (CE) no 2201/2003 du Conseil du 27 novembre 2003 relatif à la compétence, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière matrimoniale et en matière de responsabilité parentale (« Règlement de Bruxelles II bis »), qui permet aux juridictions des Etats membres de prendre, en cas d’urgence, toute mesure provisoire ou conservatoire même si une juridiction d’un autre Etat membre est compétente.

13.  Par une ordonnance du 2 janvier 2009, après les avoir entendus, ce juge confia provisoirement D. et A. à leur père et convoqua la première requérante à une audience du 16 janvier 2009. Cette décision était motivée par le constat du mal être exprimé par les adolescents, D. ayant notamment menacé de porter atteinte à son intégrité physique ou d’agresser sa mère en cas de retour contraint. Elle se fondait sur le fait que la souffrance de ce dernier constituait « un élément de danger manifeste pour sa santé et sa sécurité, de nature à compromettre durablement son développement psychique ». Elle retenait également qu’une expertise diligentée sur le territoire britannique à l’égard de la première requérante faisait « apparaître l’existence de dysfonctionnements psychiques, voire d’une certaine fragilité psychologique de la mère, de nature à renforcer les inquiétudes évoquées au sujet des deux enfants, et qui [devaient] être pris en considération pour mesurer les aptitudes éducatives de Mme Raw, dans un contexte familial complexe et conflictuel ».

14.  Le juge ordonna en outre une mesure d’investigation et d’orientation éducative destinée à analyser la dynamique familiale et vérifier les capacités éducatives de chacun des parents. Il confia à l’association « Sauvegarde 85 » – une association dédiée à l’accompagnement social – le soin de préparer un rapport.

Etabli par une psychologue et une assistante sociale et daté du 3 février 2009, ce rapport préconise la prise en charge de D. et A. par leur père. Il indique que D. et A., dont les propos sont qualifiés de crédibles, décrivent un climat de terreur généré par leur mère et leur grand-père maternel, font état de violences physiques et psychologiques graves et répétées de leur part, en particulier sur D., de tentatives de manipulation à l’égard de leur père et d’entraves à l’accès à celui-ci, d’un logement sale et d’une hygiène négligée, d’un attachement « insécure » à leur mère – le lien étant dominé par l’imprévisibilité maternelle, ses actes violents et la peur qu’ils éprouvent au quotidien – et d’une absence de préoccupation maternelle à leur égard. Ils évoquent en outre l’alcoolisme de leur mère. Le rapport conclut en soulignant l’inquiétude des auteurs et en indiquant ceci : « si les maltraitances qu’ils dénoncent sont réelles [un retour chez leur mère] générerait incompréhension, confusion et effondrement psychique chez les enfants ; plus, elle serait facteur d’éventuels passages à l’acte, déjà énoncés par les enfants : sur leur mère (...), sur eux-mêmes (...), ou fugues (...) ».

C.  L’ordonnance de la High Court of Justice du 9 janvier 2009

15.  Le 5 janvier 2009, la première requérante saisit le juge britannique sur le fondement du Child Abduction and Custody Act 1985 et du Règlement de Bruxelles II bis. Le 9 janvier 2009, la High Court of Justice jugea que la rétention de D. et A. par leur père était illégale, ordonna leur retour auprès de leur mère, et les plaça sous tutelle de la cour (Wards of Court) jusqu’à nouvel ordre.

D.  La saisine des autorités centrales

16.  Le 12 janvier 2009, la requérante forma une demande de retour auprès de l’Official Solicitor de l’International Child Abduction and Contact Unit, l’autorité centrale de l’Angleterre et du Pays de Galles au sens de la Convention de La Haye du 25 octobre 1980 relative aux aspects civils de l’enlèvement international des enfants, sur le fondement de cette convention et du Règlement de Bruxelles II bis.

17.  Le 13 janvier 2009, l’autorité centrale de l’Angleterre et du Pays de Galles transmit cette demande à l’autorité centrale française qui, le lendemain, l’adressa au parquet général de Poitiers pour saisine du juge aux affaires familiales.

E.  L’ordonnance du juge aux affaires familiales du tribunal de grande instance de Poitiers du 2 février 2009, l’arrêt de la cour d’appel de Poitiers du 16 avril 2009 et l’arrêt de la Cour de cassation du 8 juillet 2010

18.  Le 20 janvier 2009, le procureur de la République de Poitiers assigna le père de D. et A. en référé devant le juge aux affaires familiales du tribunal de grande instance de Poitiers aux fins de voir ordonner le retour de ces derniers en Grande-Bretagne.

19.  Une audience eut lieu le 23 janvier 2009 et, le 2 février 2009, la juge aux affaires familiales ordonna le retour de D. et A. en Grande-Bretagne dans les soixante-douze heures sous astreinte de 200 euros par jour de retard et condamna leur père à payer 3 000 EUR à la première requérante en application de l’article 26 de la Convention de La Haye.

La juge aux affaires familiales jugea tout d’abord que l’ordonnance du 30 décembre 2008 du juge des enfants de La Roche-sur-Yon ne privait pas la rétention de son caractère illicite. Certes, l’article 20 du Règlement de Bruxelles II bis autorisait la prise de mesures d’urgence. Cependant, d’une part, l’article 17 de la Convention de La Haye prévoyait que le seul fait qu’une décision relative à la garde ait été rendue dans l’Etat requis ne pouvait justifier le refus de renvoyer les enfants vers leur pays de résidence. D’autre part, ces mesures cessaient d’avoir effet dès lors que le juge britannique compétent pour connaître du fond avait, le 9 janvier 2009, ordonné une mesure de protection.

La juge aux affaires familiales retint ensuite qu’étant donné cette mesure de protection, le père ne pouvait se fonder sur l’article 13 de la Convention de La Haye, qui permet aux autorités de l’Etat requis de ne pas ordonner le retour de l’enfant lorsqu’il existe un risque grave que cela l’expose à un danger physique et psychique ou le place dans une situation intolérable, ou si l’enfant s’oppose à son retour. Elle releva qu’entendus à plusieurs reprises par les services de la gendarmerie, D. et A. avaient manifesté de façon claire et répétée leur souhait de vivre avec leur père, que le juge des enfants de La Roche-sur-Yon avait constaté qu’ils présentaient un important mal être et une souffrance manifeste, et que D. avait fait état de sa volonté réitérée de porter atteinte à son intégrité physique ou d’agresser sa mère en cas de retour contraint. Elle rappela toutefois que l’article 11 du Règlement Bruxelles II bis précisait qu’une juridiction ne pouvait refuser le retour d’un enfant sur le fondement de l’article 13 de la Convention de La Haye lorsque des dispositions adéquates ont été prises pour assurer sa protection après son retour ; or, déclarés Wards of Court, D. et A. allaient bénéficier d’un suivi approprié dans le pays de leur résidence habituelle. Cette décision était exécutoire à titre provisoire.

20.  Le 4 févier 2009, le procureur de la République de La Roche-sur-Yon reçut le père de D. et A. et, lui rappelant les termes et le sens de cette ordonnance, l’incita à retourner ses enfants au Royaume-Uni. Il n’obtempéra pas.

21.  Le 5 février 2009, le père de D. et A. interjeta appel de l’ordonnance. Le 23 février 2009, il forma une demande de suspension de l’exécution provisoire, qui fut rejetée le 10 mars 2009 par le premier président de la cour d’appel de Poitiers.

22.  Le 17 mars 2009, la première requérante déposa une plainte pour non-représentation d’enfants.

23.  Par un arrêt du 16 avril 2009, visant notamment les articles 13 et 26 de la Convention de La Haye et 11 du Règlement de Bruxelles II bis, la cour d’appel de Poitiers confirma l’ordonnance du 2 février 2009 en toutes ses dispositions et condamna le père de D. et A. sur le fondement de l’article 26 de la Convention de La Haye à payer 5 000 EUR à la première requérante. La cour tint compte de l’opinion de D. et A., tout en retenant qu’ils étaient influencés par le conflit de loyauté auquel ils se trouvaient confrontés, étant totalement coupés de leur mère depuis plus de trois mois et sous la seule influence de leur père. Elle estima ensuite qu’eu égard aux décisions de la High Court of Justice, toutes les mesures avaient été prises dans leur intérêt pour encadrer leur retour en Grande-Bretagne, auquel leur seule opposition ne pouvait suffire à faire obstacle.

24.  Le pourvoi en cassation formé par le père de D. et A. fut rejeté par un arrêt de la Cour de cassation du 8 juillet 2010.

F.  Les mesures prises en vue de l’exécution de l’arrêt de la cour d’appel de Poitiers du 16 avril 2009 et la rencontre médiatisée du 4 juin 2009

1.  Mesures prises au cours de l’année 2009

a)  Avant la rencontre médiatisée du 4 juin 2009

25.  Une réunion fut organisée le 22 avril 2009 au parquet de La Rochesur-Yon entre le père de D. et A., son conseil et le procureur de la République. Ce dernier expliqua au premier que s’il n’exécutait pas spontanément cette décision, il s’exposait non seulement au risque d’une exécution forcée avec le concours de la force publique, mais aussi à des poursuites pénales à la suite de la plainte déposée par la première requérante le 17 mars 2009, pour non représentation d’enfants. L’intéressé indiqua ne pas vouloir obtempérer, faisant valoir que l’ordonnance de placement provisoire du 2 janvier 2009 faisait obstacle à l’exécution de la décision de retour jusqu’au 2 juillet 2009. Contactée à cette fin par le parquet, l’autorité centrale française rappela le lendemain qu’en application de l’article 20 alinéa 2 du Règlement Bruxelles II bis, la mesure de placement du 2 janvier 2009 avait cessé de produire ses effets le 9 janvier 2009, date à laquelle la High Court of Justice avait pris une mesure de protection au profit de D. et A. en les déclarant Wards of Court.

Deux autres voies furent évoquées lors de cette réunion : par le biais de la Chancellerie ou du ministère des Affaires étrangères, obtenir des autorités britanniques qu’elles procèdent à une enquête sur les conditions de vie des enfants en Grande-Bretagne et sur la personnalité de la première requérante ; procéder à une médiation en mettant les deux parents autour d’une même table dans le but de négocier une solution.

26.  Une nouvelle réunion eut lieu le 6 mai 2009 au parquet général de Poitiers, en présence d’un intervenant social, membre du service d’aide à la médiation internationale familiale (un service intégré au bureau de l’entraide civile et commerciale internationale du ministère de la Justice). Un magistrat anglais y participa également par visioconférence ; il expliqua précisément le statut de protection dont D. et A. bénéficieraient en GrandeBretagne, indiquant en particulier qu’un administrateur ad hoc et un avocat seraient désignés. Répondant aux sollicitations du substitut du procureur, leur père accepta de les ramener volontairement en Grande-Bretagne, à condition qu’un service éducatif l’assiste pour leur expliquer les conditions de leur retour et qu’une reprise de contact avec leur mère soit organisée préalablement sous l’égide d’un service éducatif extérieur.

27.  Un intervenant social rencontra comme prévu D. et A. au domicile de leur père le 25 mai 2009.

28.  Le 26 mai 2009, le procureur de la République reçut le père de D. et A. et son avocat afin qu’ils lui précisent les conditions dans lesquels l’exécution de la décision de retour allait se réaliser. L’intéressé indiqua préférer que la première requérante vienne en France les chercher.

29.  L’entrevue médiatisée entre la mère et ses fils eut lieu le matin du 4 juin 2009 dans les locaux de l’association Sauvegarde 85, en présence de l’intervenant social qui avait rencontré ces derniers le 25 mai 2009, de leur père, d’un éducateur et de la psychologue qui les avait déjà rencontrés. Il était prévu que D. et A. soient remis à la première requérante l’après-midi en vue de leur retour en Grande-Bretagne.

La tentative de reprise de contact échoua cependant : D. s’en prit physiquement à sa mère et A., en pleurs et en cris, refusa de la rencontrer.

30.  Le jour même, la psychologue et l’assistante sociale établirent à l’attention du juge des enfants un rapport décrivant en détail cette rencontre et l’échec auquel elle avait abouti, et concluant ainsi :

« (...) nous ne pouvons qu’alerter l’autorités judicaires sur l’impossibilité actuelle des enfants à être confrontés seuls à leur mère. Si ceux-ci se trouvent inévitablement dans un conflit de loyauté, nous pensons que leurs réactions témoignent de l’authenticité de leur souffrance dans leur relation à leur mère, et de leur réelle difficulté, voire leur incapacité actuelle à vivre avec elle. Au regard des tensions vécues par les enfants, de leur état émotionnel, voire de leur désorganisation, nous avons conseillé [à leur père] une prise en charge médicale. Au vu des événements de ce jour, le risque de passage à l’acte dramatique sur leur mère et sur eux-mêmes est malheureusement réel et vérifié. »

31.  D. et A. furent hospitalisés le 4 juin en pédiatrie au centre hospitalier de La Roche-sur-Yon. Le médecin qui les suivait écrivit au parquet le 5 juin 2009, signalant qu’au vu des témoignages des enfants et au vu de leur réaction face à leur mère, « il sembl[ait] qu’ils cour[raient] un risque très important, tant physique que psychologique, à retourner chez [elle] ».

32.  Le parquet avait immédiatement informé l’autorité centrale française de cet échec. Elle lui avait répondu dans la même journée, l’invitant à lui fournir, dans la perspective d’une exécution forcée de l’arrêt du 16 avril 2009, tous éléments d’information utiles ainsi que son avis à cet égard, et de l’informer des suites qu’il envisageait de donner à la plainte de la première requérante.

Par des courriers des 5 et 15 juin 2009, le procureur général de la cour d’appel de Poitiers confirma à l’autorité centrale française l’échec de la tentative de remise de D. et A. à la première requérante et les difficultés d’exécution de la décision de retour. Soulignant que l’entrevue médiatisée avait conduit à leur hospitalisation durant deux jours et que le plus jeune manifestait depuis des « crises d’angoisse avec état de panique » qui avaient empêché sa scolarisation durant la semaine suivante, le parquet indiqua qu’ « en l’état, un retour des deux enfants auprès de leur mère en Angleterre ne [pouvait] être réalisé ». Il ajouta qu’une exécution forcée de l’arrêt du 16 avril 2009 ne paraissait « pas opportune compte tenu des éléments d’information sur la situation psychologique des enfants et des risques pour eux lors de la mise en œuvre de la décision ». S’agissant des plaintes pénales, il précisa que les investigations allaient se poursuivre et que le parquet y donnerait les suites qu’il estimerait utile.

b)  Après la rencontre médiatisée du 4 juin 2009

33.  Le 15 juin 2009, la High Court of Justice désigna un tuteur (Guardian) pour représenter D. et A. dans la procédure.

34.  Le 16 juin 2009, l’autorité centrale de l’Angleterre et du Pays de Galles informa l’autorité centrale française qu’une audience aurait lieu devant la High Court of Justice afin notamment de désigner un agent des services sociaux pour prendre en charge D. et A., afin, soit de les rendre à leur mère, soit de les placer dans un établissement spécialisé. Elle l’invita à présenter ses suggestions à cet égard.

L’autorité centrale française répondit le 19 juin 2009 qu’il lui paraissait opportun que les intéressés soient pris en charge au tribunal de grande instance de La Roche-sur-Yon en présence des magistrats du parquet, qu’ils soient placés dans un établissement pour mineurs à leur arrivée en Grande-Bretagne, que la question de leur résidence habituelle et des droits de visite soient rapidement réexaminés et qu’il soit garanti que leur père ne risquerait pas d’être interpellé sur le sol britannique.

35.  L’autorité centrale française écrivit à l’autorité centrale de l’Angleterre et du Pays de Galles le 6 juillet 2009 pour proposer qu’une rencontre entre le tuteur ou le travailleur social britannique et D. et A. soit organisée dans les locaux du tribunal de grande instance de La Roche-sur-Yon, sans leur père et en présence d’un magistrat du parquet. Elle préconisa que les autorités judiciaires britanniques désignent un expert pédopsychiatre afin d’examiner les enfants et formuler un avis sur leur situation. Elle ajouta que le parquet général de Poitiers et le parquet de La Roche-sur-Yon favoriseraient le bon déroulement de toute mesure d’investigation que les autorités judiciaires anglaises jugeraient utiles de mettre en œuvre sur le territoire français afin d’analyser la situation des enfants.

36.  Par une ordonnance du 10 juillet 2009, la High Court of Justice ordonna le retour D. et A. avant le 24 juillet. Afin de préparer ce retour, elle décida qu’une visioconférence entre leur père, leur tuteur et le travailleur social britannique serait organisée, et requit que le père propose trois dates à cette fin. Elle décida en outre qu’à leur arrivée en Grande-Bretagne, les intéressés ne seraient pas remis à leur mère et n’auraient pas de contact avec elle, et que si le père décidait de les accompagner, il resterait à leurs côtés dans l’attente de l’évaluation de leur résidence temporaire par les autorités locales et le tuteur.

37.  Le 19 août 2009, répondant à une demande adressée le 23 juin 2009 par voie d’huissier par la première requérante, le préfet de la Vendée refusa le concours de la force publique pour l’exécution de l’arrêt du 16 avril 2009. Il précisa ce qui suit :

« La complexité de cette affaire, la prise en compte de l’intérêt des enfants, la mise en place récente par le ministère de la justice d’une procédure de médiation et le risque évident de troubles à l’ordre public que représente la récupération forcée de deux enfants dans un contexte familial exacerbé et médiatisé, m’ont amené à prendre cette décision ».

38.  Le 26 août 2009, l’autorité centrale française fit connaitre à l’autorité centrale de l’Angleterre et du Pays de Galles les trois dates en septembre auxquelles le père de D. et A. pouvait participer à la visioconférence. Ultérieurement informée par l’autorité centrale de l’Angleterre et du Pays de Galles que la visioconférence n’avait pas pu avoir lieu à la date retenue (le 17 septembre 2009), l’autorité centrale française, le 20 octobre 2009, invita le parquet à lui communiquer trois nouvelles dates convenant au père.

39.  Le 26 novembre 2009, l’autorité centrale française informa le père de D. et A. et son avocat que la visioconférence aurait lieu le 9 décembre 2009 et leur donna rendez-vous dans ses locaux à Paris à cette fin. Le 8 décembre 2009, l’avocat répondit que ni lui ni son client n’étaient disponibles à cette date et qu’en tout état de cause, son client n’avait pas les moyens de financer son déplacement à Paris. Il proposa d’organiser la visioconférence à La Roche-sur-Yon, suggérant quatre dates entre le 10 décembre 2009 et le 4 février 2010. L’autorité centrale française en informa l’autorité centrale de l’Angleterre et du Pays de Galles le 10 décembre 2009.

2.  Mesures prises au cours de l’année 2010

40.  Le Gouvernement indique que, jusqu’à la fin du mois d’avril 2010, l’autorité centrale française et le parquet échangèrent des informations sur l’affaire, mais qu’aucune mesure de nature à favoriser l’exécution de l’arrêt du 16 avril 2009 ne fut prise.

41.  Le 29 avril 2010, l’autorité centrale française invita le père de D. et A. à prendre rapidement contact avec elle en vue d’une rencontre. Il ne donna pas suite.

42.  Le conseil de la première requérante avait écrit au Garde des Sceaux le 6 octobre 2009 pour dénoncer le refus des autorités françaises de recourir à la force publique pour l’exécution de l’arrêt du 16 avril 2009. Le 29 avril 2010, le substitut général du procureur général de Poitiers informa ce dernier ainsi que l’autorité centrale française qu’il avait reçu la première requérante le 27 avril 2010 pour faire le point sur la situation. Il indiqua lui avoir rappelé que si cet arrêt devait recevoir exécution, il ne ferait pas procéder à l’exécution forcée car, « même à supposer que ce recours soit juridiquement possible, il n’[était] pas, compte tenu de l’âge des enfants et de leurs personnalités, pertinent de le mettre en œuvre ».

43.  Le 28 juillet 2010, l’autorité centrale de l’Angleterre et du Pays de Galles écrivit à l’autorité centrale française pour demander l’exécution de l’arrêt du 16 avril 2009, précisant que la première requérante était disposée à venir chercher ses enfants en France. L’autorité centrale française relaya cette demande auprès du procureur général de Poitiers le 5 août 2010. Ce dernier confirma son refus de faire procéder à l’exécution forcée de l’arrêt du 16 avril 2009.

44.  Le 9 décembre 2010, A. contacta secrètement un ami via un réseau social sur l’Internet et lui demanda de contacter sa mère afin qu’elle vienne le récupérer chez son père le samedi suivant. Elle vint en secret le chercher comme convenu le 11 décembre 2010 et le ramena en Grande-Bretagne.

45.  La Convention de La Haye ne s’applique plus à la situation de D. depuis le 9 janvier 2011, date à laquelle il a atteint l’âge de 16 ans. Il réside toujours avec son père en France.

II.  LE DROIT INTERNATIONAL ET LE DROIT DE l’UNION EUROPEENNE APPLICABLES

A.  La Convention relative aux droits de l’enfant du 20 novembre 1989

46.  Les dispositions pertinentes de la Convention relative aux droits de l’enfant du 20 novembre 1989 (ratifiée par la France le 7 août 1990), dont le préambule souligne que « l’intérêt de l’enfant est d’une importance primordiale pour toute question relative à sa garde », sont les suivantes :

Article 3

« 1.  Dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu’elles soient le fait des institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l’intérêt supérieur de l’enfant doit être une considération primordiale. (...) »

Article 11

« 1.  Les Etats parties prennent des mesures pour lutter contre les déplacements et les non-retours illicites d’enfants à l’étranger.

2.  A cette fin, les Etats parties favorisent la conclusion d’accords bilatéraux ou multilatéraux ou l’adhésion aux accords existants. »

Article 12

« 1.  Les Etats parties garantissent à l’enfant qui est capable de discernement le droit d’exprimer librement son opinion sur toute question l’intéressant, les opinions de l’enfant étant dûment prises en considération eu égard à son âge et à son degré de maturité.

2.  A cette fin, on donnera notamment à l’enfant la possibilité d’être entendu dans toute procédure judiciaire ou administrative l’intéressant, soit directement, soit par l’intermédiaire d’un représentant ou d’une organisation approprié, de façon compatible avec les règles de procédure de la législation nationale. »

B.  La Convention de La Haye du 25 octobre 1980 sur les aspects civils de l’enlèvement international des enfants

47.  Les dispositions pertinentes de la Convention de La Haye du 25 octobre 1980 sur les aspects civils de l’enlèvement international des enfants (ratifiée par la France le 16 septembre 1982) sont les suivantes :

Article 1

« La présente Convention a pour objet :

a)  d’assurer le retour immédiat des enfants déplacés ou retenus illicitement dans tout Etat contractant ;

b)  de faire respecter effectivement dans les autres Etats contractants les droits de garde et de visite existant dans un Etat contractant. »

Article 2

« Les Etats contractants prennent toutes mesures appropriées pour assurer, dans les limites de leur territoire, la réalisation des objectifs de la Convention. A cet effet, ils doivent recourir à leurs procédures d’urgence. »

Article 3

« Le déplacement ou le non-retour d’un enfant est considéré comme illicite :

a)  lorsqu’il a lieu en violation d’un droit de garde, attribué à une personne, une institution ou tout autre organisme, seul ou conjointement, par le droit de l’Etat dans lequel l’enfant avait sa résidence habituelle immédiatement avant son déplacement ou son non-retour ; et

b)  que ce droit était exercé de façon effective seul ou conjointement, au moment du déplacement ou du non-retour, ou l’eût été si de tels événements n’étaient survenus.

Le droit de garde visé en a) peut notamment résulter d’une attribution de plein droit, d’une décision judiciaire ou administrative, ou d’un accord en vigueur selon le droit de cet Etat. »

Article 4

« La Convention s’applique à tout enfant qui avait sa résidence habituelle dans un Etat contractant immédiatement avant l’atteinte aux droits de garde ou de visite. L’application de la Convention cesse lorsque l’enfant parvient à l’âge de 16 ans. »

Article 7

« Les Autorités centrales doivent coopérer entre elles et promouvoir une collaboration entre les autorités compétentes dans leurs Etats respectifs, pour assurer le retour immédiat des enfants et réaliser les autres objectifs de la présente Convention.

En particulier, soit directement, soit avec le concours de tout intermédiaire, elles doivent prendre toutes les mesures appropriées :

a)  pour localiser un enfant déplacé ou retenu illicitement ;

b)  pour prévenir de nouveaux dangers pour l’enfant ou des préjudices pour les parties concernées, en prenant ou faisant prendre des mesures provisoires ;

c)  pour assurer la remise volontaire de l’enfant ou faciliter une solution amiable ;

d)  pour échanger, si cela s’avère utile, des informations relatives à la situation sociale de l’enfant ;

e)  pour fournir des informations générales concernant le droit de leur Etat relatives à l’application de la Convention ;

f)  pour introduire ou favoriser l’ouverture d’une procédure judiciaire ou administrative, afin d’obtenir le retour de l’enfant et, le cas échéant, de permettre l’organisation ou l’exercice effectif du droit de visite ;

g)  pour accorder ou faciliter, le cas échéant, l’obtention de l’assistance judiciaire et juridique, y compris la participation d’un avocat ;

h)  pour assurer, sur le plan administratif, si nécessaire et opportun, le retour sans danger de l’enfant ;

i)  pour se tenir mutuellement informées sur le fonctionnement de la Convention et, autant que possible, lever les obstacles éventuellement rencontrés lors de son application. »

Article 10

« L’Autorité centrale de l’Etat où se trouve l’enfant prendra ou fera prendre toute mesure propre à assurer sa remise volontaire. »

Article 11

« Les autorités judiciaires ou administratives de tout Etat contractant doivent procéder d’urgence en vue du retour de l’enfant.

Lorsque l’autorité judiciaire ou administrative saisie n’a pas statué dans un délai de six semaines à partir de sa saisine, le demandeur ou l’Autorité centrale de l’Etat requis, de sa propre initiative ou sur requête de l’Autorité centrale de l’Etat requérant, peut demander une déclaration sur les raisons de ce retard. Si la réponse est reçue par l’Autorité centrale de l’Etat requis, cette Autorité doit la transmettre à l’Autorité centrale de l’Etat requérant ou, le cas échéant, au demandeur. »

Article 12

« Lorsqu’un enfant a été déplacé ou retenu illicitement au sens de l’article 3 et qu’une période de moins d’un an s’est écoulée à partir du déplacement ou du nonretour au moment de l’introduction de la demande devant l’autorité judiciaire ou administrative de l’Etat contractant où se trouve l’enfant, l’autorité saisie ordonne son retour immédiat.

L’autorité judiciaire ou administrative, même saisie après l’expiration de la période d’un an prévue à l’alinéa précédent, doit aussi ordonner le retour de l’enfant, à moins qu’il ne soit établi que l’enfant s’est intégré dans son nouveau milieu.

Lorsque l’autorité judiciaire ou administrative de l’Etat requis a des raisons de croire que l’enfant a été emmené dans un autre Etat, elle peut suspendre la procédure ou rejeter la demande de retour de l’enfant. »

Article 13

« Nonobstant les dispositions de l’article précédent, l’autorité judiciaire ou administrative de l’Etat requis n’est pas tenue d’ordonner le retour de l’enfant, lorsque la personne, l’institution ou l’organisme qui s’oppose à son retour établit :

a)  que la personne, l’institution ou l’organisme qui avait le soin de la personne de l’enfant n’exerçait pas effectivement le droit de garde à l’époque du déplacement ou du non-retour, ou avait consenti ou a acquiescé postérieurement à ce déplacement ou à ce non-retour ; ou

b)  qu’il existe un risque grave que le retour de l’enfant ne l’expose à un danger physique ou psychique, ou de toute autre manière ne le place dans une situation intolérable.

L’autorité judiciaire ou administrative peut aussi refuser d’ordonner le retour de l’enfant si elle constate que celui-ci s’oppose à son retour et qu’il a atteint un âge et une maturité où il se révèle approprié de tenir compte de cette opinion.

Dans l’appréciation des circonstances visées dans cet article, les autorités judiciaires ou administratives doivent tenir compte des informations fournies par l’Autorité centrale ou toute autre autorité compétente de l’Etat de la résidence habituelle de l’enfant sur sa situation sociale. »

Article 20

« Le retour de l’enfant conformément aux dispositions de l’article 12 peut être refusé quand il ne serait pas permis par les principes fondamentaux de l’Etat requis sur la sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales. »

C.  Le Règlement (CE) no 2201/2003 du Conseil du 27 novembre 2003 relatif à la compétence, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière matrimoniale et en matière de responsabilité parentale (« Règlement de Bruxelles II bis »)

48.  Les dispositions pertinentes du Règlement (CE) no 2201/2003 du Conseil du 27 novembre 2003 relatif à la compétence, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière matrimoniale et en matière de responsabilité parentale sont les suivantes :

Article 11

« 1.  Lorsqu’une personne, institution ou tout autre organisme ayant le droit de garde demande aux autorités compétentes d’un État membre de rendre une décision sur la base de la Convention de La Haye du 25 octobre 1980 sur les aspects civils de l’enlèvement international d’enfants (ci-après «la Convention de La Haye de 1980») en vue d’obtenir le retour d’un enfant qui a été déplacé ou retenu illicitement dans un État membre autre que l’État membre dans lequel l’enfant avait sa résidence habituelle immédiatement avant son déplacement ou son non-retour illicites, les paragraphes 2 à 8 sont d’application.

2.  Lors de l’application des articles 12 et 13 de la Convention de La Haye de 1980, il y a lieu de veiller à ce que l’enfant ait la possibilité d’être entendu au cours de la procédure, à moins que cela n’apparaisse inapproprié eu égard à son âge ou à son degré de maturité.

3.  Une juridiction saisie d’une demande de retour d’un enfant visée au paragraphe 1 agit rapidement dans le cadre de la procédure relative à la demande, en utilisant les procédures les plus rapides prévues par le droit national. Sans préjudice du premier alinéa, la juridiction rend sa décision, sauf si cela s’avère impossible en raison de circonstances exceptionnelles, six semaines au plus tard après sa saisine.

4.  Une juridiction ne peut pas refuser le retour de l’enfant en vertu de l’article 13, point b), de la Convention de La Haye de 1980 s’il est établi que des dispositions adéquates ont été prises pour assurer la protection de l’enfant après son retour.

5.  Une juridiction ne peut refuser le retour de l’enfant si la personne qui a demandé le retour de l’enfant n’a pas eu la possibilité d’être entendue.

6.  Si une juridiction a rendu une décision de non-retour en vertu de l’article 13 de la Convention de La Haye de 1980, cette juridiction doit immédiatement, soit directement soit par l’intermédiaire de son autorité centrale, transmettre une copie de la décision judiciaire de non-retour et des documents pertinents, en particulier un compte rendu des audiences, à la juridiction compétente ou à l’autorité centrale de l’État membre dans lequel l’enfant avait sa résidence habituelle immédiatement avant son déplacement ou son non-retour illicites, conformément à ce que prévoit le droit national. La juridiction doit recevoir tous les documents mentionnés dans un délai d’un mois à compter de la date de la décision de non-retour.

7.  À moins que les juridictions de l’État membre dans lequel l’enfant avait sa résidence habituelle immédiatement avant son déplacement ou son non-retour illicites aient déjà été saisies par l’une des parties, la juridiction ou l’autorité centrale qui reçoit l’information visée au paragraphe 6 doit la notifier aux parties et les inviter à présenter des observations à la juridiction, conformément aux dispositions du droit national, dans un délai de trois mois à compter de la date de la notification, afin que la juridiction examine la question de la garde de l’enfant. Sans préjudice des règles en matière de compétence prévues dans le présent règlement, la juridiction clôt l’affaire si elle n’a reçu dans le délai prévu aucune observation.

8.  Nonobstant une décision de non-retour rendue en application de l’article 13 de la Convention de La Haye de 1980, toute décision ultérieure ordonnant le retour de l’enfant rendue par une juridiction compétente en vertu du présent règlement est exécutoire conformément au chapitre III, section 4, en vue d’assurer le retour de l’enfant. »

Article 20

« 1.  En cas d’urgence, les dispositions du présent règlement n’empêchent pas les juridictions d’un État membre de prendre des mesures provisoires ou conservatoires relatives aux personnes ou aux biens présents dans cet État, prévues par la loi de cet État membre même si, en vertu du présent règlement, une juridiction d’un autre État membre est compétente pour connaître du fond.

2.  Les mesures prises en exécution du paragraphe 1 cessent d’avoir effet lorsque la juridiction de l’Etat membre compétente en vertu du présent règlement pour connaître du fond a pris les mesures qu’elle estime appropriées. »

EN DROIT

I.  SUR LA QUALITE DE LA PREMIERE REQUERANTE POUR AGIR AU NOM DE SES ENFANTS

49.  Le Gouvernement déclare s’interroger sur la qualité de la première requérante à engager une action en justice au nom de ses enfants, dans la mesure où il ne ressort pas du dossier qu’elle dispose seule de l’autorité parentale et qu’elle « n’apporte aucun élément justificatif de cette qualité ».

50.  Les requérants répliquent qu’il résulte de la jurisprudence de la Cour que le fait qu’un parent n’exerce pas seul l’autorité parentale ne fait pas obstacle à ce qu’il agisse au nom de son enfant devant la Cour. Ils ajoutent que leur représentant devant la Cour a vérifié auprès d’A. et C. qu’ils entendaient saisir la Cour, produisant des déclarations dans ce sens signées de leurs mains. S’agissant de D., ils admettent que son comportement passé ne tend pas à indiquer qu’il souhaite être requérant, mais soulignent qu’ils ne sont pas en mesure d’entrer en contact avec lui pour vérifier sa position à cet égard. Selon eux, il reviendrait au Gouvernement de la faire, par le biais par exemple de l’association Sauvegarde 85.

51.  La Cour rappelle qu’une personne qui n’a pas, au plan interne, le droit de représenter une autre personne, peut tout de même, dans certaines circonstances, agir devant la Cour au nom de cette autre personne. Des mineurs, en particulier, peuvent la saisir, même – et à plus forte raison – s’ils sont représentés par un parent en conflit avec les autorités dont il critique les décisions et la conduite à la lumière des droits garantis par la Convention. La Cour a ainsi admis dans l’affaire Scozzari et Giunta c. Italie [GC] (nos 39221/98 et 41963/98, §§ 138-139, CEDH 2000VIII) qu’une mère privée de l’autorité parentale pouvait la saisir au nom de ses enfants pour dénoncer notamment une violation de l’article 8 de la Convention résultant d’une décision judiciaire interrompant toute relation entre elle et eux et les plaçant dans une structure d’accueil. Elle a considéré en effet qu’en cas de conflit au sujet des intérêts d’un mineur entre le parent biologique et la personne investie de la tutelle, il y avait un risque que certains intérêts du mineur ne soient jamais portés à l’attention de la Cour et que le mineur soit privé d’une protection effective des droits qu’il tient de la Convention. Elle en a déduit que la qualité de mère biologique de la requérante suffisait pour lui donner le pouvoir d’ester devant elle au nom de ses enfants afin de protéger leurs propres intérêts.

La Cour a par la suite expressément admis sur le fondement de cette jurisprudence qu’un parent pouvait, sans l’accord de l’autre parent, la saisir au nom de son enfant mineur pour dénoncer une violation de la Convention résultant de décisions prises dans le contexte d’un contentieux l’opposant à l’autre parent quant au droit de garde (Diamante et Pelliccioni c. SaintMarin, no 32250/08, §§ 146-147, 27 septembre 2011).

52.  Selon la Cour – qui observe qu’en droit français le père et la mère exercent l’autorité parentale en commun même s’ils sont séparés (articles 372 et 373-2 du code civil) – il résulte de ce qui précède que la première requérante a qualité pour agir devant la Cour au nom de ses enfants mineurs, alors même qu’elle n’a pas l’autorité parentale exclusive et qu’elle ne se prévaut pas de l’accord de leurs pères.

53.  Cela étant, lorsqu’un parent saisit la Cour au nom de son enfant mineur et qu’il devient majeur avant qu’elle ait statué, il convient que le parent produise une attestation signée par ce dernier, indiquant qu’il souhaite demeurer requérant (Lautsi et autres c. Italie [GC], no 30814/06, § 1, CEDH 2011 (extraits)). A défaut, l’intéressé perd en principe la qualité de requérant. En l’espèce, notant que la majorité de D. approchait, la Cour a, le 23 octobre 2012, invité les représentants des requérants à produire une déclaration signée par lui et indiquant qu’il souhaitait poursuivre la procédure en qualité de requérant. Ceux-ci ayant répondu ne pas être en mesure de produire une telle attestation (paragraphe 4 ci-dessus), la Cour estime que D., qui a eu dix-huit ans le 9 janvier 2013, ne peut plus être considéré requérant devant elle.

II.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 8 DE LA CONVENTION

54.  Les requérants se plaignent du manquement des autorités françaises à assurer le retour en Grande-Bretagne de D. et A.. Ils dénoncent une violation de l’article 8 de la Convention, aux termes duquel :

« 1.  Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance.

2.  Il ne peut y avoir ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu’elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l’ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui. »

A.  Sur la recevabilité

1.  Sur la qualité de victime des deuxième et troisième requérants

55.  Selon le Gouvernement, reconnaître la qualité de victime aux enfants dans le domaine délicat de l’éclatement du cadre familial et dans un contexte où ils sont susceptibles de devenir des sujets de cristallisation des conflits d’adultes, revient à consacrer leur instrumentalisation par l’un de leurs parents. Cela leur ferait endosser ipso facto un point de vue plutôt que l’autre, ce qui pourrait avoir des effets non mesurables sur leurs vies futures. En conséquence, invoquant l’intérêt des enfants, il « demande instamment à la Cour de laisser le présent litige entre les mains des adultes et d’écarter la qualité de victime [des enfants de la première requérante] ».

56.  Les requérants invitent la Cour à rejeter cette thèse. Ils soulignent en particulier que la Convention de La Haye repose sur le principe que l’intérêt de l’enfant commande qu’il retourne rapidement dans l’Etat de sa résidence habituelle, ce qui n’implique pas nécessairement qu’il soit rendu au parent dont il a été séparé.

57.  La Cour rappelle qu’un individu peut se prétendre « victime » d’une violation de la Convention, au sens de l’article 34, dès lors qu’il subit directement les effets de la violation qu’il allègue. Or, lorsque les membres d’une famille sont séparés du fait de l’action ou de l’omission d’autorités internes, chacun d’entre eux est en mesure de soutenir subir directement les effets de cette séparation sur sa vie privée et familiale et donc de se dire victime d’une violation de l’article 8 de la Convention. Au vu des circonstances de la cause, il ne fait donc pas de doute que les enfants de Mme Raw, comme cette dernière, sont en mesure de se prétendre victimes d’une violation de cette disposition.

2.  Sur l’épuisement des voies de recours internes

58.  Le Gouvernement reproche aux requérants de ne pas avoir saisi les juridictions administratives d’une demande d’annulation pour excès de pouvoirs du refus du préfet de prêter le concours de la force publique. Il invite la Cour à en déduire qu’ils n’ont pas épuisé les voies de recours internes et à déclarer la requête irrecevable.

59.  Renvoyant aux décisions de la Cour dans les affaires Matheus c. France (no 62740/00, 18 mai 2004) et R.P. c. France (no 10271/02, 3 juillet 2007), les requérants répliquent que les autorités étaient tenues de prêter leur concours à l’exécution de l’arrêt de la cour d’appel de Poitiers du 16 avril 2009 : dès lors qu’un jugement est définitif et obligatoire, il appartient aux autorités d’assurer son exécution. Exiger qu’ils fassent encore des démarches concorderait d’autant moins avec l’article 35 § 1 de la Convention dans les affaires relatives à l’application de la Convention de La Haye, que le passage du temps peut avoir des conséquences irrémédiables sur la relation entre l’enfant et le parent dont il est séparé. Ils estiment de plus que cette exception est étroitement liée au fond de leur grief relatif au caractère inadéquat des mesures prises par les autorités françaises pour les réunir. Ils ajoutent que le Gouvernement ne produit aucun exemple jurisprudentiel susceptible de confirmer l’efficacité du recours dont il est question.

60.  La Cour rappelle qu’aux termes de l’article 35 § 1 de la Convention, elle ne peut être saisie qu’après l’épuisement des voies de recours internes. Tout requérant doit avoir donné aux juridictions internes l’occasion que cette disposition a pour finalité de ménager en principe aux Etats contractants : éviter ou redresser les violations alléguées contre eux. Cette règle se fonde donc sur l’hypothèse que l’ordre interne offre un recours effectif quant à la violation alléguée. Les dispositions de l’article 35 de la Convention ne prescrivent cependant que l’épuisement des recours à la fois relatifs aux violations incriminées, disponibles et adéquats. Ils doivent exister à un degré suffisant de certitude non seulement en théorie mais aussi en pratique, sans quoi leur manquent l’effectivité et l’accessibilité voulues ; il incombe à l’Etat défendeur de démontrer que ces exigences se trouvent réunies (voir, parmi de nombreux autres arrêts et décisions, Mifsud c. France (déc.) [GC], no 57220/00, § 15, CEDH 2002VIII).

61.  En l’espèce, les requérants se plaignent de ce que les autorités françaises ont omis d’assurer le retour de D. et A. en Grande-Bretagne, Etat de résidence habituelle de ces derniers au sens de la Convention de La Haye, afin qu’ils soient réunis. Conformément aux prescriptions de cette convention, la première requérante a déposé une demande de retour devant l’autorité centrale de l’Angleterre et du Pays de Galles, qui l’a transmise à l’autorité central française, laquelle a en conséquence saisi le parquet général, qui à son tour a assigné le père des enfants devant le juge aux affaire familiales compétent aux fins de voir ordonner leur retour en Grande-Bretagne. Au vu, en particulier, de l’intérêt des enfants et en application de la Convention de La Haye et du Règlement de Bruxelles II bis, le juge a pris une décision dans ce sens, laquelle a été confirmée par un arrêt de la cour d’appel de Poitiers du 16 avril 2009 ; le pourvoi en cassation formé par le père a ensuite été rejeté.

62.  Ainsi, d’une part, en déclenchant le mécanisme prévu par la Convention de La Haye, la première requérante a usé de la voie la plus appropriée pour obtenir le retour des enfants en Grande-Bretagne et a permis qu’en substance du moins, la question de son droit au respect de sa vie privée et familiale et de celui de ses enfants soit soumise aux juridictions françaises.

D’autre part, la première requérante ayant obtenu gain de cause, les autorités étaient tenues de prêter leur concours à l’exécution de l’arrêt du 16 avril 2009 : c’est sur elles que pesait l’obligation d’agir, et non sur les requérants (voir, mutatis mutandis, les décisions Mattheus et R.P précitées). Ainsi, à supposer même qu’un recours en annulation du refus du préfet de prêter le concours de la force publique aurait eu des chances d’aboutir dans les circonstances de la cause – ce que le Gouvernement, qui omet de produire des précédents jurisprudentiels à l’appui de sa thèse, ne démontre pas –, le Gouvernement ne saurait soutenir qu’il appartenait à la requérante d’user également de cette voie pour épuiser les voies de recours internes. Ce recours était donc inadéquat en l’espèce, d’autant plus qu’il n’aurait pas abouti directement à l’exécution de l’arrêt de la cour d’appel de Poitiers du 16 avril 2009 (voir, mutatis mutandis, les décisions Mattheus et R.P. précitées) et qu’il aurait contribué à prolonger la procédure interne alors que la jurisprudence de la Cour (paragraphe 82 ci-dessous) comme la Convention de La Haye et le Règlement de Bruxelles II bis mettent l’accent sur la nécessité d’agir rapidement.

63.  Partant, on ne saurait reprocher aux requérants de ne pas avoir épuisé les voies de recours internes.

3.  Conclusion

64.  La Cour constate par ailleurs que la requête n’est pas manifestement mal fondée au sens de l’article 35 § 3 (a) de la Convention et qu’elle ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité. Par conséquent, elle la déclare recevable.

B.  Sur le fond

1.  Thèses des parties

a)  Les requérants

65.  Les requérants soutiennent qu’il y a eu ingérence dans l’exercice de leur droit au respect de leur vie privée et familiale, et qu’elle n’était pas prévue par la loi. Sur ce dernier point, ils soulignent qu’il résulte de l’article 501 du code de procédure civile que les jugements sont exécutoires dès leur prononcé et que l’article 16 de la loi no 91-650 du 9 juillet 1991 oblige l’Etat à assister les justiciables pour l’exécution des jugements. Ils en déduisent qu’en omettant d’exécuter l’arrêt de la cour d’appel de Poitiers du 16 avril 2009, les autorités ont agi illégalement au regard du droit français, ce qui s’ajouterait au fait qu’elles ont méconnu l’article 10 de la Convention de La Haye et l’article 11 notamment du Règlement de Bruxelles II bis.

66.  Ils admettent que cette ingérence poursuivait l’un des buts légitimes énumérés au second paragraphe de l’article 8 (la protection des droits et libertés d’autrui) mais estiment qu’elle n’était pas nécessaire dans une société démocratique.

67.  Ils ne doutent pas que si les autorités françaises avaient pris toutes les mesures que l’on pouvait raisonnablement attendre d’elles, elles auraient pu garantir le retour des enfants en Grande-Bretagne. Selon eux, s’il devait être considéré aujourd’hui que le passage du temps fait obstacle à ce que D. soit réuni à sa mère et à ses frère et sœur, les autorités françaises devraient en être tenues pour responsable. Ils rappellent que la Cour a jugé dans les arrêts Ignaccolo-Zenide c. Roumanie (no 31679/96, CEDH 2000I) et Dore c. Portugal (no 775/08, 1er février 2011) que le passage du temps peut avoir des conséquences irrémédiables sur les relations entre un enfant et le parent dont il est séparé et qu’un respect effectif de la vie familiale commande que les relations futures entre parent et enfant ne se règlent pas par le simple écoulement du temps mais sur la base de l’ensemble des éléments pertinents. D’après eux, s’il peut être considéré que l’autorité centrale française a montré une certaine diligence, on ne peut en dire autant des autres autorités impliquées. Ils reprochent en particulier aux autorités administratives d’avoir refusé d’apporter leur concours à l’exécution de l’arrêt de la cour d’appel de Poitiers du 16 avril 2009, et à la Cour de cassation d’avoir pris quinze mois pour statuer.

68.  Les requérants indiquent qu’ils sont d’accord avec le fait qu’un retour volontaire est toujours préférable. Ils ne font donc pas grief aux autorités de ne pas avoir engagé des poursuites pénales contre le père au début de la procédure. Ils estiment en revanche qu’elles auraient dû opter pour cette voie à partir du moment où les autres mesures s’étaient révélées inefficaces.

Ils estiment en outre que la rencontre entre la mère et ses enfants du 9 juin 2009 a été mal préparée, notamment parce que ces derniers n’en ont été informés que la veille, et en déduisent que les autorités françaises sont responsables de l’échec de cette réunion.

Enfin, ils constatent que, le 10 juillet 2009, le juge britannique a accepté pour l’essentiel les modalités proposées par l’autorité centrale française afin de faciliter le retour, décidant notamment que le père pourrait accompagner les enfants en Grande-Bretagne et rester à leur côté dans un premier temps. Selon eux, à partir de cette date, rien ne pouvait plus justifier que les autorités françaises n’exécutent pas l’arrêt de la cour d’appel de Poitiers du 16 avril 2009.

b)  Le Gouvernement

69.  Le Gouvernement estime qu’il y a eu ingérence dans l’exercice du droit des requérants au respect de leur vie privée et familiale, mais que cette ingérence répondait aux exigences du second paragraphe de l’article 8. Premièrement, elle était prévue par la loi : l’article 7 de la Convention de La Haye qui, en imposant aux Etat parties de rechercher une solution amiable et d’assurer un retour sans danger des enfants, autorise les autorités nationales à ne pas faire exécuter les décisions de justice par la force. Deuxièmement, elle poursuivait un but légitime : la préservation des droits et libertés des enfants. Troisièmement, elle était nécessaire dans une société démocratique.

70.  Sur ce dernier point, il souligne que le défaut d’aboutissement des démarches entreprises en vue du retour des enfants en Grande-Bretagne résulte de la prise en compte de l’intérêt supérieur de ceux-ci.

71.  Il indique que, si le procureur de la République a décidé de ne pas entreprendre des poursuites contre le père, c’est pour des raisons tant juridiques que d’opportunité. Sur le plan juridique, le père pouvait initialement se prévaloir d’une erreur de droit, tirée de la contradiction entre l’ordonnance de placement provisoire du 2 janvier 2009 et l’arrêt de la cour d’appel de Poitiers relatif à la résidence des enfants, voire de l’état de nécessité justifié par la protection de ces derniers. Il pouvait également s’appuyer sur une jurisprudence selon laquelle la résistance d’un enfant de 15 ans à une décision de justice qui le confie à un autre parent constitue une circonstance exceptionnelle constitutive de force majeure empêchant la caractérisation du délit de non représentation d’enfant. En opportunité, le procureur de la République aurait pris en compte non seulement les inconvénients qu’auraient générés des poursuites pénales contre le père alors que sa coopération était recherchée pour parvenir à l’exécution des décisions de justice, mais aussi l’intérêt des enfants, qui en auraient souffert par ricochet.

72.  Il rappelle qu’une rencontre médiatisée entre les enfants et leur mère a été organisée le 9 juin 2009 sous l’égide de personnes qualifiées et expérimentées, dans le but de permettre leur retour en Grande-Bretagne dans les meilleures conditions. Il considère que l’échec de cette opération ne peut être imputé aux autorités françaises.

73.  Le Gouvernement met par ailleurs en exergue la diligence de l’autorité centrale française, qui a constamment recherché la coopération de chacune des parties prenantes et qui, après l’échec de la reprise de contact du 9 juin 2009, a proposé des solutions pour parvenir à l’exécution des décisions de justice.

74.  Enfin, il souligne que c’est au regard de la situation médicalement constatée et du contexte familial exacerbé et médiatisé que le préfet a écarté l’exécution forcée. Selon le Gouvernement, l’exercice de mesures de coercition à l’égard d’enfants présentant une fragilité psychologique forte et attestée était manifestement contraire à leur intérêt.

75.  En conclusion, renvoyant à l’arrêt Neulinger et Shuruk c. Suisse [GC] (no 41615/07, CEDH 2010) dans lequel la Cour a jugé que l’intérêt supérieur de l’enfant doit constituer la considération déterminante, le Gouvernement estime que, dans le contexte particulier de l’affaire, les autorités françaises ont pris toutes les mesures qui pouvaient être raisonnablement exigées d’elles pour exécuter les jugements pris sur le fondement de la Convention de La Haye, dans les limites imposées par le respect des droits et intérêts des parties en présence.

2.   Appréciation de la Cour

76.  En premier lieu, la Cour souligne que les liens entre la première requérante et ses enfants ainsi qu’entre ces derniers relèvent de la vie familiale au sens de l’article 8 de la Convention. Cela n’a d’ailleurs pas prêté à controverse.

77.  Ensuite, elle constate qu’en réalité, les requérants ne se plaignent pas d’une « ingérence d’une autorité publique » dans l’exercice de leur droit au respect de leur vie familiale, au sens du second paragraphe de l’article 8 de la Convention, mais d’un manquement des autorités françaises à assurer le retour de D. et A. en Grande-Bretagne pour les réunir. Elle juge donc inappropriée l’approche des parties, fondée sur l’hypothèse de l’existence d’une « ingérence » de ce type, et consistant à vérifier si elle est « prévue par la loi », poursuit l’un des buts légitimes énumérés par ce paragraphe et est « nécessaire » « dans une société démocratique » pour l’atteindre.

78.  Cela étant, la Cour rappelle que, si l’article 8 de la Convention tend pour l’essentiel à prémunir l’individu contre des ingérences arbitraires des pouvoirs publics, il engendre aussi des obligations positives inhérentes à un « respect » effectif de la vie familiale. Dans un cas comme dans l’autre, il faut avoir égard au juste équilibre à ménager entre les intérêts concurrents de l’individu et de la société dans son ensemble ; de même, dans les deux hypothèses, l’Etat jouit d’une certaine marge d’appréciation (voir, parmi d’autres, Ignaccolo-Zenide c. Roumanie, no 31679/96, § 94, CEDH 2000I).

79.  S’agissant de l’obligation pour l’Etat d’arrêter des mesures positives, l’article 8 implique non seulement le droit d’un parent à des mesures propres à le réunir à son enfant (ibidem) mais aussi le droit de l’enfant à des mesures propres à le réunir à son parent (voir, par exemple, Iglesias Gil et A.U.I. c. Espagne, no 56673/00, § 56, CEDH 2003V).

80.  Cette obligation des autorités nationales n’est toutefois pas absolue, car il arrive que la réunion d’un parent à ses enfants vivant depuis un certain temps avec l’autre parent ne puisse avoir lieu immédiatement et requière des préparatifs. La nature et l’étendue de ceux-ci dépendent des circonstances de chaque espèce, mais la compréhension et la coopération de l’ensemble des personnes concernées en constituent toujours un facteur important. Les autorités nationales doivent s’évertuer à faciliter pareille collaboration. Une obligation pour elles de recourir à la coercition en la matière ne saurait être que limitée : il leur faut tenir compte des intérêts et des droits et libertés de ces mêmes personnes, et notamment des intérêts supérieurs de l’enfant et des droits que lui reconnaît l’article 8 de la Convention. Dans l’hypothèse où des contacts avec les parents risquent de menacer ces intérêts ou de porter atteinte à ces droits, il revient aux autorités nationales de veiller à un juste équilibre (voir, parmi d’autres, Ignaccolo-Zenide, précité, § 94).

Il y a lieu de plus de garder à l’esprit dans ce contexte que l’intérêt supérieur de l’enfant s’oppose en règle générale à ce que des mesures coercitives soient prises à son encontre (voir notamment Ignaccolo-Zenide précité, § 106, et Maire c. Portugal, no 48206/99, § 76, CEDH 2003VII). Il peut en outre parfois commander que l’enfant ne soit pas séparé du parent avec lequel il se trouve ou qu’il ne soit pas retourné au parent qui le réclame (voir en particulier Neulinger et Shuruk précité).

81.  Selon la Cour, ces considérations valent aussi mutatis mutandis lorsqu’est en jeu le lien entre des membres d’une fratrie.

82.  La Cour rappelle également que la Convention doit s’appliquer en accord avec les principes du droit international, en particulier ceux relatifs à la protection internationale des droits de l’homme. S’agissant plus précisément des obligations positives que l’article 8 de la Convention fait peser sur les Etats contractants en matière de réunion d’un parent à ses enfants, elles doivent s’interpréter à la lumière de la Convention de La Haye sur les aspects civils de l’enlèvement international d’enfants (voir, parmi d’autres, Ignaccolo-Zenide précité, § 95) et de la Convention relative aux droits de l’enfant du 20 novembre 1989 (voir, par exemple, Maire c. Portugal, no 48206/99, § 72, CEDH 2003VII), qui mettent notamment l’accent sur le caractère primordial de l’intérêt de l’enfant (voir Neulinger et Shuruk, précité, §§ 49-56 et 137, et Karoussiotis c. Portugal, no 23205/08, § 83, CEDH 2011 (extraits)).

83.  Enfin, la Cour réaffirme qu’un respect effectif de la vie familiale commande que les relations futures entre parents et enfants ne se règlent pas par le simple écoulement du temps, mais sur la base de l’ensemble des éléments pertinents ; elle peut donc aussi avoir égard, sur le terrain de l’article 8, au mode et à la durée du processus décisionnel. Ainsi a-t-elle souligné que, dans les affaires de ce type, l’adéquation des mesures prises par les autorités se juge en particulier à la rapidité de leur mise en œuvre, le passage du temps pouvant avoir des conséquences irrémédiables pour les relations entre les enfants et celui des parents qui ne vit pas avec eux. La Convention de La Haye prévoit d’ailleurs un ensemble de mesures tendant à assurer le retour immédiat des enfants déplacés ou retenus illicitement dans un Etat contractant, et son article 11 précise que les autorités judicaires ou administratives saisies doivent procéder d’urgence en vue de ce retour (voir, notamment, précités, Ignaccolo-Zenide, § 102, Maire, § 74, et Karoussiotis, §§ 84-91, et Monory c. Roumanie et Hongrie, no 71099/01, §§ 82-84, 5 avril 2005).

84.  Le point décisif en l’espèce consiste donc à savoir si les autorités françaises ont pris, pour assurer le retour de D. et A., « toutes les mesures que l’on pouvait raisonnablement exiger d’elles » ou, autrement dit, si elles ont pris « les mesures nécessaires et adéquates » à cette fin (voir, parmi d’autres, Ignaccolo-Zenide précité, §§ 96 et 101).

85.  La Cour relève la rapidité avec laquelle les autorités françaises ont réagi une fois le mécanisme prévu par la Convention de La Haye déclenché. L’autorité centrale de l’Angleterre et du Pays de Galles a transmis la demande de retour formulée le 12 janvier 2009 par la première requérante à l’autorité centrale française le 13 janvier 2009, qui, dès le 14 janvier 2009, l’a adressée au parquet général de Poitiers aux fins de saisine du juge aux affaires familiales. Le procureur de la République de Poitiers a alors, le 20 janvier 2009, assigné le père de D. et A. devant le juge aux affaires familiales du tribunal de grande instance de Poitiers pour voir ordonner leur retour en Grande-Bretagne. Une audience a eu lieu le 23 janvier 2009 et, le 2 février 2009, le juge a ordonné le retour de D. et A. en Grande-Bretagne dans les soixante-douze heures, sous astreinte, cette décision étant exécutoire à titre provisoire. Dès le 4 février 2009, le Procureur de la République de La Roche-sur-Yon a reçu leur père pour lui rappeler les termes de cette ordonnance et l’inciter à assurer leur retour au Royaume-Uni. Le 10 mars 2009, le premier président de la cour d’appel de Poitiers a rejeté la demande de suspension de l’exécution provisoire formulée le 23 févier 2009 par le père, qui avait interjeté appel le 5 février 2009.

86.  La Cour juge par ailleurs approprié, au vu notamment du rapport du 3 février 2009 établi à la demande du juge des enfants de La Roche-sur-Yon (paragraphe 14 ci-dessus), que les autorités aient attendu que la question de l’application de l’article 13 de la Convention de La Haye soit définitivement tranchée avant de s’impliquer entièrement dans le retour de D. et A. en Grande-Bretagne auprès de leur mère. L’intérêt supérieur des enfants commande aussi une certaine prudence de la part des autorités lorsque des éléments concrets – tels que ceux mis en lumière dans ce rapport – donnent à penser que leur retour pourrait leur être préjudiciable.

87.  La Cour constate de plus que, par la suite, après l’arrêt de la cour d’appel de Poitiers du 16 avril 2009, dans un premier temps du moins, les autorités françaises ont déployé divers moyens pour convaincre le père de D. et d’A. de coopérer à l’organisation de leur retour en Grande-Bretagne. Une réunion fut organisée à cette fin par le procureur de la République le 22 avril 2009. Une autre réunion eut lieu le 6 mai 2009, à laquelle participèrent également un intervenant social membre du service d’aide à la médiation internationale familiale et, par visioconférence, un magistrat anglais, qui expliqua précisément le statut de protection dont les enfants bénéficieraient en Grande-Bretagne, indiquant en particulier qu’un administrateur ad hoc et un avocat seraient désignés. Répondant aux sollicitations du substitut du procureur, le père accepta de ramener ses fils en Grande-Bretagne, à condition qu’un service éducatif l’assiste pour leur expliquer les conditions de leur retour et qu’une reprise de contact avec leur mère soit organisée préalablement sous l’égide d’un service éducatif extérieur.

88.  Une rencontre fut en conséquence organisée entre D. et A. et un intervenant social le 25 mai 2009 et, le lendemain, le procureur de la République reçut leur père et son avocat afin qu’ils lui précisent les conditions dans lesquels l’exécution de la décision de retour allait se réaliser.

89.  L’entrevue médiatisée entre D. et A. et leur mère eut lieu dès le 4 juin 2009 au matin dans un lieu neutre, en présence de l’intervenant social susmentionné, de leur père, d’un éducateur et de la psychologue qui les avait déjà rencontrés. Il était prévu que l’après-midi, mère et fils partent ensemble en Grande-Bretagne. La tentative de reprise de contact échoua cependant, en raison de la réaction négative des enfants (paragraphes 25-29 ci-dessus).

90.  Cet événement ayant grandement affecté D. et A. (paragraphes 3031 ci-dessus), la Cour juge compréhensible que le procureur général de la cour d’appel de Poitiers ait alors considéré qu’en l’état, leur retour en Grande-Bretagne auprès de leur mère ne pouvait être réalisé (paragraphe 32 ci-dessus).

91.  L’autorité centrale française poursuivit néanmoins ses efforts, en collaboration avec l’autorité centrale d’Angleterre et du Pays de Galles. La Cour relève en particulier qu’elle coopéra activement à la mise en œuvre de la visioconférence ordonnée par la High Court of Justice, entre le père, le tuteur des enfants et le travailleur social désignés par cette juridiction, et qu’elle obtint de cette dernière qu’elle décide qu’à leur retour en GrandeBretagne, ils ne seraient pas remis à leur mère et n’auraient pas de contact avec elle et que, si leur père décidait de les accompagner, il pourrait rester à leurs côtés dans l’attente d’une évaluation de leur résidence temporaire (paragraphes 33-39 ci-dessus).

92.  Cela étant, les autorités françaises se sont peu à peu désinvesties, face notamment au peu d’empressement du père à coopérer à la réalisation de cette visioconférence (paragraphes 38-39 ci-dessus). De l’aveu même du Gouvernement, aucune mesure de nature à favoriser l’exécution de l’arrêt du 16 avril 2009 ne fut prise entre l’automne 2009 et le 29 avril 2010, date à laquelle l’autorité centrale française invita vainement le père à prendre contact avec elle en vue d’une rencontre (paragraphe 40 ci-dessus), et il ne ressort pas du dossier que les autorités aient par la suite fait des démarches significatives.

93.  La Cour ne met certes pas en cause le choix des autorités de privilégier la voie de la coopération et de la négociation, d’autant moins que l’article 7 de la Convention de La Haye met l’accent sur la nécessité de rechercher une solution amiable. Elle estime en outre que la décision du procureur général près la cour d’appel de Poitiers de ne pas procéder à l’exécution forcée de l’arrêt du 16 avril 2009 (prise en juin 2009 et réitérée en avril et en août 2010 ; paragraphes 32 et 42-43 ci-dessus) et la décision du préfet du 19 août 2009 de refuser le concours de la force publique (paragraphe 37 ci-dessus), fondées en particulier sur l’intérêt de D. et A., gravement troublés par la situation, ne sont pas critiquables (paragraphes 30 et 31). Comme elle l’a souligné précédemment, l’intérêt supérieur des enfants s’oppose en règle générale à ce que des mesures coercitives soient prises à leur encontre. La Cour estime cependant que des mesures de cette nature auraient pu être prises à l’encontre de leur père, afin de l’inciter à coopérer d’avantage. A cet égard, elle ne s’explique pas pourquoi les autorités françaises compétentes n’ont pas donné suite à la plainte pour non-représentation d’enfants déposée par la première requérante le 17 mars 2009 (paragraphe 22 ci-dessus) une fois qu’il pouvait être considéré que la voie de la coopération et de la négociation n’aboutirait pas.

94.  La Cour n’ignore pas que l’une des difficultés auxquelles les autorités se sont heurtées en l’espèce tient de l’attitude des enfants euxmêmes, qui ont clairement manifesté leur refus de retourner en GrandeBretagne auprès de leur mère. Elle estime toutefois que cette attitude n’était pas nécessairement immuable, ce dont atteste le fait que, le 11 décembre 2010, A. a volontairement quitté la maison paternelle pour rejoindre sa mère (paragraphe 44 ci-dessus). Elle observe en outre que, dans le cadre de l’application de la Convention de La Haye et du Règlement de Bruxelles II bis, si le point de vue des enfants doit être pris en compte, leur opposition ne fait pas nécessairement obstacle à leur retour.

95.  Eu égard à ce qui précède, et nonobstant la marge d’appréciation dont dispose l’Etat défendeur en la matière (paragraphe 78 ci-dessus), la Cour conclut que les autorités françaises n’ont pas pris toutes les mesures que l’on pouvait raisonnablement exiger d’elles pour faciliter l’exécution de l’arrêt de la cour d’appel de Poitiers du 16 avril 2009 ordonnant le retour de D. et A. en Grande-Bretagne. Partant, il y a eu violation de l’article 8 de la Convention.

III.  SUR LES AUTRES VIOLATIONS ALLÉGUÉES

96.  Les requérants dénoncent la durée de la procédure devant les juridictions françaises, notamment devant la Cour de cassation. Ils se plaignent en outre d’une violation de leur droit à un procès équitable résultant, d’une part, de la non-exécution de l’arrêt du 16 avril 2009 ordonnant le retour des enfants de la première requérante en Grande-Bretagne et, d’autre part, du fait que ce défaut d’exécution à rendu impossible l’exécution des décisions des juridictions britanniques sur la résidence de ces derniers et l’organisation du droit de visite et empêché la première requérante d’obtenir de celles-ci un réaménagement du droit de visite. Ils invoquent l’article 6 § 1 de la Convention, aux termes duquel :

« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement (...) et dans un délai raisonnable, par un tribunal (...), qui décidera (...) des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil (...) »

Les requérants invitent la Cour, dans l’hypothèse où elle ne conclut pas à la violation de l’article 6 § 1 de la Convention ou juge préférable d’examiner leur grief sur le terrain de l’article 13 de la Convention, de constater une violation de cette disposition combinée avec l’article 8 précité à raison de l’inaction des autorités françaises et de leurs décisions de ne pas prêter leur concours à l’exécution de l’arrêt du 16 avril 2009. L’article 13 est ainsi libellé :

« Toute personne dont les droits et libertés reconnus dans la (...) Convention ont été violés, a droit à l’octroi d’un recours effectif devant une instance nationale, alors même que la violation aurait été commise par des personnes agissant dans l’exercice de leurs fonctions officielles. »

97.  La Cour rappelle qu’un grief tiré de la durée d’une procédure judiciaire introduit devant elle contre la République française sans avoir préalablement été soumis aux juridictions internes dans le cadre d’un recours fondé sur l’article L. 141-1 du code de l’organisation judiciaire (ancien article L. 781-1 du même code) est irrecevable pour non-épuisement des voies de recours internes (Mifsud c. France (déc.) [GC], no 57220/00, CEDH 2002-VIII). Par conséquent, pour autant qu’elle se rapporte à la durée de la procédure, cette partie de la requête doit être rejetée en application de l’article 35 §§ 1 et 4 de la Convention.

Pour le reste, cette partie de la requête n’est pas manifestement mal fondée au sens de l’article 35 § 3 (a) de la Convention et ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité. La Cour déclare donc cette partie de la requête recevable pour le surplus, mais estime qu’elle ne pose aucune question distincte de celles qu’elle a examinées sous l’angle de l’article 8 de la Convention.

IV.  SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

98.  Aux termes de l’article 41 de la Convention,

« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »

A.  Dommage

99.  Les requérants réclament 230 000 euros (EUR) au titre du préjudice moral qu’ils auraient subi : 60 000 EUR pour Samantha Raw, 60 000 EUR pour D., 80 000 EUR pour A. et 30 000 EUR pour C.

100.  Selon le Gouvernement, le montant particulièrement élevé réclamé par les requérants « paraît révéler des intérêts mercantiles très éloignés de la défense des droits de l’homme ». Il considère qu’à supposer que la Cour conclue à la violation de l’article 8 de la Convention et à la qualité de victime des enfants, la somme totale de 24 500 EUR pourrait être retenue : 8 000 EUR pour Samantha Raw, 6 000 EUR pour D., 8 000 EUR pour A. et 2 500 EUR pour C.

101.  La Cour juge équitable, dans les circonstances de la cause, d’octroyer à Samantha Raw, A. et C., ensemble, 5 000 EUR au titre du préjudice moral.

B.  Frais et dépens

102.  Les requérants demandent également 5 500 EUR pour les frais et dépens engagés devant la Cour. Ils produisent un Bill of Costs détaillé établi par l’Aire Centre, qui les représente devant la Cour.

103.  Le Gouvernement déclare que le montant réclamé par les requérants n’appelle pas de sa part de commentaire particulier.

104.  Selon la jurisprudence de la Cour, un requérant ne peut obtenir le remboursement de ses frais et dépens que dans la mesure où se trouvent établis leur réalité, leur nécessité et le caractère raisonnable de leur taux.

En l’espèce, compte tenu des documents en sa possession et de sa jurisprudence, la Cour estime la somme réclamée par les requérants raisonnable. Elle leur accorde donc 5 500 EUR pour frais et dépens.

C.  Intérêts moratoires

105.  La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.

PAR CES MOTIFS, LA COUR,

1.  Dit, à l’unanimité, que la première requérante ne peut prétendre agir au nom de son fils D. ;

 2.  Déclare, à l’unanimité, la requête irrecevable quant au grief tiré de l’article 6 § 1 de la Convention et relatif à la durée de la procédure, et recevable pour le surplus ;

 3.  Dit, par cinq voix contre deux, qu’il y a eu violation de l’article 8 de la Convention ;

 4.  Dit, à l’unanimité, que la requête ne pose aucune question distincte sur le terrain du droit à un procès équitable garanti par l’article 6 § 1 de la Convention ou de l’article 13 de la Convention combiné avec l’article 8 ;

 5.  Dit, par cinq voix contre deux,

a)  que l’Etat défendeur doit verser Samantha Raw, A. et C., ensemble, dans les trois mois à compter du jour où l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, les sommes suivantes :

i)  5 000 EUR (cinq mille euros), plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt, pour dommage moral ;

ii)  5 500 EUR (cinq mille cinq cents euros), plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt par les requérants, pour frais et dépens ;

b)  qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ces montants seront à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;

 

6.  Rejette, à l’unanimité, la demande de satisfaction équitable pour le surplus.

Fait en français, puis communiqué par écrit le 7 mars 2013, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.

Claudia Westerdiek Mark Villiger
 Greffière Président

Au présent arrêt se trouve joint, conformément aux articles 45 § 2 de la Convention et 74 § 2 du règlement, l’exposé des opinions séparées des juges Nußberger et Lemmens, ainsi qu’une déclaration du juge Zupančič.

M.V.
C.W.

OPINION EN PARTIE CONCORDANTE ET EN PARTIE DISSIDENTE DE LA JUGE NUSSBERGER

1.  La majorité de la Cour a conclu à une violation étroite de l’article 8 de la Convention. Elle a admis qu’il n’était pas critiquable que les autorités françaises aient choisi de privilégier la voie de la coopération et de la négociation et aient refusé le recours à la force publique, en se fondant sur l’intérêt de D. et A. (paragraphe 92 de l’arrêt). Cependant, la majorité n’a pas accepté l’indulgence des autorités françaises à l’égard du père, qui ne voulait pas coopérer, même après qu’il eut reçu l’assurance des autorités britanniques qu’il pourrait accompagner les enfants et que ceux-ci ne seraient pas remis à leur mère et n’auraient pas de contact avec elle (paragraphes 90 et 91). J’ai voté pour cette approche.

2.  Cependant, eu égard aux circonstances concrètes de l’espèce, je ne vois pas comment les droits de la demi-sœur de D. et A., C., qui sont bien sûr protégés par l’article 8 de la Convention, auraient pu être violés. Même si les autorités françaises avaient correctement rempli leurs devoirs découlant de la Convention et avaient forcé le père à coopérer, les fils ne seraient pas retournés chez leur mère et C., mais auraient été remis à leur tuteur. Les autorités françaises auraient alors procédé à une évaluation de leur résidence temporaire sans être contraintes de réunir la mère et les enfants. Au contraire, elles auraient pu réévaluer l’ensemble de la situation en tenant compte de l’échec de l’entrevue entre D. et A. et leur mère, qui a eu des conséquences graves pour les enfants. Alors, à mon avis, même s’il est vrai que les enlèvements d’enfants touchent toujours aux droits de toutes les personnes qui vivent ensemble au sein d’une cellule familiale et qui sont séparées contre leur volonté, dans le cas d’espèce, on ne saurait conclure à la violation des droits de C.

3.  Plus généralement, je trouve que le gouvernement français a raison de considérer qu’il ne faut pas « instrumentaliser » les enfants dans les conflits des adultes (paragraphe 54), même si – contrairement à ce que dit le Gouvernement – j’y vois non pas un problème de qualité de victime mais plutôt un problème de droit de la représentation.

4.  Dans le cas d’espèce, la mère a demandé à représenter ses enfants. Mais il est fort douteux que la position de la mère corresponde à celle des enfants. Premièrement, elle n’exerçait pas l’autorité parentale seule sur D. et A. mais conjointement avec le père, qui était son adversaire dans le conflit. Deuxièmement, D. et A. étaient âgés respectivement de 14 ans et 12 ans à l’époque des faits et de 18 ans et 16 ans au moment de la décision de la Cour. Troisièmement, la résistance des autorités françaises face à l’exécution de l’arrêt du 16 avril 2009 se fondait exclusivement sur la volonté de D. et A. exprimée d’une façon extrêmement claire devant elles, à savoir de ne pas être réunis avec leur mère. Il était alors évident qu’il y avait un important conflit d’intérêts. Dans ces conditions, il n’est pas surprenant que les représentants de la mère n’aient pas été en mesure de produire une attestation signée par le plus âgé des frères stipulant que, devenu majeur, il souhaitait poursuivre la procédure.

5.  La jurisprudence de la Cour n’offre pas de solution à pareil conflit d’intérêt. C’est d’autant plus regrettable que cela contredit la Convention relative aux droits de l’enfant, qui oblige à entendre et respecter l’opinion de l’enfant (article 12).

6.  Il est vrai que la Cour a admis qu’un parent pouvait, sans l’accord de l’autre, la saisir au nom de son enfant mineur pour dénoncer une violation de la Convention résultant de décisions prises dans le contexte d’un contentieux l’opposant à l’autre parent quant au droit de garde (Diamante et Pelliccioni c. Saint-Marin, no 32250/08, §§ 146-147, 27 septembre 2011). Mais il ne me semble pas justifiable de transposer cette approche aux affaires d’enlèvements d’enfant, surtout si l’enfant enlevé a explicitement exprimé sa volonté et qu’il est en désaccord avec le parent qui demande à le représenter. En théorie, dans ces affaires, aussi bien le père que la mère pourraient demander à représenter l’enfant, chacun avec des positions contradictoires. Une telle situation n’est ni dans l’intérêt supérieur de l’enfant ni dans l’intérêt d’un procès équitable devant la Cour.

7.  A mon avis, pour éviter une telle « instrumentalisation » de l’enfant dans des conflits entre adultes, et où les enfants ne peuvent être que des victimes, il faudrait refuser aux parents le droit de représenter leurs enfants mineurs, sauf s’il y a une décision d’une institution nationale compétente qui confirme que la poursuite d’une requête devant la Cour correspond à l’intérêt supérieur de l’enfant.

 OPINION DISSIDENTE DU JUGE LEMMENS

1.  A mon regret, je n’ai pas pu voter avec la majorité en ce qui concerne la question principale qui se pose dans cette affaire, c’est-à-dire celle de savoir s’il y a eu violation de l’article 8 de la Convention.

2.  Tout d’abord, pour ce qui concerne la troisième requérante, l’enfant C., il y a une question de recevabilité de la requête.

J’admets que la première requérante, qui est la mère de cette enfant mineure, a qualité pour agir en son nom (paragraphes 51 et 52 de l’arrêt). J’ai toutefois beaucoup de sympathie pour le point de vue exprimé par la juge Nuβberger dans son opinion séparée.

Si C. peut être valablement représentée par sa mère, il n’en demeure pas moins que la qualité de « victime », au sens de l’article 34 de la Convention, doit être démontrée dans son chef.

Or, alors que le deuxième requérant, l’enfant A., est lui-même l’objet du litige au niveau national et qu’on peut en déduire que la présente requête concerne également ses droits garantis par l’article 8 de la Convention, il n’en va pas de même pour l’enfant C. Cette enfant est la fille de la première requérante et d’un autre homme que le père des enfants D. et A. Elle est née après la séparation de la première requérante et du père de D. et A. (paragraphes 5 et 6 de l’arrêt). La Cour a certes reçu une déclaration écrite signée par C., âgée alors de 11 ans, dans laquelle elle décrit ses relations avec ses demi-frères D. et A. Cette déclaration n’a toutefois pas pu être examinée par des instances internes dans le cadre d’une procédure interne, mais a été faite uniquement dans le cadre de la procédure devant la Cour. Dans ces circonstances, elle doit être lue avec circonspection. Pour ma part, je ne suis pas convaincu de l’existence d’une relation familiale suffisamment intense entre les trois enfants. Il ne me semble dès lors pas établi que C. puisse se prétendre victime d’une ingérence dans son droit au respect de la vie familiale du fait que D. et A. n’ont pas été amenés à retourner chez leur mère au Royaume-Uni.

Dès lors, pour autant que la requête a été introduite au nom de la troisième requérante, elle me paraît devoir être déclarée irrecevable.

3.  Pour ce qui concerne le bien-fondé du grief tiré de l’article 8 de la Convention, j’estime que dans les circonstances particulières de l’affaire on ne saurait reprocher aux autorités françaises d’avoir manqué à leur obligation de prendre toutes les mesures raisonnablement en leur pouvoir afin de réunir les enfants D. et A. et leur mère.

La majorité rappelle à juste titre que l’obligation incombant aux autorités de prendre des mesures propres à réunir un parent et ses enfants n’est pas absolue, et que l’obligation pour elles de recourir à la coercition en la matière ne saurait être que limitée (paragraphe 80). Elle rappelle également que l’intérêt supérieur de l’enfant peut parfois commander que l’enfant ne soit pas séparé du parent avec lequel il se trouve ou qu’il ne soit pas retourné au parent qui le réclame (ibid.).

En l’espèce, les juridictions françaises ont réagi avec célérité. Le 16 avril 2009, la cour d’appel de Poitiers ordonna le retour des enfants à leur mère. Comme le reconnaît la majorité, les autorités françaises ont, par la suite, « dans un premier temps (...) déployé divers moyens pour convaincre le père de D. et d’A. de coopérer à l’organisation de leur retour en Grande-Bretagne » (paragraphe 87). Diverses réunions avec les intéressés ont eu lieu. Tout allait dans la direction d’un retour des enfants.

Vint alors la réunion du 4 juin 2009, qu’on ne saurait qualifier autrement que de catastrophique. Cette réunion devait permettre à la mère de revoir ses deux fils, en présence du père, d’un intervenant social, d’un éducateur et d’une psychologue. Cependant, la tentative de reprise de contact échoua complètement. D. et A. étaient opposés à une réunion avec leur mère, ce qui témoignait de « leur incapacité actuelle à vivre avec elle » (rapport de la psychologue et de l’assistante sociale, cité au paragraphe 30). Le choc fut tellement violent que les deux enfants durent être hospitalisés. L’espoir d’un retour en Grande-Bretagne l’après-midi fut anéanti.

La majorité admet que, dans ces circonstances, le procureur général près la cour d’appel de Poitiers et le préfet de la Vendée pouvaient décider, sans devoir être critiqués sur ce point, qu’il ne pouvait plus être question d’une exécution forcée de l’arrêt de la cour d’appel précité (paragraphe 93). Je ne peux que me rallier à ce point de vue.

Dans ces conditions, de quelle autre possibilité les autorités disposaient-elles encore pour essayer d’exécuter le retour des enfants ? La majorité voit un moyen qui était encore à leur disposition et qu’elles n’ont pas utilisé : des poursuites pénales contre le père pour non-représentation d’enfants (paragraphe 93). Certes, c’était un moyen qui était juridiquement disponible. Toutefois, la question de l’opportunité de telles poursuites se posait dans toute son ampleur, vu qu’on voulait maintenir la possibilité d’obtenir la coopération du père et éviter que les enfants ne souffrent de l’usage de la coercition contre lui (voir l’argumentation du Gouvernement reprise au paragraphe 71 ; voir également, mutatis mutandis, Pascal c. Roumanie (déc.), no 805/09, § 79, 17 avril 2012). Par ailleurs, le dossier ne fait pas apparaître un comportement manifestement illégal du père (comparer avec Ignaccolo-Zenide c. Roumanie, no 31679/96, § 106, CEDH 2000-I, et Maire c. Portugal, no 48206/99, § 76, CEDH 2003-VII).

La difficulté majeure, du moins après la réunion du 4 juin 2009, était que les enfants, objets de la préoccupation des autorités, avaient manifesté leur refus de retourner en Grande-Bretagne. La majorité reconnaît que c’était une difficulté réelle, mais estime qu’elle n’était pas nécessairement insurmontable. Elle en voit la preuve dans le fait que, le 11 décembre 2010, A. a volontairement quitté son père pour rejoindre sa mère (paragraphe 94). Je trouve qu’il s’agit là d’un argument fondé sur un état de choses qui n’était nullement prévisible à l’époque. Jusqu’au 11 décembre 2010, les autorités pouvaient à mon avis légitimement fonder leur comportement sur le refus des enfants tel qu’il s’était manifesté lors de la rencontre avec leur mère. Le fils aîné, D., est d’ailleurs toujours resté avec son père.

J’avoue qu’en droit (national et international) et en opportunité, on pourrait discuter du comportement adopté par les autorités françaises, en présence notamment d’un arrêt qui ordonnait le retour des enfants. Toutefois, la tâche de la Cour se limite à juger ce comportement du seul point de vue des obligations positives découlant du droit au respect de la vie familiale des requérants. En cette matière, les autorités françaises disposent d’une certaine marge d’appréciation. La majorité estime qu’elles n’ont pas pris toutes les mesures qu’on pouvait raisonnablement exiger d’elles (paragraphe 95). Pour ma part, j’attache une importance décisive à l’effet qu’a eu la réunion du 4 juin 2009. J’estime que les autorités, en agissant comme elles l’ont fait, ont pu estimer être guidées par l’intérêt supérieur des enfants tel qu’elles ont cru devoir le concevoir (interprétation qui ne me paraît pas déraisonnable). Cette appréciation, dont je me rends compte qu’elle présente inévitablement un élément de subjectivité, me conduit à conclure que les autorités sont restées dans les limites de la marge d’appréciation dont jouit l’Etat par rapport à la Convention.

4.  Ayant conclu à une absence de violation de la Convention, j’ai également voté contre l’octroi d’une satisfaction équitable (point 5 du dispositif).