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Décisions

Cass. com., 22 septembre 2021, n° 19-18.936

COUR DE CASSATION

Arrêt

Rejet

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Mouillard

Rapporteur :

Mme Lefeuvre

Avocat général :

M. Debacq

Avocats :

SCP Célice, Texidor, Périer, SCP Piwnica et Molinié

Reims, du 14 mai 2019

14 mai 2019

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Reims,14 mai 2019), la Sarl Miss élégante (la société), depuis sa création en 1941, exploite, dans un immeuble qu'elle a acquis en 1995, un fonds de commerce de vêtements pour dames, dont une partie porte sur la création et la vente de robes de mariées.

2. Mme [E] [D] a été nommée gérante de la société le 22 décembre 2008.

3. A compter du 1er février 2010, un bail commercial a été conclu entre la société et la société Camaieu international portant sur les locaux situés au rez-de-chaussée de l'immeuble social. La société a alors réduit son activité à la partie robes de mariées et vêtements de cérémonie.

4. Articulant différents griefs contre Mme [E] [D], M. [J] [D], en sa qualité d'associé, l'a assignée en responsabilité et aux fins de voir prononcer sa révocation de ses fonctions de gérante et la désignation d'un administrateur judiciaire.

Examen des moyens

Sur le premier moyen, pris en ses première, deuxième, troisième et quatrième branches

Enoncé du moyen

5. M. [J] [D] fait grief à l'arrêt de rejeter sa demande en paiement de dommages-intérêts, alors :

« 1°/ que commet une faute de gestion le gérant qui, sans raison conforme à l'intérêt social, poursuit une activité déficitaire pendant plusieurs années en connaissant l'impossibilité de redresser les comptes de cette activité ; que pour débouter M. [D], qui soutenait qu'en contrariété avec l'intérêt social, la gérante avait poursuivi l'activité de vente de robes de mariées et de vêtements de cérémonie en sachant que cette activité était fortement déficitaire depuis plusieurs années et irrémédiablement compromise, la cour d'appel s'est bornée à énoncer que cette activité, bien que déficitaire, était compensée par les revenus locatifs générés par la location du rez-de-chaussée de l'immeuble à la société Camaieu et qu'il n'était pas établi que la gérante maintenait cette activité à son seul profit pour percevoir une rémunération, sans vérifier ni constater que la poursuite de cette activité était dans l'intérêt social ; qu'en statuant comme elle l'a fait, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 223-22 du code de commerce ;

2°/ que le gérant est responsable non seulement s'il viole les statuts mais également s'il commet une faute dans sa gestion ; que la cour d'appel a écarté le grief tiré de la poursuite de l'activité de vente de robes de mariées en connaissance de son caractère fortement déficitaire au motif que cette activité et la location du rez-de-chaussée de l'immeuble à la société Camaieu, dont les revenus permettaient d'équilibrer les comptes de la société, étaient conformes à l'objet social défini dans les statuts de cette dernière ; qu'en statuant par un tel motif impropre à exclure que la poursuite de l'activité déficitaire de vente de robes de mariées soit constitutive d'une faute de gestion engageant la responsabilité de la gérante, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 223-22 du code de commerce ;

3°/ qu'aucune décision de l'assemblée ne peut avoir pour effet d'éteindre une action en responsabilité contre les gérants pour faute commise dans l'accomplissement de leur mandat ; que, partant, pour débouter M. [D], qui soutenait que la gérante avait commis une faute de gestion en poursuivant l'activité déficitaire de robes de mariées dans le seul but de continuer à percevoir sa rémunération en tant que salariée de cette activité, la cour d'appel ne pouvait se fonder sur le fait que M. [D] avait donné quitus à la gérante et que les comptes de la société, ainsi que le principe et le montant du salaire de Mme [D], avaient été approuvés par l'assemblée générale des associés, sans violer l'article L. 223-22 du code de commerce ;

4°/ que pour débouter M. [D], la cour d'appel s'est bornée à retenir qu'il convenait de prendre en compte l'histoire de la société et le fait que la gérante s'était portée caution d'un prêt bancaire ayant permis de garantir le financement des travaux de l'immeuble et à affirmer que l'activité de vente de robes de mariées et de vêtements de cérémonie était indissociable de la location du rez-de-chaussée de l'immeuble à la société Camaieu au motif inopérant que l'article 2 des statuts prévoyait que la société "a pour objet l'exploitation d'un commerce de confection pour hommes et dames (?) et généralement, toutes opérations industrielles, commerciales, financières , civiles, mobilières ou immobilières, pouvant se rattacher directement ou indirectement à l'objet social ou à tout objet similaire ou connexe" ; qu'en statuant par de tels motifs impropres à écarter le caractère contraire à l'intérêt social, et partant fautif, de la poursuite de l'activité déficitaire de vente de robes de mariées, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 223-22 du code de commerce. »

Réponse de la Cour

6. L'arrêt relève que, depuis soixante ans, l'activité de la société se compose indissociablement d'une activité de vente et d'une activité de gestion d'un bien immobilier se rattachant directement à l'objet social, conformément à l'article 2 des statuts qui dispose que "la société a pour objet l'exploitation d'un commerce de confection pour hommes et dames (...) et généralement, toutes opérations industrielles, commerciales, financières, civiles, mobilières ou immobilières, pouvant se rattacher directement ou indirectement à l'objet social ou à tout objet similaire ou connexe". Il relève également que c'est sous la gérance de Mme [E] [D] que s'est conclu le bail commercial avec la société Camaieu international avec, à la clef, le paiement d'une indemnité de pas-de-porte de 350 000 euros, qui a permis de mettre un terme à l'activité de prêt à porter, en difficulté consécutivement à la crise, et de reconstituer une trésorerie, qu'a été obtenu un prêt de 300 000 euros pour la réalisation de travaux de rénovation et d'aménagement de l'immeuble, ce prêt ayant été cautionné par Mme [E] [D], et, enfin, que les immobilisations brutes sont passées de 51 000 à 384 000 euros entre 2009 et 2016, les capitaux propres passant, sur la même période, de 21 000 à 183 000 euros, pour un capital social de 40 000 euros. L'arrêt relève ensuite qu'après l'arrêt de l'activité de prêt à porter et l'encaissement des loyers émanant de la société Camaieu international, le compte d'exploitation de la société a été constamment bénéficiaire, que, si l'activité de vente de la société est déficitaire, elle ne représente toutefois pas un chiffre conséquent et que les revenus locatifs compensent le maintien de cette activité, rien n'interdisant à une société de chercher à équilibrer une activité par une autre. Il relève encore que les comptes ont été régulièrement approuvés par l'assemblée générale des associés, y compris M. [J] [D], ce dernier ayant donné quitus à la gérante pour l'exécution des mandats afférents aux exercices 2015 et 2016 pour lesquels il s'était abstenu. Il retient enfin que le grief formulé par M. [J] [D], selon lequel sa tante maintiendrait une activité de vente à son seul profit pour percevoir une rémunération, n'est pas fondé, cette rémunération ayant pour fondement une résolution adoptée par l'assemblée générale du 22 décembre 2008 aux termes de laquelle "Mme [D] ne percevra aucune rémunération au titre de son mandat social, mais continuera à percevoir la même rémunération que précédemment en sa qualité de salariée chef acheteuse" et ayant été réajustée de 1 500 euros à 1 850 euros brut par mois, ce qui ne saurait être qualifié d'excessif, à l'unanimité des associés lors de l'assemblée générale du 13 janvier 2012.

7. En l'état de ces constatations et appréciations, faisant ressortir que la poursuite, par Mme [E] [D], de l'activité de vente, bien que déficitaire, n'était pas contraire à l'intérêt social, la cour d'appel, qui a procédé à la recherche invoquée par la première branche et qui n'a pas retenu que l'existence d'un quitus et l'approbation des comptes et du principe et du montant de la rémunération de Mme [E] [D] avaient eu pour effet d'éteindre l'action en responsabilité contre cette dernière, a pu écarter toute faute de gestion de ce chef.

8. Le moyen n'est donc pas fondé.

Sur le premier moyen, pris en sa cinquième branche

Enoncé du moyen

9. M. [J] [D] fait le même grief à l'arrêt, alors « qu'aucune décision de l'assemblée ne peut avoir pour effet d'éteindre une action en responsabilité contre les gérants pour faute commise dans l'accomplissement de leur mandat ; que, partant, la cour d'appel ne pouvait écarter le grief tiré de l'occupation gratuite par la gérante depuis plus de trois ans d'un duplex dépendant de l'immeuble social en se fondant sur l'autorisation donnée à cette occupation gratuite par délibération de l'assemblée générale des associés du 29 mars 2018, d'autant plus que cette autorisation avait été donnée plusieurs années après le début de l'occupation de l'appartement par la gérante ; qu'en statuant ainsi, la cour d'appel a violé l'article L. 223-22 du code de commerce. »

Réponse de la Cour

10. Après avoir relevé que l'occupation, par Mme [E] [D], d'un appartement appartenant à la société, remontait à trois ans, soit à la période suivant la disparition du précédent dirigeant, et répondait à la nécessité, pour Mme [E] [D], d'être beaucoup plus présente sur place, en raison, notamment, de la réalisation de travaux dans certaines parties de l'immeuble, l'arrêt retient, par motifs propres et adoptés, que cette occupation ne s'est pas faite sournoisement, que sa gratuité a été considérée comme une compensation au fait que Mme [E] [D] n'avait jamais facturé de frais de représentation ni de frais de déplacement et que sa présence évitait des frais de gardiennage. Il retient ensuite, par motifs propres, que si, à hauteur d'appel, M. [J] [D] démontrait que, pour l'exercice 2015-2016, des frais de déplacement avaient été facturés à hauteur de 1 829 euros, ce montant, sur un seul exercice, était insuffisant pour remettre en cause la décision prise par les premiers juges. Il constate enfin que l'assemblée générale du 29 mars 2018 a "approuvé la mise à disposition à titre gracieux d'un studio (...) au profit de la gérante, rappel étant fait qu'en contrepartie celle-ci ne facture aucun frais de représentation, ni frais de déplacement et que cette occupation est par ailleurs justifiée par la nécessité d'une plus forte présence sur place de la gérante".

11. En l'état de ces constatations et appréciations, la cour d'appel, qui n'a pas retenu que la délibération de l'assemblée générale du 29 mars 2018 avait eu pour effet d'éteindre l'action en responsabilité contre Mme [E] [D], a pu écarter la faute de gestion tenant à l'occupation gratuite d'un appartement par la gérante.

12. Le moyen n'est donc pas fondé.

Sur le premier moyen, pris en sa sixième branche

Enoncé du moyen

13. M. [J] [D] fait encore le même grief à l'arrêt, alors « qu'il est interdit au juge de dénaturer les documents de la cause ; que pour justifier du montant du préjudice subi par la société Miss élégante du fait de la poursuite fautive par la gérante de l'activité déficitaire de vente de robes de mariées, il produisait devant la cour d'appel deux rapports établis par des experts-comptables ; qu'à supposer que, pour le débouter de sa demande de dommages- intérêts, la cour d'appel ait adopté les motifs du jugement par lesquels le tribunal avait retenu que "le préjudice revendiqué appara[issait] estimé à partir de considérations totalement hypothétiques et parfois audacieuses" et que "cette estimation [n'était] assortie d'aucune expertise comptable dûment établie, qui puisse la valider", elle a dénaturé les rapports d'experts-comptables produits devant elle par l'exposant et ainsi violé le principe susvisé. »

Réponse de la Cour

14. La décision étant justifiée par les motifs vainement critiqués par les cinq premières branches, le moyen qui, en sa sixième branche, critique des motifs surabondants, est inopérant.

Et sur le second moyen

Enoncé du moyen

15. M. [J] [D] fait grief à l'arrêt de rejeter sa demande de révocation de Mme [E] [D] de ses fonctions de gérante et de désignation d'un administrateur judiciaire, alors :

« 1°/ que la cassation qui interviendra sur le premier moyen de la disposition de l'arrêt attaqué l'ayant débouté de son action en responsabilité contre la gérante, au motif erroné que les griefs formulés à l'encontre de celle-ci ne constituaient pas une faute de gestion, entraînera la cassation par voie de conséquence, en application de l'article 624 du code de procédure civile, de la disposition de l'arrêt attaqué ayant débouté l'exposant de sa demande de révocation judiciaire de la gérante au motif erroné que ces mêmes griefs ne constituaient pas une cause légitime de révocation ;

2°/ que la révocation judiciaire du gérant peut être prononcée pour cause légitime même en l'absence de faute de gestion de sa part si son attitude est de nature à compromettre l'intérêt social ; que pour le débouter de sa demande de révocation de la gérante, la cour d'appel s'est bornée à retenir que les griefs formulés à l'encontre de celle-ci ne constituaient pas une faute de gestion, sans rechercher, comme elle y était invitée, si l'attitude de la gérante n'était pas de nature à compromettre l'intérêt social et à justifier sa révocation pour ce motif ; qu'en statuant ainsi, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 223-25 du code de commerce. »

Réponse de la Cour

16. D'une part, le premier moyen étant rejeté, le second, pris en sa première branche, qui invoque une cassation par voie de conséquence, est sans portée.

17. D'autre part, il ne résulte ni de l'arrêt ni des conclusions d'appel de M. [J] [D] que celui-ci ait soutenu que la révocation judiciaire d'un gérant peut être prononcée pour cause légitime même en l'absence de faute de gestion de sa part si son attitude est de nature à compromettre l'intérêt social, de sorte que la cour d'appel n'était pas tenue d'effectuer la recherche invoquée par la deuxième branche qui ne lui était pas demandée.

18. Le moyen n'est donc pas fondé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi.