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Décisions

Cass. com., 23 novembre 2022, n° 21-10.236

COUR DE CASSATION

Arrêt

Rejet

PARTIES

Demandeur :

Brenntag (SA)

Défendeur :

Agrovin France (SAS), AXA France IARD (SA), Generali IARD (SA), Les Celliers Du Nouveau Monde (SCA), Les Domaines des marins (SAS), Foncalieu (UCF), Cordier By InVivo (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Vaissette

Rapporteur :

Mme Fontaine

Avocat général :

Mme Guinamant

Avocats :

SCP Alain Bénabent, SCP Célice, Texidor, Périer, SCP Boutet et Hourdeaux, SCP de Nervo et Poupet, SCP Didier et Pinet, Me Descorps-Declère, SCP Lyon-Caen et Thiriez, SCP Ricard, Bendel-Vasseur, Ghnassia

Cass. com. n° 21-10.236

22 novembre 2022

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Montpellier, 17 novembre 2020), la société Agrovin France (la société Agrovin) vend des appareils de stabilisation tartrique destinés au traitement électrostatique du vin par des résines échangeuses de cations évitant la précipitation de sels de tartre dans le vin en bouteille.

Le procédé prévoit la régénération des résines par l'utilisation d'acide chlorhydrique après chaque utilisation. La société Agrovin est assurée au titre de sa responsabilité civile professionnelle par la société Axa France IARD (la société Axa).

2. La société Brenntag exerce une activité de gestion, stockage et distribution de produits chimiques industriels. D'août à décembre 2011, elle a fourni à la société Agrovin de l'acide chlorhydrique qui a été utilisé pour la régénération des résines de ses appareils de démonstration.

3. En décembre 2011 et janvier 2012, la société Agrovin a traité des lots de vin pour la société Les Celliers du nouveau monde, adhérente de l'Union de coopérative Foncalieu.

4. Ce vin a ensuite été vendu à divers négociants ou caves vinicoles avant d'être commercialisé.

5. Des clients s'étant plaints d'une altération des propriétés organoleptiques de ces produits, un de ces intermédiaires, la société Vignerons de la Méditerranée, aux droits de laquelle vient la société Cordier By InVivo, a assigné en réparation de son préjudice son vendeur, la société Les Domaines des marins et son assureur, la société Generali IARD, ainsi que la société Agrovin et son assureur, la société Axa, et la société Brenntag.

L'Union de coopérative Foncalieu puis la société Les Celliers du nouveau monde ont assigné ces sociétés aux mêmes fins.

Examen des moyens

Sur le moyen unique, pris en ses première, deuxième, troisième, quatrième et cinquième branches, du pourvoi principal et les moyens uniques des pourvois incidents, ci-après annexés

6. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces moyens qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Mais sur le moyen unique, pris en sa sixième branche, du pourvoi principal

Enoncé du moyen

7. La société Brenntag fait grief à l'arrêt de dire qu'elle a manqué à son obligation d'information en qualité de vendeur, alors « que, en toute hypothèse, le vendeur n'est tenu de fournir une information à l'acheteur que dans la mesure où l'ignorance de ce dernier est légitime ; que pour condamner la société Brenntag, la cour d'appel a relevé que celle-ci avait manqué à son obligation d'information ; qu'en statuant ainsi cependant qu'elle constatait par ailleurs, pour retenir la responsabilité de celle-ci, qu' "il appartenait à la société Agrovin en sa qualité de professionnel, ayant fait le choix d'un usage à destination alimentaire, de s'assurer de cette possibilité en sollicitant de son vendeur les caractéristiques et spécifications de l'acide chlorhydrique" ce dont il résultait que l'ignorance de la société Agrovin n'était pas légitime et que l'exposante n'avait commis aucune faute, la cour d'appel a violé l'article 1134 du code civil. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 1134 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016 :

8. En application de ce texte, l'obligation du fabricant à l'égard de l'acheteur professionnel n'existe que dans la mesure où la compétence de celui-ci ne lui donne pas les moyens d'apprécier la portée exacte des caractéristiques techniques des biens qui lui sont livrés.

9. Pour dire que la société Brenntag a manqué à son obligation d'information, l'arrêt retient que le vendeur professionnel est, en application combinée des dispositions des articles 1147 (devenu 1231-1) et 1615 du code civil, débiteur d'une obligation d'information, y compris à l'égard de l'acheteur professionnel, lorsque celui-ci ne dispose pas des caractéristiques techniques du bien vendu.

Il relève que, selon l'expert judiciaire, l'usage alimentaire d'un acide chlorhydrique de qualité technique est possible à condition de s'assurer que les résidus ou leurs dérivés dans le produit fini ne présentent pas de risque sanitaire et que l'acide vendu était porteur d'une molécule contaminante, conséquence d'une pollution, le rendant impropre à l'usage alimentaire.

Il retient encore que la société Brenntag ne justifie pas avoir informé la société Agrovin lors de la vente de cet acide de qualité technique que celui-ci était susceptible de comporter telle ou telle impureté.

10. En statuant ainsi, tout en relevant qu'aux termes des conditions générales de vente de la société Brenntag l'acheteur doit s'assurer de la compatibilité des produits avec l'utilisation qu'il veut en faire et en retenant qu'il appartenait à la société Agrovin, en sa qualité de professionnel, ayant fait le choix d'un usage à destination alimentaire, de s'assurer de cette possibilité en sollicitant de son vendeur les caractéristiques et spécifications de l'acide chlorhydrique, ce dont il s'évinçait que la société Brenntag n'était pas tenue de l'informer sur les précautions d'emploi de l'acide technique dans le processus alimentaire mis en oeuvre par l'acquéreur, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations et a violé le texte susvisé.

Portée et conséquences de la cassation

11. En application de l'article 624 du code de procédure civile, la cassation des dispositions de l'arrêt disant que la société Brenntag a manqué à son obligation d'information entraîne la cassation du chef de dispositif disant que dans leurs rapports entre elles la société Brenntag est responsable à hauteur de 70 % et la société Agrovin à hauteur de 30 %, qui s'y rattache par un lien de dépendance nécessaire.

En revanche, la cassation des chefs de condamnation, in solidum, avec la société Agrovin, de la société Brenntag au paiement de dommages et intérêts aux sociétés vinicoles, qui sont fondés autant sur l'existence du vice caché que sur le défaut d'information, ne sera pas prononcée, ces chefs n'étant pas dans un lien de dépendance nécessaire avec les dispositions cassées.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il dit que la société Brenntag a manqué à son obligation d'information en qualité de vendeur et dit que dans leurs rapports entre elles la société Brenntag est responsable à hauteur de 70 % et la société Agrovin à hauteur de 30 %, l'arrêt rendu le 17 novembre 2020, entre les parties, par la cour d'appel de Montpellier ;

Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Bordeaux ;

Condamne la société Agrovin France aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société Agrovin France et la condamne à payer la somme de 3 000 euros à chacune des sociétés Brenntag, Axa France IARD, Les Celliers du nouveau monde, Union de coopérative Foncalieu, Les Domaines des marins, Generali IARD, Cordier By InVivo ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-trois novembre deux mille vingt-deux.