CA Chambéry, ch. civ. sect. 1, 26 mars 2019, n° 17/01245
CHAMBÉRY
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Garage du Sierroz (SARL)
Défendeur :
Les Blofoues (SCI)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Greiner
Conseillers :
Mme Fouchard, Mme Real Del Sarte
Par acte du 05/12/1986, la société civile immobilière LES BLOFOUES a donné à bail commercial à la société GARAGE DU SIERROZ un bâtiment sis à GRESY SUR AIX comprenant un garage, une station-service, avec une partie à usage d'habitation, un chalet avec véranda servant de bureau.
Le 26/03/2012, elle a fait délivrer à sa locataire un commandement de payer un arriéré de loyers portant mention de la clause résolutoire.
À la suite de l'assignation par la société LES BLOFOUES de la société GARAGE DU SIERROZ du 06/07/2012, le juge des référés du tribunal de grande instance de Chambéry a, par acte du 07/08/2012, constaté le jeu de la clause résolutoire, suspendu ses effets, accordé un délai de 4 mois au locataire pour s'acquitter des sommes dues, l'expulsion des lieux loués étant ordonnée dans le cas contraire, sous astreinte.
Par jugement du 11/03/2014, le juge de l'exécution du tribunal de grande instance de Chambéry a débouté la société GARAGE DU SIERROZ de sa demande de délais, a liquidé l'astreinte à la somme de 7.920 euros, et a accordé un délai de deux mois pour vider les lieux.
Le 25/06/2014, un procès-verbal de reprise des lieux a été dressé.
Le 29/07/2014, la direction régionale de l'environnement, de l'aménagement et du logement (DREAL) a écrit à la société civile immobilière LES BLOFOUES pour lui indiquer qu'une dépollution supplémentaire du sol devait être effectuée.
La SCI LES BLOFOUES a alors recouru aux services de la société G., qui dans un rapport du 22/07/2014, a préconisé de procéder à la vidange, l'inertage et/ou le retrait des cuves enterrées, ainsi que le traitement des terres impactées par les hydrocarbures et éléments métalliques.
La société G. a ensuite procédé aux travaux, en évacuant 76 tonnes de terre polluée, en inertant les cuves par 15 tonnes de béton de remplissage, en remblayant les lieux avec des matériaux d'apport et en remettant en état la plate-forme avec de l’enrober, pour un coût de 16.800 euros TTC ou 14.000 euros HT (facture du 15/07/2014) et de 22.415 euros TTC ou 18.679,50 euros HT (facture du 03/09/2014).
Par arrêté du 03/11/2014, récépissé a été donné à la SCI LES BLOFOUES de la cessation d'activité d'installation classée.
Le 18/12/2014, la SCI LES BLOFOUES a vendu les locaux à la SCI 201 RDC au prix de 68.000 euros (parcelles AI n° 159, 161 et 48) et à la SCI GCJM (parcelle AI n° 160) au prix de 137.000 euros.
Par suite de l'assignation devant le tribunal de grande instance de Chambéry du 23/03/2015 de la société GARAGE DU SIERROZ par la société civile immobilière LES BLOFOUES, le tribunal a, par jugement du 10/04/2017 déclaré recevables et bien fondées les demandes de la société civile immobilière LES BLOFOUES à l'encontre de la société GARAGE DU SIERROZ et condamné celle-ci avec exécution provisoire, au paiement des sommes suivantes :
- 39.215,40 euros au titre des frais de dépollution du sol,
- 5.082,48 euros au titre de l'immobilisation pendant les travaux,
- 500 euros de dommages intérêts pour résistance abusive et injustifiée,
- 2.000 euros au titre des frais irrépétibles visés à l'article 700 du code de procédure civile.
Par déclaration du 24/05/2017, la société GARAGE DU SIERROZ a relevé appel de cette décision.
Dans ses conclusions du 24/12/2018, elle conclut à la réformation de la décision déférée, à l'irrecevabilité de la demande de la SCI LES BLOFOUES et à titre subsidiaire, demande à la cour de :
- dire qu'elle n'est pas redevable de la dépollution des sols au titre de ses obligations contractuelles,
- dire que ses obligations à l'égard de l'administration relevaient du régime de la déclaration et ont été remplies,
- dire applicables les dispositions du décret du 21/09/1977,
- dire qu'elle a perdu une chance sérieuse de bénéficier de la subvention étatique afférente à la dépollution,
- dire que l'intimée est responsable du préjudice résultant de cette perte de chance d'obtenir une subvention de 25.000 euros,
- ordonner la compensation entre la prétendue dette si celle-ci était retenue et la créance résultant du préjudice subi au titre de la perte de chance,
- en tout état de cause, débouter l'intimée de ses demandes et la condamner au paiement de la somme de 2.500 euros au titre des frais irrépétibles visés à l'article 700 du code de procédure civile.
Elle expose en substance que :
- une déclaration a été effectuée par le premier exploitant, M. S., le 23/04/1951, puis une seconde en 1997,
- en 2002, le bailleur a été informé de l'arrêt définitif d'activité de station-service et a fait intervenir la société ELF pour rendre inerte les cuves et enlever les postes de distribution,
- l'exploitation relève donc non du décret du 13/04/2010, non applicable au moment de l'entrée dans les lieux de l'appelante en 1986, mais de celui du 21/09/1977, lequel n'exige pas de l'exploitant la dépollution des sols pour les activités déclarées,
- les travaux de dépollution doivent rester à la charge du bailleur, plus de deux années s'étant écoulées depuis la cessation d'activité de station-service, en vertu de l'article 32 du décret du 21/09/1977,
- subsidiairement, le degré de pollution lors de la sortie doit correspondre à celui existant lors de l'entrée dans les lieux, les cuves étant la propriété de la société ELF,
- aucune demande de subvention ne pouvait donc être faite auprès du FISAC (Fond d'intervention pour la sauvegarde de l'artisanat et du commerce) ex CPDC (Comité Professionnel de la Distribution des Carburants),
- elle-même avait pris possession d'un site déjà pollué, exploité industriellement depuis 65 ans, et la dépollution n'est rendue nécessaire que par le choix fait par le bailleur de vendre le tènement immobilier,
- aucune indemnité d'immobilisation du terrain n'est due, le terrain étant destiné à la vente.
Par conclusions du 03/01/2019, la société civile immobilière LES BLOFOUES conclut à la confirmation du jugement déféré, sauf à se voir allouer en sus la somme de 9.480,42 euros en deniers et quittances, et réclame 1.000 euros de dommages intérêts pour procédure d'appel abusive et 5.000 euros au titre des frais irrépétibles visés à l'article 700 du code de procédure civile, faisant valoir que :
- l'argument tendant à l'irrecevabilité de la demande comme étant prescrite est lui-même irrecevable, comme étant nouveau devant la Cour,
- en tout état de cause, il ne s'est agi que d'une simple intention d'arrêter l'activité de station-service ne démontrant pas un arrêt définitif d'exploitation,
- elle-même n'a eu aucun contact avec la société ELF,
- les cuves n'avaient pas été neutralisées correctement,
- il appartient au dernier exploitant de déclarer la cessation d'activité à l'administration, ce qui implique la dépollution du site conformément à l'article L.512-6-1 du code de l'environnement et à l'article 2.10 de l'arrêté du 15/04/2010,
- la SCI LES BLOFOUES a été contrainte de le faire, son locataire s'étant avéré être défaillant,
- les lieux ont été immobilisés durant plusieurs mois du fait des travaux de dépollution, la vente ayant été retardée dans l'attente,
- un solde de l'indemnité d'occupation n'a pas été réglé.
MOTIFS DE LA DECISION
Sur la recevabilité de la demande de la SCI LES BLOFOUES
La contestation élevée par l'appelante est recevable, car il ne s'agit pas d'une demande nouvelle formée en appel, mais d'un moyen, l'article 563 du code de procédure civile autorisant l'invocation de moyens nouveaux.
Par ailleurs, l'invocation d'une prescription ne relève pas des exceptions de procédure qui doivent être soulevées avant toute défense au fond, mais des fins de non-recevoir, qui peuvent être alléguées à toute phase de la procédure.
L'appelante invoque les dispositions de l'article 32 du décret n°77-1133 du 21 septembre 1977 pris pour l'application de la loi n° 76-663 du 19 juillet 1976 relative aux installations classées pour la protection de l'environnement, dans sa version initiale, aux termes duquel « la déclaration cesse de produire effet lorsque l'installation n'a pas été mise en service dans le délai de trois ans ou lorsque l'exploitation a été interrompue pendant plus de deux années consécutives, sauf le cas de force majeure », étant observé que les parties ne contestent pas qu'une station-service relève du régime des installations classées, de par la présente d'hydrocarbures en grande quantité dans des cuves.
Il en résulte que, en cas d'interruption du fonctionnement de l'installation classée, la déclaration au préfet doit être renouvelée passé deux ans, avec pour conséquence, si aucune nouvelle déclaration n'est faite, que l'installation n'a plus d'agrément pour fonctionner ou rester telle quelle. Il s'agit là d'obligations à la charge de l'exploitant, et en aucun cas, d'un délai imparti à un bailleur pour agir pour que son locataire se mette en conformité.
Dès lors, aucune prescription n'est encourue sur ce fondement.
Sur les travaux de dépollution
Selon l'article R.512-66-1 du code de l'environnement, entré en vigueur en 2010, « lorsqu'une installation classée soumise à déclaration est mise à l'arrêt définitif, l'exploitant notifie au préfet la date de cet arrêt un mois au moins avant celui-ci. Il est donné récépissé sans frais de cette notification. II. ' La notification prévue au I indique les mesures prises ou prévues pour assurer, dès l'arrêt de l'exploitation, la mise en sécurité du site. Ces mesures comportent, notamment : 1° L'évacuation ou l'élimination des produits dangereux et des déchets présents sur le site ; (..) III. ' En outre, l'exploitant doit placer le site de l'installation dans un état tel qu'il ne puisse porter atteinte aux intérêts mentionnés à l'article L.511-1 et qu'il permette un usage futur du site comparable à celui de la dernière période d'exploitation de l'installation. Il en informe par écrit le propriétaire du terrain sur lequel est sise l'installation ainsi que le maire ou le président de l'établissement public de coopération intercommunale compétent en matière d'urbanisme ».
C'est ainsi le dernier exploitant qui a la charge de faire nettoyer le site pollué et non le bailleur, cette obligation ne consistant pas seulement en l'évacuation de tous les déchets présents sur le site. En effet, celui-ci doit être remis en état de façon à permettre l'exploitation de la même activité qui a eu lieu depuis la suppression de la station-service, c'est à dire une activité de garage automobile. Dès lors, la société GARAGE DU SIERROZ se devait de rendre inerte les cuves et de faire enlever les terres polluées.
Certes, au moment de l'arrêt de son activité de distribution de carburants, elle avait fait « inerter » les cuves. Mais en réalité, ce travail s'est avéré être incomplet.
En effet, selon le rapport G. du 22/07/2014 :
- se trouvaient au nord du garage une cuve de 4.000 litres, au sud, une cuve de 5.500 litres et une autre de 20.000 litres, et à l'est, sous l'auvent, un ancien réservoir de 5.000 litres, ces ouvrages ayant été comblés avec du sable,
- pour autant, a été relevée la présence d'hydrocarbures à des concentrations significatives, de l'arsenic à des taux dépassant les seuils autorisés, des éléments métalliques avec du nickel et du plomb, avec de fortes odeurs d'hydrocarbures et le constat visuel d'huile dans les sondages,
- lors des travaux, il est apparu que les deux cuves principales n'avaient pas été inertées correctement, avec persistance de risque de formation de vapeurs pouvant engendrer une inflammation ou une explosion, le sable mis dans les réservoirs n'ayant pas recouvert toute la surface de la paroi interne, avec présence d'eau, ce qui a nécessité de pomper les eaux résiduelles et d'injecter du béton de remplissage.
Dans ces conditions, la Cour considère que les travaux réalisés par la société G. devaient incomber au seul exploitant, car ils étaient tous relatifs à la seule activité de station-service et non de garage automobile et n'ont fait que remettre en état les lieux, sans apporter de plus-value au site.
C'est donc par une exacte appréciation des circonstances de la cause que le premier juge a condamné le preneur à rembourser à la société LES BLOFOUES les travaux de remise en état du site, la société GARAGE DU SIERROZ étant à l'origine de l'arrêt de l'activité de station-service, et se devant donc d'en assumer seule les conséquences, quand bien même la distribution de carburants existait avant son entrée dans les lieux.
Enfin, jusqu'en 2014, un fonds d'aide, le comité professionnel de la distribution de carburants (CPDC), contribuait aux investissements des professionnels afin de garantir l'accès à la mobilité pour tous les Français. À sa disparition, entre 2015 et 2017, un fonds spécial adossé au FISAC (fonds d'intervention pour la sauvegarde de l'artisanat et du commerce) a permis de traiter exclusivement les anciens dossiers en souffrance du CPDC.
Mais il sera relevé que si un fonds, le FISAC, peut attribuer des subventions, c'est pour le maintien des stations-service en milieu rural ou les moderniser, ces aides n'étant pas destinées à fermer des stations mais à les maintenir, ce qui n'est pas le cas en l'occurrence. Par ailleurs, c'est à l'exploitant lui-même de solliciter ces aides, et non au bailleur. Ainsi, l'appelante ne peut invoquer la perte de chance d'obtenir une telle aide, du fait de son propriétaire.
Le jugement sera confirmé en ce qu'il a condamné l'appelante à payer au bailleur la somme de 39.215,40 euros.
Sur les autres demandes
• l'indemnité au titre de l'immobilisation
La société LES BLOFOUES expose que son locataire a quitté les lieux le 25/06/2014 mais qu'elle n'a pu véritablement en disposer pour les vendre que le 03/10/2014, en raison des travaux effectués dans l'intervalle, qui se sont terminés le 09/09/2014.
Toutefois, il résulte du dossier que si un des acquéreurs, la SCI 201 RDC, a fait stipuler dans le compromis de vente du 25/07/2014 que la vente était conclue sous condition suspensive de l'obtention par le vendeur d'un document délivré par la préfecture de la Savoie constatant le cas échéant de l'exécution de travaux, l'acquéreur indiquait souscrire un prêt, s'engageant à déposer sa demande au 30/08/2014 et avoir un accord d'une banque le 15/10/2014, c'est à dire à des dates où les travaux étaient terminés.
Dans ces conditions, les ventes ayant été conclues en décembre 2014, soit bien après l'exécution des travaux, il convient de considérer que la SCI LES BLOUFOUES n'a subi aucun préjudice de ce fait, puisqu'elle avait très rapidement après le départ de l'appelante pris la décision de vendre son bien, et que cette vente n'a pas été retardée par les travaux litigieux.
En conséquence, ce chef de demande sera rejeté et la décision déférée réformée de ce chef.
• l'indemnité d'occupation
Il résulte du décompte inclus dans les conclusions d'appel de l'intimée qu'au 25/06/2014, la société GARAGE DU SIERROZ était redevable, au titre des indemnités d'occupation fixées par le juge des référés, de la somme de 9.480,42 euros, un versement de 860 euros étant à déduire, ramenant le solde dû à ce titre à la somme de 8.620,42 euros, payable en deniers et quittances, outre intérêts au taux légal à compter de la demande par conclusions du 03/01/2019.
• les dommages intérêts pour résistance abusive
L'abus du droit de plaider n'est pas suffisamment établi, et cette demande sera rejetée, y compris pour la demande relative à la procédure d'appel, le jugement entrepris étant réformé de ce chef.
• les frais irrépétibles
L'équité ne commande qu'une application modérée des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, soit 3.000 euros pour l'ensemble de la procédure de première instance et d'appel.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant publiquement et contradictoirement,
CONFIRME le jugement entrepris en ce qu'il a déclaré recevables et bien fondées les demandes de la société civile immobilière LES BLOFOUES à l'encontre de la société GARAGE DU SIERROZ et condamné celle-ci au paiement de la somme de 39.215,40 euros au titre des frais de dépollution du sol,
LE REFORME pour le surplus,
STATUANT A NOUVEAU et y ajoutant,
CONDAMNE la société GARAGE DU SIERROZ à payer à la société civile immobilière LES BLOFOUES :
- la somme de 8.620,42 euros, payable en deniers et quittances, outre intérêts au taux légal à compter de la demande par conclusions du 03/01/2019, au titre de l'indemnité d'occupation,
- celle de 3.000 euros au titre des frais irrépétibles visés à l'article 700 du code de procédure civile,
DEBOUTE les parties du surplus de leur demande,
CONDAMNE la société GARAGE DU SIERROZ aux dépens de première instance et d'appel,
AUTORISE Me M., avocat, à recouvrer directement les dépens dont il a fait l'avance sans avoir reçu provision.