CA Aix-en-Provence, 3e ch. sect. 1, 17 novembre 2022, n° 19/08512
AIX-EN-PROVENCE
Arrêt
Infirmation
PARTIES
Demandeur :
Phocea (SARL)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Calloch
Conseillers :
Mme Berquet, Mme Combrie
Avocats :
Me Cavitta, Me Boulan
EXPOSE DE L'AFFAIRE
Par acte sous seing privé du 29 janvier 2015, madame [W] [Z] a conclu un contrat d'agent commercial avec la société PHOCEA, avec pour mission de commercialiser les produits d'épicerie bio vendus sous la marque STANLEY distribués par cette société. Le mandant était consenti avec bénéficie de l'exclusivité pour les départements des Bouches du Rhône, du Var et du Vaucluse, à l'exclusion des enseignes : Auchan, Géant Casino, Leclerc et Carrefour, pour un durée indéterminée.
Madame [W] [Z] soutenant que la société PHOCEA ne respectait pas ses obligations de mandant et se livrait à des actes de concurrence déloyale commis sous couvert de la société PHENICIA par la vente de produits identiques sous la marque LAVANDINES dans les magasins Intermarché de [Localité 8] et de [Localité 6] ainsi que dans le magasin Netto de [Localité 4] a, par lettre recommandée du 16 septembre 2017, notifié à son mandant la rupture de son contrat, puis l'a fait assigner devant le tribunal de commerce de Marseille pour obtenir le paiement de diverses indemnités.
Par jugement du 5 mars 2019, le tribunal de Marseille a :
- Condamné la Société PHOCEA S.A.R.L. à payer à madame [W] [Z] les sommes de 30 000 € au titre de l'indemnité légale de cessation de mandat, 4 401 € au titre de l'indemnité compensatrice de préavis inexécuté, avec intérêts au taux légal à compter du 16 septembre 2017 ;
- Condamné la Société PHOCEA S.A.R.L. à payer à madame [W] [Z] la somme de 1 500 euros au titre des dispositions de l'article 700 du Code de Procédure Civile.
La société PHOCEA, prise en la personne de son représentant légal ainsi qu'en la personne de Maître [S], mandataire judiciaire désigné par jugement du 10 juillet 2019 du tribunal de commerce de Marseille ayant prononcé le redressement judiciaire de la société, a relevé appel de cette décision par déclaration du 24 mai 2019,
Le conseiller de la mise en état a prononcé la clôture de l'instruction par ordonnance du 1er septembre 2022 et a fixé l'examen de l'affaire à l'audience du 3 octobre 2022.
Par dernières conclusions notifiées par RPVA le 24 août 2022, auxquelles il y a lieu de se référer pour un exposé complet de ses moyens et prétentions, la société PHOCEA demande à la cour de réformer le jugement entrepris et de condamner madame [Z] à lui payer la somme de 3.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Elle fait valoir qu'aucune faute contractuelle ne peut lui être reprochée, et en particulier aucun acte de concurrence déloyale, la société PHENICIA INTERNATIONAL étant une société distincte, non partie au contrat d'agent commercial, et les deux sociétés ne faisant pas partie du même groupe de sociétés au sens de l'article L.233-1 du Code de commerce, et ayant des associés différents, le fait que des associés fassent partie de la même famille étant indifférent. Elle ajoute que les deux sociétés distribuent des produits sous des marques différentes « STANLEY » et « LAVANDINE », la gamme des produits « LAVANDINE » étant plus étendues que celle des produits vendus sous la marque « STANLEY ».
Elle affirme que madame [Z] ne justifie pas de ce que la société PHOCEA l'aurait placée dans l'impossibilité d'exécuter le contrat d'agent commercial.
A titre subsidiaire, elle fait état, si la cour estimait que la rupture du contrat d'agent commercial devait lui être imputable, de ce que madame [Z] n'apporte aucun élément, notamment comptable, qui lui permettrait de justifier du montant de l'indemnité de cessation de mandat et du montant de l'indemnité compensatrice de préavis réclamés.
Par dernières conclusions notifiées par RPVA le 7 novembre 2019, auxquelles il y a lieu de se référer pour un exposé complet de ses moyens et prétentions, madame [Z] demande la confirmation du jugement entrepris en ce qu'il a considéré que la rupture des relations contractuelles était exclusivement imputable à la société PHOCEA et en ce qu'il a condamné la société PHOCEA à lui régler les indemnités compensatrices de préavis inexécuté et de cessation de mandat prévus par les articles L134-11 et L134-12 du Code de Commerce.
Formant appel incident, elle demande à la cour de fixer comme comme suit ses créances au passif du redressement judiciaire de la société PHOCEA, à savoir :
- 6.801 € TTC au titre de l'indemnité compensatrice de préavis inexécuté,
- 45.350 € au titre de l'indemnité légale de cessation de mandat,
et de condamner la société PHOCEA à régler à Madame [W] [Z] la somme de 1 500 € au titre des frais irrépétibles alloués par les premiers juges.
Elle soutient :
-qu'elle a rempli ses obligations contractuelles mais que sa prospection a été contrariée par la totale absence de mise à disposition du moindre matériel de vente par la société PHOCEA,
-qu'aucun reproche relatif à son chiffre d'affaires ne lui a été notifié,
-que la société PHOCEA s'est rendue coupable d'une rupture détournée des relations contractuelles,
-qu'en effet les sociétés PHOCEA et PHENICIA INTERNATIONAL constituent une même entité familiale, ayant le même siège social, poursuivant des activités strictement identiques en ayant toutes deux pour objet social l'achat et la distribution de produits alimentaires, leur clientèle étant de surcroît commune, s'agissant des enseignes de grande distribution, et ayant une stratégie de vente commune,
-que les porteurs de parts de ces sociétés, la famille [T] avait mis au point une véritable stratégie d'interchangeabilité des produits en fonction des opportunités commerciales en permettant, par exemple, à la société PHOCEA de commercialiser des produits LAVANDINE pour des références de polenta et de boulgour,
-que la société PHOCEA, via la société PHENICIA INTERNATIONALE, a violé l'exclusivité territoriale conférée à madame [Z] en vendant ses produits concurrents de la marque LAVANDINE dans des magasins appartenant à la clientèle de l'agent commercial.
MOTIFS DE LA DECISION
Sur la rupture du contrat et son imputabilité
Aux termes de l'article L.134-12 du code de commerce, en cas de cessation de ses relations avec le mandant, l'agent commercial a droit à une indemnité compensatrice en réparation du préjudice subi.
Aux termes de l'article L.134-13 2° du même code, la réparation prévue à l'article L.134-12 n'est pas due dans les cas suivants :
1°) La cessation du mandat est provoquée par la faute grave de l'agent commercial,
2°) La cessation du contrat résulte de l'initiative de l'agent à moins que cette cessation ne soit justifiée par des circonstances imputables au mandant ou dues à l'âge, l'infirmité ou la maladie de l'agent commercial, par suite desquelles la poursuite de son activité ne peut plus être raisonnablement exigée.
Il appartient à l'agent qui prend l'initiative de la rupture du contrat d'apporter la preuve des circonstances rendant la rupture imputable au mandant.
Au cas présent, la société appelante qui allègue d'une perte de clients et de chiffre d'affaires sans le démontrer, ne justifie pas l'existence d'une faute grave de son agent qui serait à l'origine de la rupture du contrat.
Il résulte des pièces versées au dossier qu'à l'époque où madame [Z] était agent commercial de la société PHOCEA, les sociétés PHOCEA et PHENICIA INTERNATIONALE ont des dirigeants émanant des mêmes familles, le même siège social, et commercialisaient certes une gamme de produits bio d'épicerie sèche sous des marques différentes, mais dont de nombreuses références sont concurrentes.
Madame [Z] démontre que la société PHENICIA INTERNATIONAL a vendu des produits identiques à ceux dont elle avait l'exclusivité sous la marque LAVANDINE, notamment dans les magasins Intermarché de [Localité 8] (13), au magasin Netto de [Localité 4] (13) et à Intermarché de [Localité 6] (13). Elle établit qu'au mois de juin 2017, les sociétés PHOCEA et PHENICIA INTERNATIONAL ont proposé la gamme LAVANDINE directement à l'un de ses clients, le magasin hyper U de [Localité 7] (84), que l'un des responsables de ce magasin a refusé la livraison de produits commandés en arguant qu'il ne voulait travailler qu'avec un seul fournisseur pour les deux gammes STANLEY et LAVANDINE. Ce refus non contesté corrobore le fait que les produits des gammes vendues respectivement sous les marques STANLEY et LAVADlNE présentent des caractéristiques communes et que celle-ci peuvent être substituées l'une à l'autre. Elle justifie avoir demandé à la société PHOCEA de mettre fin à ses agissements par lettre recommandée avec accusé de réception du 25 juillet 2017 s'agissant de l'hypermarché U de [Localité 7].
Madame [Z] démontre ainsi que la société PHOCEA a empêché son agent commercial d'exécuter son contrat.
C'est dès lors à juste titre que le tribunal, faisant application de l'article L. 134-13 2° du Code de Commerce, a jugé que la rupture du contrat était imputable à la société PHOCEA.
Sur l'indemnité de cessation de mandat
L'article L. 134-12 alinéa 1 du Code de commerce dispose ainsi qu'« en cas de cessation de ses relations avec le mandant, l'agent commercial a droit à une indemnité compensatrice en réparation du préjudice subi. »
Cette indemnité doit être égale au montant des commissions brutes perçues sur deux années, le calcul étant effectué en prenant pour référence les trois années précédant la rupture du contrat.
La société appelante produit aux débats une facture du 1er juin 2016 faisant état de commissions brutes pour le mois de mai d'un montant de 1981,84 euros et une facture du 1er février 2017 relative aux commissions de janvier 2017 d'un montant brut de 1984,76 euros. Elle ne remet aucun autre document relatif aux commissions perçues par son agent depuis le début de son activité.
Madame [Z] ne produit aucun document comptable, mais un récapitulatif des commissions perçues en 2015, 2016 et 2017 pour 22 748,52 euros, 22 602,01 euros et 12 106,95 euros pour 7 mois, chiffres non contestés utilement par l'appelante.
Il échet au regard de ce qui précède de fixer l'indemnité de cessation de mandat à la somme.
de 45.017 euros.
Le jugement sera confirmé sauf à fixer à la somme de 45.017 euros le montant de l'indemnité de rupture.
Sur l'indemnité compensatrice de préavis inexécuté.
Selon l'article L. l34-11 alinéa 3 du code de commerce, la durée du préavis est d'un mois pour la première année du contrat, de deux mois pour la deuxième armée commencée, de trois mois pour la troisième année commencée et les années suivantes. Les parties ne peuvent convenir de délais de préavis plus courts. »
Le mandat ayant débuté en janvier 2015 et la rupture ayant eu lieu en septembre 2017, c'est à juste titre que le tribunal a fixé l'indemnité compensatrice de préavis inexécuté à la somme de 4.401 euros, montant des 3 derniers mois de commissions réglées.
En l'état de la situation de redressement judiciaire de la société PHOCEA, il échet de fixer la créance de madame [Z] au passif de la procédure collective à la somme de 49.751 euros au total.
PAR CES MOTIFS
La cour,
Confirme le jugement rendu par le tribunal de commerce de Marseille le 5 mars 2019, sauf à fixer le montant de l'indemnité de cessation du mandat à la somme de 45.017 euros,
Statuant à nouveau,
Fixe la créance de madame [W] [Z] au passif de la procédure de redressement judiciaire de la société PHOCEA, en présence de Me [B] [S], ès qualité de mandataire judiciaire au redressement judiciaire, au titre de l'indemnité de cessation du mandat, à la somme de 49.751 euros,
En l'état de ladite procédure collective,
Fixe la créance de madame [W] [Z] au passif de la procédure de redressement judiciaire de la société PHOCEA, en présence de Me [B] [S], ès qualité de mandataire judiciaire au redressement judiciaire, au titre de l'indemnité compensatrice de préavis, à la somme de 4.401 euros,
Déboute les parties de leurs demandes autres ou plus amples,
Condamne la société PHOCEA, en présence de Me [B] [S], ès qualité de mandataire judiciaire au redressement judiciaire, aux dépens, lesquels seront intégrés au passif du redressement judicaire de la société PHOCEA.