Cass. 1re civ., 30 octobre 2013, n° 12-24.448
COUR DE CASSATION
Arrêt
Cassation
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Charruault
Avocats :
SCP Célice, Blancpain et Soltner, SCP Garreau, Bauer-Violas et Feschotte-Desbois
Attendu, selon l'arrêt attaqué, que par actes reçus les 19 et 23 décembre 2006 par M. X..., notaire, M. et Mme Y... ont acquis, de la société Les Portes de Villejuif aux droits de laquelle vient la société O. Participation, plusieurs appartements en l'état futur d'achèvement ; que n'ayant pas obtenu le solde du prix de vente du dernier d'entre eux, celle-ci a fait pratiquer une saisie-attribution des loyers dus à M. et Mme Y..., qui ont contesté le caractère exécutoire du titre servant de fondement aux poursuites ;
Sur le premier moyen, pris en ses trois premières branches :
Attendu que M. et Mme Y... font grief à l'arrêt de rejeter leur contestation et de valider la saisie-attribution, alors, selon le moyen :
1°/ que l'acte notarié de vente en l'état futur d'achèvement du 19 décembre 2006, versé aux débats par la société Les Portes de Villejuif, ne comporte pas en annexe la procuration qu'auraient donnée M. et Mme Y... à Mme A... pour signer l'acte en leur nom ; qu'en énonçant néanmoins que « la procuration a été annexée à l'acte de vente en état futur d'achèvement du 19 décembre 2006 » pour en déduire que l'acte en cause valait titre exécutoire à leur encontre, la cour d'appel a dénaturé l'acte notarié du 19 décembre 2006, violant ainsi l'article 1134 du code civil ;
2°/ qu'un acte authentique fait foi des seules mentions qu'il contient ; que l'absence d'annexion à l'acte de la procuration dont aurait disposé le signataire d'un acte notarié, et le défaut de mention à l'acte du dépôt de cette procuration au rang des minutes du notaire ayant dressé l'acte constituent des irrégularités formelles privant l'acte de son caractère authentique ; qu'en l'espèce, il résulte des propres constatations de l'arrêt attaqué que l'acte authentique de vente du 23 décembre 2006, sur le fondement duquel la saisie-attribution litigieuse avait été effectuée, mentionne que M. et Mme Y... n'étaient pas présents mais auraient été représentés par Mme A..., secrétaire notariale, en vertu d'une procuration qu'aurait reçue M. Z..., notaire à Marseille, le 1er juin 2006 ; que M. et Mme Y... faisaient valoir que la procuration litigieuse n'était pas annexée à l'acte, ni mentionnée au rang des minutes du notaire ayant établi l'acte ; qu'en retenant néanmoins, pour juger que l'acte de vente du 23 décembre 2006 était régulier et valait titre exécutoire, « qu'aucune disposition ne prévoyait que les procurations devaient être annexées à la copie exécutoire de l'acte notarié », que « le défaut d'annexion d'une procuration à la minute de l'acte notarié n'entraîne pas nécessairement la nullité de l'acte », et que « lorsqu'une procuration a été donnée en vue de deux actes, il suffit qu'elle soit annexée à l'un de ces deux actes ; qu'en l'espèce, la procuration a été annexée à l'acte de vente en l'état futur d'achèvement du 19 décembre 2006, qu'il est indifférent qu'elle n'ait pas été annexée au second acte établi le 23 décembre 2006 », quand l'absence d'annexion à l'acte de vente du 23 décembre 2006 de la procuration litigieuse, dont le dépôt au rang des minutes du notaire rédacteur n'était pas non plus mentionné à l'acte, privait ce dernier de son caractère authentique, ce qui excluait qu'il puisse valoir titre exécutoire, peu important que ladite procuration ait pu être annexée à l'acte du 19 décembre 2006, la cour d'appel a violé les articles 10, 11, 21 et 23 du décret du 26 novembre 1971, ensemble les articles 1108, 1134 et 1317 et 1318 du code civil, 66 du décret du 31 juillet 1992 et 3 de la loi du 9 juillet 1991 ;
3°/ que la contestation de la validité de la procuration en vertu de laquelle une personne a signé un acte notarié porte sur le caractère authentique, et par voie de conséquence exécutoire dudit acte, non simplement sur la validité de l'acte juridique qu'il renferme ; qu'en l'espèce, M. et Mme Y... soutenaient que Mme A..., n'ayant que la qualité de secrétaire notariale, ne pouvait tirer aucun pouvoir de la procuration litigieuse qui donnait exclusivement mandat aux clercs de notaire de l'étude ; qu'en jugeant que leur contestation portant sur la validité de la procuration dont aurait disposé Mme A... pour signer les actes de vente des 19 et 23 décembre 2006 avait trait, non au caractère authentique et à la force exécutoire de ces actes, mais à la validité des ventes elles-mêmes, pour déclarer ensuite cette contestation irrecevable à raison du commencement d'exécution qu'avaient reçu les prêts en cause, la cour d'appel a méconnu les articles 10 et 21 du décret du 26 novembre 1971, ensemble l'article 66 du décret du 31 juillet 1992 et 3 de la loi du 9 juillet 1991 ;
Mais attendu, en premier lieu, que l'inobservation de l'obligation, pour le notaire, de faire figurer les procurations en annexe de l'acte authentique ou de les déposer au rang de ses minutes ne fait pas perdre à l'acte son caractère authentique, partant son caractère exécutoire ; qu'en retenant que le défaut d'annexion d'une procuration à la minute de l'acte notarié n'entraîne pas sa nullité, la cour d'appel, qui n'a pas dénaturé l'acte du 19 décembre 2006, a légalement justifié sa décision ;
Attendu, en second lieu, que la cour d'appel n'a pas dit que la contestation de M. et Mme Y... quant à la validité de la procuration n'affectait que la validité de la vente et non le caractère authentique de l'acte de vente mais a retenu, comme ceux-ci le soutenaient, qu'il s'agissait d'un grief de fond et non simplement de forme ;
D'où il suit que le moyen, qui manque en fait en sa troisième branche, n'est pas fondé pour le surplus ;
Sur le second moyen :
Attendu que M. et Mme Y... font grief à l'arrêt de déclarer irrecevable leur contestation portant sur la validité des contrats de vente et de valider la saisie-attribution, alors, selon le moyen :
1°/ que l'absence de consentement à un contrat constitue un cas de nullité absolue dont la partie concernée peut exciper nonobstant le commencement d'exécution de l'acte ; qu'en l'espèce, M. et Mme Y... faisaient valoir qu'ils n'avaient jamais signé la procuration en vertu de laquelle Mme A... les aurait représentés lors de la conclusion des actes authentiques de vente des 19 et 23 décembre 2006, et qu'en toute hypothèse, ladite procuration, qui visait exclusivement les « clercs de notaire » de l'étude de M. X... ne pouvait valoir mandat à Mme A..., laquelle était employée en qualité de secrétaire notariale ; qu'ils en déduisaient que les actes notariés des 19 et 23 décembre 2006 étaient entachés d'une nullité absolue pour défaut total de consentement, qu'ils pouvaient invoquer bien qu'ils aient commencé à payer le prix de vente ; qu'en jugeant que M. et Mme Y... ne pouvaient soulever l'exception de nullité des actes en cause qu'ils avaient commencé à exécuter, quand l'absence de consentement donné à des actes, que les demandeurs invoquaient dans leurs écritures, constituait un cas de nullité absolue pouvant être invoqué en dépit du commencement d'exécution, la cour d'appel a violé les articles 1134, 1147 et 1108 du code civil ;
2°/ que le commencement d'exécution d'un contrat ne peut faire obstacle à l'exception de nullité de cet acte qu'à la double condition que le demandeur à l'exception ait eu connaissance, au moment où il a exécuté, de la cause de nullité et qu'il soit établi qu'il ait entendu la réparer par son exécution ; qu'en l'espèce, pour juger que les contestations de M. et Mme Y... étaient irrecevables en ce qu'elles portaient sur la validité des contrats de vente des 19 et 23 décembre 2006 fondant la saisie-attribution du 3 novembre 2009, la cour d'appel a retenu que ceux-ci avaient remboursé les sept premières échéances du prêt litigieux avant de se prévaloir de sa nullité ; qu'en statuant de la sorte, par des motifs impropres à caractériser la connaissance qu'ils auraient eue des vices affectant l'acte argué de nullité au moment où ils l'ont partiellement exécuté, ainsi que leur volonté de confirmer l'acte en dépit de ces vices, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 1134, 1147 et 1304 du code civil ;
3°/ que l'exception de nullité d'un contrat à exécution successive peut être invoquée même si ce contrat a été partiellement exécuté, dès lors que l'exception est soulevée avant l'expiration du délai de prescription de l'action en nullité susceptible d'être engagée à titre principal contre l'acte en cause, lequel est de 5 ans pour les nullités relatives ; que le délai de prescription de l'action en nullité court à partir de la date de laquelle le demandeur a eu connaissance de la cause de nullité du contrat ; qu'en l'espèce, pour débouter M. et Mme Y... de leur demande d'annulation de la saisie-attribution pratiquée en exécution des contrats de vente des 19 et 23 décembre 2006, la cour d'appel a relevé que ceux-ci avaient remboursé les sept premières échéances du prêt litigieux ; qu'en statuant ainsi, sans rechercher s'ils avaient invoqué la nullité du contrat de prêt avant l'expiration du délai de prescription de l'action en nullité à titre principal qui aurait pu être formée contre cet acte, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 1108, 1134, 1147 et 1304 du code civil ;
Mais attendu, en premier lieu, que l'exception de nullité fait seulement échec à la demande d'exécution d'un acte non encore exécuté, sans distinction entre nullité relative et nullité absolue ;
Attendu, en second lieu, qu'il ne résulte ni de l'arrêt ni des productions que M. et Mme Y... aient soutenu devant la cour d'appel, d'une part, que lors de l'exécution de l'acte de vente, ils ignoraient la cause de la nullité l'affectant et n'avaient pas eu l'intention de la réparer, d'autre part, qu'ils avaient soulevé l'exception de nullité avant l'expiration du délai de prescription de l'action ;
D'où il suit que le moyen, nouveau et mélangé de fait, est irrecevable en ses deuxième et troisième branches, et est mal fondé pour le surplus ;
Mais sur le premier moyen, pris en sa quatrième branche :
Vu l'article 34 du décret n° 71-941 du 26 novembre 1971 ;
Attendu, selon ce texte, que la signature du notaire et l'empreinte du sceau sont apposées à la dernière page des copies exécutoires et qu'il est fait mention de la conformité de la copie exécutoire avec l'original ;
Attendu que pour valider la saisie-attribution, l'arrêt, après avoir énoncé qu'aucune disposition du décret du 26 novembre 1971 ne prévoit que la copie exécutoire d'un acte notarié doit comporter la mention de sa conformité avec la minute de l'acte, retient que la production de la copie exécutoire unique revêtue de la formule exécutoire, du cachet et de la signature du notaire ayant reçu l'acte suffisent à la poursuite de l'exécution forcée ;
Qu'en statuant ainsi, la cour d'appel a violé le texte susvisé ;
PAR CES MOTIFS :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il a validé la saisie-attribution pratiquée le 3 novembre 2009 par la société Les Portes de Villejuif, l'arrêt rendu le 6 juin 2012, entre les parties, par la cour d'appel de Besançon ; remet, en conséquence, sur ce point la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Dijon.