Cass. com., 27 janvier 2021, n° 18-20.422
COUR DE CASSATION
Arrêt
Cassation
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Darbois
Rapporteur :
Mme Daubigney
Avocats :
SARL Matuchansky, Poupot et Valdelièvre, SCP Foussard et Froger
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Pau, 29 mai 2018), en exécution d'un jugement correctionnel du 19 mars 2015 ayant déclaré M. A... solidairement tenu avec la société Sud Ouest bâtiment construction (la société) au paiement de rappels de taxes sur la valeur ajoutée (TVA) et d'impôt sur les sociétés ainsi qu'aux majorations et pénalités y afférentes, le comptable des impôts a délivré à celui-ci, les 9 décembre 2015 et 17 février 2016, une mise en demeure valant commandement de payer une certaine somme.
2. Après rejet de sa contestation, M. A... a saisi le juge de l'exécution afin d'obtenir l'annulation de la mise en demeure du 17 février 2016.
Examen des moyens
Sur le premier moyen, pris en ses première et deuxième branches
Enoncé du moyen
3. M. A... fait grief à l'arrêt de rejeter ses demandes, alors :
« 1°/ que l'administration ne peut adresser au redevable une mise en demeure que si celui-ci n'a pas réglé les sommes mentionnées sur le titre exécutoire dont elle entend poursuivre l'exécution ; que, dès lors, si la décision judiciaire exécutoire qui déclare le dirigeant solidairement tenu du paiement des impositions dues par la société peut constituer un titre exécutoire suffisant à engager des poursuites contre ce dirigeant, il ne peut donner lieu à l'envoi d'une mise en demeure que s'il mentionne les sommes au paiement desquelles le redevable s'est soustrait ; qu'en décidant que la mise en demeure délivrée sur le fondement des articles L. 257-0 A et L. 258 A du livre des procédures fiscales, le 17 mars 2016, était valable cependant que le titre exécutoire constitué par le jugement du tribunal correctionnel de Bayonne du 30 juin 2015 n'indiquait pas les sommes au paiement desquelles M. A... était tenu, de sorte qu'aucun défaut de paiement n'étant constaté, aucune mise en demeure ne pouvait lui être adressée, la cour d'appel a violé l'article L. 257-0 A du livre des procédures fiscales ;
2°/ que n'est pas déterminable la créance résultant d'un titre exécutoire qui doit être évaluée en fonction d'éléments extérieurs au titre ; qu'en retenant en l'espèce que la créance résultant de la condamnation solidaire de M. A... à payer les impôts fraudés par la société qu'il dirigeait, prononcée par le tribunal correctionnel de Bayonne le 30 juin 2015, était déterminable dès lors qu'étaient visées les périodes d'imposition et la nature des impôts fraudés, cependant que le jugement ne précisait pas le montant des impôts dus et que celui-ci n'avait été déterminé que par référence à l'avis de mise en recouvrement adressé à la société le 26 mai 2010, qui est un élément extérieur au titre, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations et a violé les articles L. 111-2 et L. 111-6 du code des procédures civiles d'exécution. »
Réponse de la Cour
Sur la recevabilité du moyen
4. L'administration fiscale soutient que le moyen est irrecevable en ce que la demande, fondée sur l'irrégularité de la mise en demeure litigieuse, est dépourvue d'objet dans la mesure où M. A..., contestant le bien-fondé des impositions dont il a été déclaré solidairement redevable avec la société, lui a le 27 décembre 2017, adressé une réclamation assortie d'une demande de sursis de paiement et que cette démarche a rendu caduc l'acte de poursuite antérieur du comptable public, l'obligeant, une fois que les impositions en cause seront redevenues exigibles, à délivrer à l'intéressé une nouvelle mise en demeure de payer.
5. Cependant, la circonstance tirée de la caducité alléguée de l'acte de poursuite antérieur du comptable public concerne l'objet du pourvoi mais n'a pas d'incidence sur la recevabilité du moyen.
6. Le moyen est donc recevable.
Sur le bien-fondé du moyen
Vu l'article L. 257-0 A du livre des procédures fiscales et les articles L. 111-2 et L. 111-6 du code des procédures civiles d'exécution :
7. La décision judiciaire, définitive, qui déclare un dirigeant de société solidairement responsable avec celle-ci du paiement des impositions et pénalités dues par cette dernière, seule redevable légale, constitue un titre exécutoire suffisant pour fonder l'action du comptable public à l'égard de ce dirigeant, lorsqu'elle porte mention d'une créance liquide, c'est-à-dire évaluée en argent ou comportant tous les éléments permettant son évaluation.
8. Pour juger régulière et valide la mise en demeure adressée à M. A... le 17 février 2016, l'arrêt, après avoir énoncé que le créancier peut valablement poursuivre le débiteur si la créance dont il se prévaut est constatée dans un titre exécutoire qui contient tous les éléments permettant son évaluation, relève que les sommes retenues dans la mise en demeure au titre de la TVA et de l'impôt sur les sociétés dus correspondent aux périodes d'imposition dans la prévention pour délit de fraude fiscale, de sorte que, même si le montant de la créance n'était pas mentionné dans le jugement de condamnation, il était facilement déterminable. Il en déduit que la créance du comptable public du pôle de recouvrement spécialisé des Pyrénées-Atlantiques est donc certaine à hauteur de 187 843 euros, au titre de la TVA du 1er avril 2007 au 31 mai 2009, et de 110 162 euros, au titre de l'impôt sur les sociétés des exercices clos en 2007, 2008 et 2009, puisqu'elle correspond aux faits qui ont été pénalement poursuivis et au redressement fiscal subi par la société.
9. En statuant ainsi, alors qu'aucun élément du jugement correctionnel ne mentionnait le montant des sommes dont M. A... avait été déclaré, ensuite de la condamnation prononcée à son encontre pour fraude fiscale, solidairement tenu avec la société, peu important les montants indiqués dans la mise en demeure adressée à M. A... le 17 février 2016, la cour d'appel a violé les textes susvisés.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres moyens, la Cour :
CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 29 mai 2018, entre les parties, par la cour d'appel de Pau ;
Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Bordeaux.