CA Paris, Pôle 5 ch. 4, 9 novembre 2022, n° 21/00180
PARIS
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Brico Privé (SAS)
Défendeur :
Husqvarna France (SAS)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Brun-Lallemand
Conseillers :
Mme Depelley, Mme Lignières
Avocats :
Me Boccon Gibod, Me Gicquel, Me Moreuil
La société Brico Privé a pour activité la vente en ligne d'articles de bricolage, jardinage et pour la maison via le site internet www.bricoprive.com
La société Husqvarna France (ci-après dénommée "Husqvarna") commercialise en France'divers équipements de jardinage et d'entretien de parcs et forets sous plusieurs marques dont Husqvarna.
Ayant découvert que le site internet de la société Brico Privé commercialisait des produits de sa marque eponyme, la société Husqvarna, qui allègue avoir mis en place un réseau de distribution sélective depuis janvier 2013, a, par lettre en date du 13 décembre 2016, mis en demeure la société Brico Privé de justifier la licéité de ses approvisionnements en communiquant les factures d'achat desdits produits.
Après différents échanges entre les parties et constats d'huissier constatant la poursuite de la commercialisation des produits Husqvarna sur le site en 2017 et 2018 (annonçant en mars 2018 des réductions « allant jusqu'à 80 % »), la société Husqvarna a assigné la société Brico Privé en référé le 19 mars 2018 devant le président du tribunal de commerce de Paris afin de se voir communiquer les factures d'achat desdits produits, mais elle en a été débouté par ordonnance du 16 avril 2018.
En septembre 2018, Brico Privé a de nouveau mis en vente des produits Husqvana (matériels de motoculture, pour l'essentiel des tronçonneuses) sur son site internet, en annonçant des réductions « allant jusqu'à 85 % ». Elle en a aussi mis en vente en octobre dans le cadre de son opération « 6 ans d'offres canons », puis s'est prévalu sur son site, en décembre 2019, de ventes privées intervenues en novembre 2018, janvier et février 2019.
Estimant qu'elle dispose d'un réseau de distribution sélective dont la société Brico Privé ne fait pas partie, alors même que cette dernière poursuit ses ventes de matériels Husqvarna, la société Husqvarna a saisi le tribunal de commerce de Paris par acte du 24 janvier 2019.
En cours d'instance, Brico Privé a poursuivi la commercialisation de produits Husqvarna, comme cela a été constaté par voie d'huissier le 16 décembre 2019.
Par jugement du 14 décembre 2020, le tribunal de commerce de Paris :
- a dit recevable mais mal fondée l'exception d'incompétence soulevée par la société Brico Privé et s'est dit compétent ;
- a condamné la société Brico Privé à verser à la société Husqvarna France la somme de 300 000 € à titre de dommages et intérêts ;
- a enjoint à la société Brico Privé de ne plus proposer à la vente et/ou annoncer la mise en vente, sur quelque support et/ou par quelque media que ce soit, de tout produit de marque Husqvarna commercialisés par la société Husqvarna, à moins d'avoir justifié auprès de cette dernière, au plus tard un mois avant l'opération ou l'annonce de l'opération considérée, de la licéité de son approvisionnement en lui communiquant l'intégralité des factures d'achat des produits concernés, et ce sous astreinte de 50 000 € par infraction constatée à compter de 8 jours suivant la signification du présent jugement et ce pendant une durée de un an à l'issue de laquelle il pourra être à nouveau fait droit ;
- a ordonné la publication du dispositif du présent jugement dans cinq supports ou médias au choix de Husqvarna France et aux frais avancés de la société Brico Privé, dans la limite 5.000 euros par publication, et en haut de la page d'accueil du site vwIrw.bricoprive.com. de manière visible et lisible, précédé de la mention "AVERTISSEMENT JUDICIAIRE" inscrite en majuscule, en gras et dans la plus grande taille de caractères utilisée sur cette page, dans un délai maximum de 15 jours à compter de la signification du jugement à intervenir et pendant 30 jours consécutifs, avec obligation de communiquer préalablement à la société Husqvarna France la date de début de publication ;
- a débouté la société Brico Privé de sa demande de dommages et intérêts ;
- a débouté les parties de leurs demandes autres, plus amples ou contraires ;
- a condamné la société Brico Privé à verser à la société Husqvarna France la somme de 10 000 € au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;
- a ordonné l'exécution provisoire du présent jugement, à l'exception la mesure de publication ;
- a condamné la société Brico Privé aux dépens, dont ceux à recouvrer par le greffe, liquidés à la somme de 74,50 € dont 12,20 € de TVA.
Par déclaration du 30 décembre 2020, la société Brico Privé a interjeté appel du jugement.
Vu les dernières conclusions de la société Brico Privé, appelante, déposées et notifiées le 29 août 2022 par lesquelles il est demandé à la Cour de :
Vu l'article L. 442-6-I-6 du code de commerce,
Vu l'article 1240 du code civil,
Infirmer en toutes ses dispositions le jugement rendu par le tribunal de commerce de Paris le 14 décembre 2020, et dès lors en ce qu'il :
- « Condamné la société Brico Privé à verser à la société Husqvarna France la somme de 300 000 € à titre de dommages et intérêts ;
- Enjoint à la société Brico Privé de ne plus proposer à la vente et/ou annoncer la mise en vente, sur quelque support et/ou par quelque media que ce soit, de tout produit de marque Husqvana commercialisés par la société Husqvarna France, à moins d'avoir justifié auprès de cette dernière, au plus tard un mois avant l'opération ou l'annonce de l'opération considérée, de la licéité de son approvisionnement en lui communiquant l'intégralité des factures d'achat des produits concernés, et ce sous astreinte de 50 000 € par infraction constatée à compter de 8 jours suivant la signification du présent jugement et ce pendant une durée de un an à l'issue de laquelle il pourra être à nouveau fait droit ;
- Ordonné la publication du dispositif du présent jugement :
Dans cinq supports ou médias au choix de Husqvarna France et aux frais avancés de la société Brico Privé, dans la limite 5.000 euros par publication, et
En haut de la page d'accueil du site www.bricoprive.com. de manière visible et lisible, précédé de la mention "Avertissement Judiciaire" inscrite en majuscule, en gras et dans la plus grande taille de caractères utilisée sur cette page, dans un délai maximum de 15 jours à compter de la signification du jugement à intervenir et pendant 30 jours consécutifs, avec obligation de communiquer préalablement à la société Husqvarna France la date de début de publication » ;
- Débouté la société Brico Privé de sa demande de dommages et intérêts ;
- Débouté les parties de leurs demandes autres, plus amples ou contraires, mais uniquement lorsqu'il déboute la société Brico Privé de ses demandes ;
- Condamné la société Brico Privé à verser à la société Husqvarna France la somme de 10 000 € au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;
- Ordonné l'exécution provisoire du présent jugement, à l'exception la mesure de publication (') ;
- Condamné la société Brico Privé aux dépens, dont ceux à recouvrer par le greffe, liquidés à la somme de 74,50 € dont 12,20 € de TVA. ».
Et statuant à nouveau,
A titre principal,
Juger que la société Husqvarna France ne rapporte pas la preuve de l'existence et de la licéité d'un réseau de distribution sélective ;
Débouter la société Husqvarna France de toutes ses demandes, fins et conclusions ;
A titre subsidiaire,
Juger que la société Brico Privé rapporte la preuve d'un achat régulier ;
Débouter la société Husqvarna France de toutes ses demandes, fins et conclusions ;
Juger que la société Husqvarna France a commis une faute dans la gestion des relations contractuelles avec ses distributeurs ;
Débouter la société Husqvarna France de toutes ses demandes, fins et conclusions ;
A titre infiniment subsidiaire, dans l'hypothèse où la Cour considérerait que la responsabilité de la société Brico Privé est engagée,
Débouter la société Husqvarna France de sa demande de communication des factures d'achat à compter du 1er janvier 2013 ;
Réduire à de plus justes proportions le montant des dommages et intérêts ;
Infirmer le jugement en ce qu'il a subordonné la vente de matériels Husqvarna, pendant une durée d'un an, par la société Brico Privé, à la communication préalable de ses sources d'approvisionnement ;
Infirmer le jugement en ce qu'il a ordonné la publication de la décision ;
A titre reconventionnel et en tout état de cause,
Condamner la société Husqvarna France à payer à la société Brico Privé la somme de 10 000 euros de dommages et intérêts pour procédure abusive ;
Condamner la société Husqvarna France à payer à la société Brico Privé la somme de 10 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
Vu les dernières conclusions de la société Husqvarna, intimée, déposées et notifiées le 18 juillet 2022 par lesquelles il est demandé à la cour de :
Vu l'article L. 442-6-I-6° (ancien) devenu l'article L. 442-2 du code de commerce,
Vu l'article 1240 du code civil,
Confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a condamné Brico Privé à réparer le préjudice causé à Husqvarna France du fait des ventes illicites de produits Husqvarna qu'elle a opérées et des actes de concurrence déloyale et parasitaire qu'elle a commis,
Mais l'infirmer quant au montant des dommages-intérêts, et statuant à nouveau :
Condamner Brico Privé à payer à Husqvarna France la somme de 3.000.000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice causé par les ventes illicites de produits Husqvarna qu'elle a opérées et 2.500.000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice causé par les actes de concurrence déloyale et parasitaire qu'elle a commis, soit 5.500.000 euros à titre de dommages et intérêts toutes causes de préjudice confondues.
Confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a :
- enjoint à Brico Privé de ne plus proposer à la vente et/ou annoncer la mise en vente, sur quelque support et/ou par quelque media que ce soit, de tout produit de marque Husqvarna commercialisé par Husqvarna France, à moins d'avoir justifié auprès de cette dernière, au plus tard un mois avant l'opération ou l'annonce de l'opération considérée, de la licéité de son approvisionnement en lui communiquant l'intégralité des factures d'achat des produits concernés, et ce sous astreinte de 50.000 euros par infraction constatée à compter de 8 jours suivant la signification du jugement et ce pendant une durée d'un an,
ET Y AJOUTANT, assortir cette injonction d'une astreinte définitive de 200.000 euros par infraction constatée à compter de 8 jours suivant la signification de l'arrêt à intervenir et ce pendant une durée de trois ans à l'issue de laquelle il pourra être à nouveau fait droit ;
- Ordonné la publication du dispositif de la décision à intervenir dans cinq supports ou médias au choix de Husqvarna France et aux frais avancés de Brico Privé, dans la limite 5.000 euros par publication, et en haut de la page d'accueil du site www.bricoprive.com de manière visible et lisible, précédé de la mention "Avertissement Judiciaire" inscrite en majuscule, en gras et dans la plus grande taille de caractères utilisée sur cette page, dans un délai maximum de 15 jours à compter de la signification de la décision à intervenir et pendant 30 jours consécutifs, avec obligation de communiquer préalablement à Husqvarna France la date de début de publication ;
- Débouté Brico Privé de sa demande de dommages et intérêts ;
Infirmer le jugement entrepris en ce qu'il a débouté Husqvarna France de sa demande de communication de factures et statuant à nouveau condamner Brico Privé à communiquer à Husqvarna France l'intégralité des factures d'achat de produits de marque Husqvarna qu'elle a acquis depuis le 1 er janvier 2013, date de mise en place du réseau de distribution sélective Husqvarna en France, et ce sous astreinte de 1.000 euros par jour de retard à compter de la signification de l'arrêt à intervenir et jusqu'à communication de l'intégralité desdites factures.
En tout état de cause,
- Condamner Brico Privé à payer à Husqvarna France la somme de 116.156 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
- Condamner Brico Privé aux entiers dépens d'instance et d'appel.
MOTIVATION
La cour se réfère, pour un plus ample exposé des faits, de la procédure, des moyens échangés et des prétentions des parties, à la décision déférée et aux dernières conclusions échangées en appel.
Elle rappelle que l'article L. 442-6, I, 6° du code de commerce, dans sa version antérieure au 24 avril 2019 applicable aux faits, dispose :
« Engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, par tout (') commerçant (...) :
6° De participer directement ou indirectement à la violation de l'interdiction de revente hors réseau faite au distributeur lié par un accord de distribution sélective ou exclusive exempté au titre des règles applicables au droit de la concurrence ; »
Sur l'existence d'un réseau de distribution sélective Husqvarna licite
Il est constant que l'application de l'article L. 442-6, I, 6° du code de commerce, qui a pour objet de préserver l'identité du réseau en le protégeant de la revente parallèle, entendue comme la commercialisation par des revendeurs agréés à des distributeurs non agréés de produits que l'organisateur du réseau destine exclusivement à une revente à des distributeurs agréés ou aux consommateurs finals, exige l'existence d'un accord de distribution licite au regard des règles du droit de la concurrence.
Exposé du moyen :
Brico Privé, pour soutenir que la société Husqvarna ne justifie pas de l'existence et de la licéité de son réseau sélectif, se prévaut tout d'abord de la jurisprudence de cette cour aux termes de laquelle, d'une part, la fourniture du contrat type n'est pas suffisante, les juges procédant à une appréciation au cas par cas (29 juin 2016, n° 14/335), et d'autre part, la communication de quelques contrats ne saurait suffire (19 novembre 2020, n° 19/20354). Elle considère que les contrats produits, lesquels sont peu nombreux, sont très insuffisants pour étayer, de façon pertinente, l'existence d'un réseau de distribution sélective.
Brico Privé conteste, ensuite, la décision attaquée en ce qu'elle s'est appuyée sur la décision n° 18-D-23 de l'Autorité de la concurrence du 24 octobre 3018 pour considérer que dans la mesure où la société Stihl (seule concernée par la procédure menée par l'Autorité) disposait d'un réseau de distribution sélective pour des matériels ayant des fonctions identiques à ceux d'Husqvarna, cet élément validait la licéité du réseau de cette dernière. Brico Privé produit une étude comparative des matériels MC Culloch et Husqvarna portant notamment sur une tronçonneuse et réalisé par un technicien SAV du site Racetools.fr, de laquelle il ressortirait qu'il n'existe aucune différence dans la conception et l'utilisation des machines (pièce Brico Privé n° 18). Elle ajoute que l'examen des manuels d'utilisation, qu'elle produit, mettrait en exergue une parfaite similarité (pièces Brico Privé n° 19 et 20). Elle en déduit que le mode de distribution ne peut être différent.
Elle soutient que par ailleurs, des tronçonneuses Husqvanarna font l'objet de ventes par des sites tels que Amazon, Mes-ventes-privées.com et Interditaupubic.com n'ayant pas la qualité de distributeurs (pièces Brico Dépôt n° 2, 5, 10 et 10-1), sans être accompagnés d'une assistance spécifique, puisque lors de la vente en ligne, il n'existe aucune « mise en main ». Elle ajoute que les critères posés par le contrat de distribution sélective sont majoritairement présents sur le site de la société Brico Privé. Elle se prévaut plus particulièrement de l'atelier spécialisé dans la réparation dont elle dit disposer au sein de son groupe et qui assurerait le service après-vente pour, selon elle, des produits identiques.
Brico Privé prétend enfin qu'Husqvarna ne remplit pas les conditions lui permettant de bénéficier d'une exemption catégorielle, dès lors que les documents qu'elle fournit présentant les parts de marché de la société Husqvarna ne seraient pas probants pour l'année précédant les ventes flash qu'elle lui reproche, d'une part, et qu'elle ne démontre pas l'absence de restriction au sens de l'article 4 du Réglement (UE) n° 330/2010 du 20 avril 2010 relatif aux accords verticaux, d'autre part. Elle fait valoir à cet égard que les distributeurs doivent s'engager à revendre les produits Husqvarna sur leurs propres sites internet, et que de fait, aucun des revendeurs cités au dossier n'en disposerait. Elle soutient que l'accès du consommateur aux produits de la marque Husqvarna sont compromis si des sites spécialisés pure player (vente exclusivement en ligne) vendant des produits dédiés aux activités de bricolage, maison et jardin tel que brico-prive.fr, n'y ont pas accès.
Husqvarna fait valoir en réponse, en premier lieu, que son réseau de distribution sélective est licite car il remplit les 3 conditions rappelées dans la décision attaquée : la nature du produit requiert un tel système pour en préserver la qualité et en assurer le bon usage ; les distributeurs sont choisis sur la base de critères de qualité objectifs de nature qualitative, fixés de manière uniforme et non discriminatoire ; les critères ne vont pas au-delà de ce qui est nécessaire. Elle souligne que la marque d'origine suédoise Husqvarna est la marque premium du groupe éponyme, premier producteur mondial d'équipements motorisés du jardinage et d'entretien des parcs et forêts, son savoir-faire étant le résultat de plus de trois siècles d'innovations. Elle ajoute que ses produits bénéficient des dernières technologies mises au point par le groupe, lequel est souvent pionnier sur son marché comme par exemple avec les robots de tonte Automower.
Elle soutient, pièces n° 2, 3, 14, 16 et 17 à l'appui, que les critères qui ont été définis ne vont pas au-delà de ce qui est nécessaire pour préserver la qualité et le prestige des produits et assurer le bon usage par l'utilisateur final. Elle relève qu'ils portent en effet notamment sur la formation des distributeurs, la préparation des produits, l'avant-vente et le service après-vente, l'aménagement des points de vente, les canaux de vente en ligne, l'assortiment de produits et la communication.
Elle observe, pour contester la pertinence des arguments de Brico Privé, que ses distributeurs sont autorisés à vendre les produits via internet, conformément à la jurisprudence Pierre Fabre (CJUE 13 octobre 2011, affaire C-439/09), les conseils et service d'assistance pouvant être fournis en ligne. Elle ajoute que le fait que les produits Husqvarna soient parfois vendus par des tiers non autorisés sur internet est indifférent, l'étanchéité (laquelle est visée à l'article 1 du contrat dans sa version 2013 et l'article 2 dans sa version 2018) n'étant pas une condition de validité ni d'opposabilité du réseau, conformément à la jurisprudence (CA Paris, 23 janvier 2019, n° 17/00035).
En second lieu, Husqvarna soutient que son réseau bénéficie d'une exemption catégorielle puisque la part de marché de chacune des parties au contrat ne dépasse pas 30 % et que le contrat de distribution, dans sa version de 2013 comme dans sa version de 2018, ne contient pas de restriction caractérisée au sens de l'article 4 Réglement (UE) n° 330/2010 précité. Elle ajoute que la vente en ligne est autorisée (pièces n° 14, 16 et 17) et que l'Autorité de la concurrence, dans la décision n° 18-D-23 précitée a retenu que « contrairement à ce qui est soutenu par Stihl, Husqvarna et Honda n'ont pas interdit les ventes sur internet sur les sites de leurs distributeurs agréés mais adapté leur politique commerciale afin de permettre la vente sur internet, tout en s'assurant, par la mise en place de dispositifs spécifiques, que le consommateur ait accès à toutes les informations nécessaires pour garantir sa sécurité » (point 211).
Réponse de la cour :
L'article 1, e du règlement (UE) n° 330/2010 du 20 avril 2010, définit la distribution sélective comme « un système de distribution dans lequel le fournisseur s'engage à ne vendre les biens ou les services contractuels, directement ou indirectement, qu'à des distributeurs sélectionnés sur la base de critères définis, et dans lequel ces distributeurs s'engagent à ne pas vendre ces biens ou ces services à des distributeurs non agréés dans le territoire réservé par le fournisseur pour l'opération de ce système ».
Il n'est pas discuté qu'un système de distribution sélective n'est pas en soi anti-concurrentiel et qu'il ne le devient que s'il limite abusivement la liberté commerciale.
La Cour de cassation a, dans l'arrêt n° 11-27.342 du 18 décembre 2012, repris les critères énoncés par la jurisprudence européenne et mentionnés au point 185 des lignes directrices sur les restrictions verticales 2000/C291/01, en retenant que « l'organisation d'un réseau de distribution sélective est licite à condition que le choix des revendeurs s'opère en fonction de critères objectifs de caractère qualitatif, fixés de manière uniforme à l'égard de tous les revendeurs potentiels et appliqués de manière non discriminatoire, que les propriétés du produit en cause nécessitent, pour en préserver la qualité et en assurer le bon usage, un tel réseau de distribution et que les critères définis n'aillent pas au-delà de ce qui est nécessaire ».
En conséquence, si ces conditions sont réunies, le système de distribution échappe à l'interdiction de l'alinéa 1 de l'article 101 du TFUE.
La charge de la preuve de la licéité du réseau incombe au fournisseur, qu'il soit demandeur ou défendeur à une instance (Cass. Com, 16 février 1988, n° 86-11.972 ; Cass com., 10 octobre 2000, n° 98-15.990).
Il ressort des pièces produites en l'espèce, et notamment de la décision de l'Autorité de la concurrence n° 18-D-23 du 24 octobre 2018 relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur de la distribution de matériel de motoculture, que l'offre de machines dédiées à l'entretien des jardins et forêts est nombreuse, mais que les deux principaux acteurs du secteur, Stihl et Husqvarna, ont la particularité de proposer une gamme complète et variée de produits (pour Husqvarna, gammes standard, professionnelle et limitée) qui sont tous reconnus par leur qualité.
La Cour retient aussi que le montage et le maniement des outils motorisés portables utilisés pour les travaux forestiers ou l'entretien des espaces verts peuvent s'avérer délicats, en fonction de leur taille et de leur poids, et présentent une certaine technicité. L'utilisation de certains de ces produits (les tronçonneuses, les débroussailleuses, les élagueuses, les sécateurs à batterie...) peut en outre présenter des risques de rebonds et de projection, ces machines étant munies d'un outil tranchant ou coupant. Au regard de ces différentes caractéristiques, la commercialisation des produits en question requiert donc l'existence de services d'assistance et de conseil afin de préserver la qualité et d'en assurer le bon usage.
C'est à juste raison que Husqvarna fait valoir que la circonstance que d'autres marques de son groupe - dont Gardena et McCulloch, ainsi que les produits de sa gamme construction - soient commercialisés sans recours à un système de distribution sélective est indifférent, un fabricant étant libre, par application du principe de la liberté du commerce et de l'industrie, d'organiser la distribution de ses produits comme il l'estime nécessaire.
Il s'en suit que le critère qualitatif conditionnant la licéité du recours à la distribution sélective est rempli.
Husqvana verse aux débats (pièces n° 2 et 3), tout d'abord, un contrat type et un échantillon de contrats établis en 2012. Force est de constater, cependant, qu'elle ne produit pas l'annexe 3 (intitulée « check list »), ni aucune autre annexe définissant les critères objectifs de caractère qualitatif requis.
La Cour retient en conséquence que c'est à raison que le tribunal, dans la décision attaquée, a dit que Husqvarna ne rapportait pas la preuve de l'existence d'un réseau sélectif licite en 2013.
Husqvana produit, ensuite, son contrat type version 2018 (pièce n° 16), un échantillon significatif de contrats signés début 2018 (pièces n° 17) et la copie d'une lettre d'information du 2 février 2018 informant les revendeurs de la modification du contrat (pièce n° 15).
La Cour constate que ces contrats déclinent, dans leur annexe A, les critères standards de distribution sélective (critères généraux, critères relatifs aux points de vente agréés, critères relatifs aux canaux de vente en ligne agréés) et les critères de la gamme produit professionnel ; dans leur annexe B, les exigences relatives aux distributeurs silver et Gold ainsi que, dans leur annexe C, la garantie et le service après-vente.
Il y est notamment mentionné, au titre du critère standard J': « en raison de la nature et de la complexité des produits Husqvarna et des demandes des clients finaux, le distributeur doit de manière générale veiller à ce que son personnel, y compris le personnel impliqué dans la vente, la réparation et le service après-vente des produits Husqvarna, ait l'expérience et les compétences requises et suivent les formations par Husqvarna, et plus précisément, respecte les critères d'expérience et de qualification définis ci-dessous : ». En outre, le critère G relatif aux points de vente agréé comprend notamment l'indication suivante : « le distributeur doit disposer d'un espace dédié dans l'atelier équipé de l'ensemble des outils spéciaux et matériels de diagnostic nécessaires pour effectuer la maintenance des produits Husqvarna (...) ».
Les pièces détachées de marque Husqvarna sont par ailleurs expressément exclues de la distribution sélective par l'article 5 du contrat type.
L'analyse des pièces établit aussi que le distributeur est choisi en fonction de critères précis et objectifs tels que sa qualification, la qualité du point de vente, l'environnement, les possibilités de stockage des produits.
La Cour retient que ces critères, qui ont été définis préalablement, sont adaptés à la vente des produits concernés, sont fixés de manière uniforme à l'égard de tous les revendeurs potentiels et ne vont pas au-delà de ce qui est nécessaire à la bonne commercialisation des produits.
La circonstance que les critères posés par le contrat de distribution sélective Husqvarna seraient « majoritairement présents » sur le site bricoprivé.com, aux dires de l'appelante (laquelle n'allègue pas avoir sollicité l'octroi d'un agrément), ne permet pas d'établir que le choix des revendeurs Husquvarna s'opérerait en fonction de critères de caractère qualitatif qui ne seraient pas objectifs, et qui seraient appliqués de manière discriminatoire. Brico Privé ne démontre en outre pas, ni même n'allègue, que des critères de distribution sélective seraient imposés aux fournisseurs alors même qu'il serait procédé simultanément à des livraisons à des distributeurs ne remplissant pas ces mêmes critères.
Il se déduit de tout ce qui précède que l'organisation du réseau de distribution sélective Husqvarna est licite à partir du 14 février 2018, date du premier contrat signé produit par l'intimée.
A titre surabondant, la Cour constate qu'il ressort d'études réalisées par le plus grand institut d'études d'Allemagne et 4e mondial que la part de marché d'Husqvarna France a, entre 2014 à 2020, varié entre 17 % et 23 % (pièce Husqvarna n° 13) et que l'Autorité de la concurrence, dans sa décision n° 18-D-23 précitée (point n° 18), a estimé que Stihl et Husqvarna représentent à eux deux près de 40 % du marché français, étant précisé que la part de marché de Stilh s'établissait à 18 %. Les distributeurs étant des entreprises locales, la part de marché de chacune des parties au contrat de distribution sélective Husqvarna ne dépasse donc pas 30 %. La Cour retient aussi que le contrat de distribution sélective Husqvarna ne contient pas de restriction caractérisée au sens de l'article 4 du Réglement (UE) n° 330/2010 précité dès lors que la politique de vente en ligne du réseau Husqvarna, seule critiquée par Brico Privé, autorise la vente en ligne (pièces Husqvarna n° 14, 16 et 17) et que des ventes en ligne sont, de façon effective, réalisées par des distributeurs agréés tels la société Lambin (pièce Brico Privé n° 5). La société Husqvarna France peut donc à raison soutenir bénéficier d'une exemption catégorielle par application du Réglement (UE) précité n° 330/2010 sur les restrictions verticales.
En conséquence, la Cour confirme la décision attaquée en ce qu'elle a retenu que le réseau sélectif d'Husqvarna est licite à partir du 14 février 2018.
Sur les actes fautifs et leur imputabilité.
Husqvarna demande que Brico Privé soit sanctionné en raison de l'irrégularité de son approvisionnement, d'une part, et de l'irrégularité des conditions de revente, d'autre part.
Ces fautes, fondées sur l'article L. 442-6-I-6° du code de commerce alors applicable et sur le droit commun de la responsabilité civile, sont contestées par l'appelante, qui soutient que c'est Husqvarna qui a commis une faute dans la gestion des relations contractuelles avec ses distributeurs.
*Sur la vente hors réseau
Exposé du moyen :
Brico Privé soutient que des produits Husqvarna sont en vente sur des sites type Amazon et que les factures d'achat qu'elle fournit en appel (pièces n° 11) ne font état d'aucune mention quelconque à une qualité de vendeur sélectif de ceux-ci, si bien qu'il est impossible à un tiers à ce réseau d'avoir connaissance de ce dernier.
Elle prétend aussi que Husqvarna ne mettrait pas en œuvre les moyens nécessaires pour assurer l'étanchéité de son réseau et qu'elle ne peut se prévaloir de ses carences dans la gestion de ce dernier. Elle ne justifierait pas, notamment, avoir procédé au marquage de ses produits ou au contrôle de la facturation de ses distributeurs et se limiterait à communiquer 5 courriers de mise en demeure. Brico Privé sollicite en conséquence, à titre reconventionnel, qu'il soit jugé que l'intimée a commis une faute dans la gestion des relations contractuelles avec ses distributeurs.
Husqvarna répond que Brico Privé ayant refusé en première instance de fournir les factures d'achat des matériels permettant de valider la licéité de son approvisionnement, le tribunal a fait de façon justifiée application du principe de présomption d'illicéité de celui-ci. En cause d'appel, Brico Privé communique enfin un ensemble de factures, datées de novembre 2016 à février 2020, qui émanent d'une société roumaine et d'une société polonaise, lesquelles sont des distributeurs agréés signataires du contrat de distribution sélective qui leur interdit de revendre les produits hors réseau. L'approvisionnent de Brico Privé étant manifestement illicite, la Cour ne pourra que confirmer le jugement sur ce point.
Husqvarna ajoute que l'appelante ne pouvait ignorer que les sociétés émettrices de ces factures étaient toutes deux signataires du contrat de distribution sélective, dès lors qu'elles se présentaient ainsi sur leur site internet respectif.
Elle fait valoir enfin, s'agissant de la demande reconventionnelle, que l'allégation selon laquelle elle ne mettrait pas en œuvre les moyens nécessaires pour assurer l'étanchéité de son réseau ne résiste pas à l'examen des faits.
Réponse de la cour :
L'étanchéité du réseau de distribution sélective n'est pas une condition de sa validité et de son opposabilité aux tiers.
En l'espèce, c'est donc vainement que Brico Privé remet en cause l'étanchéité du réseau de distribution sélective Husqvarna pour s'exonérer. En outre, il n'y a pas lieu de vérifier la réalité du réseau de distribution sélective en dehors du territoire français, seule la violation du réseau sur le territoire français étant reprochée.
Le seul fait pour un distributeur hors réseau de commercialiser des produits relevant d'un système de distribution sélective n'est pas constitutif d'une faute en soi (Cass. com., 27 octobre 1992, n° 90-15.831). Cependant, le distributeur parallèle engage sa responsabilité lorsqu'en connaissance de cause, il s'est approvisionné auprès d'un distributeur sélectionné (Cass. Com., 27 octobre 1992, n° 89-21.063)
Husqvarna démontre, par la production des contrats de distribution sélective signés par la société roumaine Verdon Solution S.L.R le 25 janvier 2017 et la société roumaine Scarlett le 1er janvier 2018, que ces dernières avait interdiction de revendre les produits hors réseau (pièces Husqvarna n° 38 et 44).
Il ressort des captures d'écran versées aux débats (pièces n° 39) que ces deux sociétés se présentent explicitement comme distributeurs agréés Husqvarna sur leurs sites internet respectifs, en évoquant « plus de 300 ans d'excellence » et en vantant la « haute qualité » des produits et un service fourni par « des spécialistes expérimentés qui possèdent des connaissances techniques approfondies sur la réparation et la maintenance des équipements Husqvarna acquises grâce à des cours de formation spécialisés organisés par le fabriquant. Les compétences de notre personnel technique sont confirmés par des certificats délivrés par Husqvarna » (lesquels certificats sont reproduits sur le site polonais).
Brico Privé, en produisant 17 factures datées de novembre 2016 à février 2020 émanant de ces deux sociétés, ne rapporte donc pas la preuve qu'il s'est approvisionné auprès d'un membre agréé non lié par une clause d'interdiction de revente hors réseau, étant observé de surcroît qu'aucune correspondance précise n'est mise en évidence entre ces factures et les ventes réalisées par Brico Privé.
La cour retient, en conséquence, eu égard aux pièces versées aux débats, que Brico Privé a contracté avec Verdon Solution et Scarlett en connaissance de cause et qu'elle a commis une faute par sa participation à la violation de l'interdiction de revente hors réseau faite au distributeur lié par un accord de distribution sélective.
En se fournissant chez des membres du réseau dans les conditions décrites, Brico Privé a engagé sa responsabilité sur le fondement de l'article L. 442-6-I-6° du code de commerce alors applicable.
Il ressort enfin des éléments versés aux débats (pièces Husqvarna n° 40 : courriers officiels d'avocat, lettre de mise en demeure adressé par le directeur national des ventes d'Husqvarna France, réponses de sociétés ayant reçu une lettre recommandée) qu'aucun manque de vigilance d'Husqvarna apportée à l'étanchéité juridique de son réseau ne peut être caractérisé. Brico Privé ne démontre aucune faute imputable à Husqvarna dans la gestion des relations contractuelles avec ses distributeurs. Sa demande reconventionnelle n'est donc pas fondée.
*Sur la concurrence déloyale et le parasitisme
Exposé du moyen :
S'agissant de la concurrence déloyale, Brico Privé soutient que la société Husqvarna ne fournit aucun élément concret en lien avec les objets mis en vente susceptibles de démontrer des investissements et efforts spécifiques. Elle ne rapporterait pas la preuve d'un trouble commercial et ne communiquerait aucun élément qui serait de nature à démontrer que le client aurait été trompé par le site de la société Brico Privé et qui viendrait illustrer une désorganisation de son réseau, ou que l'image du réseau aurait été altérée. Selon Brico Privé, les qualités et standards habituellement utilisés pour la commercialisation des produits Husqvarna via les canaux de vente en ligne agréés seraient présents sur son site et sa présentation des produits serait même plutôt plus flatteuse que celle mise en œuvre sur le site officiel. Elle assurerait aussi un suivi méticuleux du service après-vente, la garantie du fabricant étant maintenue.
Elle ajoute qu'aucun élément ne permet de vérifier la véracité des plaintes qui sont exposés sur les extraits du site internet 60 millions de consommateurs produits par Husqvarna, étant par ailleurs observé que le SAV d'Husqvarna France fait l'objet de commentaires critiques (pièce Brico Privé n° 16 : pourcentage d'avis négatifs à 77 % sur le site Trustpilot).
S'agissant du parasitisme, Brico Privé soutient que la demande présenterait un caractère artificiel. Husqvarna n'aurait communiqué selon elle aucun élément probant venant accréditer une valeur économique spécifique à la distribution par internet. Aucun détail ne serait communiqué quant aux investissements sur la marque et le réseau, qui s'élèveraient à la somme de 5 millions d'euros selon le directeur administratif et financier d'Husqvarna France.
Husqvarna réplique qu'en ne respectant pas les critères de qualité imposés à ses revendeurs, la société Brico Privé a réalisé des économies importantes, qui lui permettent, en utilisant Husqvarna comme marque d'appel, de vendre ses produits à prix bradés, portant atteinte au prestige du réseau Husqvarna. La société Brico Privé n'informe pas les consommateurs du fait qu'elle n'est pas un distributeur agrée. Ces comportements constituent des actes déloyaux et parasitaires qui engagent la responsabilité de la société Brico Privé au visa de l'article 1240 du code civil.
Réponse de la cour :
En premier lieu, la cour rappelle que la concurrence déloyale, appréciée à l'aune du principe de la liberté du commerce, consiste en des agissements s'écartant des règles générales de loyauté et de probité professionnelle applicables dans les activités économiques et régissant la vie des affaires.
Elle a pour effet notamment, en cas d'irrégularité des conditions de revente par un distributeur hors réseau, de perturber le marché en plaçant une société dans une situation anormalement favorable par rapport aux distributeurs agréés.
En l'espèce, Brico Privé n'étant pas tenu de respecter les critères de qualité qui s'imposent aux distributeurs agréés du réseau Husqvarna (formation, avant-vente, disponibilité du service clientèle, SAV, aménagement du point de vente, délais de livraison etc.), les acheteurs des produits sur le site brico-prive.com ne bénéficient pas des compétences et des services qui résultent du respect de ces critères, fournis par des personnes ayant suivi les formations auprès de Husqvarna France : vérification des produits avant livraison, conseils, gestion de la garantie, SAV Brico Privé n'assure pas elle-même le service après-vente, puisqu'elle le sous-traitait en 2017 à la société Airtem sis à [Localité 5] (44) alors en redressement judiciaire (et liquidée depuis), et qu'elle paraît désormais sous-traiter à un "réparateur agréé", sans en préciser l'identité (pièce Brico Privé n° 4 et pièce Husqvarna n° 33).
La Cour retient que ceci permet à Brico Privé de réaliser des économies substantielles par rapport aux distributeurs agréés et d'offrir ainsi à la vente, sous couvert de « destockage », les produits Husqvarna à des prix bradés, ainsi que l'établissent les mails de diffusion adressés aux prospects (pièces Husqvarna n° 18, 19, 20, 22, 23, 24) et les informations diffusées sur le site brico-prive.com (pièces Husqvarna 27 et 35 à 37 -procès-verbaux d'huissie- et n° 21, 28 et 29 -captures d'écran-).
Les consommateurs se plaignent des carences du SAV de Brico Privé, ainsi qu'il ressort du forum de "60 millions de consommateurs", notamment pour une tondeuse de marque Husqvarna vendue en mars 2018 (pièce Husqvarna n° 31). Certains consommateurs mécontents s'adressent d'ailleurs directement à Husqvarna France en l'informant que Brico Privé n'a pas vérifié les produits avant livraison et ne procède pas à leur enregistrement : tronçonneuse reçue sans chaîne ni guide, robots inutilisables en l'absence de code PIN de déverrouillage, notice exclusivement en anglais, tchèque, slovaque, polonais, hongrois, et ce pour des ventes réalisées en mai, juin et juillet 2020. (pièce Husqvarna n° 34). Il ressort de ces documents que les consommateurs paraissent penser que Brico Privé fait partie du réseau, alors qu'ils se montrent très critiques à son égard.
Dans ces circonstances, la Cour retient qu'en livrant des tronçonneuses dont il manque des pièces ou qui ne sont pas accompagnées d'une notice d'utilisation en français, Brico Privé n'assure pas la sécurité des produits, ce qui porte une atteinte à l'image de marque et au réseau Husqvarna.
C'est de façon justifiée, en outre, qu'Husqvarna fait observer que Brico Privé a été condamné par la CNIL (délibération de la formation restreinte n° SAN-2021-008 du 14 juin 2021), suite à un contrôle effectué le 13 novembre 2018, à une amende administrative de 500.000 euros pour avoir manqué à plusieurs obligations au titre du RGPD et de la loi Informatique et Libertés, et avoir envoyé des courriels de prospection sans le consentement des personnes en violation du code des postes et des communications électroniques.
La Cour retient qu'en ne respectant pas ces règles impératives, tout en commercialisant des produits Husqvarna, Brico Privé a porté atteinte au prestige du réseau Husqvarna et bénéficié d'un avantage concurrentiel indu.
En second lieu, la Cour rappelle le parasitisme consiste « pour un opérateur économique, à se placer dans le sillage d'un autre afin de tirer indûment profit de ses efforts et de son savoir-faire, de la notoriété acquise ou des investissements consentis » (Cass. com. 5 janvier 2022, n° 19-23.701).
En commercialisant des produits Husqvarna sans préciser qu'elle n'est pas distributeur agréé et qu'elle ne remplit donc pas les critères de qualité correspondants, Brico Privé se place dans le sillage du réseau Husqvarna afin de bénéficier de sa notoriété et des investissements consentis par Husqvarna France pour en assurer la promotion, ce qui constitue un acte parasitaire.
C'est donc à raison que le tribunal a, dans la décision attaqué, retenu que les agissements de Brico Privé engagent sa responsabilité sur le fondement de l'article 1240 du code civil.
Il s'en suit que le jugement attaqué est confirmé en ce qu'il a condamné Brico Privé à réparer le préjudice causé à Husqvarna du fait des ventes illicites de produits Husqvarna qu'elle a opérées et des actes de concurrence déloyale et parasitaire qu'elle a commis.
Sur le préjudice causé à la société Husqvarna
Exposé du moyen :
Brico Privé estime, tout d'abord, que la demande au titre du préjudice n'est pas fondée et que le trouble commercial n'est étayé de façon pertinente par aucune pièce. Elle relève que les documents émanant du directeur administratif et financier d'Husqvarna ne répondent pas, sur la forme, aux prescriptions de l'article 202 du code de procédure civile. Elle fait valoir qu'Husqvarna n'a jamais justifié, de façon détaillée et comptable, du montant annoncé quant aux investissements marketing, pas plus qu'elle n'a justifié d'une diminution de son chiffre d'affaires liée aux prétendus agissements fautifs de Brico Privé.
Elle rappelle, ensuite, que le tribunal, en se fondant sur les procès-verbaux de constat, a retenu l'existence de 6 opérations de vente seulement. Il s'est ensuite retranché derrière son pouvoir souverain d'appréciation pour fixer le préjudice à la somme de 50 000 euros par vente. Or selon elle, au regard de la jurisprudence applicable, la mise en place de vente flash ne peut être de nature à porter atteinte à l'image de marque du réseau lorsque lesdites ventes ne prennent pas le trait d'une vente à déballage.
Elle ajoute que les déstockages auquel elle a pu procéder n'ont été alimenté que par des retours clients (cf pièces Brico Privé n° 14.1 à 14.19 : avoirs), la marchandise étant ensuite remise en vente.
Husqvarna rappelle que la Cour de cassation a consacré une présomption en vertu de laquelle il s'infère nécessairement l'existence d'un préjudice, fut-il seulement moral, d'un acte de concurrence déloyale (Com., 12 février 2020, n° 17-31.614), cette présomption d'existence du préjudice « répond(ant) à la nécessité de permettre aux juges une moindre exigence probatoire, lorsque le préjudice est particulièrement difficile à démontrer », étant entendu que « des pratiques consistant à parasiter les efforts et les investissements intellectuels, matériels ou promotionnels d'un concurrent, ou à s'affranchir d'une réglementation, dont le respect a nécessairement un coût, en ce qu'il permettent à l'auteur des pratiques de s'épargner une dépense en principe obligatoire, induisent un avantage concurrentiel indu dont les effets, en terme de trouble économique, sont difficiles à quantifier avec les éléments de preuve disponibles, sauf à engager des dépenses disproportionnées au regard des intérêts en jeu. Lorsque tel est le cas, il y a lieu d'admettre que la réparation du préjudice peut être évaluée en prenant en considération l'avantage indu que s'est octroyé l'auteur des actes de concurrence déloyale, au détriment de ses concurrents, modulé à proportion des volumes d'affaires respectifs des parties affectés par ces actes. »
Husqvarna fait valoir que les agissements de la société Brico Privé causent à la société Husqvarna un trouble commercial et un préjudice en termes d'image, et ce d'autant qu'elle a investi environ 5M € par an en dépenses d'investissement sur la marque Husqvarna et d'animation de son réseau de revendeurs (document émanant de son directeur administratif et financier du 25 septembre 2018) puis environ 6M € par an (document émanant de son directeur administratif et financier du 22 août 2022).
Elle sollicite la condamnation de la société Brico Privé à lui payer, en premier lieu, la somme de 3.000.000 € sur le fondement de l'article L. 442-6-I-6° devenu l'article L. 442-2 du code de commerce. Elle soutient que l'analyse des pièces versées aux débats permet d'identifier 30 opérations de vente illicites mises en œuvre par Brico privé et qu'il y a lieu de se référer utilement au précédent de l'affaire Coty (CA Paris, 30 août 2019, n° 18/20739) pour lequel le quantum du préjudice subi a été fixé à hauteur de 100 000 euros pour chaque opération de vente illicite.
Husqvarna sollicite, en second lieu, la somme de 2.500.000 € sur le fondement de l'article 1240 du code civil, soit 10 % du montant des investissements marketing dont la société Brico Privé aurait selon elle indûment profité pendant 5 ans.
Réponse de la cour :
C'est à raison que le tribunal, dans la décision attaquée, a constaté que Brico Privé n'a pas versé au débat le chiffre d'affaires réalisé avec les produits Husqvarna à compter du 14 février 2018.
Il ressort des procès-verbaux de constat d'huissier établis à la demande d'Husqvarna que ces produits ont été offert à la vente à six reprises sur le site brico-prive.com à partir de février 2018 (les 11 mars, 2 septembre, 29 septembre, 18 novembre 2018, le 16 décembre 2019 et le 9 février 2020).
Il est aussi démontré (pièce Husqvarna n° 45) que Brico Privé a vendu des produits Husqvarna en mai 2018, mars, avril, mai, juin, juillet, octobre et novembre 2020, la circonstance que ces ventes aient été, selon l'appelante, « annulées », en raison de retour clients, dans la mesure où ces derniers n'étaient pas satisfaits du matériel et/ou avaient exercé leur droit de rétractation, ne faisant pas disparaître le caractère illicite de l'opération de vente.
Il est par ailleurs produit, pour les années 2019 et 2020 (pièce Husqvarna n° 25 bis), des documents comptables étayant les écrits du directeur administratif et financier d'Husqvarna France du 25 septembre 2018 et du 22 août 2020 quant aux dépenses qui ont été engagées en matière de sponsoring, de merchandising (goodies, actions promotionnelles...), de marketing (presse professionnelle, TV achat d'espace, publicité internet...) de digital-media, de conférence and custumers events (réunions revendeurs, foires et expositions, invitations réceptions...) etc.
A défaut de justifier de façon plus adéquate les investissements réalisés et au regard des seuls éléments soumis à l'appréciation de la cour, à savoir le nombre d'opérations de vente illicites démontrées et le mode de vente par Internet pouvant toucher l'ensemble du territoire français, il y a lieu de fixer le préjudice d'Husqvarna à la somme de 300 000 euros au titre de la violation du réseau de distribution sélective et de 200 000 euros au titre de la concurrence déloyale et du parasitisme.
Le jugement attaqué est en conséquence infirmé quant au montant des dommages et intérêts alloués, et statuant de nouveau, Brico Privé est condamné à payer à Husqvarna France la somme de 500 000 euros.
Sur les autres demandes
*Injonction et astreinte
Exposé du moyen :
Brico Privé soutient qu'en l'absence de continuation des pratiques, aucune injonction de faire ne saurait être prononcée par la Cour pour le futur, à peine d'excès de pouvoir. Selon elle, les trois procès-verbaux de constat d'huissier communiqués par l'intimée sur l'année 2021 correspondent à des retours-clients qui font l'objet d'une remise en vente dans le cadre d'une rubrique permanente dédiée au déstockage de produits.
Husqvarna répond que les pratiques litigieuses n'ont pas cessées depuis le jugement de première instance. Elle estime que le montant de l'astreinte prononcé par le tribunal (50.000 € par infraction constatée) n'a pas été suffisant pour dissuader la société Brico Privé de poursuivre ses agissements, dont elle retire manifestement un profit supérieur directement ou indirectement. Elle sollicite, afin d'éviter l'aggravation de son préjudice, la confirmation du jugement quant à l'injonction faite à la société Brico Privé mais demande qu'elle soit assortie d'une astreinte définitive d'un montant plus important, soit de 200.000 € et pour une durée étendue à trois ans.
Réponse de la cour :
L'astreinte provisoire a pour finalité de contraindre la personne qui s'y refuse à exécuter les obligations qu'une décision juridictionnelle lui a imposées et d'assurer le respect du droit à cette exécution (Cass. Civ. 2e, 4 janvier 2012, n° 10-27.127)
Il ressort de trois constats d'huissier, dressés le 5 janvier, le 21 janvier et le 20 avril 2021 que Brico Privé a, postérieurement à la décision attaquée (qui était assortie de l'exécution provisoire), proposé à la vente 23 références de produits Husqvarna (issus selon elle de retour clients), dans le cadre d'opérations de vente dénommées « La grande braderie de Noël », « La grande braderie du jour de l'an », « La grande braderie » et « Destockage Brico et Atelier », ce qui caractérise une continuation des pratiques, laquelle a donné lieu à saisine du juge de l'exécution.
Il se déduit des éléments soumis au débats qu'aucune autre vente illicite n'est intervenue depuis.
Il convient, dans ces circonstances, de confirmer le jugement attaqué en ce qu'il a enjoint à la société Brico Privé de ne plus proposer à la vente et/ou annoncer la mise en vente, sur quelque support et/ou par quelque media que ce soit, de tout produit de marque Husqvarna commercialisés par la société Husqvarna, à moins d'avoir justifié auprès de cette dernière, au plus tard un mois avant l'opération ou l'annonce de l'opération considérée, de la licéité de son approvisionnement en lui communiquant l'intégralité des factures d'achat des produits concernés, et ce sous astreinte de 50 000 € par infraction constatée à compter de 8 jours suivant la signification du jugement et ce pendant une durée de un an à l'issue de laquelle il pourra être à nouveau fait droit.
Il n'y a pas lieu d'ordonner une astreinte définitive.
*Publication
Exposé du moyen :
Brico Privé estime que la demande de publication est dénuée de fondement dès lors que les particuliers qui effectuent des achats sur son site savent, au regard du nombre de marques disponibles, qu'ils ne s'adressent pas à un établissement « spécifiquement siglé Husqvarna ». Le dommage serait, de surcroît, suffisamment réparé par l'allocation de dommages-intérêts.
Husqvarna répond que Brico Privé a trompé le public, en particulier les personnes ayant acheté auprès d'elle des produits Husqvarna, quant à son appartenance à son réseau de distribution sélective et sa capacité à assurer la préparation des produits, le service après-vente et la gestion de la garantie. Les consommateurs ont ainsi acheté en ligne des produits dangereux, comme des tronçonneuses, que certains ont reçu non montées ou incomplètes, d'autres recevant des notices d'utilisation dans des langues étrangères. Elle demande la confirmation de la publication du dispositif de la décision à intervenir afin d'informer le public et que les consommateurs puissent néanmoins bénéficier des services attachés aux produits Husqvarna, tels qu'ils sont assurés par les distributeurs agréés du réseau.
Réponse de la cour :
La mesure de publication judiciaire sur le site internet www.bricoprive.com et dans trois (et non cinq) supports ou médias au choix d'Husqvarna France, selon les modalités ordonnées par les premiers juges, est suffisante à la juste réparation du préjudice des intimées et proportionnée à la nécessité d'informer le public sur les agissements illicites commis par Brico Privé au préjudice des intimées.
*Communication des factures d'achat
Exposé du moyen :
Brico Privé demande la confirmation du jugement attaqué en faisant observer qu'il n'est pas démontré que des opérations de vente, telles que celles mises en exergue par les procès-verbaux de constat, sont intervenues sur une période ayant débuté le 1er janvier 2013.
Husqvarna soutient avoir un intérêt légitime à connaître l'identité de l'ensemble des personnes qui ont approvisionné Brico Privé en produits de marque Husqvarna, manifestement en fraude de ses droits.
Réponse de la cour :
Les éléments sollicités n'étant pas nécessaires à la résolution du litige, il n'y a pas lieu de faire droit à la demande d'Husqvarna.
*Procédure abusive
Exposé du moyen :
Brico Privé soutient que la procédure engagée par la société Husqvarna traduit la volonté de limiter le nombre de vendeurs sur internet, et au-delà la vente en ligne, et vise à restreindre la transparence du marché et la concurrence des prix, au détriment du consommateur.
Husqvarna rappelle que selon une jurisprudence bien établie, l'exercice d'une action e justice ne peut constituer un abus de droit que dans des circonstances particulières le rendant fautif, ce qui n'est nullement le cas en l'espèce.
Réponse de la cour :
Compte tenu du sens de l'arrêt, cette demande n'est pas fondée.
Sur les frais irrépétibles et les dépens
Exposé du moyen :
Brico Privé sollicite la condamnation de la société Husqvarna à lui verser la somme de 10.000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
Husqvarna fait valoir que depuis décembre 2016, la société Brico Privé refuse de communiquer ses factures d'achat de produits de marque Husqvarna, la contraignant à engager d'importants frais en phase précontentieuse, en référé, au fond puis en appel. Elle sollicite la condamnation de la société Brico Privé à lui payer la somme de 116.156 € (soit 110.116 € honoraires d'avocat, 3.418 € frais de constat, 2.620 € frais de traduction) sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
Réponse de la Cour :
Le jugement confirmé pour l'essentiel le sera également en ses dispositions relatives au sort des dépens de première instance et à l'application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
Brico Depot succombant à l'appel en supportera les dépens et sera condamnée, en équité, à payer à l'intimée une indemnité globale de 30.000 euros au titre des frais irrépétibles d'appel.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant publiquement par mise à disposition au greffe, par arrêt contradictoire et en dernier ressort,
Confirme le jugement du tribunal de commerce de Paris du 14 décembre 2020 sauf quant au montant des dommages-intérêts alloués et en ce qu'il a ordonné la publication du dispositif de la décision à intervenir dans cinq supports ou médias ;
Statuant à nouveau des chefs infirmés et y ajoutant :
Condamne la société Brico Privé à payer à titre de dommages et intérêts à la société Husqvarna France :
- la somme de 300 000 euros, en réparation du préjudice causé par la violation du réseau de distribution sélective,
- et la somme de 200 000 euros en réparation du préjudice causé par la concurrence déloyale et le parasitisme, soit un total de 500 000 euros ;
Ordonne la publication du dispositif de la décision dans trois supports ou médias au choix de la société Husqvarna France et aux frais avancés de la société Brico Privé, dans la limite 5.000 euros par publication ;
Condamne la société Brico Privé aux dépens d'appel ;
Condamne la société Brico Privé à verser à la société Husqvarna France la somme supplémentaire de 30 000 euros par application de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel.