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Décisions

CA Colmar, 2e ch. civ., 4 mars 2022, n° 20/00803

COLMAR

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Socasto (SARL)

Défendeur :

Strasbourg Eurometropole Accession (SCI)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Diepenbroek

Conseillers :

Mme Denort, Mme Hery

TJ Starsbourg, du 4 févr. 2020

4 février 2020

FAITS, PROCÉDURE et PRÉTENTIONS des PARTIES

La SCI Strasbourg Eurométropole Accession a fait édifier un immeuble dénommé Le Jouvence, situé [...], abritant 40 logements collectifs, un local commercial et un jardin d'enfants.

Elle a confié à la SARL Socasto les travaux de gros oeuvre, selon un devis estimatif-quantitatif du 28 avril 2017 et un acte d'engagement du même jour, pour un coût de 2 048 581,57 euros TTC, ramené à 2 038 338,66 euros TTC, après déduction d'un rabais dû à une modification de la participation au compte prorata plafonné.

La société SIB Etudes est intervenue en qualité de bureau d'études techniques structure.

Le 2 octobre 2018, la société Socasto a émis un avenant n°4 relatif à la fourniture, au façonnage et à la pose d'armatures supplémentaires en acier, pour un montant de 36 459,04 euros hors-taxes, soit 43 750,85 euros TTC, que la SCI Strasbourg Eurométropole Accession a refusé de payer, et elle a finalement saisi le tribunal de grande instance de Strasbourg d'une demande en paiement de ladite somme.

Par jugement du 4 février 2020, le tribunal l'a déboutée de ses demandes et l'a condamnée aux dépens ainsi qu'au versement, à la SCI Strasbourg Eurométropole Accession, de la somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

Le tribunal a constaté qu'au vu de l'acte d'engagement signé le 28 avril 2017, de l'article 22 du cahier des clauses administratives particulières et des ordres de service signés par la société Socasto le 28 avril 2017 et le 19 mars 2019, le prix et les travaux avaient été déterminés par les parties de façon précise, globale et définitive, le marché étant ferme, forfaitaire, non révisable et non actualisable.

De plus, pour retenir que les travaux supplémentaires réalisés relevaient du forfait, le tribunal a relevé que :

- le devis initial mentionnait deux postes concernant les armatures, pour des montants de 23 898 euros et 22 320 euros hors-taxes,

- à la signature du contrat, la société Socasto, spécialiste dans son domaine d'intervention, n'avait émis aucune réserve concernant l'absence de plan d'armature ou l'insuffisance d'information pour l'établissement de son devis,

-les travaux supplémentaires effectués étaient nécessaires à la réalisation de l'ouvrage projeté, s'agissant d'armatures supplémentaires, et ne constituaient pas une réalisation différente de celle prévue à l'origine,

- il ne pouvait être déduit de l'accord de la SCI Strasbourg Eurométropole Accession relatif à la prise en charge de certains travaux supplémentaires que cette dernière avait accepté de régler l'intégralité de ces travaux.

De plus, il n'était ni invoqué, ni établi que l'économie du contrat en eût été bouleversée.

La société Socasto a interjeté appel de ce jugement par déclaration datée du 19 février 2020.

Par ses conclusions récapitulatives datées du 27 mars 2021, elle demande que son appel soit déclaré recevable et bien fondé, que la cour infirme le jugement déféré en son intégralité et que, statuant à nouveau :

- à titre principal, elle condamne la SCI Strasbourg Eurométropole Accession à lui payer la somme de 43 750,85 euros augmentée des intérêts au taux légal à compter du 12 octobre 2018, date de la mise en demeure, et qu'elle dise que les intérêts échus dus pour une année entière seront capitalisés et produiront intérêts à leur tour,

- à titre subsidiaire, elle condamne la SCI Strasbourg Eurométropole Accession à lui payer la somme de 18 229,52 euros hors-taxes, soit 21 875,42 euros TTC, augmentée des intérêts au taux légal à compter du 12 octobre 2018, date de la mise en demeure, et qu'elle dise que les intérêts échus dus pour une année entière seront capitalisés et produiront intérêts à leur tour,

À titre infiniment subsidiaire, elle condamne la SCI Strasbourg Eurométropole Accession à lui payer la somme de 8 190 euros hors-taxes, soit 9 828 euros TTC, augmentée des intérêts au taux légal à compter du 12 octobre 2018, date de la mise en demeure, et qu'elle dise que les intérêts échus dus pour une année entière seront capitalisés et produiront intérêts à leur tour.

Elle demande également que la SCI Strasbourg Eurométropole Accession soit déboutée de l'intégralité de ses demandes et, en tout état de cause, qu'elle soit condamnée en tous les frais et dépens ainsi qu'au paiement, à la société Socasto, d'une indemnité de 4 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

L'appelante soutient que le marché conclu le 28 avril 2017 ne remplit pas les conditions requises pour être qualifié de marché à forfait, ce qui nécessite, en application de l'article 1793 du code civil, que les parties aient prévu dans leur convention la nature et la consistance des travaux ainsi qu'un prix forfaitaire, les juges du fond n'étant pas liés par l'affirmation du caractère forfaitaire que les parties ont donné au marché.

Sur la nature des travaux, elle souligne que la jurisprudence exige constamment un plan décrivant les travaux de manière précise, et qu'il ne peut y avoir de prix définitif lorsque le volume, la nature et les modalités des travaux n'ont pas été déterminés avec précision.

Lors de la signature de son devis, le « plan » visé à l'article 1793 n'était pas défini, dans la mesure où les plans d'armature n'ont été établis par le BET structure SIB Etudes, que postérieurement, au fur et à mesure de l'avancement du chantier, et qu'en leur absence, la quantité d'armature n'était encore ni déterminée, ni déterminable. La sous-estimation du tonnage d'armature par la société SIB Etudes n'était donc pas encore connue.

Sur le caractère global du prix, la société Socasto soutient qu'un prix global exclut l'application de prix unitaires aux quantités réellement exécutées alors que son devis estimatif quantitatif indique des prix unitaires, contenant une liste très précise de prestations avec leur prix, détaillant précisément toutes les fournitures en indiquant le prix et le cubage.

A titre subsidiaire, si la cour retenait l'existence d'un marché à forfait, la société Socasto invoque une jurisprudence selon laquelle le maître de l'ouvrage qui, confronté en cours de chantier à la nécessité de réaliser des fondations plus importantes que prévu, demande à l'entrepreneur de ne pas arrêter des travaux et de les faire valider par son maître d'oeuvre, est tenu de payer les travaux effectués hors forfait, ce qui est le cas en l'espèce. Les quantités d'armatures supplémentaires et leur montant ont été validés par le bureau d'études et par le maître d'oeuvre.

Sur l'imprévision que lui reproche la SCI, la société Socasto fait valoir que c'est à cette dernière que le manque de prévision est imputable.

Elle invoque par ailleurs un bouleversement dans l'économie du contrat, entraîné par la réalisation de pontages, de poutre-voiles, de puits busés, de fondations excentrées, imputable au maître de l'ouvrage et faisant perdre au marché son caractère forfaitaire.

Elle reproche également à la SCI de ne pas avoir rempli son devoir de collaboration, en ne lui transmettant aucun plan d'exécution le jour de la signature du contrat, ce qui constitue une faute lui ayant causé un préjudice. Celle-ci justifierait, si la cour considérait qu'elle-même aurait dû faire des réserves sur ce point, lors de la signature du contrat, d'imputer au maître de l'ouvrage la moitié du coût des armatures.

La société Socasto précise que ses demandes subsidiaires ne sont pas des demandes nouvelles mais qu'elles tendent aux mêmes fins que celle soumise au premier juge, en application de l'article 565 du code de procédure civile.

A titre infiniment subsidiaire, l'appelante fait valoir qu'elle ne réclame pas le paiement de travaux supplémentaires soumis à l'article 1793 du code civil, mais celui d'un tonnage supérieur d'armatures résultant des plans d'armature établis à l'avancement par le bureau d'études du maître de l'ouvrage. Pendant la réalisation des fondations, les bâtiments A, B et C ont connu de nombreuses modifications demandées par le maître de l'ouvrage et, selon la société SIB Etudes, la surconsommation d'armature, pour le bâtiment C, estimée à 8 190 euros H.T. est due :

- à la découverte de pieux existants dans les environs de la cage d'escalier, qui ont nécessité la réalisation de pontages, ainsi que d'une ancienne alimentation de chauffage qui a nécessité la réalisation de poutre-voiles,

- au décalage du mur de clôture en façade sud qui a nécessité la réalisation de puits busés et de poutre-voiles,

- au décalage du mur de clôture en façade sud, qui a nécessité la réalisation de fondations excentrées avec ancrage d'armatures dans le grand béton.

Elle ajoute que les modifications sollicitées par le maître de l'ouvrage impliquaient non seulement la mise en oeuvre de bétons supplémentaires, mais aussi d'armatures, l'un ne pouvant aller sans l'autre, s'agissant de béton armé.

Elle invoque également :

- l'article 8.4 de la norme NFP 03-001, selon lequel l'entrepreneur a le droit de se faire payer par le maître de l'ouvrage les travaux supplémentaires et urgents qui se révéleraient en cours d'exécution des travaux indispensables à la stabilité des bâtiments, ce qui est le cas,

- un engagement pris par le maître de l'ouvrage, exprimé lors de réunions de chantier, selon lequel il honorait toujours le paiement des travaux effectués, dès lors qu'ils étaient justifiés par le maître d'oeuvre.

Par ses conclusions récapitulatives datées du 2 avril 2021, la SCI Strasbourg Eurométropole Accession demande que la société Socasto soit déclarée irrecevable en ses demandes nouvelles et en tout état de cause mal fondée en son appel, et que toutes ces conclusions soient rejetées.

Elle sollicite la confirmation du jugement déféré en toutes ses dispositions et la condamnation de la société Socasto à lui payer la somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, au titre de la procédure d'appel, ainsi qu'aux entiers frais et dépens de l'instance.

Elle invoque les dispositions de l'article 1793 du code civil et l'absence d'accord préalable et écrit de sa part concernant les travaux supplémentaires dont le paiement est réclamé par l'entrepreneur, faisant valoir qu'ils relèvent du marché à forfait et sont nécessaires à la réalisation de l'ouvrage.

Elle ajoute que, pour établir son devis estimatif quantitatif, la société Socasto a pu consulter librement et accepter l'ensemble des pièces du marché, et notamment le CCAP et ses articles 1, 2, 18 et 20, et que le caractère forfaitaire et global du marché qui lui a été confié est incontestable.

Les travaux de mise en oeuvre d'armatures en acier ne peuvent être qualifiés de travaux supplémentaires en ce qu'ils sont en lien direct avec l'objet du marché qui incluait déjà ce type de travaux. De plus, ils participaient directement à la solidité et à la destination de l'ouvrage.

Elle invoque également les articles 3, 4 et 8.1 du CCAP. Si les plans des bureaux d'études sont contractuels et ont été communiqués, le devis quantitatif et estimatif (DQE) établi par la société Socasto sous sa seule responsabilité n'a aucune valeur contractuelle mais seulement indicative.

La mention de prix unitaires dans le devis établi par la société Socasto est habituelle dans les devis quantitatifs estimatifs et n'a pas d'influence sur la qualification du marché.

La SCI Strasbourg Eurométropole Accession ajoute que :

- le manque de prévision de l'entrepreneur ne constitue pas une circonstance de nature à entraîner la modification du caractère forfaitaire du marché, la société Socasto n'ayant émis aucune réserve sur l'insuffisance des plans invoqués désormais, lors de la conclusion du marché forfaitaire et, en cours de chantier, n'ayant pas sollicité la signature d'un avenant ou émis de remarques à la réception de l'étude de la société SIB Etudes,

- les attestations produites par la société Socasto ne constituent pas des preuves, au regard des dispositions de l'article 1793 du code civil et de l'absence d'écrit, la validation de la quantité d'armatures supplémentaires par la société SIB Etudes et le maître d'oeuvre étant inopérante,

- les travaux supplémentaires à la charge de la société Socasto ne sont consécutifs à aucune modification ou augmentation à l'initiative du maître de l'ouvrage mais ne sont dus qu'à sa propre carence d'entreprise spécialisée et à l'erreur du bureau d'études, et sont nécessaires à la réalisation de l'ouvrage,

- une modification de 2,5 % de l'économie du contrat, qui ne lui est pas imputable, est d'une ampleur insuffisante pour caractériser un bouleversement de l'économie du contrat et fonder la demande en paiement,

- le fait qu'elle ait réglé des travaux supplémentaires de béton ne dénature pas le caractère forfaitaire du marché et ne l'oblige pas à régler les travaux supplémentaires d'armature en acier non commandés et pour lesquels elle n'a émis aucun accord.

La SCI Strasbourg Eurométropole Accession soulève l'irrecevabilité de demandes nouvelles de la société Socasto en application des articles 564 et 565 du code de procédure civile, s'agissant des demandes subsidiaires en paiement des sommes de 18 229,52 euros hors-taxes, soit 21 875,42 euros TTC, représentant la moitié du coût des travaux supplémentaires d'armature en acier, et de 8 190 euros hors-taxes, soit 9 828 euros TTC, au titre d'un « tonnage supérieur d'armature résultant des plans d'armature établis à l'avancement par le bureau d'études' ». Elle soutient en effet que les fondements juridiques de ces demandes ne sont pas identiques et que ces prétentions ne tendent pas aux mêmes fins que la demande exposée en première instance par la société Socasto

Si de telles demandes n'étaient pas considérées comme des demandes nouvelles en appel, la SCI indique solliciter leur rejet, contestant avoir été en possession des plans établis par le bureau d'études le jour de l'établissement du devis, et soulignant que la société Socasto affirme elle-même que ces plans n'étaient pas établis lorsqu'elle a effectué le DQE.

Elle ajoute que l'article 8.4. de la norme NFP 03-001 invoqué par la société Socasto est faux et que les règles établies par une telle norme ne peuvent prévaloir sur les dispositions de l'article 1793 du code civil, qui sont d'ordre public de protection pour le maître de l'ouvrage.

*

Pour l'exposé complet des prétentions et moyens des parties, la cour se réfère à leurs dernières conclusions notifiées et transmises par voie électronique aux dates susvisées.

La clôture de l'instruction a été prononcée par ordonnance du 6 avril 2021.

MOTIFS

I ' Sur la recevabilité des demandes subsidiaires de la société Socasto

En application des articles 564 à 566 du code de procédure civile, à peine d'irrecevabilité relevée d'office, les parties ne peuvent soumettre à la cour de nouvelles prétentions si ce n'est pour opposer compensation, faire écarter les prétentions adverses ou faire juger les questions nées de l'intervention d'un tiers, ou de la survenance ou de la révélation d'un fait.

Les prétentions ne sont pas nouvelles dès lors qu'elles tendent aux mêmes fins que celles soumises au premier juge, même si leur fondement juridique est différent.

Les parties ne peuvent ajouter aux prétentions soumises au premier juge que les demandes qui en sont l'accessoire, la conséquence ou le complément nécessaire.

Dans la situation présente, les demandes subsidiaires ajoutées en appel à sa demande principale par la société Socasto tendent à obtenir le paiement d'une partie seulement du prix de la fourniture, du façonnage et de la pose des armatures supplémentaires en acier, qui constitue l'objet de cette demande principale, soit le paiement de la moitié de ce prix puis le coût des seules armatures supplémentaires fournies, et ce sur des fondements juridiques différents de sa demande principale.

Ces demandes subsidiaires tendent donc aux mêmes fins que la demande principale, qui constituait la seule demande présentée devant le premier juge, à savoir obtenir paiement de sa prestation relative aux armatures supplémentaires litigieuses, au moins en partie, même si leur fondement juridique est différent. En conséquence, la fin de non-recevoir soulevée par la SCI doit être écartée et ces demandes subsidiaires doivent être déclarées recevables en application de l'article 565 du code de procédure civile.

II ' Sur les demandes de la société Socasto

En application de l'article 1793 du code civil, lorsqu'un (') entrepreneur s'est chargé de la construction à forfait d'un bâtiment, d'après un plan arrêté et convenu avec le propriétaire du sol, il ne peut demander aucune augmentation de prix, ni sous le prétexte de l'augmentation de la main-d'oeuvre ou des matériaux, ni sous celui de changements ou d'augmentations faits sur ce plan, si ces changements ou augmentations n'ont pas été autorisés par écrit, et le prix convenu avec le propriétaire.

Un marché à forfait exige une détermination précise, globale et définitive des travaux et du prix, sur la base d'un devis et de plans précis, la mention du prix détaillé n'ayant qu'une valeur indicative. C'est pourquoi la mention du détail des prestations et des prix de chacune d'elles dans le devis estimatif quantitatif établi par la société Socasto le 28 avril 2017 n'exclut nullement l'existence d'un marché à forfait conclu entre les parties. De plus, si la société Socasto mentionne l'absence de plan précis ayant servi de base au marché, cela ne l'a pas empêchée d'établir un devis détaillé et précis de ses prestations, autant sur le plan qualitatif que quantitatif.

Surtout, l'article 2 de l'acte d'engagement signé le 28 avril 2017 entre les parties mentionne que les travaux seront rémunérés par application d'un prix global et forfaitaire de 1 707 151,31 euros hors-taxes, qui correspond précisément au montant du devis estimatif quantitatif établi par la société Socasto le même jour pour la totalité du projet.

En outre, ainsi que l'a relevé le premier juge, les ordres de service signés par la société Socasto les 28 avril 2017 et 19 mars 2019, relatifs aux tranches 1 et 2 du projet immobilier en cause, stipulent clairement qu'il s'agit d'un marché global ferme, forfaitaire et non révisable ni actualisable, ce qui est confirmé par le cahier des clauses administratives particulières qu'elle a également signé. En son article 1er, celui-ci fait en effet explicitement référence à l'article 1793 du code civil.

De plus, en son article 18, il stipule, s'agissant du montant du marché, que « l'entreprise reconnaît formellement que les prix figurant au marché tiennent compte de toutes les prescriptions, garanties, sujétions et obligations résultant du marché (') ; ces prix tiennent compte notamment de toutes les charges et de tous les aléas pouvant résulter de l'exécution des travaux ».

L'article 20.1 précise « Principe : les prix sont réputés FERMES ET NON RÉVISABLES, NI ACTUALISABLE ».

Comme l'a relevé le premier juge, l'article 22 ajoute, s'agissant des travaux modificatifs, qu'« il n'est prévu aucune résiliation ou indemnité par rapport au montant du marché forfaitaire dans le cas de travaux supprimés, de travaux supplémentaires ou de travaux modificatifs. »

De plus, « les travaux supplémentaires ne pourront donner lieu à paiement que s'ils ont été prévus par un avenant écrit et signé par le maître de l'ouvrage. »

Il en résulte que le caractère forfaitaire du marché conclu entre les parties n'est pas contestable et que ces dernières sont convenues que tous travaux supplémentaires devraient faire l'objet d'un avenant écrit et signé par le maître de l'ouvrage.

Dans le cadre d'un marché à forfait, l'entrepreneur ne peut réclamer un supplément de prix pour des travaux non prévus au marché s'ils sont nécessaires à la réalisation de l'ouvrage, et notamment s'ils sont indispensables à sa sécurité.

Or, la société Socasto expose elle-même avoir posé des armatures supplémentaires en acier au vu des plans d'armature établis par le bureau d'études structure au fur et à mesure de l'avancement du chantier, ce qui, au vu de la nature des travaux en cause, permet clairement d'établir que ces travaux supplémentaires étaient nécessaires à la réalisation de l'ouvrage, et notamment à sa sécurité.

Seules trois situations particulières permettent de sortir du forfait et de condamner le maître de l'ouvrage au paiement de travaux supplémentaires, à savoir une autorisation préalable écrite du maître de l'ouvrage, une ratification a posteriori par ce dernier ou encore un bouleversement de l'économie du contrat. Il ne peut être déduit du paiement de certains travaux supplémentaires l'acceptation implicite du maître de l'ouvrage de régler tout ce qui lui serait réclamé au titre de travaux non chiffrés.

Or, il n'est pas contesté par la société Socasto qu'elle a effectué des travaux de fourniture, façonnage et pose d'armatures en acier supplémentaires aux travaux prévus dans le marché signé, sans aucune convention écrite préalablement signée par le maître de l'ouvrage qui n'a non plus exprimé aucune acceptation expresse et non équivoque a posteriori.

Le bouleversement de l'économie d'un contrat résulte d'une augmentation substantielle dans la masse des travaux ou d'un changement dans la nature de ces derniers, qui a eu un impact économique significatif. De plus, la demande de l'entrepreneur présentée à ce titre à l'encontre du maître de l'ouvrage ne peut être accueillie que si celui-ci est à l'origine de la modification de la masse ou de la nature des travaux.

Dans la situation présente, il n'est ni démontré, ni même allégué que la SCI Strasbourg Eurométropole Accession soit à l'origine de modifications des travaux susceptibles d'avoir nécessité la pose d'armatures supplémentaires en acier, celle-ci résultant des préconisations formulées par le bureau d'études structure au fur et à mesure de l'avancée des travaux.

De plus, s'agissant de leur masse, il s'agit de 15 341, 21 kg supplémentaires d'armature en acier, sur une quantité initiale prévue au marché de 198 749 kg, soit 7 % de la masse d'armatures en acier initiale. En outre, le coût de ces travaux supplémentaires représente 43 750,85 euros TTC, sur un marché initial d'un montant global de 2 038 338,66 euros TTC.

Au vu de tous ces éléments, il ne peut donc être retenu aucun bouleversement significatif de l'économie du marché.

Par ailleurs, l'article 1195 du code civil issu de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, entrée en application le 1er octobre 2016, énonce que « si un changement de circonstances imprévisibles lors de la conclusion du contrat rend l'exécution excessivement onéreuse pour une partie qui n'avait pas accepté d'en assumer le risque, celle-ci peut demander une renégociation du coût à son cocontractant. Elle continue à exercer ses obligations durant la renégociation.

En cas de refus ou d'échec de la renégociation, les parties peuvent convenir de la résolution du contrat, à la date et aux conditions qu'elles déterminent, ou demander d'un commun accord au juge de procéder à son adaptation. À défaut d'accord dans un délai raisonnable, le juge peut, à la demande d'une partie, réviser le contrat ou y mettre fin, à la date et aux conditions qu'il fixe. »

Il résulte donc de ces dispositions légales que l'imprévision constitue un motif de renégociation du contrat et n'a pas pour effet de modifier les conditions d'exécution du contrat conclu entre les parties.

En outre, dans un projet immobilier tel que celui en cause, tendant à l'édification d'un immeuble destiné à abriter 40 logements collectifs, un local commercial et un jardin d'enfants, la nécessité d'utiliser des armatures supplémentaires en acier pour béton armé, de plus, dans les proportions indiquées ci-dessus, en fonction des préconisations du bureau d'études structure émises au fur et à mesure de l'avancement des travaux, ne constitue pas un changement de circonstances imprévisibles lors de la conclusion du contrat. Elle l'était d'autant moins que les prestations de la société Socasto incluaient la démolition de murs en aggloméré, notamment, ce qui supposait des aléas inhérents à un existant.

Par ailleurs, selon une jurisprudence constante, les règles établies par la norme AFNOR P 03 001, à supposer qu'elles aient été adoptées entre les parties dans le cadre du projet immobilier en cause, ne peuvent pas prévaloir sur les dispositions légales de l'article 1793 du code civil. Elles ne peuvent dispenser l'entrepreneur de justifier d'une commande de travaux supplémentaires ou de leur ratification a posteriori par le maître de l'ouvrage.

En outre, la validation des travaux supplémentaires par le maître d'oeuvre est sans portée dès lors qu'il n'est pas démontré qu'il avait reçu mandat pour commander ou accepter des travaux supplémentaires au lieu et place du maître de l'ouvrage.

Dans la situation présente, la société Socasto produit une attestation de l'architecte en charge de la maîtrise d'oeuvre du chantier, évoquant un accord du maître de l'ouvrage exprimé lors d'une réunion de chantier du 2 août 2018 pour régler les travaux effectués, dès lors qu'ils étaient justifiés par son maître d'oeuvre. Il précise que cet engagement aurait déterminé la société Socasto à poursuivre les travaux, malgré l'absence d'établissement d'un avenant relatif aux travaux supplémentaires, qui avait été signé s'agissant du béton supplémentaire nécessaire. Cependant, une telle attestation n'a pas de valeur probante en raison des intérêts communs du maître d'oeuvre et de l'entrepreneur, dans leurs relations contractuelles respectives avec le maître de l'ouvrage. Au surplus, elle est insuffisante pour caractériser, tant le mandat du maître d'oeuvre pour ratifier les travaux supplémentaires en lieu et place du maître de l'ouvrage, qu'une acceptation expresse exprimée par ce dernier.

L'attestation d'un autre entrepreneur, M. D., qui affirme que, cette fois lors d'une réunion de chantier de septembre 2018, le représentant du maître de l'ouvrage aurait assuré qu'il réglait toujours les travaux effectués, dès lors qu'ils étaient justifiés par le maître d'oeuvre, n'a pas plus de valeur probante que celle du maître d'oeuvre, et ce pour les mêmes motifs qui tiennent à la communauté d'intérêts liant cet entrepreneur avec la société Socasto, concernant leurs relations contractuelles respectives avec la SCI Strasbourg Eurométropole Accession.

Les deux attestations ainsi produites ne permettent donc nullement de démontrer la déloyauté du maître de l'ouvrage dénoncée par la société Socasto qui, par ailleurs, en signant le cahier des clauses administratives particulières, a accepté que les travaux supplémentaires ne pourraient donner lieu à paiement que s'ils avaient été prévus par un avenant écrit et signé par le maître de l'ouvrage.

De plus, il ne peut être reproché à la SCI Strasbourg Eurométropole Accession de ne pas avoir fourni à la société Socasto, lors de la signature du marché, toutes les informations dont elle disposait sur le projet immobilier en cause et de ne pas avoir rempli son devoir de collaboration à son égard, cette dernière ne démontrant pas avoir sollicité des informations complémentaires.

Enfin, les prestations de la société Socasto prévues au marché signé avec la SCI Strasbourg Eurométropole Accession incluaient notamment la fourniture et la pose d'armatures en acier destinées à la structure de béton armé. La seule fourniture d'armatures supplémentaires, à laquelle la société Socasto limite sa demande à titre infiniment subsidiaire, constitue donc elle-même une prestation complémentaire ne pouvant échapper aux règles relatives à l'augmentation du prix de l'article 1793 du code civil, qui évoque non seulement l'augmentation de la main-d'oeuvre mais également celle des matériaux.

Il résulte de tous ces éléments que le jugement déféré doit être confirmés en ce qu'il a rejeté la demande de la société Socasto tendant à la condamnation de la SCI Strasbourg Eurométropole Accession à lui payer la somme de 43 750,85 euros et que les demandes subsidiaires présentées par l'appelante à hauteur de cour doivent également être rejetées, étant toutes également infondées.

III - Sur les dépens et les frais non compris dans les dépens

Le jugement déféré étant confirmé en ses dispositions principales, il le sera également en celles relatives aux dépens et aux frais non compris dans les dépens.

L'appel de la société Socasto étant rejeté, de même que ses demandes subsidiaires présentées en appel, cette dernière assumera les dépens de l'appel et sera déboutée de sa demande fondée sur l'article 700 du code de procédure civile, au titre des frais non compris dans les dépens qu'elle a engagés en appel. En revanche, à ce même ce titre et sur le même fondement, elle sera condamnée au versement, à la SCI Strasbourg Eurométropole Accession, de la somme de 1 500 euros.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant par arrêt contradictoire, publiquement, par mise à disposition de l'arrêt au greffe, conformément aux dispositions de l'article 450 alinéa 2 du code de procédure civile,

CONFIRME en toutes ses dispositions le jugement rendu entre les parties par le tribunal de grande instance de Strasbourg le 4 février 2020,

Y ajoutant,

DECLARE recevables les demandes subsidiaires présentées par la SARL Socasto en appel,

REJETTE les dites demandes subsidiaires présentées par la SARL Socasto,

CONDAMNE la SARL Socasto aux dépens de l'appel,

CONDAMNE la SARL Socasto à payer à la SCI Strasbourg Eurométropole Accession, la somme de 1 500,00 euros (mille cinq cents euros) sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, au titre des frais exclus des dépens que cette dernière a engagés en appel,

REJETTE la demande de la SARL Socasto présentée sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, au titre des frais exclus des dépens qu'elle a engagés en appel.