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Décisions

Cass. crim., 15 octobre 1996, n° 95-83.775

COUR DE CASSATION

Arrêt

Cassation

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Le Gunehec

Rapporteur :

M. Roman

Avocat général :

M. Perfetti

Paris, 1e ch., du 11 mai 1995

11 mai 1995

Sur le moyen unique de cassation, pris de la violation des articles 147, 150 et 151 du Code pénal ancien, 591 et 593 du Code de procédure pénale;

"en ce que l'arrêt attaqué a débouté la société Le Continent de ses demandes en raison de la relaxe du prévenu;

"aux motifs que Jean-Michel Y... a certes reconnu avoir signé aux lieu et place de son client l'avenant de résiliation, mais qu'il indique avoir agi de cette façon en exécution du mandat qui lui avait été donné par Landes le 4 mai 1990; que, dès lors, ayant agi sur instructions de l'assuré et en vertu d'un mandat, la lettre de résiliation ne saurait être considérée comme étant un faux; que Landes, qui a préféré rester assuré à la compagnie Le Continent, ne formule aucun reproche vis à vis de Jean-Michel Y... (...); que Klebek a déclaré aux policiers que son courtier avait agi au mieux de ses intérêts pour l'arranger; qu'il est établi que l'assuré a homologué cette proposition en passant le nouveau contrat; que Klebek ne s'est jamais plaint des agissements de Jean-Michel Y..., qui, aux dires de la partie civile, aurait outrepassé ses droits; que X... a indiqué qu'il ne reconnaissait pas sa signature sur la lettre de résiliation, mais précise qu'il est assuré à la Mutuelle Régionale d'Assurances sur proposition de Jean-Michel Y..., à qui il ne fait aucun reproche; que l'absence de mémoire de M. X... ne suffit pas à rapporter la preuve que ce document soit un faux; que Traore et Torcy ne se plaignent aucunement de la résiliation de leur police et ne font, eux non plus, aucun grief à Jean-Michel Y...; que Maria a indiqué ne pas avoir demandé la résiliation de sa police, mais que la compagnie n'a pas cru devoir tenir compte de cette demande faite à tort, alors que Jean-Michel Y... considérait agir au mieux des intérêts de sa cliente, qui ne se plaint nullement de la situation; que Pozega a déclaré ne pas avoir signé la lettre de résiliation, mais a déclaré avoir souhaité s'assurer auprès d'une autre compagnie quand il a été informé par la partie civile du fait que Jean-Michel

Y... n'était plus mandataire; que, dans sa déposition, Pozega manifeste lui aussi une volonté précise de changer de compagnie, et ne fait, lui non plus, aucun grief à Jean-Michel Y...; que la compagnie Le Continent ne rapporte aucunement la preuve d'un préjudice découlant des dossiers de résiliation rédigés et signés par le prévenu (arrêt p. 4 à 6);

"1°) - alors, d'une part, que l'apposition, sur un écrit destiné à produire des effets juridiques, d'une fausse signature constitue un faux matériel, susceptible de porter préjudice à un tiers; que, dès lors qu'elle constatait que Jean-Michel Y... avait faussement signé du nom de Landes le formulaire de résiliation qu'il a adressé à la compagnie Le Continent à l'insu de ce dernier, ce dont il résultait que Jean-Michel Y... savait, par ses fonctions, le préjudice que la perte d'un assuré pouvait causer à la compagnie, la Cour ne pouvait refuser de considérer que la lettre de résiliation constituait un faux;

"2°) - alors, d'autre part, qu'il suffit, pour tomber sous la qualification de faux, que l'altération de la vérité, commise dans un écrit destiné à produire des effets de droit, ait été seulement susceptible de causer un préjudice à autrui, quel qu'il soit; que la Cour, énonçant, d'une part, que les assurés Landes, Klebek, X..., Traore, Torcy, Maria et Pozega ne formulaient aucun reproche à l'encontre de Jean-Michel Y..., et, d'autre part, que la compagnie Le Continent ne rapportait pas la preuve d'un préjudice découlant des dossiers de résiliation, la Cour a subordonné l'existence du délit de faux à la double condition, non exigée par les textes qu'elle a par là même violés, de l'existence de préjudices effectivement subis non seulement par les assurés, mais encore par la compagnie, celui de la compagnie devant lui-même résulter, de façon médiate, de celui subi par les assurés;

"3°) - alors, enfin, que le délit d'usage de faux se caractérise par l'application de l'acte falsifié à l'emploi auquel il est destiné, en toute connaissance de sa fausseté, et en toute conscience du préjudice susceptible d'en résulter; que, dès lors qu'il résultait, tant de ses propres constatations que de l'exposé des faits des premiers juges, auquel elle s'est expressément référée, que Jean-Michel Y... avait personnellement expédié à la compagnie Le Continent les lettres de résiliation qu'il avait lui-même rédigées, ou tout à la fois faussement signées, en toute connaissance du préjudice qui était susceptible d'en résulter pour la compagnie, la Cour n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres énonciations, en se refusant à déclarer constitué le délit d'usage de faux en écritures privées";

Vu lesdits articles, ensemble l'article 441-1 du Code pénal ;

Attendu que constitue un faux toute altération frauduleuse de la vérité, de nature à causer un préjudice, dans un document qui a pour objet ou qui peut avoir pour effet d'établir la preuve d'un droit ou d'un fait ayant des conséquences juridiques;

Attendu que tout jugement ou arrêt doit comporter les motifs propres à justifier la décision; que l'insuffisance ou la contradiction des motifs équivaut à leur absence;

Attendu qu'il résulte de l'arrêt et du jugement entrepris qu'après avoir été suspendu de ses fonctions d'agent général de la compagnie d'assurances Le Continent, Jean-Michel Y... a lui-même signé à la place de plusieurs clients de cette compagnie, puis adressé à cette dernière par plis recommandés, des formulaires de résiliation de leurs contrats;

Attendu que, pour renvoyer le prévenu des fins de la poursuite et débouter la compagnie Le Continent de ses demandes, l'arrêt attaqué se borne à énoncer que Jean-Michel Y... a agi au mieux des intérêts de ses clients, qui ne lui font aucun reproche, et que la partie civile "ne rapporte aucunement la preuve d'un préjudice découlant des dossiers de résiliation rédigés et signés par le prévenu";

Mais attendu qu'en prononçant ainsi, la cour d'appel, qui ne pouvait, sans se contredire, constater que le prévenu avait apposé de fausses signatures sur des formulaires de résiliation de contrats d'assurance, et exclure l'existence d'un préjudice, fût-il éventuel, causé à la compagnie auprès de laquelle ces contrats avaient été souscrits, et qui a omis de statuer sur l'usage de faux reproché au prévenu par l'ordonnance de renvoi, n'a pas donné de base légale à sa décision;

D'où il suit que la cassation est encourue ;

Par ces motifs,

CASSE ET ANNULE l'arrêt susvisé de la cour d'appel de Paris, en date du 11 mai 1995, en ses seules dispositions civiles, toutes autres dispositions étant expressément maintenues;

Et, pour qu'il soit à nouveau jugé conformément à la loi, dans les limites de la cassation ainsi prononcée,

RENVOIE la cause et les parties devant la cour d'appel de Versailles, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil;

ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour d'appel de Paris et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement annulé.