Cass. crim., 27 juin 2018, n° 17-84.964
COUR DE CASSATION
Arrêt
Cassation
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Soulard
Rapporteur :
Mme Planchon
Avocat général :
M. Mondon
Avocat :
SCP Spinosi et Sureau
Vu le mémoire produit ;
Attendu qu'il résulte de l'arrêt et des pièces de procédure qu'à la suite d'un signalement de la société Base de Garancières, filiale du groupe Intermarché ayant pour objet d'entreposer, de livrer, d'acheter, de céder et de disposer de tous produits susceptibles d'être vendus dans les magasins de l'enseigne, l'enquête et l'information diligentées ont permis d'établir que MM. Daniel A... et Joël B..., respectivement chef de base et responsable de la sécurité de la base, avaient mis en place un système de corruption en contraignant les entreprises souhaitant obtenir des marchés à effectuer des paiements occultes en leur faveur, en contrepartie desquels lesdites entreprises pratiquaient la surfacturation ; qu'ainsi, la société de sécurité Magg Sécurité, dont le directeur général adjoint est M. X..., a obtenu un contrat auprès de la société Base de Garancières en versant une somme de 250 000 euros, correspondant à "un droit d'entrée", aux dirigeants de la seconde, puis en effectuant des versements mensuels, sous forme d'espèces d'environ 30 000 euros, et enfin en finançant diverses prestations en faveur des dirigeants de la société Base de Garancières ; qu'en contrepartie de ces paiements, la société Magg Sécurité a surfacturé certaines prestations aux fins de se dédommager ; qu'à l'issue de l'information, M. X..., tout comme deux autres chefs d'entreprise, a été renvoyé devant le tribunal correctionnel pour avoir entre le 1er mai 2001 et le 30 juin 2002, d'une part, en employant des manoeuvres frauduleuses, en l'espèce en participant à l'élaboration de fausses facturations et de prestations non effectuées, trompé la Base Intermarché de Garancières et diverses sociétés pour les déterminer à remettre des sommes d'argent et se faire offrir des avantages (soirées, restaurants, prostituées), avec cette circonstance que les faits ont été commis en bande organisée, d'autre part, proposé directement ou indirectement, des offres, promesses, dons présents ou des avantages quelconques pour obtenir des dirigeants et employés de la Base Intermarché de Garancières, exerçant, dans le cadre d'une activité professionnelle ou sociale, une fonction de direction ou un travail pour une personne physique ou morale, ou un organisme quelconque, qu'ils accomplissent ou s'abstiennent d'accomplir, en violation de leurs obligations légales, contractuelles ou professionnelles, des actes de leur activité ou de leurs fonctions ou facilitées par leurs activités ou leurs fonctions, en versant des sommes d'argent en contrepartie de l'obtention et/ou du maintien des contrats d'entretien ou de service, enfin été complice du délit d'escroquerie en bande organisée en permettant l'acquisition de marchandises à vil prix au moyen de trois lettres de voiture des 20,28 et 29 septembre 2001 au préjudice de la base Intermarché de Garancières ; que, par jugement en date du 13 avril 2015, M. X... a été relaxé du chef de complicité d'escroquerie, déclaré coupable des autres chefs de poursuite, et condamné pénalement ; qu'il a interjeté appel de cette décision ;
En cet état ;
Sur le premier moyen de cassation, pris en violation des articles 463, 485, 512, 591 et 593 du code de procédure pénale ;
"en ce que la cour d'appel, rejetant la demande de supplément d'information présentée devant elle avant dire droit, a reconnu M. Frédéric X... coupable de corruption active et d'escroquerie et l'a condamné à une peine d'emprisonnement assortie d'un sursis ainsi qu'à une peine d'amende ;
"aux motifs que sur l'exception in limine litis, la cour à l'issue des débats estime être suffisamment informée des faits reprochés et rejettera dès lors la demande de supplément d'information non indispensable à la manifestation de la vérité » ;
"alors que tout jugement ou arrêt devant être motivé à peine de nullité, le tribunal correctionnel ne saurait, pour refuser une demande de supplément d'information, se fonder sur des motifs insuffisants ou inopérants ; qu'en l'espèce, la cour d'appel ne pouvait pas fonder son refus d'ordonner un supplément d'information sur une motivation manifestement insuffisante consistant en des généralités et des affirmations péremptoires, exempte de toute référence à l'espèce" ;
Attendu que l'opportunité d'ordonner un supplément d'information est une question de pur fait qui ne relève pas du contrôle de la Cour de cassation ;
D'où il suit que le moyen ne peut qu'être écarté ;
Sur le troisième moyen de cassation, pris en violation des articles 6 de la Convention européenne des droits de l'homme, 111-2, 111-3, 111-4, 313-1 du code pénal, préliminaire, 388, 427, 485, 512, 591 et 593 du code de procédure pénale ;
"en ce que la cour d'appel a reconnu M. Frédéric X... coupable d'escroquerie et l'a condamné à une peine d'emprisonnement assortie d'un sursis ainsi qu'à une peine d'amende ;
"aux motifs que s'agissant des faits d'escroquerie en bande organisée, sur les surfacturations, M. X... a affirmé ne pas être au fait des agissements des employés de la base et a soutenu que toutes les prestations complémentaires facturées par MAGG Sécurité étaient justifiées ; que toutefois plusieurs employés ont indiqué que les factures comportant des prestations complémentaires étaient fausses car aucun véhicule n'avait été mis à disposition ; que la société MAGG Sécurité comme les autres prestataires a bénéficié du système mis en place pour « récupérer » par de fausses facturations les sommes versées dans le cadre des faits de corruption ; que toutefois la période de prévention étant située entre le 1er mai 2001 et le 30 juin 2002 et la loi sur les escroqueries en bande organisée étant du 10 mars 2004, seuls les faits d'escroquerie peuvent être retenus ; que la cour infirmera dès lors partiellement le jugement de ce chef déclarera coupable le prévenu de faits d'escroquerie » ;
"1°) alors que lorsque des juges répressifs sont amenés à requalifier les faits dont ils sont saisis, ils doivent donner la possibilité au prévenu de présenter sa défense sur la nouvelle qualification envisagée ; qu'en l'espèce, la cour d'appel ne pouvait requalifier l'infraction d'escroquerie en bande organisée en escroquerie sans inviter M. X... à présenter sa défense sur la nouvelle qualification ainsi retenue ;
"2°) alors que l'escroquerie est le fait, soit par l'usage d'un faux nom ou d'une fausse qualité, soit par l'abus d'une qualité vraie, soit par l'emploi de manoeuvres frauduleuses, de tromper une personne physique ou morale et de la déterminer ainsi, à son préjudice ou au préjudice d'un tiers, à remettre des fonds, des valeurs ou un bien quelconque, à fournir un service ou à consentir un acte opérant obligation ou décharge ; qu'en l'espèce, la cour d'appel ne pouvait déclarer M. X... coupable d'escroquerie sans constater que les manoeuvres par lui accomplies auraient été déterminantes des remises de fonds" ;
Sur le moyen, pris en sa première branche ;
Attendu que le prévenu, poursuivi pour escroquerie en bande organisée, ne saurait se faire grief d'avoir été condamné seulement du chef d'escroquerie, la bande organisée n'étant une circonstance aggravante de l'escroquerie que depuis la loi n° 2004-204 du 9 mars 2004, postérieure aux faits reprochés commis en 2001 et 2002 et ne pouvait donc être retenue par les juges ainsi que l'a requis le ministère public à l'audience ;
D'où il suit que le grief ne saurait être admis ;
Sur le moyen, pris en sa seconde branche ;
Attendu que, pour déclarer M. X... coupable du délit d'escroquerie, l'arrêt énonce, notamment, que la société MAGG Sécurité comme les autres prestataires a bénéficié du système mis en place pour "récupérer" par de fausses facturations les sommes versées dans le cadre des faits de corruption ;
Attendu qu'en prononçant ainsi, par des motifs dont il résulte que les manoeuvres frauduleuses, caractérisées par l'établissement de fausses factures par la société Magg sécurité ont été déterminantes de la remise des sommes correspondantes, la cour d'appel a justifié sa décision ;
D'où il suit que le moyen ne peut qu'être écarté ;
Mais sur le deuxième moyen de cassation, pris en violation des articles 111-2, 111-3, 111-4, 112-1 du code pénal, L. 152-6 ancien du code du travail, 427, 485, 512, 591 et 593 du code de procédure pénale ;
"en ce que la cour d'appel a reconnu M. Frédéric X... coupable de corruption active et l'a condamné à une peine d'emprisonnement assortie d'un sursis ainsi qu'à une peine d'amende ;
"aux motifs que s'agissant des faits de corruption active,
il est établi par l'information que M. X... a effectué plusieurs virements sur les comptes de MM. Daniel A... et Joël B... ; que selon les documents fournis par l'expert comptable de MAGG Sécurité, il a « sorti » 270 000 francs de la société MAGG ; que ces sommes ont été remises en contrepartie de l'obtention ou du maintien des contrats ; que l'avocat du prévenu affirme que M. X... n'était pas responsable de la société MAGG Sécurité, qu'il n'a pas participé à l'élaboration des factures de cette société et n'a pas été chargé de mettre en place les agents de sécurité ; qu'il ajoute qu'il ne s'est fait remettre aucune somme d'argent et n'a pas bénéficié d'avantages ; qu'au surplus il ajoute qu'il doit bénéficier de l'excuse du fait justificatif car il a agi sous des pressions ; que la cour relève tout d'abord que M. X... ne peut pas contester les différentes remises à MM. Daniel A... et Joël B... pour obtenir le contrat ; qu'il est d'abord intervenu pour débloquer la situation avec IPSA puis a obtenu les contrats pour la société MAGG Sécurité en versant régulièrement des fonds aux dirigeants ; que M. X... travaille depuis 1976 dans le milieu de la sécurité, il connaît les pratiques et a eu intérêt à ce que la société bénéficie du marché avec la base de Garancières ; que même si cet intérêt est indirect, il est suffisant pour caractériser les faits de corruption active reprochés ; que plus il a offert des soirées à MM. Daniel A..., Joël B... et au gendarme Robert toujours dans le même but ; que le fait que M. X... ne soit pas dirigeant de droit de la société MAGG Sécurité n'a pas d'incidence sur sa propre responsabilité pénale et l'excuse alléguée du fait justificatif n'est pas sérieuse, M. X..., aguerri dans ce secteur d'activité, a agi en connaissance de cause et en sachant parfaitement que ce qu'il faisait était illégal ; que le délit qui lui est reproché est constitué ; que la décision du tribunal sur la culpabilité sera confirmée » ;
"alors qu'aux termes du texte d'incrimination applicable à l'époque des faits objet de la prévention, le délit de corruption consistait dans le fait, par tout directeur ou salarié, de solliciter ou d'agréer, directement ou indirectement, à l'insu et sans l'autorisation de son employeur, des offres ou des promesses, des dons, présents, escomptes ou primes pour accomplir ou s'abstenir d'accomplir un acte de sa fonction ou facilité par sa fonction ; qu'en l'espèce, en retenant M. X... dans les liens de la prévention du chef de corruption active en application de ce texte sans relever que l'offre ou la remise de dons aurait été faite à l'insu de l'employeur, la cour d'appel n'a pas caractérisé le délit en tous ses éléments constitutifs" ;
Vu l'article 112-1 du code pénal ;
Attendu qu'une loi pénale modifiant une incrimination ne peut s'appliquer à des faits commis antérieurement à sa promulgation et non encore définitivement jugés lorsqu'elle modifie les éléments de cette incrimination dans un sens défavorable au prévenu ;
Attendu que, pour déclarer M. X... coupable du délit de corruption active d'agent privé, l'arrêt prononce par les motifs repris au moyen ;
Mais attendu qu'en statuant ainsi, alors qu'à l'époque des faits, ce délit était prévu par l'article L. 156 du code du travail qui comportait des éléments constitutifs différents dans un sens plus favorable au prévenu, notamment la condition que les faits soient commis à l'insu et sans l'autorisation de l'employeur, la cour d'appel a méconnu le texte susvisé et le principe ci-dessus rappelé ;
D'où il suit que la cassation est encourue de ce chef ;
Par ces motifs, et sans qu'il soit nécessaire d'examiner le dernier moyen de cassation proposé ;
CASSE et ANNULE l'arrêt susvisé de la cour d'appel de Versailles, en date du 5 juillet 2017, mais en ses seules dispositions relatives au délit de corruption active et aux peines, toutes autres dispositions étant expressément maintenues ;
Et pour qu'il soit à nouveau statué, conformément à la loi, dans les limites de la cassation ainsi prononcée,
RENVOIE la cause et les parties devant la cour d'appel de Versailles, autrement composée, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;
ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour d'appel de Versailles et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement annulé.