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Décisions

Cass. crim., 1 octobre 2019, n° 19-84.536

COUR DE CASSATION

Arrêt

Rejet

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Soulard

Rapporteur :

M. Violeau

Avocat général :

M. Lemoine

Avocats :

SARL Meier-Bourdeau, Lécuyer et associés, SCP Gadiou et Chevallier, SCP Nicolaý, de Lanouvelle et Hannotin, SCP Ortscheidt, SCP Piwnica et Molinié

Amiens, du 25 juin 2019

25 juin 2019


Faits et procédure

1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure ce qui suit.

2. La société Etablissements R... Q... (société Q...) et la société Tiwy, l'une de ses filiales, représentées par M. Q..., ont eu recours à du financement bancaire à court terme dans le cadre de contrats d'affacturage mis en place par la banque Delubac et Cie (banque Delubac). La société Tiwy a fait l'objet, le 13 janvier 2012, d'une procédure de redressement judiciaire, convertie en liquidation judiciaire le 9 mars 2012. La société Q... a, quant à elle, été placée en redressement judiciaire le 24 février 2012, et après une cession partielle, a fait l'objet, le 7 mai 2013, d'un plan de continuation.

3. Le 13 novembre 2013, une première information judiciaire a été ouverte, sur la plainte de la banque Delubac, contre M. Q... du chef de tentative d'extorsion de fonds en bande organisée. Une seconde information judiciaire a été ouverte le 30 décembre 2013, sur la plainte de M. T... exerçant sous l'enseigne O... T... , pour faux et usage de faux, concernant quatre factures émises par la société Q... dont le paiement lui était réclamé par la banque Delubac. Enfin, après enquête préliminaire, le procureur de la République a ouvert, le 21 février 2014, une troisième information judiciaire des chefs de faux et usage de faux, escroqueries et blanchiment de fraude fiscale, consécutivement à un signalement des commissaires aux comptes des deux sociétés et de leur refus de certification des comptes au 31 janvier 2012, en raison d'irrégularités fiscales.

4. Le 2 janvier 2016, le juge d'instruction a ordonné la jonction de ces trois informations judiciaires. Dans ce cadre, M. Q... a été mis en examen, le 19 avril 2016, des chefs de faux, usage de faux et escroquerie.

5. Par ordonnance du 5 octobre 2018, le magistrat instructeur a notamment dit n'y avoir lieu à suivre contre M. Q... du chef d'escroquerie et, après avoir requalifié les faits de faux et d'usage de faux en recel de faux, l'a renvoyé de ces chefs devant le tribunal correctionnel.

6. La banque Delubac, partie civile, a relevé appel de cette décision.

Examen des moyens

Sur le premier moyen

Enoncé du moyen

7. Le moyen est pris de la violation des articles 85, 86, 441-1 du code pénal, des articles 6, § 1 de la Convention européenne des droits de l'homme et de l'article préliminaire du code de procédure pénale et 593 du code de procédure pénale, défaut de motif et manque de base légale.

8. Le moyen critique l'arrêt attaqué "en ce qu'il a, après avoir annulé l'ordonnance de non-lieu partiel rendue par le juge d'instruction le 5 octobre 2018, dit qu'il ne résultait pas à l'encontre de M. Q... des charges suffisantes d'avoir commis le délit de faux et usage de faux au préjudice de la société Banque Delubac, partie civile" ;

"1°/ alors que la chambre de l'instruction ne peut relever d'office un moyen sur le fond du droit sans avoir invité au préalable les parties à présenter leurs observations ; qu'en déclarant d'office qu'il n'y avait pas lieu de suivre à l'encontre de M. Q... des chefs de faux et usage commis au préjudice de la société Banque Delubac, partie civile, motif pris que « la qualification d'escroquerie rend compte des faits à elle seule, les manoeuvres visées recouvrant les faits de faux matériels et intellectuels et l'usage de ces faux », sans avoir invité au préalable cette partie civile à débattre de ce moyen qui portait sur le fond du droit, la chambre de l'instruction a violé les textes visés au moyen ;

"2°/ alors que la chambre de l'instruction ne peut statuer au-delà de l'examen des charges incombant à la juridiction d'instruction ; qu'en prononçant un non-lieu des chef de faux et usage, au motif que « la qualification d'escroquerie rend compte des faits à elle seule, les manoeuvres visées recouvrant les faits de faux matériels et intellectuels et l'usage de ces faux », quand il ne lui appartenait pas de se prononcer sur la question d'un éventuel concours réel d'infractions, la chambre de l'instruction, qui est allée au-delà du rôle d'examen des charges incombant à la juridiction d'instruction, n'a pas légalement justifié sa décision au regard des textes visés au moyen et son arrêt ne satisfait pas aux conditions essentielles de son existence légale ;

"3°/ alors que tout arrêt de la chambre de l'instruction doit comporter les motifs propres à justifier la décision ; que l'insuffisance ou la contradiction des motifs équivaut à leur absence ; que les faits d'escroquerie, matérialisés par des manoeuvres frauduleuses relevant de l'emploi de fausses factures et de leur usage au détriment de la banque Delubac, constituaient deux qualifications applicables concurremment ; qu'en prononçant comme elle l'a fait, au motif que « la qualification d'escroquerie rend compte des faits à elle seule, les manoeuvres visées recouvrant les faits de faux matériels et intellectuels et l'usage de ces faux », quand les qualifications de faux et usage et d'escroquerie étaient applicables concurremment, la chambre de l'instruction a statué par des motifs inopérants, de sorte que son arrêt n'est pas légalement justifié au regard des textes visés au moyen et ne satisfait pas aux conditions essentielles de son existence légale".

Réponse de la Cour

Sur le premier moyen pris en sa première branche

9. La demanderesse ne saurait faire grief aux juges du second degré d'avoir retenu l'absence de charges suffisantes des chefs de faux et usage de faux à son préjudice, sans l'avoir invitée au préalable à présenter ses observations, dès lors qu'un tel examen des charges résultait de l'effet dévolutif de l'appel attaché à l'ordonnance de règlement et que la partie civile ne pouvait ignorer.

10. Ainsi, le grief ne saurait être admis.

Sur le premier moyen pris en ses deuxième et troisième branches

11. Pour dire n'y avoir lieu à suivre des chefs de faux et d'usage de faux, et pour renvoyer le prévenu devant le tribunal correctionnel du chef d'escroquerie, l'arrêt énonce notamment que les sociétés Q... et Tiwy ont présenté à l'affacturage des factures ne correspondant à aucune commande ou aucune livraison, ou des factures payables par compensation de créances, après avoir été pour certaines frauduleusement revêtues de la signature et/ou du cachet du débiteur pour valoir aval de cette facturation.

12. Les juges retiennent que ces fausses factures ont déterminé la banque Delubac à verser en sa qualité de factor aux deux sociétés des sommes d'argent, à son préjudice, puisqu'elle n'a pu récupérer les sommes avancées, les débiteurs cédés contestant la facturation ou le caractère exigible des sommes.

13. Ils en déduisent qu'il existe à l'encontre de M. Q... des charges suffisantes pour s'être livré à une escroquerie, cette qualification suffisant à rendre compte des faits, les manoeuvres visées recouvrant les faits de faux matériels et intellectuels et l'usage de ces faux pour lesquels il a été mis en examen.

14. En l'état de ces énonciations, la chambre de l'instruction a justifié sa décision, dès lors qu'elle a souverainement apprécié, par des motifs exempts d'insuffisance comme de contradiction, l'existence de charges suffisantes justifiant le renvoi de M. Q... du seul chef d'escroquerie, les manoeuvres frauduleuses incluant les faits de faux et usage.

15. Ainsi, le moyen doit être écarté.

Sur le second moyen

Enoncé du moyen

16. Le moyen est pris de la violation des articles 85, 86, 121-5, 312-1, 312-9 du code pénal et 593 du code de procédure pénale, défaut de motif et manque de base légale.

17. Le moyen critique l'arrêt attaqué "en ce qu'il a, après avoir annulé l'ordonnance de non-lieu partiel rendue par le juge d'instruction le 5 octobre 2018, dit qu'il ne résultait pas à l'encontre de M. Q... des charges suffisantes d'avoir commis le délit de tentative d'extorsion de fonds en bande organisée au préjudice de la société banque Delubac, partie civile" ;

"1°) alors que la juridiction d'instruction régulièrement saisie d'une plainte avec constitution de partie civile a le devoir d'instruire, quelles que soient les réquisitions du ministère public ; que cette obligation ne cesse, suivant les dispositions de l'alinéa 4 de l'article 86, que si, pour des causes affectant l'action publique elle-même, les faits ne peuvent comporter légalement une poursuite ou si, à supposer les faits démontrés, ils ne peuvent admettre aucune qualification pénale ; que la société banque Delubac a porté plainte avec constitution de partie civile du chef d'extorsion de fonds en bande organisée en mettant en cause, outre M. Q..., les sociétés débiteurs cédés en vertu du contrat d'affacturage la liant aux sociétés Etablissements Q... et Tiwy ; que dans son mémoire, la plaignante faisait valoir que l'ordonnance entreprise ne répondait pas « utilement aux questions posées s'agissant de l'infraction de tentative d'extorsion de fonds en bande organisée commise par les sociétés étrangères » et par M. Q..., et demandait à la chambre de l'instruction d'ordonner la poursuite de l'information ; qu'en statuant comme elle l'a fait, après avoir annulé l'ordonnance de non-lieu partiel, faute pour le juge d'instruction d'avoir vidé sa saisine sur les faits d'extorsion de fonds en bande organisée, sans avoir vérifié, par une information préalable, la réalité des faits dénoncés dans la plainte, la chambre de l'instruction a violé les textes visés au moyen ;

"2°/ alors que la résistance de la victime ou l'impossibilité matérielle d'obtenir le résultat escompté sont des circonstances indépendantes de la volonté de l'auteur ; qu'en statuant comme elle l'a fait, motif pris que la tentative dénoncée « n'apparaît pas avoir manqué ses effets en raison de circonstances indépendantes de la volonté de M. Q... mais bien parce que ses interlocuteurs étaient en position de résister à ses demandes : que Serge et Joël-Alexis Bialkiewicz, dirigeants de la banque, n'ont jamais soutenu dans leurs auditions avoir dû sérieusement envisager de céder aux exigences de leur client », quand la résistance ou le refus de la partie civile constituait une circonstance indépendante de la volonté de M. Q..., la chambre de l'instruction, qui a statué par des motifs inopérants, n'a pas légalement justifié sa décision et son arrêt ne satisfait pas aux conditions essentielles de son existence légale".

Sur le second moyen pris en sa première branche

18. La partie civile ne saurait se faire un grief de ce que la chambre de l'instruction n'a pas ordonné un supplément d'information, dès lors que l'opportunité d'une telle mesure relève de son pouvoir souverain d'appréciation.

19. D'où il suit que le grief ne peut être accueilli.

Sur le second moyen pris en sa seconde branche

20. Pour dire n'y avoir lieu à suivre du chef de tentative d'extorsion en bande organisée, l'arrêt énonce que les représentants de la banque ayant participé à la réunion du 10 novembre 2011 font état du fait que M. Q... a signalé s'être renseigné sur la situation de la banque et qu'elle n'avait d'autre choix que de le suivre, car il avait le pouvoir de faire payer les débiteurs cédés.

21. Les juges énoncent que l'argumentaire de M. Q..., tel que décrit par les représentants de la banque Delubac, ne pouvait suffire à lui seul à les déterminer à consentir de nouvelles lignes de crédit, ses interlocuteurs, rompus aux négociations financières, n'ayant jamais soutenu avoir envisagé sérieusement d'y céder et lui ayant fait signer à cette occasion de lourds engagements de caution personnelle.

22. En l'état de ces énonciations, la chambre de l'instruction, qui a répondu aux articulations essentielles du mémoire produit par la partie civile appelante, a justifié sa décision.

23. Dès lors, le moyen doit être écarté.

24. Par ailleurs l'arrêt est régulier en la forme .


PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi.