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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 4, 16 novembre 2022, n° 21/00623

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Cash Express Groupe (SAS)

Défendeur :

L&J (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Dallery

Conseillers :

Mme Brun-Lallemand, Mme Depelley

Avocats :

Me Boccon Gibod, Me Rivet, Me Teytaud, Me Bellet

T. com. Paris, du 25 nov. 2020, n° 20190…

25 novembre 2020

FAITS ET PROCEDURE

La SAS Cash Express Groupe (ci-après « CEG » ou « le franchiseur ») exerce une activité de commercialisation d'un concept d'achat/vente de produits d'occasion et dispose à ce titre d'une centaine de franchisés en France.

La SARLU L&J (ci-après « L&J » ou « le franchisé ») a pour activités principales l'achat et la vente de tout objet neuf ou d'occasion, et notamment de bijoux en métaux précieux.

Le 1er septembre 2014, la société CEG a conclu un contrat de franchise avec la société L&J par lequel cette dernière s'est vu concéder une exclusivité d'exploitation du concept Cash Express sur la zone géographique de [Localité 4] pour une durée de 7 ans.

En 2017, le franchisé a envisagé l'implantation d'un second magasin dans le secteur de [Localité 8] et sollicité son franchiseur aux fins de conclure un nouveau contrat de franchise et d'agréer un local pour l'exercice de cette nouvelle activité.

Deux locaux ont été successivement proposés par la société L&J à son partenaire : le premier a reçu l'agrément de la société CEG mais s'est avéré indisponible, le second a été refusé au motif qu'il n'aurait pas respecté les critères de la franchise.

Par ailleurs, la société L&J souhaitait que soit signé un avenant au contrat du 1er septembre 2014 pour en prolonger la durée afin que son terme coïncide avec celui du contrat en discussion, ce que la société CEG refusait.

Par lettre recommandée avec accusé de réception du 8 janvier 2018, le franchisé a finalement notifié la résiliation le contrat de franchise initial en se prévalant d'une stipulation contractuelle et payé à son cocontractant le solde de redevance dû jusqu'à son terme.

Un échange de courriers s'en est suivi au cours duquel les parties ont exposé leur point de vue respectif sur les motifs de la résiliation et la portée de la stipulation, sans aboutir à une résolution amiable de leur litige.

Par acte extrajudiciaire du 20 décembre 2018, la société CEG a assigné la société L&J devant le tribunal de commerce de Paris pour demander l'indemnisation d'un préjudice résultant de cette résiliation qu'elle qualifie de fautive.

Par jugement du 25 novembre 2020, le tribunal de commerce de Paris a :

- débouté SAS Cash Express Groupe de toutes ses demandes,

- condamné SAS Cash Express Groupe à payer à SARLU L&J la somme de 5.000 € au titre de l'article 700 CPC,

- ordonné l'exécution provisoire de la décision,

- condamné SAS Cash Express Groupe aux dépens, dont ceux à recouvrer par le greffe, liquidés à la somme de 74,50 € dont 12,20 €de TVA.

Vu les dernières conclusions de la société CEG, déposées et notifiées le 20 juin 2022, par lesquelles il est demandé à la Cour de :

Vu les articles 1156, 1161, 1134, 1152 (anciens) du code civil,

Juger CEG recevable et bien fondé en son appel,

En conséquence,

Infirmer le jugement rendu en ce qu'il :

- débouté SAS Cash Express Groupe de toutes ses demandes,

- condamné SAS Cash Express Groupe à payer à SARLU L&J la somme de 5.000 € au titre de l'article 700 CPC,

- ordonné l'exécution provisoire de la décision,

-condamné SAS Cash Express Groupe aux dépens, dont ceux à recouvrer par le greffe, liquidés à la somme de 74,50 € dont 12,20 € de TVA.

Et, statuant à nouveau,

Juger que la résiliation du contrat de franchise à l'initiative de L&J est fautive et constitutive d'une faute contractuelle lui étant imputable ;

Condamner L&J au paiement de la somme de 56.710,95 € correspondant à l'indemnité forfaitaire prévue par la clause pénale de l'article 15.4 du contrat de franchise ;

Condamner la société L&J à payer à CEG la somme totale de 231.320 € (deux cent trente- et-un mille trois cent vingt euros), avec intérêt au taux légal à compter de l'assignation, décomposée de la manière suivante :

- 162.600 € (cent soixante-deux mille six cents euros), au titre de perte de chiffre d'affaires résultant de la non-commercialisation de la zone de [Localité 4] du 14 mars 2018 à ce jour ;

-18.720 € (dix-huit mille sept cent vingt euros), au titre de la perte de chance de commercialiser la zone de [Localité 4] courant de ce jour au 13 mars 2023 ;

- 50.000,00 € (cinquante mille euros) en réparation de l'atteinte à l'image du réseau.

Sur l'article 700 du Code de procédure civile,

Infirmer le jugement en ce qu'il a condamné CEG à payer la somme de 5.000 € à L&J au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

Et, statuant à nouveau,

Condamner la société L&J à payer à CEG la somme de 20.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

Condamner la société L&J à supporter les entiers dépens.

Vu les dernières conclusions de la société L&J, déposées et notifiées le 24 juin 2022, par lesquelles il est demandé à la Cour de :

Vu les articles 1101, 1134, 1147, 1149, 1156, 1162, 1315, 1382 du Code civil, dans leur version applicable aux faits de l'espèce, antérieure à l'ordonnance n° 2016-131 du 16 février 2016,

Confirmer le jugement de première instance en ce qu'il a débouté CEG de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions,

Condamner CEG à payer à la société L&J une somme de 15.000 € au titre de l'article 700 du Code de procédure civile en cause d'appel, en plus de la somme de 5.000 euros allouée sur ce fondement en première instance,

Condamner CEG aux entiers dépens.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 28 juin 2022.

La Cour renvoie à la décision entreprise et aux conclusions susvisées pour un exposé détaillé du litige et des prétentions des parties, conformément à l'article 455 du code de procédure civile.

MOTIVATION

Sur la résiliation du contrat.

Aux termes de l'article 1134 du code civil, dans sa version antérieure à l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, applicable en l'espèce, les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites et doivent être exécutées de bonne foi ; elles peuvent être interprétées conformément aux articles 1156 et suivants du même code.

Le 1er septembre 2014, la société CEG a conclu un contrat de franchise avec la société L&J pour une durée déterminée de 7 ans moyennant une redevance mensuelle de 1.000 € HT la première année, puis 1.300 € HT jusqu'au terme du contrat, en contrepartie d'une exclusivité d'exploitation d'un point de vente sous l'enseigne Cash Express, et de la transmission du savoir-faire y afférent, sur une zone géographique délimitée par la ville de [Localité 4].

L'article 15.4 du contrat de franchise prévoit que : « Dans l'hypothèse où le contrat de franchise serait rompu du fait du franchisé, y compris dans l'hypothèse de la perte du droit au bail avant l'échéance, le franchisé s'engage à payer au franchiseur une somme destinée à compenser le manque à gagner du franchiseur. Cette somme sera égale au montant des dernières redevances permanentes dues au cours des douze derniers mois par le franchisé au franchiseur multipliée par le nombre d'années (et de mois au prorata) restant à courir jusqu'à l'échéance prévue à l'article 2 des présentes. En tout état de cause, cette somme ne saurait être inférieure à € 30000, (trente mille euros) ».

Le 8 janvier 2018, à la suite de pourparlers dont l'objet était l'ouverture par la société L&J d'un second point de vente sous l'enseigne Cash Express dans le secteur de [Localité 8], et devant l'impossibilité de s'accorder sur les conditions de cette nouvelle relation, la société L&J a notifié la résiliation anticipée du contrat de franchise du 1er septembre 2014 à effet du 11 février 2018, reprochant à son cocontractant de faire obstacle à son développement, et précisant faire application de l'article 15.4 du contrat.

Au titre de l'entrave à son développement, la société L&J reprochait à son franchiseur :

- premièrement, d'avoir refusé d'agréer le second local proposé par son cocontractant pour l'ouverture d'un nouveau magasin sous l'enseigne Cash Express à [Localité 8], alors même qu'elle avait validé un premier local finalement indisponible ;

- deuxièmement, d'avoir refusé le principe d'une modification de la durée du contrat de franchise initial pour l'harmoniser avec celle du contrat de franchise en discussion afin que les deux contrats aient le même terme ;

- troisièmement, d'avoir refusé, comme alternative aux deux exigences précédentes, de lui permettre d'exploiter le magasin envisagé sous une enseigne indépendante du réseau Cash Express en le déliant à ce titre de son obligation de non-concurrence.

La société CEG soutient :

- premièrement, que le refus d'agrément serait justifié par le non-respect des critères requis pour se conformer aux exigences du concept du franchiseur, qui n'aurait en toute hypothèse aucune obligation contractuelle de valider un nouveau local pour un franchisé déjà installé ;

- deuxièmement, que le refus d'aligner les durées serait justifié par le défaut de sens juridique et économique de cette exigence et n'aurait, en toute hypothèse, nullement besoin d'une quelconque justification puisque la modification des engagements réciproques relève de la liberté contractuelle ;

- troisièmement, qu'elle ne pouvait donner son accord à l'ouverture d'un second magasin indépendant du réseau Cash Express car le franchisé bénéficie du savoir-faire du franchiseur et ne peut l'exploiter sans contrepartie, au risque de l'exposer à une action en responsabilité des autres franchisés du réseau lésés par cette avantage concurrentiel.

Elle prétend en conséquence que la résiliation anticipée du contrat par la société L&J, sans motifs valables, est fautive, et qu'elle ne peut pas davantage être fondée sur l'article 15.4 du contrat de franchise qui ne prévoit aucun droit de résiliation au bénéfice de la société L&J mais expose les obligations du franchisé en cas de résiliation du contrat du fait de sa défaillance, que l'expression « du fait du franchisé » devrait donc être entendue comme synonyme de faute du franchisé.

La société L&J réplique :

- premièrement, que le refus d'agréer le second local proposé par le franchisé ne serait pas justifié dans la mesure où le franchiseur avait donné son agrément à un premier local alors même que ceux-ci présentaient des caractéristiques analogues ;

- deuxièmement, que l'harmonisation des durées des contrats aurait été déterminante pour le franchisé puisque, dans l'hypothèse d'un refus de renouvellement du premier contrat, la clause de non-concurrence du second l'aurait empêché de continuer à exploiter son premier fonds ;

- troisièmement, que la possibilité pour le franchiseur de donner son accord à l'exploitation d'un point de vente en dehors du réseau Cash Express était expressément prévu par l'article 16.1 du contrat de franchise.

Elle prétend que la société CEG a donc manqué à son obligation de bonne foi inhérente à toute relation contractuelle, et accentuée par le contrat de franchise dont le préambule prévoyait une « franche coopération » entre les partenaires, mais ne formule aucune demande découlant de ce moyen, qu'elle ne développe que pour justifier la résiliation anticipée du contrat, à laquelle elle soutient qu'en toute hypothèse l'article 15.4 s'applique.

Réponse de la Cour,

Les articles 2.2 et 3.1 du contrat de franchise limitent son objet à l'exploitation d'un seul magasin sous l'enseigne Cash Express pour une durée de sept ans à compter de sa signature, dès lors l'ouverture d'un second magasin et la modification de la durée du contrat initial impliquaient de nouveaux accords de volonté, lesquels relèvent de la liberté contractuelle, de sorte que le refus de la société CEG d'agréer le second local proposé par la société L&J et d'aligner le terme du contrat initial sur celui du contrat envisagé n'est pas fautif.

L'article 16.1 du contrat de franchise prévoit une obligation de non-concurrence du franchisé qui s'engage à ne pas exercer d'activité concurrente des magasins du réseau Cash Express pendant toute la durée du contrat, de sorte que le refus de la société CEG de permettre à la société L&J d'exploiter un magasin concurrent indépendamment du réseau Cash Express, quand bien même cette faculté discrétionnaire d'autorisation était précisée dans la clause, n'est pas davantage fautif.

Cependant, l'article 15.4 du contrat de franchise a vocation à s'appliquer dans toutes les hypothèses où le contrat serait rompu « du fait du franchisé », ce qui recouvre au sens littéral l'ensemble des situations où la rupture est la conséquence d'un fait émanant du franchisé, qu'il soit fautif ou fortuit, volontaire ou involontaire.

Ce sens littéral est corroboré par l'exemple de cas d'application de l'article renseigné par son rédacteur : « y compris dans l'hypothèse de la perte du droit au bail avant l'échéance », perte qui peut notamment résulter d'un congé avec refus de renouvellement, indépendamment de toute faute du preneur.

Il est donc exclu que le « fait du franchisé » soit synonyme de faute du franchisé comme le soutient la société CEG, et l'insertion de la clause au sein d'une partie intitulée « résiliation » du contrat, autant que les clauses qui l'entourent, ne permettent pas davantage de susciter un doute sur la commune intention des parties, de sorte que cette stipulation est claire et précise, et ne peut donner lieu à interprétation.

En conséquence, la société L&J a valablement considéré que l'article 15.4 du contrat de franchise est applicable à la résiliation unilatérale dont elle a pris l'initiative, sans qu'il soit nécessaire de déterminer si cette résiliation du fait du franchisé est fautive ou non.

Le jugement sera confirmé sur ce point.

Sur les conséquences de la résiliation.

Il est constant que la société L&J a payé à la société CEG la somme de 67.135,20 euros correspondant au solde de redevances dues jusqu'au terme du contrat.

La société CEG soutient que l'article 15.4 du contrat de franchise est une clause pénale destinée à sanctionner un manquement du franchisé à ses obligations contractuelles au sens de l'article 1152 du code civil dans sa version applicable ; elle reconnaît que la société L&J s'y est partiellement conformée en lui payant la somme précitée qui correspond à sa perte de redevances, sauf en ce qu'elle a omis d'y appliquer l'indexation qu'elle aurait eu à supporter jusqu'au terme du contrat pour un montant de 1.474,95 euros, auquel il faut ajouter sa perte de contribution publicitaire prévue à l'article 9 du contrat pour un montant de 55.236 euros, soit un total de 56.710,95 euros.

Au surplus de cette somme, la société CEG « qui prétend que le forfait prévue à l'article 15.4 n'a pas été stipulée pour indemniser l'intégralité de son préjudice » demande la condamnation de la société L&J à lui payer la somme de 231.320 euros, avec intérêt au taux légal à compter de l'assignation, aux titres de sa perte de chiffre d'affaires résultant de la non-commercialisation de la zone de [Localité 4], de sa perte de chance de commercialiser cette zone dans les cinq années suivant la résiliation anticipé et de l'atteinte à l'image de son réseau.

La société L&J réplique que le principe de réparation intégrale du préjudice n'est pas applicable en matière de responsabilité contractuelle où la réparation est limitée au seul dommage prévisible lors de la conclusion du contrat aux termes de l'article 1150 du code civil dans sa version applicable, et que le seul dommage prévisible pour le franchisé était le forfait prévu à l'article 15.4 du contrat de franchise.

En outre, les chefs de préjudices développés par la société CEG font double emploi avec le paiement des redevances dues jusqu'au terme du contrat, ou ne sont pas démontrés dans leur principe ou dans leur montant.

Réponse de la Cour,

L'article 15.4 du contrat de franchise, applicable à la présente résiliation, en prévoit les conséquences financières pour le franchisé qui « ['] s'engage à payer au franchiseur une somme destinée à compenser le manque à gagner du franchiseur. Cette somme sera égale au montant des dernières redevances permanentes dues au cours des douze derniers mois par le franchisé au franchiseur multipliée par le nombre d'années (et de mois au prorata) restant à courir jusqu'à l'échéance prévue à l'article 2 des présentes. En tout état de cause, cette somme ne saurait être inférieure à € 30000, (trente mille euros) ».

La société L&J a payé à la société CEG la somme de 67.135,20 euros, soit 1.316,19 euros (moyenne des redevances des douze derniers mois) multipliés par 42,5 mois (du 12 février 2018 ou 31 août 2018) augmentés de la TVA à 20%, ce qui n'est pas contesté.

Ce paiement est conforme aux stipulations de l'article 15.4 qui ne prévoit ni la prise en compte de l'indexation, ni le paiement des contributions publicitaires, ni l'indemnisation d'un quelconque préjudice supplémentaire.

En toute hypothèse, la société CEG échoue à administrer la preuve des préjudices dont elle allègue :

- sa perte de chiffre d'affaires entre la date de la résiliation et le terme du contrat est déjà indemnisée par le paiement des redevances, et le lien de causalité entre sa perte de chiffre d'affaires au-delà de ce terme et la rupture anticipée du contrat n'est pas établi ;

- sa perte de chance de commercialiser la zone de [Localité 4] n'est pas davantage démontrée, pour les mêmes raisons ;

- son préjudice d'image n'est démontré ni dans son principe, ni dans son montant.

Dès lors, le jugement sera confirmé en ce qu'il a débouté la société CEG de ses demandes.

Sur les dépens et l'article 700 du code de procédure civile.

La société CEG, succombant en son appel, sera condamnée aux dépens.

En application de l'article 700 du code de procédure civile, la société CEG sera déboutée de sa demande et condamnée à verser à la société L&J la somme de 6.000 euros.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant publiquement par mise à disposition au greffe, par arrêt contradictoire et en dernier ressort,

Confirme le jugement,

Y ajoutant,

Condamne la société Cash Express Groupe aux dépens d'appel,

Condamne la société Cash Express Groupe à payer à la société L&J la somme de 6.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

Rejette toute autre demande.