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Décisions

Cass. crim., 11 février 2009, n° 08-81.822

COUR DE CASSATION

Arrêt

Rejet

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Dulin

Rapporteur :

Mme Canivet-Beuzit

Avocats :

SCP Peignot et Garreau, SCP Waquet, Farge et Hazan

Rennes, du 31 janv. 2008

31 janvier 2008

Sur le premier moyen de cassation, pris de la violation des articles 121-3, 121-6, 121-7, 313-1 du code pénal, 591 et 593 du code de procédure pénale, défaut et insuffisance de motifs, manque de base légale, violation de la loi ;

"en ce que l'arrêt confirmatif attaqué a déclaré Christian X... coupable de s'être rendu complice du délit d'escroquerie commis par Alain Z... en lui donnant des instructions de majorer les factures et des décomptes horaires et en signant, en sa qualité de directeur de la société MTBF, des bons de commande fictivement majorés au préjudice de la société SARL MTBF ;

"aux motifs qu'il convient de relever au premier chef qu'Alain Z... avait été présenté à Mme A... par l'intermédiaire de Christian X... dont il était l'ami et alors qu'il était le dirigeant de la société Rosalain afin de permettre à la société MTBF d'obtenir les marchés de maintenance de machines sur la région toulousaine où la société Rosalain était bien implantée ; que cette société devait en conséquence intervenir essentiellement comme prestataire de main d'oeuvre pour la réalisation de marchés obtenus dans cette région ; qu'en outre, Christian X... avait été recruté par Mme A... en qualité de directeur technique et commercial afin qu'il exerce un contrôle sur les conditions dans lesquelles l'intervention des sociétés sous-traitantes Rosalain et AMC effectuaient leur travail et notamment sur le point de savoir si le nombre d'heures qu'elle facturait était réel ou non puisque le système de paiement dit "en régie" que Christian X... avait mis en place, consistait en fait à payer l'entreprise sous traitante non pas sur la base d'un devis préalablement négocié entre les parties, mais au vu de la facture établie à partir d'un devis effectué une fois le travail exécuté ; qu'un tel système impliquait nécessairement qu'une surveillance et une vérification étroite et minutieuse des heures facturées soient effectuées par la société MTBF sur le nombre d'heures qui lui étaient facturées et que cette tâche incombait directement à Christian X... ; que l'information a révélé d'importantes surfacturations effectuées par la société Rosalain ; qu'il apparaît en effet que certains de ses salariés étaient sensés avoir effectué 106, voire même 119 heures de travail en une semaine ; qu'en tout état de cause, après vérification sur les bulletins de salaires il est apparu qu'un tel nombres d'heures n'avait jamais été, ni porté sur ces documents, ni payé aux salariés établissant ainsi la réalité de ces surfacturations ; que pour masquer encore davantage les dépassements d'horaires le dirigeant de cette société avait décidé de les globaliser sous couvert d'une prime appelée "prime d'activité" ; que surtout, Christian X... a pris la précaution d'ordonner à Mme B..., secrétaire de la société MTBF de détruire tous les devis émis par la société Rosalain ainsi que l'ensemble des décomptes horaires, sachant très bien qu'ainsi, la preuve de l'imputabilité et de sa culpabilité dans les faits qui lui sont reprochés serait d'autant plus difficile à faire ; que M. Z... a reconnu au terme de l'information qu'il s'était livré à ces surfacturations à la demande de Christian X... afin qu'il puisse lui rembourser un prêt de 50 000 francs qui lui avait été consenti et qu'il ne pouvait pas lui rendre, selon lui, sur ses deniers personnels ; que même si Christian X... a toujours déclaré qu'il n'avait jamais remboursé ce prêt et qu'il critiquait les aveux tardifs de M. Z... il n'en demeure pas moins que ceux-ci, qui ont été faits tardivement seulement parce qu'ils impliquaient sa participation aux faits délictueux en cause, n'en sont que davantage crédibles ; qu'en outre ils sont corroborés par les déclarations de Mme C... qui rapporte qu'elle avait été mise au courant des surfacturations mises en oeuvre par M. Z... à la demande de Christian X... ; qu'enfin mis en présence des nombres d'heures effectués par semaine par les salariés de la société Rosalain Christian X... n'a pu donner une explication crédible de tels dépassements ; qu'il convient de retenir Christian X... dans les liens de la prévention du délit de complicité d'escroquerie, confirmant en cela le jugement entrepris ;

"alors, d'une part, que la complicité d'escroquerie, qui requiert l'existence d'un fait positif, ne peut s'induire d'une simple inaction ou abstention ni d'une simple négligence professionnelle ; qu'en se bornant, après avoir caractérisé les faits positifs d'escroquerie commis par M. Z... au travers de la société Rosalain dont il est le dirigeant, à reprocher à Christian X... de ne pas avoir opéré une surveillance et une vérification des heures ainsi facturées par la société Rosalain et sans relever l'existence d'aucune instruction donnée par Christian X... à la société Rosalain ou à M. Z... afin de surfacturation, la cour d'appel n'a pas justifié légalement sa décision ;

"alors, d'autre part, que la complicité d'escroquerie par instruction implique l'existence d'ordres donnés par le complice à l'auteur de l'infraction principale ; qu'en se fondant sur les aveux de M. Z... desquelles il résultait que les surfacturations auraient été opérées à la demande de Christian X... afin qu'il puisse lui rembourser un prêt de 50 000 francs, cependant qu'elle relevait que le prêt en question n'avait pas été remboursé et que cette circonstance révélait l'absence d'instruction donnée par Christian X... à M. Z... pour commettre le délit puisque les sommes résultant de la surfacturation ne lui avaient pas été reversées, la cour d'appel n'a pas justifié légalement sa décision ;

"alors, enfin, que l'élément moral de la complicité implique la volonté du complice de laisser l'auteur principal accomplir une acte délictueux dont il sait qu'il se commet ; qu'en omettant de caractériser autrement que par la faute professionnelle reprochée à Christian X... l'élément intentionnel de la complicité par instruction reprochée, la cour d'appel n'a pas justifié légalement sa décision" ;

Sur le deuxième moyen de cassation, pris de la violation des articles 121-3, 441-1 du code pénal, 591 et 593 du code de procédure pénale, défaut et insuffisance de motifs, manque de base légale, violation de la loi ;

"en ce que l'arrêt confirmatif attaqué a déclaré Christian X... coupable de faux pour avoir falsifié quatre bons de commande datés du 31 mars 1999 au préjudice de la société SARL MTBF ;

"aux motifs que les dénégations de Christian X... relatives à la réalisation du délit de faux ne sont pas pertinentes ; qu'il ne lui appartenait pas en effet, devant le refus de Mme A... de signer les quatre bons de commande litigieux, de passer outre et de créer postérieurement quatre nouveaux bons de commande au seul motif que les travaux auxquels ils se rapportaient auraient été effectués ; qu'en se comportant ainsi, en présence du refus manifesté du dirigeant de la société MTBF d'accepter de signer ces bons de commandes, Christian X... a commis le délit de faux qui lui est reproché, dès lors qu'il ne pouvait ignorer qu'il portait un préjudice certain à cette société en engageant sa trésorerie contre la volonté de son dirigeant ; qu'il doit en conséquence être retenu dans les liens de la prévention de ce chef de poursuite ;

"alors, d'une part, que l'altération de la vérité se définit comme l'action ayant pour résultat de rendre le document non conforme à la réalité ; qu'en énonçant que Christian X... ne pouvait signer les bons de commande que M. A... dirigeant de la société MTBF avait refusé de signer quand ces travaux en question avaient été effectués, aucune altération de la vérité ne pouvant ainsi en résulter, la cour d'appel a violé l'article 441-1 du code pénal ;

"alors, d'autre part, que l'écrit susceptible de falsification au sens de l'article 441-1 du code pénal ne peut être qu'un écrit ayant pour objet ou ayant pour effet d'établir la preuve d'un droit ou ayant des conséquences juridiques ; qu'en estimant que l'établissement et la signature par Christian X... des quatre bons de commande constituait un faux quand ce document émanant de la société MTBF n'a pas de caractère probatoire, la cour d'appel a violé l'article précité ;

"alors, en outre, que l'article 441-1 du code pénal ne réprime l'altération de la vérité que lorsqu'elle est de nature à causer un préjudice ; qu'en estimant que l'établissement et la signature par Christian X... des bons de commande était de nature à causer un préjudice à la société MTBF cependant que les travaux se rapportant à ces bons de commande avaient été exécutés dans les collèges dépendant du conseil général du Nord et avaient été eux-mêmes facturés par la société MTBF audit conseil général, la cour d'appel a violé l'article 441-1 du code pénal ;

"alors enfin, qu'en matière de faux l'intention coupable comporte à la fois le dol général, supposant que l'auteur de l'infraction a eu conscience d'altérer la vérité et le dol spécial révélant, quant à lui, la conscience chez l'auteur du faux de ce que l'altération de la vérité était de nature à porter préjudice à autrui ; qu'en se bornant à constater que Christian X... avait signé quatre bons de commande et engagé la trésorerie de la société quand les travaux avaient été réalisés et qu'il ne pouvait avoir eu conscience d'altérer la vérité ni causé préjudice à la société MTBF puisque ces sommes étaient dues, la cour d'appel n'a pas justifié légalement sa décision" ;

Les moyens étant réunis ;

Attendu que les énonciations de l'arrêt attaqué mettent la Cour de cassation en mesure de s'assurer que la cour d'appel a, sans insuffisance ni contradiction, répondu aux chefs péremptoires des conclusions dont elle était saisie et caractérisé en tous ses éléments, tant matériels qu'intentionnel, le délit dont elle a déclaré le prévenu coupable ;

D'où il suit que les moyens, qui se bornent à remettre en question l'appréciation souveraine, par les juges du fond, des faits et circonstances de la cause, ainsi que des éléments de preuve contradictoirement débattus, ne sauraient être admis ;

Sur le troisième moyen de cassation, pris de la violation des articles 1382 du code civil, 2, 3, 591 et 593 du code de procédure pénale, défaut et insuffisance de motifs, manque de base légale, violation de la loi ;

"en ce que l'arrêt attaqué a condamné solidairement Christian X..., M. Z... et Jean Y... à payer à Me D..., ès qualités de mandataire liquidateur de la SARL MTBF la somme de 80 000 euros à titre de dommages-intérêts ;

"aux motifs que Me D... ès qualités sollicite la condamnation solidaire de Christian X..., M. Z... et Jean Y... à lui payer la somme de 259 419,44 euros correspondant au montant du résultat déficitaire de la société MTBF pour l'exercice 1998, motif pris de ce qu'ils sont ainsi à l'origine du dépôt de bilan de cette société ; que cependant, si les déclarations faites par Me D... ès qualités au cours de la procédure pénale sur le mode dubitatif n'autorisent pas à conclure que les agissements des prévenus ont conduit d'une manière directe et certaine la société MTBF à déposer le bilan, il n'en demeure pas moins qu'elles permettent d'en déduire que les agissements des prévenus ont de façon directe et certaine fait perdre à la société MTBF les chances réelles qu'elle avait de se redresser et de revenir à meilleure fortune ; qu'il résulte des éléments de la procédure et des pièces produites que le préjudice certain ainsi causé à la société MTBF doit être évalué à la somme de 80.000 euros ;

"alors que la perte de chance de voir une société se redresser doit pour être indemnisable exister antérieurement au fait dommageable et ne pas être douteuse ; qu'en se bornant à énoncer que les déclarations faites par Me D... ès qualités au cours de la procédure pénale sur un mode dubitatif n'autorisaient pas à conclure que les surfacturations avaient conduit de manière directe et certaine la société MTBF à déposer son bilan mais qu'il était permis d'en déduire que ces agissements avaient de façon directe et certaine fait perdre à la société MTBF les chances qu'elle avait de se redresser sans caractériser celles-ci et en déduisant ces circonstances des propos qu'elle venait de qualifier de dubitatifs, la cour d'appel n'a pas justifié légalement sa décision" ;

Attendu que, pour condamner Christian X... à verser des dommages-intérêts au mandataire judiciaire à la liquidation de la société Maintenance Trégor Bretagne France, l'arrêt prononce par les motifs partiellement repris au moyen ;

Attendu qu'en l'état de ces énonciations, la cour d'appel qui n'a fait qu'apprécier souverainement dans la limite des conclusions des parties, l'indemnité propre à réparer le dommage né des infractions, a justifié sa décision ;

Qu'ainsi, le moyen ne saurait être admis ;

Mais, sur le quatrième moyen de cassation, pris de la violation des articles 1382 du code civil, 2, 3, 591 et 593 du code de procédure pénale, défaut et insuffisance de motifs, manque de base légale, violation de la loi ;

"en ce que l'arrêt attaqué a condamné solidairement Christian X..., M. Z... et Jean Y... à payer à Mme A... la somme de 10 000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation de la perte de chance de recouvrer ses investissements matériels et financiers ;

"aux motifs, que dès lors, qu'il est établi que les agissements des prévenus sont constitutifs d'une perte de chance pour la société MTBF de pouvoir revenir à meilleure fortune, il faut en déduire que ces agissements ont également fait perdre à Mme A... la chance de pouvoir faire face à ses engagements financiers propres et notamment ceux résultant de son engagement de caution à titre personnel et ceux relatifs à l'ouverture d'une ligne de crédit qui lui avait été personnellement consentie par sa banque ; que ce préjudice, directement causé par les infractions commises par les prévenus doit être réparé ; qu'il convient dès lors de condamner solidairement Christian X..., Jean Y... et Alain Z... à lui payer la somme de 10.000 euros en réparation de ce préjudice ;

"alors que l'action civile en réparation du dommage causé par un délit n'appartient qu'à ceux qui ont personnellement souffert du dommage directement causé par l'infraction ; qu'en énonçant que dès lors qu'il était établi que les agissements des prévenus étaient constitutifs d'une perte de chance pour la société MTBF de se redresser ceux-ci avaient également fait perdre à Mme A... la chance de pouvoir faire face à ses engagements financiers notamment son engagement de caution à titre personnel et l'ouverture de la ligne de crédit personnellement consentie par la banque, cependant qu'il résulte de ces constatations que la perte d'une chance de faire face à ces engagements financiers n'était qu'indirectement en lien avec les surfacturations, la cour d'appel a violé les articles 2 et 3 du code de procédure pénale" ;

Vu l'article 2 du code de procédure pénale ;

Attendu qu'aux termes de ce texte, l'action civile en réparation du préjudice causé par un délit n'appartient qu'à ceux qui ont personnellement souffert du dommage directement causé par l'infraction ;

Attendu que, pour déclarer recevable la constitution de partie civile de Josette A... et lui allouer des dommages-intérêts, l'arrêt prononce par les motifs repris au moyen ;

Mais attendu qu'en cet état, alors qu'il résulte de ses propres énonciations que les infractions dont les prévenus ont été déclarés coupables, n'ont pas causé de préjudice direct à la demanderesse, la cour d'appel a méconnu le sens et la portée du texte susvisé et du principe ci-dessus énoncé ;

D'où il suit que la cassation est encourue de ce chef ;

Par ces motifs :

I - Sur le pourvoi de Jean Y... :

Le REJETTE ;

II - Sur le pourvoi formé par Christian X... :

CASSE et ANNULE, par voie de retranchement, l'arrêt susvisé de la cour d'appel de Rennes, en date du 31 janvier 2008, en ses seules dispositions ayant condamné Christian X... à verser des indemnités à Josette E..., épouse A... en réparation de son préjudice, toutes autres dispositions étant expressément maintenues ;

DIT n'y avoir lieu à renvoi ;

FIXE à 2 000 euros la somme que Christian X... devra payer à M. D... ès qualités de mandataire judiciaire à la liquidation de la société Maintenance Trégor Bretagne France au titre de l'article 618-1 du code de procédure pénale ;

DIT n'y avoir lieu à application de cet article au profit de Josette E..., épouse A... ;

ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour d'appel de Rennes, sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement annulé.