Cass. crim., 5 mars 1990, n° 88-87.590
COUR DE CASSATION
Arrêt
Cassation
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Tacchella
Rapporteur :
M. Souppe
Avocat général :
M. Galant
Avocats :
Me Cossa, Me Lemaitre, Me Monod
Sur le moyen unique de cassation proposé par Jean X... et pris de la violation des articles 150 et 151 du Code pénal, 188 et 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs et manque de base légale,
" en ce que l'arrêt attaqué a relaxé Philippe Y... prévenu d'usage de faux en écriture de commerce ou en écriture privée, en l'espèce un bordereau de remise de chèques, et rejeté la constitution de partie civile du demandeur ;
" aux motifs que le tribunal correctionnel n'était saisi, par ordonnance de renvoi du 9 juillet 1987, du juge d'instruction de Carpentras, que du délit d'usage de faux en écriture de commerce ou en écriture privée, en l'espèce un bordereau de remise de chèques, en 1984, plus précisément en juin 1984, par Philippe Y..., le non-lieu partiel dont cette même ordonnance a fait bénéficier ce dernier pour les délits " de faux en écriture de commerce ou en écriture privée, d'escroquerie, d'abus de confiance et de complicité ", étant devenu définitif, en l'absence d'appel de celui-ci, par Jean X..., la Société Marseillaise de Crédit, parties civiles et le ministère public ; qu'en conséquence, le jugement déféré n'avait pas, comme il l'a fait par erreur, dans ses motifs, à rechercher : " l'existence même du faux ", " les circonstances d'établissement de la pièce arguée de faux ", " la présentation de la pièce arguée de faux ", ni à dire que " cette pièce est clandestine à la direction de la Société Marseillaise de Crédit " ; qu'en effet, l'information n'ayant pas établi que Philippe Y... ou toute autre personne ait commis un faux dans la reconnaissance des engagements, vis-à-vis de celui-ci, par Jean X..., agissant en qualité de fondé de pouvoir de la Société Marseillaise de Crédit, fût-ce sur un imprimé de bordereau de remise de chèques, ne justifiait pas juridiquement en conséquence, la poursuite du prévenu pour usage de faux de ce document ;
" alors, d'une part, que le non-lieu intervenu au titre des faits de faux n'impliquait pas que le document ne fût pas un faux et que, même en cas d'indétermination de l'auteur du faux, les termes de sa saisine faisaient obligation à la juridiction de jugement de rechercher si le document en cause, à savoir le bordereau de remise de chèques, ne constituait pas un faux dont le prévenu avait fait usage sciemment ;
" alors, d'autre part, que le délit d'usage de faux est distinct du délit de faux et peut exister même si l'auteur du faux est inconnu ; qu'en excluant, cependant, toutes poursuites à l'encontre du prévenu pour usage de faux, par cela seul que l'information n'aurait pas établi que le prévenu ou toute autre personne ait commis un faux dans la reconnaissance des engagements stipulés sur le bordereau de remise de chèques, l'arrêt attaqué n'est pas légalement justifié " ;
Et sur le moyen unique de cassation proposé par la Société Marseillaire de Crédit et pris de la violation des articles 150 et 151 du Code pénal, 388 et 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs et manque de base légale,
" en ce que l'arrêt attaqué a relaxé Philippe Y... de la prévention d'usage de faux et a rejeté la constitution de partie civile de la Société Marseillaise de Crédit ;
" aux motifs que : " le tribunal correctionnel n'était saisi, par ordonnance de renvoi du 9 juillet 1987, du juge d'instruction de Carpentras, que du délit d'usage de faux en écriture de commerce ou en écriture privée, en l'espèce un bordereau de remise de chèques, en 1984, plus précisément en juin 1984, par Philippe Y..., le non-lieu partiel dont cette même ordonnance a fait bénéficier ce dernier pour les délits " de faux en écriture de commerce ou en écriture privée, d'escroquerie, d'abus de confiance et de complicité ", étant devenu définitif, en l'absence d'appel de celui-ci, par Jean X..., la Société Marseillaise de Crédit, parties civiles et le ministère public ; qu'en conséquence, le jugement déféré n'avait pas, comme il l'a fait par erreur, dans ses motifs, à rechercher : " l'existence même du faux ", " les circonstances d'établissement de la pièce arguée de faux ", " la présentation de la pièce arguée de faux ", ni à dire que " cette pièce est clandestine à la direction de la Société Marseillaise de Crédit " ; qu'en effet, l'information n'ayant pas établi que Philippe Y... ou toute autre personne ait commis un faux dans la reconnaissance des engagements, vis-à-vis de celui-ci, par Jean X..., agissant en qualité de fondé de pouvoir de la Société Marseillaise de Crédit, fût-ce sur un imprimé de bordereau de remise de chèques, ne justifiait pas juridiquement en conséquence, la poursuite du prévenu pour usage de faux de ce document ; qu'il y a donc lieu, par substitution des motifs à ceux du jugement déféré, de relaxer Philippe Y... sans peine ni dépens, de rejeter les constitutions des parties civiles, et de les condamner aux dépens de l'action civile " ;
" alors, d'une part, que dans la présente procédure, la prévention de faux en écriture de commerce ne visait que Y..., de sorte qu'en déclarant que l'information n'avait pas établi que quiconque ait commis un faux dans la reconnaissance des engagements de caution envers le prévenu, pour en déduire que ce dernier ne pouvait être poursuivi du chef d'usage de faux, la cour d'appel a méconnu l'autorité de la chose jugée qui s'attache à l'ordonnance de non-lieu partiel du 9 juillet 1987 et, en conséquence, a violé l'article 188 du Code de procédure pénale ;
" alors, d'autre part, et en tout état de cause, que l'usage de faux est punissable bien que le prévenu ne soit pas l'auteur de la falsification et que ce dernier demeure inconnu, de sorte qu'en
estimant que le non-lieu devenu définitif dont Philippe Y... a bénéficié pour le délit de faux portant sur un bordereau de remise de chèques valant acte de caution de la Société Marseillaise de Crédit faisait obstable à ce que ce prévenu soit poursuivi du chef d'usage de faux pour avoir utilisé ce document, la cour d'appel a privé sa décision de toute base légale au regard de l'article 151 du Code pénal " ;
Les moyens étant réunis ;
Vu lesdits articles ;
Attendu d'une part que les délits de faux et d'usage de faux, tout en impliquant l'un comme l'autre l'altération de la vérité dans un document, sont distincts ; que celui qui a fait usage du document falsifié est punissable quand bien même il ne serait pas l'auteur du faux ou que celui-ci serait inconnu ou ne pourrait être poursuivi ;
Attendu d'autre part que tout jugement ou arrêt doit contenir les motifs propres à justifier la décision ; que l'insuffisance des motifs équivant à leur absence ;
Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué que par ordonnance de règlement le juge d'instruction a dit n'y avoir lieu à suivre du chef de faux en écriture privée ou de commerce contre Philippe Y... et a renvoyé ce dernier devant la juridiction correctionnelle sous la seule prévention d'usage de faux ;
Attendu que pour relaxer le prévenu des fins de la poursuite, l'arrêt attaqué se borne à énoncer que l'information n'ayant pas établi que Philippe Y... ou tout autre personne ait commis un faux dans le document incriminé, la poursuite du prévenu pour usage de faux n'était pas " juridiquement justifié " ;
Mais attendu qu'en l'état de ces motifs, et alors que la cour d'appel ne pouvait déduire de la seule absence d'imputation du faux à une personne déterminée, le défaut d'altération de la vérité dans le document incriminé et partant écarter la prévention d'usage de faux, la Cour de Cassation n'est pas en mesure d'exercer son contrôle sur la légalité de la décision ;
D'où il suit que la cassation est encourue ;
Par ces motifs,
CASSE et ANNULE, en ses seules dispositions civiles l'arrêt de la cour d'appel de Nîmes du 18 novembre 1988, et pour qu'il soit à nouveau jugé conformément à la loi,
RENVOIE la cause et les parties devant la cour d'appel de Montpellier, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;
ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour d'appel de Nîmes et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement annulé.