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Décisions

Cass. crim., 23 mai 2007, n° 06-83.061

COUR DE CASSATION

Arrêt

Rejet

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Cotte

Rapporteur :

Mme Ract-Madoux

Avocat général :

M. Mouton

Avocats :

SCP Boré et Salve de Bruneton, SCP Waquet, Farge et Hazan

Paris, du 27 mars 2006

27 mars 2006

Vu les mémoires en demande, en défense et les observations complémentaires produits ;

Sur le moyen unique de cassation, pris de la violation des articles 62 du code des douanes communautaire, 143 et suivants, 205 et suivants des dispositions d'application du code des douanes communautaire, de l'annexe 37 du règlement d'application du code des douanes communautaire, des articles 414 et 426 du code des douanes, 441-1 du code pénal, 593 du code de procédure pénale, défaut de motifs et manque de base légale :

"en ce que l'arrêt attaqué a déclaré Haroun X... coupable de faux, usage de faux et d'importation sans déclaration de marchandises prohibées, pour fausse déclaration par désignation de l'expéditeur réel commise au moyen de fausses factures ;

"aux motifs qu'une enquête réalisée en juin 2000, par les agents des douanes en poste à la "DNRED", dans les locaux de la société Sivantex, permettait de constater que ses deux principaux fournisseurs de textiles étaient, d'une part, la société Jape international sise dans les Iles vierges britanniques pour l'année 1999 et, d'autre part, la société Arkendale corporation ltd sise en Irlande pour l'année 2000 ; qu'ainsi la société Sivantex avait réalisé dix importations de produits textiles d'octobre à novembre 1999 pour un montant de 2 698 748 francs représentant 81 % du montant des importations de l'année auprès du fournisseur Jape international, et de mars à avril 2005, cinq importations de produits textiles pour un montant de 1 388 087 francs auprès du fournisseur Arkendale corporation ltd représentant 79 % de ses importations déclarées ; que, lors de ses déclarations au service des douanes, Haroun X... a indiqué que "ces sociétés étaient des courtiers qui se chargeaient de l'approvisionnement de Sivantex en produits textiles … ceux-ci m'approvisionnent en marchandises qui sont les plus porteuses sur le marché. Ce sont mes courtiers qui se chargent de négocier les prix avec les fabricants qu'ils connaissent et qui sont situés en Asie. Je ne considère mes courtiers que comme des prestataires de services, aucun contrat n'est passé entre mes courtiers et la société Sivantex" ; qu'il a en outre précisé, que Jape international était une société "off shore" de Simon Y... et que la société Arkendale corporation qui appartenait à des saoudiens était représentée en France par son cousin ; que ses déclarations sont en totale contradiction avec sa défense devant la cour où il a indiqué qu'il ne s'agissait pas de courtiers mais de simples intermédiaires qui leur vendaient la marchandise ; qu'Haroun X... a admis à l'audience que c'était lui qui était en contact avec les fournisseurs asiatiques ; qu'il l'avait également reconnu lors de son audition par les policiers indiquant "que c'était lui qui était en contact direct avec les fournisseurs asiatiques ou M. Z... qui devait négocier" ; qu'effectivement M. Z... a déclaré aux enquêteurs : "Simon Y... et Haroun X... m'ont demandé de leur faire des collections et de leur présenter des fournisseurs ... je faxais les dessins aux fournisseurs et ils envoyaient le modèle ... ils me renvoyaient les échantillons finis, ainsi que leur prix. Je conseillais Haroun X... pour déterminer la validité de la commercialisation du produit. Je soumettais mon avis pour déterminer la marge de négociation possible sur le prix. Le fournisseur émettait une facture pro-forma. Cette facture est en fait un devis sur lequel apparaissait la quantité demandée, le prix négocié par article, le montant total, la date, le mode de livraison et de paiement" ; que l'examen des factures détaillées des communications téléphoniques des sociétés Sivantex et Comitex a démontré que les relations avec les fournisseurs asiatiques se faisaient directement des bureaux de ces deux sociétés ; que l'enquête a encore démontré :

- qu'il n'existait aucun contrat, ni correspondance commerciale entre le client français et les deux sociétés "intermédiaires/courtiers" ;
- que tant les factures émises par Jape international que par Arkendale étaient confectionnées sur l'ordinateur de la société Sivantex ; qu'à ce sujet Haroun X... a indiqué que c'était son cousin qui établissait les factures Arkendale sur l'ordinateur de Sivantex et que pour la société Jape international elles étaient établies par Simon Y... ou son fils toujours sur l'ordinateur de la société Sivantex ;
- que les factures établies par le fournisseur asiatique et celles établies par les soit-disant "courtiers ou intermédiaires" portaient des mentions identiques quant à la numérotation, la date, et le montant, ce qui impliquait que l'intermédiaire ne prenait aucune commission pour sa prestation d'entremise ;
- que la société Sivantex était à la fois en possession des factures établies par les fournisseurs asiatiques à la société intermédiaire (qui n'auraient dû se trouver que chez ce dernier) et de la facture de l'intermédiaire à Sivantex ;
- que selon les autorités irlandaises, il existait bien une société Arkendale corporation ltd mais à une adresse différente que celle mentionnée sur les factures, et qu'en outre, cette société créée le 18 janvier 1993 avait été dissoute le 3 février 2000 (antérieurement à l'émission des factures), et que son numéro d'identification T.V.A. n'était plus valable depuis le 1er septembre ;
- que le compte fournisseur Jape international, saisi au siège de Sivantex, établissait que la totalité des achats effectués par Sivantex portait sur un montant de 3 103 868 francs sur laquelle elle n'avait payé que 790 057 francs, et que la société Jape accordait à son client des délais de paiement irréels au niveau commercial, soit plus de neuf mois ;

qu'à ce sujet il convient de rappeler que Me A..., désigné en qualité d'administrateur provisoire de Sivantex, avait constaté une créance de Jape international de 3 104 000 francs, et que bien qu'ayant procédé à un envoi d'avis à ce créancier, ce dernier ne s'était pas manifesté ; qu'il est indéniable au vu de l'ensemble de ces constatations que les factures intervenues entre la société Sivantex et les sociétés Jape international et Arkendale corporation étaient fictives et ne correspondaient à aucune prestation : qu'il résulte également de l'analyse des documents douaniers détenus chez le transitaire Gema trailers que pour une même exportation :
- le document douanier "IM4", rempli au moment du dédouanement faisait apparaître comme expéditeur Jape international -Chine- et comme destinataire Sivantex,
- le bill of laiding, le certificat d'origine et la liste de colisage indiquaient comme expéditeur "Xiamen temao corporation 15/18 Xiamen temao building north hugin road – Xiamen / China, et comme destinataire la société Comitex ;
- les factures Jape international et Arkendale corporation étaient adressées à la société Sivantex, destinataire des marchandises ;

qu'il est indéniable au vu de l'ensemble de ces constatations, que la mise en oeuvre de cette double facturation intervenue entre la société Sivantex et les sociétés Jape international et Arkendale corporation, outre un intérêt fiscal, lui permettait également de transférer illégalement des fonds vers des comptes en Suisse (pour la société Arkendale) ou vers les Iles vierges pour la société Jape international ; que si, certes, l'argumentation développée par le conseil du prévenu selon laquelle en application des dispositions de l'article 62 du code des douanes communautaire et de la notice à l'annexe 37 des DAC, "l'exigence d'indiquer le nom de l'expéditeur ou de l'exportateur dans la case 2, n'est pas requise en matière d'importation sur les déclarations", s'applique au moment de l'introduction de la marchandise dans le territoire de la communauté européenne et de l'établissement de la déclaration "T1", plaçant la marchandise sous le régime du transit communautaire, permettant à la marchandise de circuler dans le territoire de la communauté européenne en exonération de droit de douane, lesdites dispositions ne s'appliquent plus au moment de l'apurement de ce titre au bureau de douane et de l'établissement de la déclaration "IM4", faisant sortir la marchandise du régime de transit communautaire et sur laquelle doit être mentionné le nom de l'expéditeur/exportateur ainsi que le nom du destinataire final, indication qui s'avère indispensable pour le calcul du montant des droits et taxes ; qu'ainsi les déclarations " IM4" qui mentionnaient dans la case "expéditeur/exportateur" Jape international ou Arkendale corporation ltd étaient fausses dans la désignation de l'expéditeur/exportateur réel des marchandises ; qu'en conséquence Haroun X..., en sa qualité de représentant légal de la société Sivantex bénéficiaire de la fraude, a bien commis le délit d'importation sans déclaration, de marchandises prohibées, par réalisation de fausses déclarations "IM4" dans la désignation de l'expéditeur réel, commises à l'aide de factures, certificats ou tous autres documents, faux, inexacts ... ; qu'il s'est également rendu coupable des délits de faux et usage de faux pour avoir confectionné sur les ordinateurs de la société les fausses factures à entête Jape international et Arkendale corporation et les avoir remises à la douane ;

"alors, d'une part, qu'en matière douanière, l'expéditeur réel de la marchandise est la personne physique ou morale qui facture les marchandises destinées à l'expédition ; qu'en l'espèce, après avoir relevé que les marchandises faisant l'objet des déclarations litigieuses avaient été facturées par les sociétés Jape international et Arkendale corporation, qui apparaissaient à ce titre en tant qu'expéditeur, les juges du fond ont seulement relevé que ces sociétés avaient des intérêts liés avec la société Sivantex, voire même avec leurs dirigeants et que leurs patrimoines se confondaient plus ou moins ; que pour autant, les constatations des juges du fond n'établissent nullement que les marchandises n'avaient pas été payées aux fournisseurs étrangers par les sociétés Jape international et Arkendale corporation, mais par la société Sivantex ; que les juges du fond ont même relevé, à la suite des enquêteurs, que la société Sivantex avait payé à la société Jape International une partie du prix des marchandises que celle-ci lui avait revendue (arrêt attaqué p. 15, alinéa 2) ; qu'en affirmant néanmoins que "les factures intervenues entre la société Sivantex et la société Jape international et Arkandale corporation étaient fictives" pour en déduire que les déclarations en douane "étaient fausses dans la désignation de l'expéditeur/exportateur réel des marchandises", la cour d'appel n'a pas légalement justifié sa décision ;

"alors, d'autre part, que les factures établies par Jape international et Arkendale corporation ne pouvaient être qualifiées de faux que si elles étaient sans cause, ce qui supposait établi que ces sociétés n'avaient pas acheté ces marchandises et ne les avaient pas vendues à la société Sivantex ; qu'en outre, le faux suppose que les factures altérées ou contrefaites aient causé ou pu causer un préjudice ; qu'en l'absence de telles constatations, la cour d'appel ne pouvait retenir ni le faux ni l'usage de faux ni le délit douanier ;

"alors, en outre, qu'il résulte des articles 62 du code des douanes communautaire, 205 et 211 des dispositions d'application de ce code et de l'annexe 37 du règlement d'application du même code que la case 2 du document administratif unique (DAU) mentionnant "l'expéditeur/exportateur" ne doit être remplie qu'en cas d'exportation, ou éventuellement d'expédition, de réexportation ou de perfectionnement passif, c'est-à-dire d'expédition de marchandise hors du territoire douanier ; que l'administration des douanes, dans son commentaire de ces dispositions, a elle-même précisé que la case 2 "ne doit pas être servie à l'introduction, l'importation, et lorsque le formulaire est utilisé aux seules fins de transit communautaire" (règlement particulier "conduite et mise en douane – procédure de dédouanement" titre II "de la déclaration E 46") ; qu'en affirmant en l'espèce, de façon au demeurant contradictoire, que la mention sur la déclaration de l'expéditeur ou de l'exportateur n'était pas requise en matière d'importation mais exigée lors de l'apurement du titre de transit, la cour d'appel a méconnu les dispositions susvisées ;

"alors, enfin, que les déclarations IM4 sont des déclarations d'importation ; qu'en retenant que les déclarations IM4 étaient fausses dans la désignation de l'expéditeur/exportateur réel des marchandises, bien qu'une telle mention ne soit pas, selon les règles communautaires auxquelles le droit français ne saurait déroger, nécessaire aux formalités douanières en cas d'importation, la cour d'appel a encore violé les dispositions susvisées" ;

Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué que, lors d'un contrôle effectué, en juin 2000, par les agents des douanes, dans les locaux de la société Sivantex, ayant pour gérant Haroun X... et pour activité l'importation et l'exportation de produits textiles, il a été constaté que ses deux principaux fournisseurs étaient la société Jape international (Jape), ayant son siège dans les Iles vierges britanniques, et la société Arkendale corporation (Arkendale), ayant son siège en Irlande ; que les investigations effectuées ont révélé que la société Sivantex avait, avec la société Jape, réalisé en 1999 des importations pour un montant de 2 698 748 francs et, avec la société Arkendale, des importations pour un montant de 1 388 087 francs et que l'une et l'autre étaient des sociétés écrans, les marchandises en cause provenant de Chine et de Taiwan ; que Haroun X... a été poursuivi pour avoir falsifié des factures correspondant à ces importations, fait usage de ces factures en les présentant au bureau des douanes et importé sans déclaration des marchandises prohibées en réalisant de fausses déclarations dans la désignation de l'expéditeur réel ;

Attendu que, pour déclarer Haroun X... coupable de faux et usage, l'arrêt relève que les factures des sociétés Arkendal et Jape étaient confectionnées sur l'ordinateur de la société Sivantex, et que celles établies par le fournisseur asiatique portaient des mentions identiques aux précédentes quant à leur numérotation, leur date et leur montant, ce qui démontre que l'intermédiaire n'avait pris aucune commission pour sa prestation ; que les juges ajoutent que la société Sivantex était en possession des factures établies par les fournisseurs asiatiques à la société intermédiaire ; qu'ils en déduisent que les facturations intervenues entre la société Sivantex et les sociétés Jape et Arkendale étaient fictives, ne correspondaient à aucune prestation et permettaient, outre l'intérêt fiscal, de transférer illégalement des fonds en Suisse ou aux Iles vierges britanniques ;

Attendu que, pour déclarer le prévenu coupable du délit douanier d'importation sans déclaration de marchandises prohibées par fausses déclarations dans la désignation des expéditeurs réels, l'arrêt énonce que les déclarations IM4, remplies au moment du dédouanement, faisaient faussement état dans la case "expéditeur-exportateur", des mentions "Jape international" ou "Arkandal corporation ltd" ;

Attendu qu'en l'état de ces énonciations, procédant de son pouvoir souverain d'appréciation, et dès lors que, d'une part, la fabrication de factures sans cause, au nom de sociétés de pure façade, constitue l'élément matériel du délit de faux et leur présentation au bureau des douanes celui d'usage de faux, d'autre part, les fausses déclarations dans la désignation de l'expéditeur réel des marchandises commises, lors des opérations de dédouanement, à l'aide de factures inexactes, entrent dans les prévisions de l'article 426 3° du code des douanes, même lorsque la mention de l'expéditeur n'est que facultative, la cour d'appel a justifié sa décision ;

D'où il suit que le moyen doit être écarté ;

Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme ;

REJETTE le pourvoi.