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Décisions

CA Versailles, 3e ch., 17 février 2022, n° 20/03757

VERSAILLES

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Axa France Iard (SA)

Défendeur :

Axa Courtage Assurance Mutuelle Iard (SA), SMJ (Selarl)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Bou

Conseillers :

Mme Bazet, Mme Derniaux

TJ Versailles, le 19 Juin 2020

19 juin 2020

FAITS ET PROCÉDURE

M. Michel L. et Mme Janina R. épouse L. sont propriétaires d'un immeuble situé Le Village - Les Vaux de Cernay à Cernay-la-Ville (78720) qu'ils ont donné à bail à Mme P. par acte du 16 mai2003. Le droit au bail a été cédé le 21 janvier 2009 à la société Regalcy qui y exploite un fonds de commerce de restauration dénommé 'Le Chalet des Cascades' dont le gérant est M. A..

Par acte notarié du 30 décembre 2003, M. et Mme L. ont fait donation à leurs enfants MM. Yan et Guillaume L., de l'usufruit du bien, objet du bail.

Dans la nuit du 20 au 21 janvier 2016, l'immeuble a fait l'objet d'un vol par effraction puis, environ une heure après, d'un incendie qui l'a entièrement détruit. Un arrêté de péril imminent a été pris par le maire de la commune de Cernay-la-ville le 22 janvier 2016. Une enquête pénale a été ouverte pour vol par effraction et destruction par moyen dangereux et s'est terminée par un classement sans suite faute d'avoir pu identifier le ou les auteurs des infractions.

Le 28 janvier 2016, la société Axa, assureur de la société Regalcy, a diligenté une expertise aux fins de recherche des causes de l'incendie. Le rapport d'expertise conclut que l'origine de l'incendie est criminelle.

Par courrier du 24 mai 2016 adressé au conseil des consorts L. la société Axa a décliné sa garantie au motif que l'incendie serait dû à un cas de force majeure mettant la société Regalcy 'hors champ de la responsabilité locative' et l'a informé que, par conséquent, le bailleur devait s'adresser à son assureur personnel.

Par actes des 20 février, 2 et 13 mars 2017, M. Michel L., Mme Janina L. ainsi que MM. Yan et Guillaume L. (ci-après les consorts L.) ont fait assigner devant le tribunal de grande instance de Versailles la société Regalcy, la société Axa France Iard et la société Axa Courtage Assurance Mutuelle Iard en réparation de leurs préjudices en application des articles 1732 et 1733 du code civil.

Au vu du jugement du 8 février 2018 prononçant la liquidation judiciaire de la société Regalcy, les consorts L. ont, par acte du 2 octobre2018, fait assigner en intervention forcée Me Olivier Chavane de D., en sa qualité de liquidateur de la société Regalcy.

Les deux instances ont été jointes.

Par jugement avant dire droit du 24 octobre 2019, le tribunal a ordonné la révocation de l'ordonnance de clôture et la réouverture des débats afin de recueillir les observations des parties sur la régularité de la procédure à l'égard de la société Regalcy et sur la recevabilité de la demande des consorts L. tendant à la fixation de leur créance au passif de la liquidation judiciaire de la société Regalcy compte tenu de la clôture pour insuffisance d'actif des opérations prononcée le 23 août 2018 et de l'absence de justification par les consorts L. de leur déclaration de créance auprès du liquidateur de la société Regalcy.

Par jugement réputé contradictoire du 19 juin 2020, le tribunal judiciaire de Versailles a :

- débouté les consorts L. de l'intégralité de leurs demandes,

- débouté la société Axa France de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- dit n'y avoir lieu au prononcé de l'exécution provisoire,

- condamné les consorts L. aux dépens,

- débouté les parties de leurs demandes plus amples et contraires.

Par acte du 3 août2020, les consorts L. ont interjeté appel.

Par ordonnance du 25 mars2021, le conseiller de la mise en état a constaté le désistement partiel d'appel des consorts L. à l'égard de la société SMJ mission conduite par Me Chavane de D., en sa qualité de liquidateur de la société Regalcy.

Par dernières écritures du 15 octobre 2021, les consorts L. demandent à la cour de :

- infirmer le jugement entrepris,

Statuant à nouveau :

- juger la société Regalcy responsable de l'incendie survenu le 21 janvier 2016,

En conséquence :

- condamner solidairement les sociétés Axa France et Axa Courtage au paiement de la somme de 162 450,54 euros au titre des loyers dus pour la période de février 2016 à avril 2021, date de fin du contrat de location,

- condamner solidairement les sociétés Axa France et Axa Courtage au paiement de la somme de 540 533,55 euros au titre du coût de reconstruction du bien litigieux,

- débouter la société Axa France de son appel incident,

- condamner solidairement la société Axa France et la société Axa Courtage à payer à Mme Janina L. et MM. Michel, Guillaume et Yan L. la somme de 8 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner solidairement la société Axa France et la société Axa Courtage aux entiers dépens avec recouvrement direct.

Par dernières écritures du 18 janvier 2021, la société Axa France demande à la cour de :

- confirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions, sauf en ce qu'il a débouté la société Axa France de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

Statuant à nouveau,

- débouter les consorts L. de l'intégralité de leurs demandes, fins et conclusions,

- condamner solidairement M. Michel L., Mme Janina L., M. Yan L. et M. Guillaume L. à payer à la société Axa France la somme de 5 000 euros en application des frais irrépétibles de première instance,

- condamner les mêmes sous la même solidarité à payer à la société Axa France la somme de 4000 euros en application des frais irrépétibles d'appel,

- les condamner sous la même solidarité aux entiers dépens de première instance et d'appel avec recouvrement direct,

- à titre très subsidiaire, dire que la garantie de la société Axa France est limitée à une année de loyers, soit la somme de 30 942,96 euros,

- débouter en l'état les consorts L. de leurs demandes plus amples ou contraires ;

- condamner solidairement M. Michel L., Mme Janina L., M. Yan L. et M. Guillaume L. à payer à la société Axa France la somme de 5 000 euros en application des frais irrépétibles de première instance,

- condamner les mêmes sous la même solidarité à payer à la société Axa France la somme de 4000 euros en application des frais irrépétibles d'appel,

- les condamner sous la même solidarité aux entiers dépens de première instance et d'appel avec recouvrement direct.

Les appelants ont fait signifier la déclaration d'appel et leurs conclusions à la société Axa Courtage, par actes du 17 septembre 2020 et du 16 avril 2021 remis à personne habilitée. Cette intimée n'a pas constitué avocat.

La cour renvoie aux écritures des parties en application des dispositions de l'article 455 du code de procédure civile pour un exposé complet de leur argumentation.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 28 octobre 2021.

SUR QUOI

Le tribunal a jugé que l'incendie du restaurant était arrivé par cas fortuit ou force majeure au sens des dispositions de l'article 1733 du code civil, de telle sorte que le preneur n'avait pas à en répondre.

Les consorts L. font valoir que c'est à tort que le tribunal a estimé qu'aucune négligence ne pouvait être imputée au preneur qui serait étranger au sinistre qu'il n'a nullement facilité.

Ils indiquent qu'il ressort du procès-verbal de gendarmerie et du procès-verbal de synthèse que la chronologie des événements démontre de manière incontestable que le preneur a traité la situation avec une légèreté coupable. Ils soutiennent que si M. A. avait quitté son domicile dès l'appel des gendarmes, il serait arrivé sur site avant l'incendie et le feu ne se serait jamais déclaré.

Ils ajoutent que l'expertise a révélé que les moyens de fermeture utilisés par la société Regalcy étaient insuffisants, le tribunal ayant estimé à tort qu'aucune négligence ne pouvait lui être reprochée dès lors que la barre de condamnation avait été arrachée. En outre, et alors que les lieux loués avaient déjà fait l'objet d'au moins deux cambriolages, aucune mesure de protection n'avait été prise pour assurer la protection du site, tels qu'un service de télésurveillance, une alarme, des rideaux anti-effraction ou un dispositif de gardiennage.

Ils considèrent que l'ensemble de ces éléments empêchent de considérer l'incendie comme un cas de force majeure, et que le preneur a engagé sa responsabilité.

Le tribunal a rappelé qu'en vertu de l'article 1733 du code civil, le preneur répond de l'incendie à moins qu'il ne prouve que celui-ci est arrivé par cas fortuit ou force majeure ou par vice de construction, et qu'il s'en déduit que le locataire ne peut s'exonérer de la responsabilité qui lui incombe qu'à la condition de rapporter la preuve directe et positive que l'incendie provient de l'une des causes énumérées dans cet article, qui ne s'applique que dans les rapports entre bailleur et locataire.

Il est de principe qu'un incendie criminel ou accidentel n'est exonératoire que si les juges ont vérifié qu'aucune négligence ou imprudence n'a été commise par le locataire. En effet, dans une telle hypothèse, l'incendie ne présente pas les caractères d'imprévisibilité et d'irrésistibilité nécessaires pour caractériser la force majeure.

Il convient de préciser que le restaurant en cause était composé d'une structure en bois, avec une couverture réalisée en panneaux métalliques et était situé dans un lieu isolé en bordure de route départementale.

S'agissant des fautes que les appelants reprochent à la société Regalcy d'avoir commises en ne prenant pas les précautions nécessaires pour prévenir les faits, il apparaît que si les verrous de certaines portes n'avaient pas été fermés, cet oubli n'a eu aucune incidence puisque les auteurs de l'effraction ont violemment tiré la porte d'entrée afin d'arracher la barre de condamnation intérieure.

Ainsi que l'indique la société Axa France, les appelants raisonnent comme si l'incendie était un événement qui devait normalement se réaliser et que le gérant de la société Regalcy aurait pu éviter.

Il n'est pas discuté en appel que l'incendie était d'origine criminelle, plusieurs points de départ du feu ayant été identifiés, avec des traces d'accélérant sur l'un d'eux.

Ainsi que l'a rappelé le tribunal, il résulte de l'enquête de flagrance que les gendarmes ont été appelés à 2h10 le 21 janvier 2016 pour un cambriolage (et s'il n'est pas précisé qui les a appelés, ils ne l'ont pas été par M. A.) pour un vol par effraction au restaurant le Chalet des Cascades. Ils sont arrivés sur les lieux à 2h30 et ont constaté que la porte principale de l'établissement avait été enfoncée. Ils sont entrés dans les lieux et ont contacté le gérant, M.A. à 2h51 pour l'informer de l'effraction de son établissement, au téléphone ils ont identifié les objets volés, puis M. A. les a informés de ce qu'il allait venir sur place, mais qu'il avait une heure de trajet. Il a précisé dans son audition qu'ayant des enfants, il avait pris son temps pour se préparer car il ne voulait pas faire de bruit. Mais, une heure après les constatations des gendarmes, soit vers 4h, un incendie s'est déclaré dans le restaurant. M. A. en a été averti alors qu'il s'apprêtait à prendre la route pour se rendre sur place.

Les premiers juges ont observé à raison que si un lien entre les deux événements ne pouvait être écarté, il ne saurait être reproché au gérant de la société Regalcy de ne pas s'être rendu immédiatement sur les lieux après la première intervention des gendarmes au regard de la chronologie des faits, étant rappelé que les gendarmes eux-mêmes n'ont pas sécurisé les lieux et les ont quittés avant l'arrivée du gérant, qui en tout état de cause avait un délai de route incompressible.

Il a donc été jugé avec raison que l'incendie survenue le 21 janvier 2016, d'origine criminelle, présentait les caractères d'imprévisibilité et d'irrésistibilité nécessaires pour caractériser la force majeure, aucune faute ou négligence du locataire ne pouvant être considérée comme ayant participé ou permis ce sinistre.

Le jugement sera confirmé en toutes ses dispositions.

Succombant en appel, les consorts L. seront condamnés aux dépens y afférents.

Ils verseront in solidum à la société Axa France Iard la somme de 3 000 euros au titre des frais irrépétibles exposés en appel.

PAR CES MOTIFS

La cour,

Confirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions ;

Ajoutant :

Condamne in solidum M. Michel L., Mme Janina L. ainsi que MM. Yan et Guillaume L. à payer à la société Axa France Iard la somme de 3 000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

Condamne in solidum M. Michel L., Mme Janina L. ainsi que MM. Yan et Guillaume L. aux dépens d'appel qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.

- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévuesau deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par Madame Marie-José BOU, Président et par Madame Claudine AUBERT, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.