Cass. 2e civ., 8 septembre 2011, n° 10-17.506
COUR DE CASSATION
Arrêt
Cassation
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Loriferne
Rapporteur :
M. Moussa
Avocats :
Me Balat, SCP Odent et Poulet
Attendu, selon l'arrêt attaqué et les productions, que le 5 décembre 2005, les sociétés Toei Animation et Dynamic Planning (les sociétés Toei et Dynamic) ont fait pratiquer deux saisies-attributions au préjudice de la société Manga distribution (la société Manga) entre les mains de la société Carrefour hypermarchés France, aux droits de laquelle vient la société Carrefour France (la société Carrefour) ; que les procès-verbaux de saisie, signifiés à une personne habilitée, mentionnent que celle-ci a indiqué à l'huissier de justice chargé de l'exécution qu'une réponse lui serait donnée sous 48 heures ; que par lettre du 8 décembre 2005, la société Carrefour a indiqué à l'huissier de justice que le compte de la société Manga ouvert dans ses livres présentait un solde débiteur de 467 552,39 euros ; que les sociétés Toei et Dynamic ont alors fait assigner la société Carrefour en paiement des causes des saisies-attributions ; qu'à titre subsidiaire, elles ont sollicité la condamnation de la société Carrefour à leur payer des dommages-intérêts en soutenant qu'à la date des saisies, cette dernière était débitrice envers la société Manga d'une somme de 470 171,52 euros, montant d'une facture, et que sa déclaration était donc mensongère ou inexacte ;
Sur le premier moyen :
Attendu que les sociétés Toei et Dynamic font grief à l'arrêt de les débouter de leur demande tendant à la condamnation de la société Carrefour à payer les causes des saisies-attributions, soit la somme totale de 3 600 000 euros, alors, selon le moyen :
1°/ que les procès-verbaux de saisie-attribution du 5 décembre 2005 comportent la mention manuscrite selon laquelle il avait "été répondu à l'huissier par M. Helder X... : "réponse sous 48 heures" ; qu'en affirmant dès lors que les créancières, par le biais de l'huissier de justice, avaient accordé à la société Carrefour France un délai de 48 heures pour délivrer les informations visées à l'article 44 de la loi du 9 juillet 1991, cependant que les procès-verbaux ne faisaient que reproduire la réponse apportée par un représentant du tiers saisi, la cour d'appel a dénaturé le sens de ces procès-verbaux et a violé le principe de l'obligation faite au juge de ne pas dénaturer les documents de la cause ;
2°/ qu'en application de l'article 44 de la loi du 9 juillet 1991 et des articles 59 et 60 du décret du 31 juillet 1992, le tiers saisi est tenu de déclarer immédiatement l'étendue de ses obligations envers le débiteur ; que si, sans motif légitime, il ne fournit pas les renseignements prévus, il peut être condamné, à la demande du créancier, à payer les sommes dues à ce dernier ; qu'en constatant que la société Carrefour France, tiers saisi, n'avait pas répondu dans le délai de 48 heures accordé par l'huissier de justice, le courrier de réponse étant parvenu à celui-ci sept jours après les saisies-attribution, mais en exonérant cependant la société Carrefour France de toute sanction, motif pris de ce qu'en accordant au tiers saisi un délai de 48 heures pour répondre, l'huissier de justice instrumentaire aurait en réalité affranchi la société Carrefour France de tout délai, la cour d'appel n'a pas caractérisé l'existence d'un motif légitime et a privé sa décision de base légale au regard des textes susvisés ;
3°/ qu'en ne caractérisant pas l'existence d'un motif légitime ayant empêché la société Carrefour France, tiers saisi, de fournir sa réponse dans le délai de 48 heures qui lui était accordé à titre de faveur, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 44 de la loi du 9 juillet 1991 et des articles 59 et 60 du décret du 31 juillet 1992 ;
Mais attendu qu'il résulte des procès-verbaux de saisie que l'huissier de justice chargé de l'exécution a indiqué à la société Carrefour qu'à défaut de réponse immédiate, il lui était fait sommation d'avoir à répondre sous 48 heures ; que la cour d'appel en a déduit, à bon droit et sans encourir le grief de dénaturation, que les créancières avaient laissé à la société Carrefour un délai de 48 heures pour répondre et a pu retenir que le retard dans la réponse au-delà de 48 heures avait un motif légitime dès lors qu'un délai avait été accepté au lieu d'une réponse sur-le-champ ;
D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;
Mais sur le second moyen, pris en ses deuxième et troisième branches réunies :
Vu les articles 44 de la loi du 9 juillet 1991 et 60, alinéa 2, du décret du 31 juillet 1992 ;
Attendu que, pour débouter les sociétés Toei et Dynamic de leur demande en paiement de dommages-intérêts, l'arrêt retient que la société Carrefour établit à l'aide d'une consultation d'une société d'audit que la facture de 470 171,52 euros était payable à 60 jours selon les accords avec la société Manga et a pu être enregistrée plus tardivement en raison aussi de désaccords avec cette dernière et que les sociétés Toei et Dynamic n'établissent donc pas que la déclaration de la société Carrefour ait été inexacte ou mensongère ;
Qu'en statuant ainsi, alors qu'elle constatait que la société Carrefour avait reçu la facture antérieurement aux saisies, qu'elle en était débitrice et qu'elle avait reconnu, au cours d'une instance en référé ultérieure, ayant pour objet le paiement d'une somme incluant le montant de cette facture, rester débitrice envers la société Manga d'une somme de 31 449,31 euros, et alors que l'existence d'un terme ou d'un litige ne dispensait pas la société Carrefour de son obligation de déclarer aux créancières l'étendue de ses obligations à l'égard de la débitrice ainsi que les modalités qui pourraient les affecter, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations, a violé les textes susvisés ;
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres branches du second moyen :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il a rejeté les demandes en paiement de dommages-intérêts formées par les sociétés Toei Animation et Dynamic Planning, l'arrêt rendu le 4 mars 2010, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ; remet, en conséquence, sur ce point, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Paris, autrement composée.