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Décisions

CA Angers, ch. com. A, 1 février 2022, n° 21/01252

ANGERS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Futura Finances (SAS)

Défendeur :

Tibor (SCI)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Corbel

Conseillers :

Mme Robveille, M. Benmimoune

TJ Laval, du 16 avr. 2021, n° 20/00510

16 avril 2021

EXPOSE DU LITIGE

Par acte notarié du 6 mars 2001, la SCI Tibor a consenti à la société Futura finances un bail commercial, renouvelé le 1er mai 2009, moyennant un loyer s'élevant en dernier lieu à 14 095,57 euros TTC par trimestre, portant sur des locaux à usage de magasin, de réserves et de bureau, d'une superficie globale d'environ 870 m² situés à Vitré (35), dans lesquels la société VITR y exploite, en vertu d'un contrat de location gérance, un commerce de détail sous l'enseigne Noz.

Le bail stipule que les locaux sont destinés à l'exploitation du commerce de 'achat, vente, réparation de meubles d'occasion, d'articles ménagers, d'outillage, d'objets mobiliers provenant essentiellement de ventes des domaines, d'adjudications publiques, de saisies, liquidations' et pourra également servir à l'exploitation de tous commerces.

Selon procès-verbal dressé le 2 septembre 2020, la SCI Tibor, agissant en vertu de la copie exécutoire de l'acte notarié précité, a fait pratiquer une saisie-attribution entre les mains de la caisse fédérale du Crédit mutuel de Maine Anjou Basse Normandie, en vue d'obtenir le paiement d'une somme de 9 180,13 euros, dont 8 518,33 euros correspondant aux loyers et charges impayés sur la période du 16 mars au 11 mai 2020 durant laquelle la société VITR indique avoir été contrainte de fermer au public en application des mesures sanitaires prises par le gouvernement.

La saisie-attribution a été dénoncée à la société Futura finances le 4 septembre 2020.

Le 2 octobre 2020, la société Futura finances a fait assigner la SCI Tibor devant le juge de l'exécution du tribunal judiciaire de Laval aux fins de voir prononcer la nullité de la saisie-attribution et de voir ordonner sa mainlevée.

Par jugement du 16 avril 2021, le juge de l'exécution a débouté la société Futura finances de ses demandes, a validé la saisie-attribution, a condamné la société Futura finance aux dépens et à payer à la SCI Tibor la somme de 1 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Par déclaration du 25 mai 2021, la société Futura finances a interjeté appel de ce jugement en chacune de ses dispositions.

MOYENS ET PRÉTENTIONS DES PARTIES

La société Futura finances conclut à l'infirmation du jugement, demande à la cour de prononcer la nullité de la saisie-attribution, d'en ordonner la mainlevée, de condamner la SCI Tibor aux dépens et à lui payer la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Aux moyens invoqués devant le premier juge pour s'opposer à l'exigibilité des loyers durant la période au cours de laquelle elle prétend n'avoir pu exploiter son activité en raison de la fermeture de son établissement au public, qu'elle analyse, d'une part, comme constituant à la fois un manquement du bailleur à son obligation de délivrance et de jouissance des locaux édictée à l'article 1719 du code civil et une absence de contrepartie à son obligation de payer le loyer, ce qui l'autoriserait en vertu de l'exception d'inexécution à ne pas payer les loyers dès lors que le bailleur ne remplit pas son obligation essentielle même de façon non fautive, et, d'autre part, comme découlant d'un événement constitutif d'une force majeure au regard des caractères d'extériorité, d'imprévisibilité et d'irrésistibilité que revêt la crise sanitaire liée à la Covid 19, elle ajoute, à titre subsidiaire, le moyen tiré de la perte de la chose en sollicitant l'application de l'article 1722 du code civil.

Ainsi, la preneuse rappelle que l'obligation de délivrance et de jouissance paisible est l'obligation essentielle pesant sur le bailleur et que le paiement du loyer est la contrepartie de la mise à disposition du local. Elle estime que la jouissance paisible et utile des locaux n'a pu lui être assurée pendant la fermeture contrainte des locaux, lesquels n'ont pu accueillir de public, de sorte qu'elle ne pouvait pas exercer dans le local l'activité prévue au bail, ce dont elle déduit que l'inexécution de l'obligation essentielle du bailleur est caractérisée.

Elle fait valoir qu'il importe peu que l'impossibilité d'exercer son droit de jouissance provienne d'une décision administrative ou d'un manquement du bailleur à son obligation de jouissance, pour pouvoir invoquer l'exception d'inexécution, de sorte qu'il est indifférent que l'inexécution soit non fautive, seule importe l'absence de contrepartie à l'obligation dont l'exécution est demandée.

Elle invoque, ensuite, le caractère de force majeure que revêtiraient pour elle les mesures d'interdictions afférentes aux commerces 'non essentiels' en exposant que le coronavirus lui est extérieur, était imprévisible au jour de la conclusion du bail, était irrésistible au regard de son ampleur et de ses conséquences pouvant être létales, a rendu impossible l'exploitation des locaux loués pendant la période de fermeture contrainte, l'empêchant en conséquence de payer le loyer pendant cette période. Elle considère que la force majeure conduit à une libération totale et définitive du débiteur dans l'exécution de son obligation de paiement.

Elle soulève également la mauvaise foi de la bailleresse qui a fait pratiquer une saisie-attribution en dépit de ce qu'elle l'avait informée de son refus légitime et justifié de ne pas payer les loyers échus pendant la période de fermeture contrainte.

Enfin, subsidiairement, elle fait valoir que du fait de la décision administrative de fermeture du commerce, elle a été mise dans l'impossibilité de jouir de ses locaux pendant la période de fermeture contrainte et d'en faire un usage conforme à sa destination, ce qui correspond à une perte partielle de la chose dès lors que les lieux loués sont destinés à l'exploitation d'un commerce auprès du public, le bail ne pouvant donc être exécuté sur des locaux fermés, et justifie ainsi qu'elle obtienne, sur le fondement de l'article 1722 précité, une diminution du prix à hauteur des loyers dus pendant cette période, en faisant valoir que la destruction de la chose louée peut s'entendre d'une perte matérielle de la chose mais également d'une perte juridique notamment en raison d'une décision administrative, que la perte partielle peut s'entendre de toute circonstance diminuant sensiblement l'usage de la chose et que la perte partielle peut être temporaire.

La SCI Tibor conclut à la confirmation du jugement, à la condamnation de la société Futura finances à lui payer la somme de 5 000 euros à titre de dommages et intérêts pour procédure et appel abusifs et celle de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile .

Elle approuve les motifs du premier juge en insistant sur le fait que l'impossibilité pour le preneur d'exercer pleinement son activité en étant empêché d'ouvrir son magasin au public est due à une décision administrative qui affecte le fonds de commerce et non pas les lieux donnés à bail, et que, pour autant, la preneuse a continué à avoir accès à ses locaux et à s'en servir dans des activités sans réception de clientèle telle que du stockage de marchandises et a eu la possibilité de mettre en place des activités alternatives de commerce (drive, click et collect, livraisons a domicile...),de sorte qu'il n'y a aucun manquement de la part du bailleur à l'obligation de délivrance. Elle fait valoir qu'elle n'est pas obligée de garantir la chalandise des lieux loués ni la stabilité du cadre normatif dans lequel le preneur exerce son activité et que le défaut d'exercice du commerce et de l'activité prévue au bail ne lui est pas imputable.

Sur l'exception d'inexécution invoquée par la preneuse, la bailleresse oppose l'absence de manquement à ses obligations, le fait que la preneuse continuait à jouir des locaux pendant la période de confinement et que le bail conclu prévoit que la preneuse s'assurera de l'exploitation du commerce 'en conformité rigoureuse avec les prescriptions légales et administratives pouvant s'y rapporter' de sorte qu'elle n'est pas fondée à demander l'exonération des loyers en raison de la fermeture administrative des commerces non essentiels. Elle ajoute qu'elle pourrait à son tour opposer l'exception d'inexécution pour manquement du preneur à son obligation d'exploiter.

Elle soutient que le débiteur d'une obligation de payer une somme d'argent ne peut s'en libérer en invoquant la force majeure.

Elle conteste toute exécution de mauvaise foi du contrat en rappelant que si par lettre du 20 avril 2020, la locataire l'a informée de ce qu'elle suspendait unilatéralement le règlement du loyer en invoquant la force majeure et l'exception d'inexécution, elle lui a répondu qu'elle n'était pas d'accord avec l'analyse juridique qui lui était présentée et a réclamée, à plusieurs reprises, le paiement des loyers avant de faire procéder à une saisie-attribution pour en obtenir le paiement forcé.

Elle considère que les conditions de l'application de l'article 1722 du code civil ne sont pas réunies dès lors que ce n'est pas la chose louée qui est l'objet de la décision administrative mais l'activité du preneur en rappelant que si cette activité avait été considérée comme essentielle, elle n'aurait pas été entravée. Elle souligne que les mesures sanitaires n'ont pas fait cesser la mise à disposition des locaux par le bailleur, ni la possibilité pour la locataire d'en jouir puisqu'elle pouvait toujours y accéder physiquement et que, d'ailleurs, elle a pu y exercer des activités sans réception de clientèle telles que du stockage de marchandises, de l'inventaire ou encore de la gestion administrative. Mieux, elle prétend que la preneuse a pu procéder à la vente à sa clientèle, dans les locaux loués, de produits essentiels tels qu'alimentaires. Elle ajoute que s'il a pu être admis en jurisprudence qu'à la suite d'une interdiction administrative la chose louée soit détruite, au sens de l'article 1722, c'est à la condition que cette perte juridique découle d'un manquement du bailleur ou entraîne une impossibilité définitive d'utiliser les lieux loués, ce qui n'est pas le cas.

Pour un plus ample exposé des prétentions et moyens des parties, il est renvoyé, en application des dispositions des articles 455 du code de procédure civile, à leurs dernières conclusions respectivement déposées au greffe :

- le 26 juillet 2021 pour la société Futura finances,

- le 4 octobre 2021 pour la SCI Tibor.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Selon l'article L. 211-1 du code des procédures civiles d'exécution, tout créancier muni d'un titre exécutoire constatant une créance liquide et exigible peut, pour en obtenir le paiement, saisir entre les mains d'un tiers les créances de son débiteur portant sur une somme d'argent.

L'épidémie de covid 19 a amené le gouvernement Français à prendre diverses mesures.

Néanmoins, les dispositions des ordonnances n° 2020-306 et n° 2020-316 du 25 mars 2020 n'ont pas suspendu l'obligation pour un preneur à bail commercial de payer les loyers durant la période de fermeture de son établissement au public.

Il résulte de l'arrêté du 15 mars 2020 complétant l'arrêté du 14 mars 2020 portant diverses mesures relatives à la lutte contre la propagation du virus covid-19 et du décret n°2020-293 du 23 mars 2020 qu'afin de ralentir la propagation du virus covid-19, les établissements relevant des catégories mentionnées par le règlement pris en application de l'article R. 123-12 du code de la construction et de l'habitation figurant ci-après se sont vu interdire l'accueil du public jusqu'au 11 mai 2020 : (...) - au titre de la catégorie M : magasins de vente et centres commerciaux sauf pour les activités de livraison et de retraits de commande, étant toutefois précisé que les établissements de la catégorie M pouvaient continuer à recevoir du public pour les activités figurant en annexe.

Dans le cas présent, il n'est pas contesté que le magasin de la société V.I.T.R., qui exploite en location gérance dans les locaux loués un fonds de commerce appartenant à la société Futura finances de négoce, stockage, fabrication, représentation, achat, vente en gros, en demi-gros et détail de tous produits, objets de toute nature, a été affecté par les mesures sanitaires. Toutefois, la bailleresse prétend que les locaux de la preneuse n'ont pas été totalement fermés et force est de constater que l'appelante n'apporte aucun élément tant sur la nature des produits vendus que sur l'étendue de la fermeture au public de son établissement et ne démontre donc pas avoir dû le fermer dans sa totalité comme elle l'affirme.

Dès lors que la preneuse a toujours eu la jouissance matérielle du bien, ne justifie pas avoir cessé toute activité dans les locaux, ne démontre pas que l'interdiction d'accueillir du public s'appliquait à tout le magasin et, dans le cas contraire, n'établit pas dans quelle proportion l'activité autorisée au bail a pu être affectée par les mesures sanitaires prises par le gouvernement, le débat juridique purement théorique sur les moyens de droit permettant à un preneur de ne pas avoir à payer les loyers dus au cours de la période où se sont appliquées les mesures administratives liées à la pandémie est inutile en l'absence de base factuelle permettant à la cour d'apprécier dans quelle mesure les moyens juridiques invoqués pourraient trouver à s'appliquer au cas de l'espèce et, s'il y avait lieu à réduction du loyer, dans quelle proportion cette réduction pourrait être accordée.

En conséquence, les prétentions de la société Futura finances seront rejetées et le jugement sera confirmé en toutes ses dispositions.

Sur la demande de dommages et intérêts pour procédure abusive

Exposant que la société Futura finances a préféré se faire justice à elle-même en refusant de payer les loyers, sans répondre à ses interrogations, a cru devoir s'opposer à la saisie-attribution et faire appel du jugement écartant ses contestations, la SCI Tibor considère que cette attitude justifie l'allocation de dommages et intérêts pour procédure et appel abusifs et manifestement injustifiés.

L'exercice d'une action en justice ne dégénère en faute pouvant donner lieu à des dommages et intérêts que si le demandeur a agi de mauvaise foi, avec intention de nuire ou avec légèreté blâmable.

En l'espèce, l'intimée, qui ne démontre pas une telle faute, sera déboutée de sa demande.

Sur les demandes accessoires

La société Futura finance qui succombe sera condamnée à payer à la SCI Tibor la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

La Cour, statuant contradictoirement,

Confirme le jugement entrepris ;

Y ajoutant,

Déboute la SCI Tibor de sa demande de dommages et intérêts pour procédure et appel abusifs ;

Condamne la société Futura finances à payer à la SCI Tibor la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

Condamne la société Futura finances aux dépens d'appel.