Cass. 3e civ., 12 juin 2003, n° 02-10.418
COUR DE CASSATION
Arrêt
Rejet
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Weber
Sur le moyen unique :
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Reims, 29 octobre 2001), que les sociétés CTHA Feu Vert et Raviart, locataires de locaux à usage commercial appartenant à la société civile immobilière (SCI) Marais de la Goesse, ont assigné cette dernière en référé pour obtenir une mesure d'expertise aux fins de déterminer les travaux de mise en conformité des lieux avec les règles d'urbanisme et de sécurité que, selon elles, leur bailleur était tenu de faire réaliser ; qu'après que l'expert désigné ait déposé son rapport, le juge des référés du tribunal de grande instance de Châlons-en-Champagne a autorisé, par ordonnance du 21 octobre 1997, les preneuses à consigner le montant des loyers entre les mains du président de la CARPA du Barreau de Châlons-en-Champagne jusqu'à ce qu'il ait été statué par la juridiction du fond sur la nature et le coût des travaux incombant respectivement aux parties et sur les modalités de leur exécution ; que par acte du 7 novembre 1997, les sociétés CTHA Feu Vert et Raviart ont assigné au fond la SCI Marais de la Goesse pour obtenir l'homologation du rapport d'expertise et la condamnation de leur bailleresse au paiement de sommes représentant le coût des travaux immédiatement nécessaires à la remise en état des lieux et à leur mise en conformité, travaux qu'elles ont demandé à pouvoir exécuter elles-mêmes ; que par jugement du 21 octobre 1998, le tribunal de
grande instance de Châlons-en-Champagne a fait droit aux demandes des locataires et les a autorisées à procéder, dès la signification de la décision, aux lieu et place de la SCI Marais de la Goesse, aux travaux de mise en sécurité et de conformité des locaux loués pour un montant global de 407 084,36 francs et dit qu'à due concurrence de cette somme, elles pouvaient utiliser les loyers d'ores et déjà consignés et étaient dispensées du paiement de ces loyers ;
Attendu que les sociétés CTHA Feu Vert et Raviart font grief à l'arrêt de les condamner in solidum à payer à la SCI Marais de la Goesse une certaine somme à titre de dommages et intérêts, alors, selon le moyen :
1 / qu'il ne ressort d'aucune donnée objective que l'accomplissement des travaux de mise en conformité et de sécurité ait été mis à la charge des sociétés locataires de telle sorte que celles-ci aient méconnu une obligation pesant sur elles en s'abstenant de faire procéder à ces travaux comme elles avaient seulement été autorisées à le faire ;
que n'a pas été caractérisé non plus le fait que les sociétés preneuses aient commis une faute en quittant les lieux avant tout commencement d'exécution des travaux ; qu'en condamnant les sociétés locataires à verser des dommages et intérêts à la SCI bailleresse dont les manquements étaient avérés et constatés, sans qu'aucune faute, pas plus contractuelle que délictuelle ou quasi-délictuelle ne soit caractérisée à leur encontre, la cour d'appel ne justifie pas légalement son arrêt au regard des articles 1147, 1382 et 1383 du Code civil, violés ;
2 / que l'indisponibilité des sommes consignées résultait de trois décisions judiciaires, la première ayant décidé la consignation en raison des fautes commises, par la société bailleresse, les deux autres ayant refusé la mainlevée de cette décision ; qu'elle n'était pas le fait des sociétés locataires qui n'ont pas utilisé lesdites sommes et n'ont en rien entravé la possibilité pour la société bailleresse de louer les locaux après avoir réalisé les travaux qui lui incombaient ; qu'en condamnant ces sociétés à réparer le préjudice résultant de la perte d'une chance de trouver de nouveaux locataires, la cour d'appel ne caractérise pas l'existence d'un lien de causalité entre le fait des locataires et le préjudice retenu ; qu'elle ne justifie pas davantage son arrêt au regard les dispositions des articles 1147 et 1382 et 1383 du Code civil, violés ;
3 / qu'enfin, nul ne peut, en l'état de ses propres fautes, de son incurie, de ses manquements, rechercher la responsabilité d'un tiers, fût-ce d'un ancien preneur ; qu'il est constant que c'est à cause des manquements constatés du bailleur que les preneurs ont quitté les lieux ;
que les retards dans la relocation ne peuvent être imputés qu'au bailleur défaillant ; qu'en décidant le contraire pour condamner les preneurs de naguère au paiement d'indemnités pour perte de chance, la cour d'appel viole le principe selon lequel nul ne peut en l'état de ses propres fautes relevées, solliciter une réparation qui n'est imputable qu'aux dites fautes ;
Mais attendu qu'ayant relevé qu'en conservant par devers elles durant près de trois ans les fonds dont le jugement du 21 octobre 1998 avait ordonné la déconsignation entre leurs mains sans exécuter aucun aménagement, les sociétés CTHA Feu Vert et Raviart avaient causé à la SCI Marais de la Goesse un préjudice résultant dans la perte d'une chance de trouver un ou de nouveaux locataires dans un délai raisonnable après que les intimées eurent quitté les lieux et de percevoir les loyers correspondant, la cour d'appel a caractérisé la faute des locataires et le lien de causalité entre cette faute et le préjudice du bailleur ;
D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi.