CA Paris, Pôle 5 ch. 4, 16 novembre 2022, n° 20/17238
PARIS
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Nutrition SC Co Ltd (Sté)
Défendeur :
Naturex (SA)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Dallery
Conseillers :
Mme Depelley, Mme Brun-Lallemand
Avocats :
Me Guyot , Me Monelli
Vu le jugement rendu le 17 novembre 2020 par le tribunal de commerce de Marseille qui a :
- écarté des débats les pièces n° 36 et 44 de la société Nutrition SC CO LTD,
- déclaré recevables les fins de non-recevoir soulevées par la société Naturex SA,
- rejeté la fin de non-recevoir tirée du principe selon lequel 'nul ne peut se contredire au détriment d'autrui',
- déclaré la société Nutrition SC CO LTD irrecevable en ses demandes formées à l'encontre de la société Naturex SA pour défaut de qualité et d'intérêt à agir,
- débouté la société Naturex SA de sa demande reconventionnelle,
- condamné la société Nutrition SC CO LTD aux dépens et à payer à la société Naturex SA la somme de 5 000 € au titre des frais irrépétibles;
Vu l'appel relevé par la société Nutrition SC CO LDT le 30 novembre 2020 ;
Vu l'ordonnance du 28 juin 2022 par laquelle le conseiller de la mise en état a rejeté l'incident de la société Nutrition SC CO LDT tendant à la communication d'une pièce détenue par la société Naturex SA, à savoir l'original de la facture n° 17050517 émise par cette société le 17 mai 2017;
Vu les dernières conclusions du 29 août 2022 de la société Nutrition SC CO LDT qui demande à la cour, au visa de la Convention Européenne des Droits de l'Homme, des règlements CE n° 593/2008 du Parlement européen et du Conseil, des articles 3 et 15 du code civil, de l'ancien article L 442-6-1 5° du code de commerce devenu l'article L 442-1 II du code de commerce ainsi que des articles 32, 42 alinéa 3, 122, 455 et suivants et 696 du code de procédure civile :
1) d'annuler ou, subsidiairement, de réformer le jugement sauf en ce qu'il a rejeté la fin de non recevoir tiré du principe selon lequel 'nul ne peut se contredire au détriment d'autrui' et en ce qu'il a débouté la société Naturex SA de sa demande reconventionnelle,
2) de rejuger l'affaire en son intégralité et, statuant à nouveau, de :
- se déclarer compétent territorialement,
- dire et juger que Nutrition a qualité et intérêt pour agir,
- dire que le droit français est applicable en l'espèce,
-dire et juger que Naturex SA est à l'origine de la rupture brutale de la relation commerciale établie de longue date par le groupe Naturex avec Nutrition et, subsidiairement, qu'elle est responsable des agissements fautifs de sa filiale Naturex SA,
- dire et juger qu'un préavis d'une durée au moins égale à 18 mois aurait dû être accordé par Naturex SA,
- condamner la société Naturex SA à lui verser :
*la somme de 929.371,50 €, correspondant à sa perte de marge brute telle qu'elle ressort d'un rapport d'expertise amiable débattu contradictoirement, majorée des intérêts au taux légal avec capitalisation des intérêts, à compter de l'assignation introductive d'instance du 16 novembre 2017,
*la somme de 100.000 €, à titre de dommages-intérêts, pour préméditation de la rupture causée par des intérêts financiers propres aux besoins de la cession de ses titres en 2018 et manquement à l'obligation de bonne foi, majorée des intérêts au taux légal avec capitalisation des intérêts, à compter de l'assignation introductive d'instance de 16 novembre 2017,
*la somme de 18.720 €, au titre du préjudice subi par elle pour les investissements spécifiques, majorée des intérêts au taux légal à compter de l'assignation introductive du 16 novembre 2017,
- débouter la société Naturex SA de toutes ses demandes,
- condamner la société Naturex SA à lui payer la somme de 50.000 € en vertu de l'article 700 du code de procédure civile,
- la condamner aux entiers dépens de première instance et d'appel;
Vu les dernières conclusions du 26 août 2022 de la société Naturex SA qui demande à la cour, au visa des articles 3, 9,15, 16,
32 et 122 du code de procédure civile, ensemble les articles 3 du code civil et L 442-6 du code de commerce, des articles 1353 et 1363 du code civil ainsi que du principe selon lequel nul ne peut se contredire au détriment d'autrui, de :
1) au principal :
- rejeter tout demande tirée d'une prétendue nullité du jugement,
- confirmer le jugement en ce qu'il a :
*déclaré recevables les fins de non recevoir par elle soulevées,
*déclaré la société Nutrition SC CO LTD irrecevable en ses demandes pour défaut de qualité et d'intérêt à agir,
*condamné la société Nutrition SC CO LTD à lui payer la somme de 5.000 € au titre des frais irrépétibles occasionnés par la procédure de première instance,
- à titre incident, infirmant le jugement pour le surplus :
*dire et juger la société Nutrition SC CO LDT irrecevable en ses demandes comme contraires au principe selon lequel nul ne peut de contredire au détriment d'autrui,
*la condamner à lui payer la somme de 200.000 € en réparation de son préjudice résultant de la procédure déloyalement engagée et abusivement maintenue,
2) à titre subsidiaire, si la cour devait se déclarer compétente, débouter la société Nutrition de toutes ses demandes comme infondées tant en fait qu'en droit,
3) en tout état de cause, condamner la société Nutrition SC CO aux entiers dépens et à lui payer la somme de 25.000 €, au visa de l'article 700 du code de procédure civile devant la cour;
Vu la clôture de l'instruction par ordonnance du 30 août 2022;
MOTIVATION
La société Nutrition SC CO LTD, ci-après Nutrition, est une société de droit thaïlandais qui distribue en Thaïlande des produits du groupe Naturex.
Le groupe Naturex exerce son activité dans le domaine de la production et de la commercialisation d'ingrédients naturels à destination des industriels agroalimentaires, nutraceutiques et cosmétiques pour les écouler dans divers pays; la société Naturex SA, ayant son siège à [Localité 3], détient 100 % du capital social de plusieurs filiales, dont la société de droit suisse Naturex AG.
Le 8 juin 2017, s'est tenue une réunion, donnant lieu à un premier document intitulé 'Fournisseur - Procès-verbal de la réunion au siège de Nutrition SC' qui mentionne que les participants sont des représentants de Nutrition et, sous la rubrique nom social : 'Naturex Asie du Sud Est/Pacifique & Moyen Orient', M. [G] [P] étant désigné personne de contact.
La société Nutrition et M. [G] [P] ont échangé des courriels entre le 9 et le 14 juin 2017.
Un second document intitulé 'Fournisseur - Compte rendu de la réunion dans les bureaux de Nutrition sc' a été rédigé, s'agissant toujours de la réunion du 8 juin 2017, qui mentionne :
- comme participante, sous la rubrique nom de la société : 'Naturex Asie du Sud Est/Pacifique et Moyen Orient AG',
- que pour des raisons de stratégie commerciale , 'Naturex', désigné sous le sigle NTX, propose de mettre fin à sa collaboration avec Nutrition , désigné sous le sigle NTSC, dans les six mois, d'ici la fin de l'année 2017
- que NTSC conteste cette résiliation en indiquant ne rien avoir à se reprocher,
- que NTX confirme qu'elle ne met pas fin à la collaboration avec Nutrition suite à un acte préjudiciable, mais 'purement afin de s'aligner à sa stratégie commerciale'
- à la place de la phrase rayée : 'La société NTX comprend qu'au vu de la relation qu'elle entretient depuis 16 ans avec NTX, une compensation devra être versée à cette dernière malgré le fait qu'aucune loi ni aucun règlement n'impose le versement d'une compensation en Thaïlande', la phrase suivante : 'Malgré la base juridique existant à l'heure actuelle en Thaïlande, NTX est tout à fait enclin à proposer une compensation à NTSC',
-que NTSC demande à NTX d'envoyer une lettre de résiliation et de proposer un montant de compensation.
Par lettre du 9 juin 2017, [G] [P] a écrit à Nutrition :
qu'il souhaitait résumer leur discussion et souligner les prochaines étapes comme suit :
- Naturex annonce la fin de sa collaboration avec Nutrition à effet au 31 décembre 2017,
-Naturex confirme que l'ensemble des commandes déjà passées seront traitées normalement,
- Naturex enverra une lettre officielle sous pli recommandé et e.mail, dans les prochains jours/semaines annonçant la fin de sa collaboration avec Nutrition,
-Naturex fera une première proposition de compensation éventuelle ainsi que des conditions liées en temps utile,
- Naturex et Nutrition travailleront ensuite sur la transmission des activités et la manière d'informer les clients, de gérer les stocks, de partager les informations, etc.
Un projet d'accord a été rédigé entre, d'une part la société Naturex AG, ayant son siège social en Suisse et représentée par son président M. [N] [B], d'autre part la société Nutrition, prévoyant la fin de la relation de distribution dans les 6 mois suivant la signature de l'accord et le versement à Nutrition d'une compensation d'un montant de 50.000 USD.
Cet accord n'a pas été signé.
Par lettre de son conseil du 6 juillet 2017, adressée à 'Naturex' à [Localité 3], la société Nutrition a :
- formulé des reproches à l'encontre de 'Naturex' et fait état de son préjudice,
- soutenu qu'un préavis d'au moins 20 mois aurait dû lui être accordé et qu'elle avait droit à une indemnité d'un montant de 1.000.000 €,
- précisé que 'en raison du rôle phare de Naturex SA dans le groupe Naturex et depuis la réunion du 8 juin 2017, Naturex a indiqué que sa décision de mettre fin à la distribution était basée uniquement sur sa future stratégie commerciale ou sur sa stratégie globale...Bright 2020 (voir le procés-verbal), Nutrition considère dûment que Naturex est la force motrice de la résiliation de la distribution et est responsable de toutes ses conséquences'.
Par lettre du 25 juillet 2017, la société Naturex AG, sous la signature de son président M. [N] [B], a écrit à la société Nutrition :
'Naturex est mécontente de la gestion de l'entreprise de distribution de Nutrition sc co Ltd et souhaite mettre fin à la relation d'affaires existante pour les raisons suivantes, dont certaines vous ont été expliquées lors de la réunion du 8 juin 2017 .......
Par conséquent, par la présente lettre, Naturex vous avise de sa décision de mettre fin à la relation de distribution mutuelle à compter du 25 janvier 2018, en conformité avec le préavis de six mois convenu par contrat entre nos deux sociétés.........'.
C'est dans ces circonstances que le 16 novembre 2017, la société Nutrition a fait assigner la société de droit français Naturex SA devant le tribunal de commerce de Marseille afin d'obtenir des dommages-intérêts pour rupture brutale et abusive des relations commerciales établies.
Dans un premier temps, par jugement du 2 octobre 2018, le tribunal a ordonné à la société Nutrition de traduire en langue française certaines de ses pièces.
Puis, par le jugement déféré, il a pour l'essentiel :
- écarté des débats les pièces n° 36 et 44 de la société Nutrition,
- déclaré recevables les fins de non-recevoir soulevées par la société Naturex SA,
- rejeté la fin de non recevoir tirée du principe selon lequel nul ne peut se contredire au détriment d'autrui,
- mais déclaré la société Nutrition irrecevable en ses demandes à l'encontre de la société Naturex SA pour défaut de qualité et d'intérêt à agir,
- débouté la société Naturex SA de sa demande reconventionnelle.
Sur la demande de la société Nutrition tendant à l'annulation du jugement
La société Nutrition soulève la nullité du jugement :
- par application des articles 456 et 458 du code de procédure civile pour défaut de signature du greffier sur la minute du jugement,
- par application des articles 455 et 458 du code de procédure civile, pour absence de réponse à ses conclusions relatives, d'une part à la compétence du tribunal, d'autre part à l'application de la loi française, ce qui s'analyse en un défaut de motifs,
- par application des articles 455 et 458 du code de procédure civile, pour contradiction de motifs, équivalant à un défaut de motivation, le tribunal ayant retenu l'absence de lien contractuel entre Nutrition et Naturex SA, tout en indiquant :
*en page 12 de sa décision qu'il existait des commandes auprès de Naturex SA,
*en page 13 ' Qu'effectivement au sein de l'accord , les termes Naturex et ses filiales sont utilisés' et ' Détention de 100 % du capital social de la société Naturex AG par la société Naturex SA et les quelques commandes passées auprès de la société Naturex SA'.
La société Naturex SA réplique :
- que le défaut de signature de la minute par le greffier constituerait une cause de nullité totale du jugement et non sa nullité sélective comme demandée par la société Nutrition,
- que la société Nutrition ne démontre pas ce défaut de signature, alors que l'extrait des minutes du greffe du tribunal de commerce de Marseille, qui a été communiqué aux parties, précise en bas de page : 'La minute du présent jugement est signée par le Président du délibéré et le Greffier',
- que la société Nutrition n'a pas fait constater une absence de signature sur la minute conservée au greffe.
S'agissant du défaut de réponse à conclusions et du défaut de motivation allégués, la société Naturex SA objecte qu'il importait à la société Nutrition, dès le jugement rendu, de déposer une requête en omission de statuer ou en interprétation; elle ajoute que le tribunal, ayant déclaré la société Nutrition irrecevable pour défaut de qualité et d'intérêt à agir, n'avait pas à se préoccuper de savoir s'il était compétent pour statuer sur le fond du litige.
Réponse de la Cour
Il suffit de rappeler que lorsque la nullité alléguée concerne non pas la saisine du premier juge mais, comme en l'espèce, une défectuosité de la procédure suivie devant celui-ci, le juge d'appel, saisi de l'entier litige, est tenu de se prononcer sur le fond du droit, sans même devoir statuer préalablement sur le moyen tiré de l'irrégularité du jugement.
Sur la fin de non recevoir tirée du principe selon lequel nul ne peut se contredire au détriment d'autrui
La société Naturex SA expose :
- que dans son assignation du 16 novembre 2017, la société Nutrition se présentait comme le distributeur exclusif du groupe Naturex et lui reprochait d'avoir mis fin de manière brutale à l'accord de distribution exclusive,
-que le 6 février 2020, soit quelques jours avant l'audience devant le tribunal, elle réfutait l'existence d'un contrat de distribution, présenté comme un 'abus de langage' au profit d'une simple relation d'achat/vente, cherchant désespérément à rattacher ses demandes à la loi française,
- que cette volte face procédurale constitue une violation du principe selon lequel nul ne peut se contredire au détriment d'autrui et qu'elle est d'autant plus grossière et déloyale que la société Nutrition retirait des motifs de ses conclusions ses propres pièces 4 et 27 sur la base desquelles elle revendiquait l'existence d'un contrat de distribution,
- que la sanction de cette contradiction est l'irrecevabilité des demandes.
La société Nutrition demande la confirmation du jugement en ce qu'il a rejeté cette fin de non recevoir.
Réponse de la Cour
Le tribunal a exactement retenu :
- que la société Nutrition n'avait pas modifié ses prétentions dans la mesure où, dans le cadre de son exploit introductif d'instance comme dans ses dernières écritures, elle sollicitait la condamnation de la société Naturex SA sur le fondement de l'article L 442-6-1 5° du code de commerce,
- que ses prétentions restant identiques, les évolutions dans ses moyens ne constituaient pas un changement de position en droit de nature à induire son adversaire en erreur sur ses intentions.
En conséquence, le principe invoqué, défini comme le comportement procédural constitutif d'un changement de position en droit de nature à induire son adversaire en erreur sur ses intentions, ne trouve pas à s'appliquer en l'espèce.
Sur les fins de non recevoir invoquées par la société Naturex SA pour défaut de qualité et d'intérêt à agir
La société Naturex SA soutient :
- que la société Nutrition est irrecevable à agir à son encontre puisqu'elle n'est pas l'auteur de la rupture,
- que les demandes formulées par la société Nutrition sont irrecevables à raison de son préjudice subi sur le sol thaïlandais,
Elle fait valoir en ce sens :
- que le fait générateur de la procédure est la rupture des relations commerciales entre Nutrition, société de droit thaïlandais, et Naturex AG, société de droit suisse,
- que nonobstant la détention de 100% du capital social de Naturex AG par Naturex SA et les quelques commandes passées auprès de Naturex SA concernant des produits très précis, les échanges commerciaux en anglais et signés par les représentants des sociétés Nutrition et Naturex AG avaient vocation à s'exécuter uniquement en Thaïlande, pour des prestations concernant uniquement les clients de Nutrition sur le marché thaïlandais dont la distribution était gérée en toute autonomie par Naturex AG,
- que Naturex AG, malgré sa qualité de filiale d'une société holding, a son siège social en Suisse, avec une adresse à Bangkok et exerce son activité uniquement en Thaïlande,
- que Naturex AG a une personnalité juridique distincte de celle de sa société mère,
- qu'il n'est démontré aucune immixtion de Naturex SA dans la gestion de Naturex AG,
- qu'il incombe à Nutrition d'assigner chacun de ses fournisseurs constituant le groupe Naturex devant les juridictions de leurs pays respectifs et selon la loi de ces pays,
- que Nutrition ne peut évaluer son prétendu préjudice en intégrant dans son calcul le chiffre d'affaires obtenu avec des sociétés étrangères qui ne sont pas justiciables du droit français et des juridictions françaises.
La société Nutrition réplique qu'elle a qualité et intérêt à agir en ce qu'elle recherche la responsabilité de la société Naturex SA pour rupture brutale des relations commerciales établies.
Réponse de la Cour
L'existence et la caractérisation de la relation commerciale établie ne conditionnant pas la recevabilité de l'action, mais son bien fondé, la société Nutrition qui recherche la responsabilité de la société Naturex SA pour rupture brutale des relations commerciales établies dans le but d'obtenir réparation du préjudice en résultant, a qualité et intérêt à agir.
Le jugement doit donc être infirmé en ce qu'il a déclaré la société Nutrition irrecevable en ses demandes formées à l'encontre de la société Naturex SA pour défaut de qualité et d'intérêt à agir.
Sur la compétence
A titre subsidiaire, dans l'hypothèse où la cour ne confirmerait pas le jugement sur l'irrecevabilité des demandes de la société Nutrition, la société Naturex SA demande au dispositif de ses écritures le débouté des demandes de la société Nutrition 'si la cour devait se déclarer compétente'.
Dans le corps de ses écritures, elle indique :
- que lors du premier incident de communication de pièces, la société Nutrition a, pour la première fois, fait état d'une ' formation de contrat' alors que, précédemment, elle avait seulement fait état d'une relation commerciale établie entre une société mère (France) via l'une de ses filiales (Suisse),
- que s'agissant d'une relation transfrontalière, il appartient aux juridictions françaises de s'interroger sur la nature contractuelle ou délictuelle de l'action fondée sur l'article L 442-6-1 5 ° du code de commerce,
- qu'en vertu de la jurisprudence communautaire (Arrêt Granarolo), il appartient aux juridictions françaises de s'interroger sur la nature contractuelle ou délictuelle de l'action fondée sur l'article L 442-6-1 5° du code de commerce, quelle que soit la qualification donnée par les parties,
- que selon la qualification retenue, la juridiction doit trancher la question de compétence et de la loi applicable,
- que la Cour de cassation a jugé, dans son arrêt du 29/09/2017, qu'au regard de ses constatations et appréciations, faisant ressortir l'existence d'une relation contractuelle tacite, la cour d'appel avait pu retenir que l'action pour rupture brutale de la relation commerciale établie relevait de la matière contractuelle,
- que sur le terrain de la responsabilité extra-contractuelle, la loi applicable serait celle du lieu du fait dommageable, ce lieu s'entendant aussi bien de celui du fait générateur de dommage que de celui du lieu de réalisation du dommage,
- qu'en l'espèce, l'application de l'article L 442-6-1 5° du code de commerce et la compétence des juridictions françaises ne peuvent être retenues : à défaut de rattachement contractuel à un pays, à raison de la caractérisation du prétendu préjudice subi par Nutrition en Thaïlande ou de l'exécution du contrat en Suisse.
La société Nutrition réplique que l'article 9 des conditions générales de vente figurant au verso des factures émises par la société Naturex SA en 2017 stipule :
- que ces conditions sont régies et interprétées conformément à la loi en vigueur au siège social de l'entitée Naturex auprès de laquelle la commande a été passée,
- que dans le cas d'un litige entre les parties non réglé à l'amiable, celui-ci serait soumis à la compétence exclusive des juridictions du lieu du siège social de l'entitée Naturex auprès de laquelle la commande a été passée.
Elle ajoute :
- que l'article 15 du code civil dispose : 'Un Français pourra être traduit devant un tribunal de France pour des obligations par lui contractées en pays étranger, même avec un étranger',
- que la jurisprudence européeenne a admis une action en responsabilité pour rupture brutale des relations commerciales établies sur la base d'une relation contractuelle tacite.
Réponse de la Cour
Observant que la société Naturex SA, ayant son siège à Avignon, n'indique pas quelle juridiction serait compétente pour statuer sur les demandes formées à son encontre, la Cour retient que la société Nutrition pouvait saisir le tribunal de commerce de Marseille d'une action à son encontre fondée sur les dispositions de l'article L 442-6-5 1° du code de commerce pour rupture par elle d'une relation commerciale établie ou, subsidiairement, pour la voir déclarée responsable des agissements fautifs de sa filiale Naturex AG.
La cour d'appel de Paris étant juridiction d'appel de la décision rendue en première instance par le tribunal de commerce de Marseille qui a statué sur le fondement de l'article L442-6-1 5° du code de commerce, elle se déclarera compétente.
Sur la rupture brutale de relations commerciales établies
A titre liminaire, la Cour constate qu'aux termes du dispositif des conclusions des parties, elle n'est pas saisie d'un incident de communication de pièces. Il s'en déduit que si la société Nutrition reproche au tribunal d'avoir violé la notion de procès équitable, en écartant des débats ses pièces 36 et 44, consistant en des factures de Naturex SA, aux motifs qu'elles avaient été communiquées quelques jours avant l'audience et en langue anglaise, ce qui ne permettait pas un débat contradictoire alors que ces deux pièces étaient accompagnées d'une traduction libre en français et qu'elle démontre qu'y figuraient au dos les conditions générales de vente prévoyant la compétence exclusive des tribunaux 'du lieu du siège social de l'entitée Naturex auprès de laquelle la commande a été passée', la Cour n'est pas saisie de ce chef de demande.
La société Nutrition reproche au tribunal d'avoir :
- dénaturé les faits et les pièces en affirmant que Naturex SA n'avait jamais été partie aux relations commerciales entre Nutrition et Naturex AG, tout en mentionnant qu'il avait existé des commandes passées auprès de la société Naturex SA,
-d'avoir renversé la charge de la preuve en retenant que la présomption de responsabilité de la société mère pour ses filiales détenues à 100 % dans le cadre de pratiques anti-concurrencielles ne s'appliquait pas en cas de rupture brutale des relations commerciales établies, alors que dans ce dernier cas il s'agit d'une présomption simple qui peut être renversée en démontrant que la filiale détermine de façon autonome sa ligne d'action sur le marché, et qu'en l'espèce, Naturex SA n'a pas réussi à renverser cette présomption.
Elle soutient qu'elle est bien fondée à mettre en cause uniquement la société mère Naturex SA pour l'ensemble de ses relations avec elle et ses filiales, dès lors que :
- c'est M. [G] [P], interlocuteur unique de Nutrition pendant toute la relation commerciale de 16 ans qui va annoncer et officialiser la rupture les 8 et 9 juin 2017 et organiser une réunion entre les parties le 9 juin 2017 qui officialisera le droit de Nutrition à obtenir une indemnisation,
- M. [G] [P] n'avait pas la qualité de directeur général de Natuex AG mais agissait comme simple responsable des ventes en Asie du Sud Est pour le groupe Naturex et relevait donc de la seule entitée opérationnelle du groupe, à savoir Naturex SA,
- M. [G] [P], quant il annonce la rupture en juin 2017, agit au nom du groupe, sous l'autorité hiérachique de la société mère Naturex SA et non de la filiale suisse Naturex AG à laquelle il n'a jamais été rattaché statutairement,
- conformément à la théorie du mandat apparent, elle était bien fondée à ne pas vérifier si, statutairement M .[G] [P] était habilité, compte tenu des circonstances qui rendaient légitime l'absence de toute vérification,
- M. [G] [P], qui a été l'interlocuteur unique de Nutrition pendant plus de 10 ans en Asie, puis l'annonciateur d'origine de la rupture en juin 2017, n'a fait qu'obéir aux instructions de la société mère,
- au travers du procès-verbal du 9 juin 2017, il est visible que seule Naturex SA est l'instigatrice de la rupture, laquelle obéit à un changement de direction qui annonce, de façon sous-jacente, un changement d'actionnariat et la stratégie 'Givaudan 2020"dans le cadre de laquelle s'inscrit la cession des titres de Naturex SA au groupe multinational Givaudan, dont il est fait état dans une assemblée générale du 20 juin 2017,
- la marque ' Naturex', propriété de la seule société Naturex SA, a été cédée à Givaudan en 2018,
- M. [P], tout comme la filiale suisse Naturex AG, sont dépourvus de toute autonomie juridique et commerciale et du moindre pouvoir de décision dans la stratégie de cession des titres de Naturex SA au groupe suisse Givaudan,
- la décision de rompre toute relation commerciale du groupe dans son entier avec Nutrition a été portée par Naturex AG et ne se limite pas aux seules relations entre ces deux sociétés, Naturex AG n'étant que l'instrument de la rupture et non le décideur,
- il est établi, à l'appui d'un faisceau d'indices sérieux et concordants, une immixtion caractérisée de la société mère dans la gestion de ses filiales.
La société Nutrition ajoute :
- que ses relations avec le groupe Naturex ont généré un important courant d'affaires depuis 2011, ses derniers achats s'élevant en moyenne à 1.547.434,38 € par an pour les 5 dernières années,
- que la lettre du 9 juin 2017 vise le 'mot maître' Naturex, sans aucune distinction sur la personne morale à l'origine de la décision de rupture,
- que la répétition de ce 'mot maître' dans les dénominations sociales et pour toutes les sociétés du groupe a créé dans son esprit une croyance légitime d'identité entre les opérateurs économiques du groupe Naturex,
- que la confusion entretenue est flagrante et la volonté de tromper les tiers et les créanciers en arguant de l'autonomie de la personne morale est certaine,
- qu'aux yeux de ses partenaires commerciaux, Naturex s'est affichée sciemment comme une entitée unique, derrière laquelle ne peut s'exprimer qu'un pouvoir unique sur les actifs affectés à cette unité, ce qui renforce l'idée d'un décisionnaire unique,
- que sont fallacieux les griefs invoqués dans la lettre de rupture du 25 juillet 2017, notamment 'l'impossibilité pour Nutrition de respecter l'évolution de la stratégie commerciale Naturex et d'identifier de nouvelles opportunités significatives afin d'atteindre les chiffres d'affaires et de ventes futures', alors que l'assurance d'un renouvellement de la relation commerciale avait été donnée à Nutrition dans le cadre de la préparation du Business plan 2017.
La société Naturex SA conclut au mal fondé des demandes formées à son encontre pour les motifs déjà énoncés au titre de sa fin de non-recevoir pour défaut de qualité et d'intérêt à agir de la société Nutrition, exposant en outre :
- que durant la période 2005/2011, l'ensemble des commandes de Nutrition a été passé auprès des sociétés Overseal Natural Ingredients LTD et de Obipektin,
- qu'à partir de 2012, le groupe Naturex a racheté la société Obipektin qui est devenue la société Naturex AG, avec laquelle les relations se sont poursuivies, et que M. [G] [P] , interlocuteur dédié de Obipektin, a signé désormais ses courriels au nom de 'Naturex' en sa qualité de Directeur des ventes Asie du Sud Est de Naturex AG,
-qu'il ressort des bons de commandes versés aux débats que durant la période 2012/2017, la société Nutrition a passé des commandes auprès de Obipektin, Overseal, Nturex, Nutra, Naturex LTD, Naturex AG, Naturex SA et Naturex INC,
- que les commandes auprès d'elle, Naturex SA, ne concerne essentiellement que la fourniture de Ginseg/Ginko et poivre noir,
- que par courriel du 14 juin 2017, M. [G] [P] a modifié le procès-verbal du 8 juin 2017 en précisant : société intervenante Naturex SA, une adresse à Bangkok et son nom comme personne à contacter,
- que la lettre de résiliation du 25 juillet 2017 émane de la société Naturex AG et mentionne l'adresse de son siège social en Suisse,
- que le 1er août 2017, M. [G] [P], sous l'intitulé Naturex AG, a transmis une lettre d'information à ses partenaires commerciaux les avisant de la ré-organisation de son réseau.
La société Naturex SA en déduit qu'elle n'était pas partie aux relations commerciales entre Nutrition et Naturex AG. Elle souligne que la distribution des produits Naturex en Thaïlande était gérée en toute autonomie par la société Nutrition, que celle-ci a une personnalité juridique autonome de sa société mère et qu'il n'est démontré aucune immixtion de sa part dans la gestion de sa filiale Naturex AG.
Pour contester toute responsabilité extracontractuelle du fait des agissements fautifs de sa filiale, la société Naturex SA fait valoir qu'il faudrait au préalable que la société Nutrition assigne sa filiale devant les juridictions suisse ou thaïlandaise avant de revenir devant les juridictions françaises pour rechercher sa responsabilité.
Réponse de la Cour
Il apparaît que la société Nutrition recherche la responsabilité de la société holding Naturex SA pour la rupture brutale de ses relations commerciales avec toutes les sociétés du groupe Naturex, sans formuler de demande subsidiaire tendant à limiter ses demandes de dommages-intérêts pour rupture brutale des relations entretenues directement avec la société Naturex SA, dont elle évalue elle-même le montant total à 196.902 € sur une période de 6 ans.
La lettre du 25 juillet 2017, faisant suite à un projet d'accord non régularisé, a été libellée au nom de la société de droit suisse Naturex AG et signée par son dirigeant M. [N] [B].
Le curriculum vitae de M. [G] [P], versé aux débats par la société Nutrition, montre qu'il a exercé des fonctions au sein de Obipektin (Suisse) d'avril 1999 à janvier 2005 comme 'Area Sales Manager', puis au sein de Natraceutical (Bangkok Thaïlande) de février 2005 à décembre 2009 comme 'Regional Sales Director', et au sein de 'Naturex' de janvier 2010 à septembre 2018 en tant que 'Regional Sales Director South East Asia'; s'il exerçait des fonctions de directeur des ventes pour la région Asie du Sud Est, aucun élément ne démontre qu'il se trouvait sous l'autorité hierarchique de la société mère Naturex SA, qu'il aurait obéi aux instructions de celle-ci et encore qu'il aurait eu le pouvoir d'engager celle-ci.
C'est en vain que la société Nutrition allégue qu'elle aurait été bien fondée à ne pas vérifier si M. [G] [P] était habilité à intervenir au nom de la société Naturex SA, alors qu'elle ne démontre pas les circonstances lui permettant de se prévaloir de l'existence d'un mandat apparent.
Le fait pour la société holding Naturex SA, qui détient 100% du capital de ses filiales, de définir la politique commerciale du groupe de sociétés et d'avoir un intérêt dans la commercialisation des produits vendus ne suffit pas à lui imputer la responsabilité de la rupture brutale des relations entretenues par ses filiales et, notamment la société de droit suisse Naturex AG.
Ses factures étant libellées à l'ordre de sociétés distinctes, la société Nutrition ne pouvait légitimement croire à l'existence d'une entitée unique. A cet égard, l'emploi du terme 'Naturex' dans les échanges entre la société Nutrition et les différentes sociétés auprès de laquelle elle passait ses commandes n'a pu créer d'apparence trompeuse.
La société Nutrition, qui a la charge de la preuve, ne démontre aucune immixtion fautive de la société mère Naturex SA dans la gestion de ses filiales, lesquelles dotées chacune de personnalités morales distinctes n'ont en aucune façon perdu leur autonomie.
En conséquence, les demandes de la société Nutrition au titre de la marge perdue et des investissements spécifiques auxquels elle aurait procédé doivent être rejetées.
La société Nutrition allégue encore avoir subi un préjudice pour préméditation de la rupture causée par des intérêts financiers propres aux besoins de la cession de ses titres par la société Naturex SA en 2018, alors que la responsabilité de la société Naturex SA n'est pas engagée pour rupture brutale d'une relation commerciale établie, ni pour agissements fautifs de sa filiale Naturex AG.
Enfin, s'agissant du manquement à l'obligation de loyauté de la société Naturex SA invoqué par la société Nutrition pour avoir, avant expiration du préavis de 6 mois, enregistré des commandes d'un autre revendeur thaïlandais et informé ses propres clients de la réorganisation de son réseau de vente en Thaïlande, il sera observé que les faits allégués ne pourraient être reprochés qu'à la société de droit suisse Naturex AG, qui n'est pas partie à la présente procédure.
La demande de dommages-intérêts d'un montant de 100.000 € doit aussi être rejetée.
Sur la demande de dommages-intérêts de la société Naturex SA :
La société Naturex SA soutient que la société Nutrition ne pouvait se méprendre sur l'inanité de ses demandes et que sa procédure a été malicieusement engagée et abusivement maintenue. Elle invoque les errances et manipulations de la société Nutrition en se référant aux incidents de communication de pièces qui ont émaillé la procédure, à savoir :
- en première instance, le défaut de traduction des pièces rédigées en langue thaïlandaise qui a donné lieu au jugement du 2 octobre 2018 et l'incident relatif à la communication des pièces 36 et 44 qui ont été écartées des débats par le tribunal,
- l'incident de communication de pièces devant le conseiller de la mise en état.
Elle souligne que la traduction d'un courriel de M. [G] [P] du 30 mars 2016 , [Courriel 4], adressé à la société Nutrition a montré qu'il exerçait ses fonctions de directeur général d'Obipektin Asie-Pacifique en Suisse et qu'aucun lien ne pouvait être fait avec Naturex SA.
La société Nutrition s'y oppose.
Réponse de la Cour
Si la société Nutrition s'est méprise sur ses droits, elle a suscité et poursuivi le litige en appel sans légèreté blâmable ni intention de nuire et sans commettre de faute ou d'abus dans l'exercice de son action en justice.
Par conséquent, la société Naturex SA doit être déboutée de sa demande de dommages-intérêts.
Sur les dépens et l'application de l'article 700 du code de procédure civile :
La société Nutrition qui succombe doit supporter les dépens de première instance et d'appel.
Vu les dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, il y a lieu d'allouer la somme supplémentaire de 15.000 € à la société Naturex SA et de rejeter la demande de la société Nutrition à ce titre.
PAR CES MOTIFS
La cour statuant publiquement par mise à disposition au greffe, par arrêt contradictoire et en dernier ressort,
Statuant dans les limites de l'appel,
Vu l'effet dévolutif de l'appel, déclare sans objet la demande d'annulation du jugement,
Confirme le jugement sauf en ce qu'il a déclaré la société Nutrition SC CO LDT irrecevable en ses demandes pour défaut de qualité et d'intérêt à agir,
Statuant à nouveau de ce chef et y ajoutant,
Dit que la société Nutrition SC CO LDT a qualité et intérêt pour agir à l'encontre de la société Naturex SA,
Déboute la société Nutition SC CO LDT de toutes ses demandes formées contre la société Naturex SA,
Condamne la société Nutrition SC CO LDT aux dépens d'appel et à payer à la société Naturex SA la somme de 15 000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
Déboute les parties de toutes leurs autres demandes.