Livv
Décisions

CA Douai, 8e ch. sect. 3, 3 mars 2022, n° 21/03917

DOUAI

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

Okaidi (SAS)

Défendeur :

Les Pente (SCI)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Collière

Conseillers :

Mme Convain, Mme Billières

TJ Lille, du 28 juin 2021, n° 20/00329

28 juin 2021

EXPOSE DU LITIGE

Par acte notarié en date du 13 mars 2015, la société civile immobilière (SCI) Les Pente a consenti à la SAS Okaïdi un bail commercial portant sur des locaux situés à Bruay la Buissière (62700) dans la galerie marchande 'Cora' avenue de la libération, afin qu'elle y exploite un magasin de détail d'habillement.

La société Okaïdi a subi la fermeture de son magasin du 15 mars 2020 au 11 mai 2020 à la suite des diverses mesures prises pour lutter contre l'épidémie de covid-19 dans le cadre de l'état d'urgence sanitaire.

Selon procès-verbal dressé le 14 août 2020, la SCI Les Pente, agissant en vertu de l'acte du 13 mars 2015 susvisé, a fait pratiquer une saisie-attribution sur les comptes de la société Okaïdi ouverts dans les livres de la caisse régionale de crédit agricole mutuel Nord de France, en vue d'obtenir le paiement d'une somme de 8 813,83 euros, dont 8 074,27 euros en principal, au titre de deux mois de loyers.

La saisie-attribution a été dénoncée à la société Okaïdi le même jour.

Par acte en date du 14 septembre 2020, la SAS Okaïdi a fait assigner la SCI Les Pente devant le juge de l'exécution du tribunal judiciaire de Lille aux fins de contester la saisie-attribution.

Par jugement du 28 juin 2021, le juge de l'exécution a :

- débouté la SAS Okaïdi de ses demandes tendant à la mainlevée de la saisie-attribution pratiquée par la SCI Les Pente entre les mains de la CRCAM Nord de France, suivant procès-verbal du 14 août 2020 ;

- débouté la SAS Okaïdi de sa demande de délai ;

- laissé les frais de la mesure d'exécution à la charge de la SAS Okaïdi ;

- condamné la SAS Okaïdi à payer à la SCI Les Pente la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- débouté la SAS Okaïdi de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamné la SAS Okaïdi aux dépens.

Par déclaration adressée par la voie électronique le 13 juillet 2021, la SAS Okaïdi a relevé appel de l'ensemble des chefs de ce jugement.

Aux termes de ses dernières conclusions déposées le 3 décembre 2021, elle demande à la cour, sur le fondement des articles L. 213-6 du code de l'organisation judiciaire, R. 211-1 3°, L. 211-1, L. 211-2, L. 211-4, R. 211-10, R. 211-11, R. 121-18 et suivants du code des procédures civiles d'exécution, 1218,1219, 1719 et 1343-5 du code civil, d'infirmer le jugement déféré en toutes ses dispositions et en conséquence de :

A titre principal,

- déclarer nulle la saisie-attribution signifiée entre les mains de la CRCAM Nord de France et dénoncée le 14 août 2020 ;

- constater que la créance n'est pas fondée en son principe ;

- ordonner en conséquence la mainlevée de la saisie-attribution ;

A titre subsidiaire,

- ordonner la mainlevée de la saisie-attribution ;

- lui accorder des délais de paiement allant jusqu'à 24 mois pour s'acquitter du paiement de la somme qui sera mise à sa charge ;

En tout état de cause,

- débouter la SCI Les Pente de toutes demandes et de tout appel incident ;

- condamner la SCI Les Pente à lui payer la somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens de l'appel et dire que la SCP Processuel pourra se prévaloir des dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.

Aux termes de ses dernières conclusions du 20 octobre 2021, la SCI Les Pente demande à la cour de confirmer le jugement déféré en son intégralité, de débouter la société Okaïdi de toutes ses demandes et de la condamner à lui verser la somme de 2 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens.

Il est expressément renvoyé aux dernières conclusions des parties pour le rappel complet des prétentions et moyens soutenus.

MOTIFS

Selon l'article L. 211-1 du code des procédures civiles d'exécution, tout créancier muni d'un titre exécutoire constatant une créance liquide et exigible peut, pour en obtenir le paiement, saisir entre les mains d'un tiers les créances de son débiteur portant sur une somme d'argent.

En l'espèce, la saisie-attribution a été pratiquée pour une somme de 8 813,83 euros, dont 8 074,27 en principal.

Il résulte des pièces produites comme des écritures des parties que cette somme correspond à l'équivalent de deux mois de loyer, la SAS Okaïdi estimant ne pas avoir à régler le loyer de la période de confinement du 15 mars 2020 au 11 mai 2020, pendant laquelle son magasin a été fermé.

Cette société se prévaut notamment des dispositions de l'article 1722 du code civil qui dispose que si, pendant la durée du bail, la chose louée est détruite en totalité par cas fortuit, le bail est résilié de plein droit ; si elle n'est détruite qu'en partie, le preneur peut, suivant les circonstances, demander ou une diminution du prix, ou la résiliation même du bail. Dans l'un et l'autre cas, il n'y a lieu à aucun dédommagement.

L'application de ces dispositions n'est pas restreinte au cas de perte matérielle de la chose et s'étend à la perte juridique dans les cas où, par suite des circonstances, le preneur se trouve dans l'impossibilité de jouir de la chose ou d'en faire un usage conforme à sa destination, notamment à la suite de dispositions légales ou réglementaires ou d'une décision administrative.

En outre, l'impossibilité d'user de la chose louée selon sa destination peut n'être que temporaire.

Il résulte de l'arrêté du 15 mars 2020 complétant l'arrêté du 14 mars 2020 portant diverses mesures relatives à la lutte contre la propagation du virus covid-19 et du décret n°2020-293 du 23 mars 2020 complété par le décret n°2020-423 du 14 avril 2020 qu'afin de ralentir la propagation du virus covid-19, les établissements relevant des catégories mentionnées par le règlement pris en application de l'article R. 123-12 du code de la construction et de l'habitation figurant ci-après se sont vu interdire l'accueil du public jusqu'au 11 mai 2020 : (...) - au titre de la catégorie M : magasins de vente et centres commerciaux sauf pour les activités de livraison et de retraits de commande.

Il était toutefois précisé que les établissements de la catégorie M pouvaient continuer à recevoir du public pour les activités figurant en annexe.

En l'espèce, il est constant que la société Okaïdi exerce dans les locaux loués à la société Les Pente une activité de vente au public d'articles d'habillement, qui ne faisait pas partie des activités dites essentielles qui ont pu se poursuivre.

Ainsi, entre le 15 mars 2020 et le 11 mai 2020, la société Okaïdi n'a pu, en application des mesures susvisées, utiliser les locaux loués conformément à leur destination essentielle, c'est à dire pour y recevoir sa clientèle, peu important que l'accès aux locaux n'ait pas été empêché par le bailleur, que l'accès à la galerie marchande soit resté possible, l'hypermarché Cora restant ouvert ou que la société Okaïdi ait pu utiliser les locaux comme lieux de stockage, notamment pour des ventes en ligne.

Dès lors, l'impossibilité dans laquelle elle s'est trouvée pendant la période en cause d'utiliser les lieux loués conformément à la destination convenue s'analyse en une perte partielle de la chose justifiant qu'elle soit, au titre de cette période, dispensée du paiement des loyers.

A défaut de créance exigible, la saisie-attribution pratiquée doit être annulée et sa mainlevée ordonnée. Le jugement déféré sera donc infirmé.

Sur les dépens et l'article 700 du code de procédure civile :

Le sens de la présente décision conduit à infirmer la décision déférée en ses dispositions relatives aux dépens et à l'indemnité allouée à la SCI Les Pente sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

Il convient de condamner la SCI Les Pente aux dépens de première instance et d'appel, de la débouter de sa demande fondée sur l'article 700 du code de procédure civile au titre de la première instance et de l'appel et de la condamner à payer à la société Okaïdi la somme de 2 500 euros au titre des frais non compris dans les dépens qu'elle a été contrainte d'exposer en appel.

PAR CES MOTIFS

Infirme le jugement déféré ;

Statuant à nouveau et y ajoutant,

Annule la saisie-attribution pratiquée le 14 août par la société civile immobilière Les Pentes au préjudice de la SAS Okaïdi ;

Ordonne la mainlevée de la saisie-attribution ;

Déboute la société civile immobilière Les Pente de sa demande fondée sur l'article 700 du code de procédure civile au titre de la première instance et de l'appel ;

Condamne la société immobilière les Pente à payer à la SAS Okaïdi la somme de 2 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

Condamne la société immobilière les Pente aux dépens de première instance et d'appel qui seront recouvrés pour ces derniers par la SCP Processuel, conformément à l'article 699 du code de procédure civile.