Cass. com., 24 mars 2021, n° 19-21.471
COUR DE CASSATION
Arrêt
Cassation
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Rémery
Rapporteur :
Mme Brahic-Lambrey
Avocat général :
M. Lecaroz
Avocat :
SCP Rocheteau et Uzan-Sarano
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Aix-en-Provence, 20 juin 2019), la société K et L, ayant pour dirigeant M. V..., a été mise en redressement judiciaire le 14 octobre 2013, la date de cessation des paiements étant fixée au 10 octobre 2013. La procédure a été convertie en liquidation judiciaire le 17 mars 2014, M. E... étant désigné liquidateur. Le liquidateur a recherché la responsabilité pour insuffisance d'actif de M. V....
Examen du moyen
Sur le moyen, pris en sa deuxième branche, ci-après annexé
2. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Sur le moyen, pris en sa première branche
Enoncé du moyen
3. M. V... fait grief à l'arrêt de le condamner à payer la somme de 160 000 euros à M. E..., ès qualités, au titre de sa contribution à l'insuffisance d'actif, alors « que seules les fautes de gestion commises antérieurement au jugement d'ouverture peuvent justifier la condamnation d'un dirigeant à contribuer à l'insuffisance d'actif de la société en liquidation judiciaire ; qu'en l'espèce, M. V... a déclaré la cessation des paiements de la société K et L le 10 octobre 2013, la procédure de redressement judiciaire étant ouverte par jugement du 14 octobre 2013 ; que pour retenir l'existence d'une faute de gestion résultant du défaut de paiement des dettes fiscales et sociales ayant fait bénéficier la société d'une trésorerie artificielle, la cour d'appel a relevé que "la société K et L n'a pas réglé ses créances fiscales à hauteur de 14 118,20 euros (la TVA septembre et octobre 2013, la CFE 2011 et 2013, la taxe des ordures ménagères 2013) ; que par ailleurs, n'ont pas été payées les cotisations 2013 Klesia retraite s'élevant à 11 130 euros, les cotisations Klesia retraite Arrco d'un montant de 23 957 euros (
)" ; qu'en se déterminant ainsi, sans préciser si les dates d'exigibilité de ces créances fiscales et sociales étaient antérieures au jugement d'ouverture du 14 octobre 2013, à défaut de quoi elles ne pouvaient être prises en compte, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 651-2 du code de commerce. »
Réponse de la Cour
Vu l'article L. 651-2 du code de commerce :
4. Il résulte de ce texte que seules des fautes de gestion antérieures à l'ouverture de la procédure collective peuvent être prises en compte pour engager la responsabilité pour insuffisance d'actif du dirigeant fautif.
5. Pour condamner M. V... au titre de l'insuffisance d'actif, l'arrêt relève que la société n'a pas réglé la TVA du mois d'octobre 2013, la CFE de 2013, la taxe des ordures ménagères de 2013 ni les cotisations retraite 2013 de Klesia retraite et Klesia retraite Arrco, et que la société K et L, en conservant ces sommes, a bénéficié d'une trésorerie artificielle.
6. En se déterminant ainsi, par des motifs impropres à caractériser, en l'absence de précisions sur les dates d'exigibilité de ces créances, leur antériorité par rapport au jugement d'ouverture du 14 octobre 2013, la cour d'appel, a privé sa décision de base légale.
Et sur le moyen, pris en sa troisième branche
Enoncé du moyen
7. M. V... fait le même grief à l'arrêt, alors « que le montant de tout ou partie de l'insuffisance d'actif ne peut être mis à la charge du dirigeant que s'il est établi un lien de causalité entre chaque faute de gestion retenue et l'insuffisance d'actif constatée ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a relevé que les manquements de M. V... à la législation du travail étaient "à l'origine du versement d'indemnités importantes, les avances de fonds faites par le CGEA à hauteur de 737 940,76 euros représentant 1/3 du passif", et excédait "la simple négligence, tout dirigeant ayant l'obligation de gérer les contrats de travail de ses salariés, conformément à la législation du travail" ; qu'elle a par ailleurs retenu que "l'insuffisance d'actif, déduction faite de la créance du CGEA, est certaine à hauteur de la somme de 1 346 861 euros" ; qu'en condamnant M. V... au titre de l'insuffisance d'actif de la société K et L, quand il ressortait de ses propres constatations que la faute de gestion retenue à l'encontre de M. V... n'était nullement en lien avec l'insuffisance d'actif retenue laquelle excluait les avances de fonds faites au titre de la garantie des salaires par le CGEA, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations et a violé l'article L. 651-2 du code de commerce. »
Réponse de la Cour
Vu l'article L. 651-2 du code de commerce :
8. Selon ce texte, la faute de gestion, pour permettre d'engager la responsabilité pour insuffisance d'actif du dirigeant, doit avoir contribué à l'insuffisance d'actif.
9. Pour condamner M. V... au titre de l'insuffisance d'actif, l'arrêt relève que ce dernier a méconnu la législation du travail en ce qu'il a embauché de nombreux salariés dont le liquidateur a constaté que certains avaient disparu des effectifs sans qu'il ne soit mis fin à leur contrat de travail selon les règles de droit en vigueur, manquement à l'origine du versement d'indemnités importantes, les avances de fonds faites par le CGEA à hauteur de 737 940,76 euros représentant un tiers du passif.
10. En statuant ainsi, alors qu'elle avait déduit du montant de l'insuffisance d'actif le montant de la créance du CGEA, la cour d'appel, qui n'a pas établi le lien entre la faute qu'elle retenait et l'insuffisance d'actif, a violé le texte susvisé.
Portée et conséquences de la cassation
11. La condamnation à supporter l'insuffisance d'actif ayant été prononcée en considération de plusieurs fautes de gestion, la cassation encourue à raison de l'une d'entre elles entraîne, en application du principe de proportionnalité, la cassation de l'arrêt de ce chef.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il a dit que M. V... avait commis des fautes de gestion ayant contribué à l'insuffisance d'actif de la société K et L à hauteur de 160 000 euros et en ce qu'il l'a condamné à payer cette somme à M. E..., en qualité de liquidateur de la société K et L, l'arrêt rendu le 20 juin 2019, entre les parties, par la cour d'appel d'Aix-en-Provence ;
Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Montpellier.