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Décisions

Cass. crim., 16 mars 1987, n° 85-94.227

COUR DE CASSATION

Arrêt

Rejet

Rennes, du 11 juill. 1985

11 juillet 1985

Statuant sur le pourvoi formé par :

- D. V.,

contre un arrêt de la Cour d'appel de RENNES, Chambre correctionnelle, en date du 11 juillet 1985, qui, d'une part, l'a condamné, pour délits assimilés à la banqueroute simple et complicité de délit assimilé à la banqueroute frauduleuse, à une amende de 20.000 francs, a ordonné la publication de la décision et a prononcé l'exclusion de la condamnation du bulletin n° 2 du casier judiciaire et d'autre part, l'a relaxé des autres chefs de la prévention ;

Vu le mémoire produit et le mémoire complémentaire ;

Sur le deuxième moyen de cassation pris de la violation des articles 131 par. 2 de la loi du 13 juillet 1967 applicable en la cause, 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale ;

"en ce que l'arrêt attaqué a déclaré le demandeur coupable d'emploi de moyens ruineux pour retarder la constatation de l'état de cessation des paiements ;

"aux motifs que constitue un moyen ruineux de se procurer des fonds, l'importance du découvert bancaire qui a pour effet d'entraîner des agios et intérêts excessifs, eu égard au chiffre d'affaires de l'entreprise, même si le taux est conforme à celui habituellement pratiqué sur le marché ; qu'en l'espèce, les prêts consentis aux sociétés étaient manifestement excessifs et ruineux, que S., comme ses deux co-prévenus en ce qui concerne les autres sociétés, a agi frauduleusement ce qu'il ne pouvait ignorer, puisque ces agissements avaient pour effet d'accroître singulièrement le montant du passif et partant de diminuer le gage des créanciers ;

"alors que, d'une part, l'infraction visée par l'article 131 par. 2 de la loi du 13 juillet 1967 suppose que la personne poursuivie ait eu des pouvoirs de gestion ; qu'en l'espèce, la Cour d'appel, par confirmation de la décision des premiers juges, n'a pu tout à la fois relever que D. n'avait exercé aucune action au niveau de la gestion des comptes sociaux de la société U. et le déclarer coupable d'emploi de moyens ruineux concernant les faits se rapportant aux sociétés C. et U. en l'absence de tout pouvoir d'intervention directe sur ces sociétés ;

"alors, d'autre part, et en tout état de cause que la mauvaise foi est un élément constitutif du délit reproché, d'où il suit que les juges du fond n'ont pas légalement justifié leur décision en omettant de constater la mauvaise foi du prévenu" ;

Sur le troisième moyen de cassation pris de la violation des articles 427 de la loi du 24 juillet 1966, 133 de la loi du 13 juillet 1967, 159 et 60 du Code pénal, 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale ;

"en ce que l'arrêt attaqué a déclaré le demandeur coupable de complicité de détournement de la majeure partie du capital de la société U. ; au seul motif qu'en laissant en connaissance de cause S. commettre des détournements d'actif alors qu'en sa qualité d'administrateur, il avait les moyens légaux de s'y opposer, D. s'est rendu coupable de complicité par aide ou assistance ;

"alors que, d'une part, l'acte poursuivi au titre de la complicité suppose une infraction principale elle-même punissable ; qu'en l'espèce, la Cour d'appel a omis de répondre aux chefs péremptoires des conclusions d'appel du demandeur faisant valoir que les prévenus ne pouvaient avoir procédé à un détournement d'actif puisque, précisément, les fonds prétendument détournés avaient été utilisés au profit des sociétés qui devaient en bénéficier comme le souhaitaient les actionnaires ayant donné mandat aux administrateurs d'utiliser les fonds de la société U. dans l'intérêt des sociétés S. et C. ;

"alors, d'autre part, que le simple fait que le demandeur fut administrateur de la société U. ne saurait constituer un acte de complicité par aide ou assistance en l'absence de tout motif propre à caractériser de tels actes ; qu'ainsi la Cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision ;

"alors, en outre, qu'en l'absence de toute indication sur la date à laquelle l'aide ou l'assistance aurait été prêtée à l'auteur principal, la complicité n'est pas établie ;

"alors, enfin, qu'en matière de complicité, l'intention coupable doit exister au moment où l'aide a été apportée ; qu'en l'espèce, la Cour d'appel qui se borne à affirmer que le demandeur a, en connaissance de cause, laissé S. commettre des détournements, n'a pas légalement justifié sa décision" ;

Les moyens étant réunis ;

Attendu qu'il appert de l'arrêt attaqué et du jugement dont il adopte les motifs non contraires que dans la perspective d'un regroupement industriel intéressant les sociétés C. et S., la société anonyme U. a été créée le 24 juin 1975, S. étant nommé président et D., administrateur ; qu'à la suite de l'admission de la société en règlement judiciaire en juillet 1976 puis en liquidation des biens en janvier 1977, D. a été poursuivi notamment des chefs d'emploi de moyens ruineux pour se procurer des fonds et de complicité de détournement de partie de l'actif de la société U. ;

Attendu que pour déclarer le prévenu coupable de ces chefs, les juges du fond, d'une part, constatent, au vu de l'enquête et de l'expertise comptable effectuées que dès le 31 juillet 1975, alors que son activité débutait et qu'elle ne disposait d'aucun autre fonds propre, la société U. a vu disparaître la quasi-totalité de son capital social et qu'à cette date existaient des protêts et des chèques sans provision ; que les juges du fond relèvent d'autre part que les emprunts et découverts bancaires qu'ils énumèrent, consentis à la société U. constituaient, compte tenu de leur ampleur et de l'état virtuel de cessation des paiements consécutif à la disparition du capital social, des moyens de financement ruineux pour cette société et considèrent que le prévenu qui ne pouvait ignorer que ces opérations avaient pour effet d'accroître le montant du passif et partant de diminuer le gage des créanciers, a agi frauduleusement ; qu'enfin, selon l'arrêt attaqué, en laissant en connaissance de cause, S., président de la société U., commettre en mars, avril et juillet 1975, les détournements d'actif que les juges retiennent, après avoir écarté l'argument d'une prétendue conformité de ces agissements à l'objet social, alors qu'en sa qualité d'administrateur D. avait les moyens légaux de s'y opposer, ce dernier s'est rendu complice de ces faits par aide et assistance ;

Attendu qu'en l'état de ces énonciations et constatations qui caractérisent en tous leurs éléments constitutifs tant matériels qu'intentionnel, les délits retenus à la charge du demandeur, la Cour d'appel qui a répondu aux chefs péremptoires des conclusions déposées, a donné une base légale à sa décision au regard des incriminations résultant des articles 131 par. 2 et 133 de la loi du 13 juillet 1967 et non remises en cause par la loi du 25 janvier 1985 relative au redressement et à la liquidation judiciaires des entreprises ;

Qu'en effet notamment, si la complicité par aide et assistance ne peut s'induire d'une simple inaction ou abstention, elle se trouve en revanche caractérisée lorsque, comme en l'espèce, un administrateur de société anonyme ayant connaissance des détournements d'actif auxquels se livrait son président, les a laissé se perpétuer alors qu'il avait les moyens que lui donne la loi de s'y opposer ;

D'où il suit que les moyens ne sauraient être accueillis ;

Mais sur le premier moyen de cassation pris de la violation des articles 131 par. 6 de la loi du 13 juillet 1967, 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale ;

"en ce que l'arrêt attaqué a déclaré le demandeur coupable d'avoir, étant administrateur de la société U. en état de cessation des paiements, de mauvaise foi, omis de faire au greffe du Tribunal compétent, dans le délai de quinze jours, la déclaration de l'état de cessation des paiements ;

"aux motifs que dès le mois de juillet 1975, la société U. avait vu disparaître sans avoir fait la moindre dépense pour elle-même, la quasi-totalité de son capital social ; que l'expertise comptable effectuée devait confirmer que dès le 31 juillet 1975, la société U. qui n'avait par ailleurs aucun autre fonds propre et dont l'activité ne faisait que débuter, était en état de cessation des paiements ; que dès cette date la société U. ne pouvait plus avec l'actif disponible faire face au passif exigible, situation qui n'a pu échapper aux trois prévenus ; que là encore, les trois prévenus en ne prenant pas la décision de déposer le bilan dans les quinze jours de la constatation de l'état de cessation des paiements, soit au plus tard fin juillet 1975, agissait en fraude aux droits des créanciers de la société ;

"alors que les actes prévus et réprimés par l'article 131 de la loi du 13 juillet 1967 doivent avoir été accomplis de mauvaise foi ; qu'en l'espèce, la Cour d'appel qui s'est bornée à affirmer que la situation de la société U. n'avait pu échapper au prévenu et que le demandeur avait agi en fraude aux droits des créanciers, n'a pas suffisamment caractérisé l'élément intentionnel de l'infraction susvisée ; qu'ainsi la Cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision" ;

Et sur le moyen complémentaire pris de l'entrée en vigueur de la loi n° 85-98 du 25 janvier 1985 relative au redressement et à la liquidation judiciaires des entreprises, en ce que cette loi a abrogé, à compter du 1er janvier 1986, par son article 238, l'article 131 par. 6 de la loi du 13 juillet 1967, laquelle ne contient aucune incrimination pénale applicable aux faits poursuivis ;

Les moyens étant réunis ;

Vu ladite loi et les articles cités ;

Attendu qu'en l'absence d'une disposition contraire expresse, une loi nouvelle qui abroge une incrimination s'applique aux faits commis avant son entrée en vigueur et non encore jugés ;

Attendu que la loi du 25 janvier 1985 a abrogé en son article 238 paragraphe 2 notamment les articles 1er à 149 de la loi du 13 juillet 1967 sur le règlement judiciaire, la liquidation des biens, la faillite personnelle et les banqueroutes ; que cette loi est entrée en vigueur au plus tard le 1er janvier 1986 ;

Qu'à compter de cette date, la condamnation prononcée par l'arrêt attaqué du 11 juillet 1985 à l'encontre de V. D. notamment du chef de délit assimilé à la banqueroute simple pour non déclaration dans les délais légaux de l'état de cessation des paiements de la société U. dont il est l'administrateur, ne peut être maintenue, en raison de l'existence du pourvoi en cassation, dès lors que l'incrimination retenue à l'encontre du demandeur est désormais abrogée par la loi nouvelle ;

Qu'en conséquence, l'arrêt attaqué doit être annulé de ce seul chef, mais par voie de simple retranchement, la peine prononcée étant justifiée au regard des faits d'emploi de moyens ruineux pour se procurer des fonds et de complicité de détournement d'actif retenus par les juges ;

Par ces motifs :

ANNULE l'arrêt précité de la Cour d'appel de Rennes, en date du 11 juillet 1985, par voie de retranchement en ses seules dispositions déclarant V. D. coupable de délit assimilé à la banqueroute simple par non déclaration dans le délai légal de l'état de cessation des paiements de la société, toutes autres dispositions dudit arrêt étant maintenues ;

Dit n'y avoir lieu à renvoi.