Cass. 3e civ., 22 mai 2013, n° 12-16.217
COUR DE CASSATION
Arrêt
Cassation
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Terrier
Avocats :
SCP Boré et Salve de Bruneton, SCP Gatineau et Fattaccini
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Chambéry, 24 janvier 2012), que, par acte du 27 novembre 2000, la société Capitale 2 a donné à bail à la société " Le Bowling " une partie des locaux commerciaux lui appartenant dans l'immeuble en copropriété " Capitale 2 " ; que le bail stipulait que les locaux loués étaient destinés exclusivement à l'usage principal de bar et à titre accessoire d'exploitation de bowling jeux automatiques billards et excluait les activités commerciales bruyantes et malodorantes et notamment l'exploitation d'une discothèque ; que, par acte du 28 octobre 2004, la société " Le Bowling " a cédé son fonds de commerce à la société Le Coyote ; qu'une commission de sécurité qui, le 23 février 2007, avait constaté un changement d'activité de l'établissement et émis un avis défavorable à la poursuite de cette activité, en raison de l'insuffisance des dégagements et de l'isolement des locaux à risques, a noté, le 29 février 2008, la persistance d'insuffisances malgré les travaux réalisés ; que le syndicat des copropriétaires de l'immeuble Capitale 2 et la bailleresse ont assigné la locataire en résiliation du bail, subsidiairement condamnation sous astreinte à respecter les stipulations contractuelles et en indemnisation du surcoût des primes d'assurance ; que la société Le Coyote a demandé la condamnation de la société Capitale 2 à l'indemniser du préjudice consécutif à la diminution de sa surface commerciale, par suite du refus de la bailleresse de procéder à l'ouverture d'une nouvelle issue de secours ou de solliciter l'autorisation de procéder à une telle ouverture ;
Sur le premier moyen :
Attendu que la société Capitale 2 et le syndicat des copropriétaires de l'immeuble Capitale 2 font grief à l'arrêt de rejeter la demande de résiliation judiciaire du bail, alors, selon le moyen :
1°/ que la résolution judiciaire doit être prononcée en cas de manquement grave d'une partie à ses engagements, peu important la situation des tiers aux contrats ; qu'en l'espèce, après avoir relevé que la société Le Coyote exerçait une activité bruyante en infraction avec les exigences du bail commercial, la cour d'appel, pour refuser de résilier ce bail, a relevé que d'autres établissements de l'immeuble, soumis aux mêmes interdictions relatives aux activités bruyantes et malodorantes, exerçaient la même activité que la société Le Coyote ; qu'en statuant ainsi par des motifs inopérants, impropres à caractériser l'absence de gravité des manquements personnels commis par la société Le Coyote, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 1165 et 1184 du code civil ;
2°/ que la résolution judiciaire doit être prononcée en cas de manquement grave d'une partie à ses engagements, les manquements étant appréciés au jour où le juge statue ; qu'en l'espèce, après avoir relevé que la société Le Coyote exerçait une activité bruyante en infraction avec les exigences du bail commercial, la cour d'appel, pour refuser de résilier ce bail, a relevé que la transformation des lieux était antérieure à l'acquisition du bail par la société Le Coyote ; qu'en statuant ainsi par des motifs inopérants, impropres à caractériser l'absence de gravité des manquements personnels commis par la société Le Coyote, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1184 du code civil ;
3°/ qu'il résulte des constatations des juges du fond que la société Le Coyote exploitait un établissement dans lequel était diffusée, parfois avec un disc-jockey, de la musique amplifiée sur laquelle les clients qui pouvaient être plus de six cents dansaient ; que l'activité ainsi exploitée, était celle d'une discothèque formellement interdite par le bail ; qu'en refusant d'examiner si ce manquement aux stipulations du bail n'était pas suffisamment grave pour justifier la demande du bailleur (la SCI Capitale 2) et non pas seulement les demandes du syndicat des copropriétaires, de résiliation du bail, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 1728, 1729 et 1184 du code civil ;
4°/ que, subsidiairement, la contradiction de motifs équivaut à un défaut de motif ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a, d'une part, énoncé que l'exploitation d'une discothèque était autorisée dans la copropriété et que le syndicat des copropriétaires ne pouvait se plaindre de l'exploitation par la société Le Coyote d'un tel établissement, jugeant ainsi que la société Le Coyote exploitait une discothèque en contravention formelle avec les stipulations du bail, d'autre part, énoncé que les exploitants des deux discothèques de Morzine attestaient qu'ils ne considéraient pas le Coyote bar comme un concurrent, jugeant ainsi que la société Le Coyote n'exploitait pas une discothèque ; qu'en statuant ainsi par des motifs contradictoires, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile ;
5°/ que la cour d'appel a expressément relevé que, comme dans d'autres établissements de l'immeuble, des disc-jockeys étaient présents au Coyote bar, que s'y trouvait du matériel destiné à produire de la musique amplifiée, et que les personnes qui s'y trouvaient se livraient à une activité de danse ; qu'elle a également relevé que la société Le Coyote ne justifiait d'une assurance que pour une activité de café, bar, brasserie, tabac ; qu'en refusant de constater que la société Le Coyote avait commis un manquement en ne s'assurant pas pour l'activité effectivement exercée, ce qui était susceptible d'avoir de graves conséquences en cas d'accident, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations au regard de l'article 1184 du code civil ;
Mais attendu qu'ayant relevé que la société Le Coyote justifiait être assurée pour une activité de café, bar, brasserie, la cour d'appel, qui n'était pas tenue de faire une recherche sur la gravité du manquement tenant à l'exploitation d'une discothèque dont elle avait constaté, sans contradiction, qu'elle n'existait pas, et qui a souverainement retenu que les manquements contractuels relevés n'étaient pas suffisamment graves pour justifier le prononcé de la résiliation judiciaire du bail, a légalement justifié sa décision de ce chef ;
Sur le troisième moyen :
Attendu que le syndicat des copropriétaires de l'immeuble Capitale 2 fait grief à l'arrêt de le débouter de sa demande au titre de l'augmentation des primes d'assurance liées à l'aggravation du risque, alors, selon le moyen :
1°/ que le juge ne peut pas méconnaître la loi contractuelle ; qu'en l'espèce, le contrat de bail stipulait que « si l'activité exercée par le preneur entraînait, soit pour le propriétaire, soit pour les voisins, une majoration des primes d'assurance, celui-ci devrait rembourser cette majoration à chacun des intéressés » ; qu'en interdisant dès lors au syndicat des copropriétaires de réclamer le remboursement de la majoration de ses primes d'assurance causée par l'activité de la société Le Coyote, la cour d'appel a violé l'article 1134 du code civil ;
2°/ que le syndicat des copropriétaires produisait, en cause d'appel, la lettre du 27 février 2007 adressée au syndic par son courtier d'assurance et ainsi rédigée : « Je vous confirme que l'assureur Generali va résilier le contrat " Multirisque Immeuble " en cours (AA681457). En effet, il apparaît clairement qu'une activité de bar avec piste de danse est pratiquée au Coyote bar, situé au premier sous-sol de cet immeuble ; que cette activité est une exclusion formelle du contrat en cours. De plus, il semble que cette activité soit mise en oeuvre sans autorisation et sans respect des normes de sécurité des personnes » ; qu'il résultait clairement et précisément de cette lettre que la résiliation de l'ancienne police d'assurance, et donc la souscription d'une nouvelle police, plus onéreuse, avait été causée par l'activité de la société Le Coyote ; qu'en jugeant, par motifs adoptés, qu'un tel lien causal n'était pas caractérisé, sans s'expliquer sur cet élément de preuve, la cour d'appel a privé sa décision de motifs en violation de l'article 455 du code de procédure civile ;
Mais attendu qu'ayant exactement retenu que la hausse de coût d'assurance, subie par la copropriété en raison de l'exploitation dans ses murs d'un établissement conforme au règlement de copropriété, faisait partie des charges générales de la copropriété et ne pouvait être imputée au seul propriétaire du lot, non plus qu'au locataire, la cour d'appel n'était pas tenue de rechercher si l'origine de la majoration de la prime d'assurance se trouvait dans l'activité de la société Le Coyote ;
D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;
Sur le quatrième moyen :
Attendu que la société Capitale 2 fait grief à l'arrêt de dire qu'elle avait manqué à son obligation de bailleur en refusant de délivrer à la société Le Coyote les autorisations nécessaires à l'exploitation pleine et entière des locaux loués, alors, selon le moyen :
1°/ que le bailleur n'est tenu de délivrer que des locaux qui soient conformes à l'utilisation qui en est prévue par le bail ; que la cour d'appel a elle-même relevé que les locaux avaient été modifiés pour accueillir six cent quarante-sept personnes au lieu de deux cents, après changement de l'activité de l'établissement par rapport aux stipulations du bail ; qu'en reprochant au bailleur d'avoir manqué à son obligation de délivrance en n'ayant pas délivré les autorisations rendues nécessaires par le nouveau mode d'exercice de l'activité, qui n'était pas prévu par le bail, la cour d'appel a violé les articles 1719 et 1147 du code civil ;
2°/ que le juge d'appel ne peut se contenter de confirmer la décision des premiers juges sans répondre aux moyens qui sont articulés devant lui pour critiquer cette décision ; qu'en confirmant la condamnation du bailleur pour manquement à son obligation de délivrance, du fait du défaut d'autorisation donnée pour l'ouverture d'une autre issue de secours, sans répondre au moyen articulé par la société Capitale 2 qui exposait, en se fondant sur les rapports de l'expert X..., que de tels travaux étaient impossibles sauf à créer une gêne et un danger pour les personnes, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile ;
3°/ que le juge d'appel ne peut se contenter de confirmer la décision des premiers juges sans répondre aux moyens qui sont articulés devant lui pour critiquer cette décision ; qu'en confirmant la condamnation du bailleur pour manquement à son obligation de délivrance, du fait du défaut d'autorisation donnée pour l'ouverture d'une autre issue de secours, sans répondre au moyen articulé par la société Capitale 2 tiré de l'acceptation antérieure, par la société Le Coyote, de ce défaut d'autorisation, moyennant une réduction de son loyer annuel de 2 700 euros et l'allocation d'une surface de vitrine supplémentaire de 3 m ², matérialisée par l'avenant au bail du 6 juillet 2009, la cour d'appel a derechef violé l'article 455 du code de procédure civile ;
Mais attendu que la cour d'appel, qui n'était pas tenue de suivre les parties dans le détail de leur argumentation et qui n'a pas relevé que les locaux avaient été modifiés pour accueillir six cent quarante-sept personnes au lieu de deux cents, a légalement justifié sa décision en retenant que le refus de la bailleresse d'autoriser les travaux mis à la charge du preneur et nécessaires pour l'exploitation de son fonds de commerce constituait un manquement à son obligation de délivrance ;
Mais sur le deuxième moyen :
Vu l'article 1184 ensemble l'article 1147 du code civil ;
Attendu que pour débouter la société Capitale 2 de sa demande de condamnation sous astreinte de la société Le Coyote à exploiter son établissement dans les termes du bail, l'arrêt retient que, si infraction aux clauses du bail il y a bien, elle ne constitue pas un manquement du locataire suffisamment grave ;
Qu'en statuant ainsi, alors qu'elle avait constaté l'existence d'activités commerciales bruyantes en infraction avec les exigences du bail et qu'une obligation contractuelle peut faire l'objet d'une exécution forcée indépendamment de la gravité du manquement contractuel, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, a violé les textes susvisés ;
PAR CES MOTIFS :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il a débouté la société Capitale 2 de sa demande de condamnation sous astreinte de la société Le Coyote à exploiter son établissement dans les termes du bail en excluant toute diffusion de musique amplifiée, l'arrêt rendu le 24 janvier 2012, entre les parties, par la cour d'appel de Chambéry ; remet, en conséquence, sur ce point, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Chambéry, autrement composée.