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Décisions

CA Paris, Pôle 1 ch. 2, 26 octobre 2011, n° 11/03836

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Prestige Rénovation (SNC)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Guyot

Conseillers :

M. Blanquart, Mme Graff-Daudret

TGI Paris, du 24 nov. 2010, n° 10/58193

24 novembre 2010

FAITS CONSTANTS :

La SNC PRESTIGE RENOVATION a conduit en qualité de maître de l'ouvrage une opération de rénovation et transformation d'une ancienne clinique située [...] en une résidence de service. La société APOLLONIA, en tant qu'agent immobilier, a été chargée de la commercialisation de cet immeuble.

Les époux H. ont été démarchés par la société APOLLONIA et ont acquis en l'état futur d'achèvement le lot n° 206 B situé dans cet immeuble, selon acte établi par maître J., notaire à Marseille, au prix de 327.876 €, réglé à l'aide d'un prêt d'un montant de 327.876 € consenti par la banque HSBC, remboursable sur une durée de 240 mois. Le délai d'achèvement et de livraison du bien a été fixé au 30 juin 2009, sauf survenance d'un cas de force majeure ou de suspension du délai de livraison.

Cet acte a été précédé d'un contrat de réservation sous seing privé en date du 4 avril 2007.

Selon acte sous seing privé du même jour, la SNC PRESTIGE RENOVATION s'est engagée à prendre en charge les intérêts intercalaires appliqués par la banque HSBC aux époux H. entre la signature de l'acte notarié et la remise des clefs de leur appartement.

Les époux H., qui ont réglé à la banque HSBC, au titre des intérêts intercalaires, la somme de 13.035,19 € en 2008 et celle de 5.351,50 € en 2009, ont réclamé à la SNC PRESTIGE RENOVATION le remboursement de ces intérêts, puis l'ont assignée en référé.

Par l'ordonnance entreprise réputée contradictoire du 24 août 2010, le juge des référés du tribunal de grande instance de Paris a :

- constaté que la SNC PRESTIGE RENOVATION n'était pas valablement représentée

- l'a condamnée par provision à payer aux époux H. la somme de 18.386,69 € au titre des intérêts intercalaires

- l'a condamnée à payer aux époux H. la somme de 1.000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux dépens.

La SNC PRESTIGE RENOVATION a interjeté appel de cette décision le 1er mars 2011.

L'ordonnance de clôture est du 21 septembre 2011.

MOYENS ET PRETENTIONS DE LA SNC PRESTIGE RENOVATION :

Par dernières conclusions du 10 juin 2011, auxquelles il convient de se référer, la SNC PRESTIGE RENOVATION fait valoir :

- qu'elle pouvait parfaitement être représentée devant le juge des référés par madame Elisabeth P., salariée chargée du suivi du contentieux, munie d'une délégation de pouvoir établie le 1er juillet 2010 par monsieur J. agissant en qualité de gérant de la SNC PRESTIGE RENOVATION, et ce en vertu de l'article 416 du code de procédure civile

- que son obligation au paiement des intérêts intercalaires est sérieusement contestable dans la mesure où, à la suite de la mise en examen - et de l'incarcération - des dirigeants de la société APOLLONIA et de trois des notaires ayant établi les actes de vente, 'un certain nombre de banques ont refusé de libérer les sommes nonobstant leur engagement à le faire tel que prévu dans les actes d'acquisition et les contrats de prêts souscrits', de sorte qu'elle-même 's'est trouvée dans l'incapacité de procéder à la livraison de l'ensemble des lots acquis'

- qu'en application de l'article 1319 du code civil, l'acte suspecté de faux est suspendu à compter de la mise en accusation ; que, la mise en examen des notaires permet au juge de suspendre l'exécution 'dudit' acte' ; qu'en effet les engagements des uns et des autres sont indissociables ; que la remise en cause de l'acte notarié entraîne nécessairement la suspension des effets de tous les actes qui en découlent.

Elle demande à la cour :

- de dire n'y avoir lieu à référé

- de débouter les époux H. de toutes leurs prétentions

- de condamner les époux H. à lui payer la somme de 1.500 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux dépens de première instance et d'appel, avec application des dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.

MOYENS ET PRETENTIONS DES EPOUX H. :

Par dernières conclusions du 10 août 2011, auxquelles il convient de se référer, les époux H. font valoir :

- s'agissant de la représentation en justice de la SNC PRESTIGE RENOVATION, que le premier juge a justement considéré que cette société ne pouvait être représentée que par son gérant ou par un avocat

- qu'ils ont été victimes des agissements de la société APOLLONIA

- qu'ils ont porté plainte auprès du ministère public à l'encontre de cette société pour faux, usage de faux, escroquerie en bande organisée

- que dans le cadre de l'instruction, les principaux dirigeants d'APOLLONIA, ainsi que plusieurs des notaires auteurs de centaines d'actes dénoncés ont été mis en examen et incarcérés

- que c'est dans ce contexte que la SNC PRESTIGE RENOVATION s'est contractuellement engagée à leur égard à régler les intérêts intercalaires réglés par eux au profit des banques prêteuses

- qu'ils ont eux-mêmes réglé ces intérêts à la banque HSBC

- que la livraison de l'immeuble est intervenue le 29 mai 2009

- que l'obligation de la SNC PRESTIGE RENOVATION n'est pas sérieusement contestable

- que les éventuelles obligations de la banque à l'égard de la SNC PRESTIGE RENOVATION sont étrangers à son engagement contracté auprès d'eux, lequel ne subordonnait nullement le remboursement des intérêts à la libération intégrale des fonds par la banque

- que la cour d'appel de Paris l'a jugé dans une affaire similaire le 11 septembre 2010.

- qu'en dépit de l'exécution provisoire de l'ordonnance entreprise, la SNC PRESTIGE RENOVATION n'a effectué aucun règlement et qu'il convient de l'y contraindre par une astreinte.

Ils demandent à la cour :

- de déclarer la SNC PRESTIGE RENOVATION mal fondée en son appel, de l'en débouter

- de confirmer en tous points l'ordonnance entreprise

- de dire qu'à défaut de règlement des sommes dues dans le mois de la signification de l'arrêt à intervenir, la SNC PRESTIGE RENOVATION sera débitrice d'une astreinte de 500 € par jour de retard

- de condamner la SNC PRESTIGE RENOVATION à leur payer la somme de 3.000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens de première instance et d'appel, avec application des dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.

SUR QUOI, LA COUR :

- Sur la représentation en justice de la SNC PRESTIGE RENOVATION en première instance :

Considérant que le premier juge a considéré qu'en raison du monopole de représentation des avocats devant le tribunal de grande instance, la SNC PRESTIGE RENOVATION ne pouvait pas être valablement représentée par Madame Elisabeth P., chargée du suivi contentieux et munie d'une délégation de pouvoir établie le 1er juillet 2010 par le gérant, et que dès lors, la SNC PRESTIGE RENOVATION qui n'était représentée, ni par son gérant, ni par un avocat, ni par Madame P., devait être considérée comme défaillante ;

Considérant que si, dans la procédure de référé devant le tribunal de grande instance, les parties ne peuvent que comparaître personnellement ou se faire représenter par un avocat, rien n'interdit au représentant légal d'une personne morale de donner une délégation de pouvoirs à un des salariés de la société ; que le régime de cette délégation obéit à celui du mandat d'agir en justice : qu'il doit être écrit et spécial, c'est-à-dire avoir été donné pour une instance déterminée, préciser la juridiction saisie, l'objet de la demande et mentionner la partie adverse; que, s'il remplit ces strictes conditions, le pouvoir est régulier ;

Considérant que le pouvoir donné par Monsieur J., gérant de la SNC PRESTIGE RENOVATION le 1er juillet 2011 à Madame Elisabeth P., ' exerçant [...], chargée du suivi contentieux', est donné 'pour agir en justice, tant en défense qu'en demande et comparaître au nom de la SNC PRESTIGE RENOVATION'; qu'il n'est pas donné spécialement pour l'instance engagée par les époux H., ne précise ni la juridiction saisie, ni l'objet de la demande, ni ne mentionne la partie adverse ; qu'il est donc irrégulier ;

Considérant que pour ces motifs, substitués à ceux du premier juge, il y a lieu de dire que la SNC PRESTIGE RENOVATION n'était pas valablement représentée devant le juge des référés ;

- Sur l'obligation à paiement de la SNC PRESTIGE RENOVATION :

Considérant que la SNC PRESTIGE RENOVATION s'est clairement, par une disposition précise et non susceptible d'interprétation, engagée à payer aux époux H. les intérêts intercalaires courant entre la signature de l'acte notarié et la remise des clés de leur bien, pour un montant maximum de 13,72 € par 1.524 € de capital emprunté et par mois, ne pouvant excéder le coût réel pour l'emprunteur ; que ces règlements devaient être effectués mensuellement sur présentation des justificatifs bancaires ;

Considérant que les époux H. justifient avoir réglé à la banque HSBC, au titre des intérêts du prêt, la somme de 13.035,19 € en 2008 et celle de 5.351,50 € en 2009 ; qu'ils ont adressé à la SNC PRESTIGE RENOVATION, qui ne le conteste pas, la justification de ces paiements ;

Considérant que cette société oppose à la demande des époux H. la contestation sérieuse tirée du refus 'd'un certain nombre de banques' de 'suspendre leurs obligations'du fait que 'les acquéreurs ne répondent pas aux appels de fonds présentés par la SNC PRESTIGE RENOVATION', de sorte qu'elle ne peut parvenir à 'la livraison des lots permettant l'ouverture de la résidence' ;

Considérant que ces allégations sont vagues, dépourvues de toutes pièces justificatives, et ne permettent nullement d'établir que, dans le cas des époux H., la SNC PRESTIGE RENOVATION se serait heurtée à un refus de la banque HSBC de libérer les sommes prévues au fur et à mesure de l'avancement des travaux, ou que les époux H. seraient débiteurs envers elle d'une somme quelconque au titre du solde du prix de vente, ce qui lui permettrait d'opposer l'exception d'inexécution ; qu'en outre, les époux H. indiquent que le bien a été livré le 29 mai 2009, donc dans le délai contractuel prévu, ce qui met à néant l'argumentation de la SNC PRESTIGE RENOVATION selon lequel elle se serait trouvée, du fait du refus 'des banques', dans l'incapacité de livrer les lots vendus ; qu'enfin, l'engagement de la SNC PRESTIGE RENOVATION est antérieur à l'acte authentique de vente, et indépendant de cet acte, dont au surplus rien n'établit qu'il serait argué de faux ;

Considérant que l'obligation n'étant pas sérieusement contestable, il convient de confirmer l'ordonnance du premier juge en ce qu'elle a condamné la SNC PRESTIGE RENOVATION au paiement provisionnel de la somme de 13.386,69 € ;

Considérant qu'une astreinte ne peut sanctionner qu'une obligation de faire et non une obligation à paiement dont la non-exécution ne peut, le cas échéant, indépendamment des intérêts légaux, être sanctionnée que par des dommages-intérêts pour résistance abusive ; qu'il convient, en conséquence de rejeter la demande des époux H. en fixation d'une astreinte ;

Considérant que la SNC PRESTIGE RENOVATION, qui succombe, sera condamnée aux dépens d'appel ;

Considérant qu'il serait inéquitable de laisser aux époux H. les frais non inclus dans les dépens ; qu'il convient de leur allouer à ce titre la somme visée au dispositif ;

PAR CES MOTIFS :

Confirme l'ordonnance entreprise ;

Y ajoutant :

Condamne la SNC PRESTIGE RENOVATION à payer aux époux H. la somme de 2.000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

Condamne la SNC PRESTIGE RENOVATION aux dépens d'appel, qui pourront être recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.