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Décisions

CA Rouen, ch. civ. et com., 17 février 2011, n° 10/02389

ROUEN

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Maison Sainte Anne (SNC)

Défendeur :

Natiocrédibail (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Brunhes

Conseillers :

Mme Vinot, Mme Holman

Avoués :

SCP Duval Bart, SCP Hamel Fagoo Duroy

Avocats :

Me Percheron, Me Sigrist

T. com. Rouen, du 14 déc. 2009

14 décembre 2009

Exposé du litige

Par acte notarié du 30 juin 1989 la société Natiocrédibail et la SNC Maison Sainte Anne ont conclu pour une durée de 15 années un contrat de crédit-bail immobilier portant sur le financement d'un ensemble immobilier à usage de maison de retraite à hauteur de 818.651 € (5.370.000F) ; par trois avenants sous seing privé en date des 3 et 8 juillet 1992, 29 mars 1993 et 2 mars 1999 un financement complémentaire a été accordé à la SNC Maison Sainte Anne et la durée du contrat a été prorogée au 29 juin 2008.

La SNC Maison Sainte Anne a été déclarée en liquidation judiciaire par jugement du tribunal de grande instance de Rouen du 27 novembre 2000.

Par jugement du même jour, le tribunal de grande instance de Rouen statuant en matière commerciale a prononcé la liquidation judiciaire de la SARL Domaine Sainte Anne, gérante de la SNC.

Le 9 janvier 2001, la société Natiocrédibail a déclaré au passif de la liquidation judiciaire de la SNC Maison Sainte Anne une créance de 856.021,70 € TTC au titre de l'indemnité de résiliation due en exécution du contrat de crédit-bail initial et de ses avenants.

Le 19 janvier 2001, la société Natiocrédibail a mis en demeure le liquidateur de la SNC Maison Sainte Anne de lui faire connaître ses intentions sur la poursuite du contrat.

Par ordonnance du 26 mars 2001, le juge-commissaire a constaté la résiliation de ce contrat et de ses avenants à compter du 20 février 2001.

Par lettre du 12 décembre 2005, Maître P., liquidateur de la SNC Maison Sainte Anne, a contesté la créance de la société Natiocrédibail mais celle-ci a maintenu sa déclaration.

Selon les énonciations du jugement déféré, par ordonnance du 4 mai 2006 le juge-commissaire s'est déclaré incompétent et a invité la société Natiocrédibail à saisir le tribunal dans un délai de deux mois et, par acte du 19 juillet 2006, la société Natiocrédibail a assigné Maître P., es-qualités de liquidateur de la SNC Maison Sainte, et Madame D. devant le tribunal de commerce.

Par jugement du 14 décembre 2009, le tribunal de commerce de Rouen a :

- déclaré irrecevable l'exception de nullité du contrat de crédit-bail immobilier et de ses avenants,

- dit que la signature de Madame D. sur le contrat initial et les trois avenants était valide,

- dit que le contrat initial et les trois avenants étaient opposables aux créanciers de la liquidation judiciaire de la SNC Maison Sainte Anne et de Madame D.,

- dit que le juge-commissaire ne s'était pas prononcé sur la validité du contrat et de ses avenants et qu'il n'y avait pas autorité de la chose jugée,

- dit que le contrat initial et ses trois avenants étaient valides et respectaient les dispositions de l'article L 313-9 du Code monétaire et financier,

- dit que l'indemnité de résiliation n'était pas soumise à la TVA,

- fixé cette indemnité de résiliation à la somme de 304.123 €,

- admis la société Natiocrédibail au passif de la SNC Maison Sainte Anne et de Madame D. pour la somme de 304.123 € à titre chirographaire,

- débouté Maître P. de ses demandes,

- condamné Maître P. es-qualités au paiement d'une somme de 1.500€ en application de l'article 700 du Code de procédure civile et aux dépens.

Le 26 mai 2010, Maître P., es-qualités de liquidateur de la SNC Maison Sainte Anne et de Madame D., la SNC Maison Sainte Anne et Madame D. ont interjeté appel de cette décision.

Pour l'exposé des moyens des parties, il est renvoyé aux conclusions signifiées par Maître P., la SNC Maison Sainte Anne et Madame D. le 7 décembre 2010, par la société Natiocrédibail le 10 décembre 2010.

Les appelantes concluent au rejet des demandes de la société Natiocrédibail et, subsidiairement, à la réduction de la clause pénale à 1€, à la condamnation de la société Natiocrédibail au paiement d'une somme de 5.000 € sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.

La société Natiocrédibail conclut à la confirmation du jugement sauf en ce qu'il a fixé l'indemnité de résiliation à la somme de 304.123 €, à la fixation de cette indemnité à la somme de 715.737,21 € au titre du contrat de crédit-bail et de ses trois avenants et à l'admission de sa créance pour ce montant au passif de la SNC Maison Sainte Anne et de Madame D., au rejet des demandes de Maître P. et à sa condamnation es-qualités de liquidateur de la SNC Maison Sainte Anne et de Madame D. au paiement d'une somme de 15.000 € au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.

Sur ce

- Sur l'irrégularité des avenants

Les appelantes font valoir que depuis le 25 août 1989 Madame D. n'était plus gérante de la SNC Maison Sainte Anne et s'était fait radier du registre du commerce et des sociétés, que la gérante de la SNC était la SARL Domaine Sainte Anne dont la gérante était Madame D., que seule cette SARL avait qualité pour représenter la SNC au moment de la conclusion des avenants alors qu'il est indiqué dans ces actes que la SNC Maison Sainte Anne est représentée par Madame D. personne physique et non es-qualités de gérante de la SARL Domaine Sainte Anne, que les avenants ont donc été signés par une personne dépourvue du pouvoir de représenter la SNC, qu'en outre, si Madame D. avait signé les actes es-qualités de gérante de la SARL Domaine Sainte Anne, elle aurait dû bénéficier d'une autorisation des associés.

Il n'est pas contesté par l'intimée qu'au moment de la signature des avenants Madame D. n'avait plus qualité pour représenter la SNC Maison Sainte Anne alors qu'elle est désignée sur ces actes comme représentante de cette personne morale et que rien n'indique qu'elle est intervenue es-qualités de gérante de la SARL Maison Sainte Anne elle-même gérante de la SNC.

Toutefois, ainsi que le relève la société Natiocrédibail, la SNC Maison Sainte Anne a exécuté pour partie le contrat de crédit-bail et ses avenants et sa gérante, la société Domaine Sainte Anne, a exploité la maison de retraite située dans l'ensemble immobilier objet du crédit-bail et de ses avenants.

Dès lors, l'exception de nullité n'étant pas recevable à l'encontre d'un acte juridique ayant déjà reçu exécution, les appelantes ne peuvent se prévaloir d'une irrégularité des avenants, étant au surplus rappelé qu'aux termes de l'article L 221-5 du Code de commerce dans ses rapports avec les tiers le gérant engage la société en nom collectif par les actes entrant dans l'objet social ainsi que le fait observer l'intimée.

Les dispositions relatives à l'indemnité de résiliation insérées dans les avenants sont donc opposables à la SNC Maison Sainte Anne.

- Sur le montant de la créance de la société Natiocrédibail

Les appelantes font valoir pour l'essentiel que l'investissement financier s'est élevé à 899.448 € et que la société Natiocrédibail a perçu au titre des loyers et de la vente de l'immeuble 1.560.879 €, qu'elle n'a donc subi aucun préjudice et que la clause pénale doit être ramenée à l'euro symbolique, qu'enfin la société Natiocrédibail ne peut solliciter la TVA sur l'indemnité de résiliation, cette indemnité n'étant pas assujettie à la TVA.

La société Natiocrédibail soutient pour sa part que le tribunal a commis une erreur en retenant pour le calcul de l'indemnité les dispositions relatives à l'indemnité due en cas de résiliation à l'initiative du crédit-preneur, que la somme qu'elle réclame correspond à l'échéancier mis en place d'un commun accord le 6 mars 2000, qu'il n'y a pas lieu de déduire de l'indemnité le prix de vente de l'immeuble dont elle est seule propriétaire, que l'indemnité de résiliation a pour objet de la dédommager du préjudice résultant pour elle de l'interruption anticipée du contrat.

Il était prévu à l'article L des conditions générales du contrat du 30 juin 1989 une clause résolutoire en cas de non-paiement d'un seul terme de loyer ou d'inexécution de l'une des clauses, la résolution du contrat entraînant de plein droit la perte du bénéfice de la promesse de vente et 'le versement à titre de dommages et intérêts forfaitairement convenus d'une somme calculée selon les modalités prévues au tableau ci-annexé colonne 'Résolution ou résiliation', augmentée d'une année de loyer', cette indemnité étant également exigible en cas de liquidation judiciaire du preneur.

Selon les dispositions relatives à l'indemnité de résiliation figurant dans le dernier avenant, le montant de cette indemnité était fixé à la moitié du capital restant dû en cas de résiliation intervenant à la demande expresse du preneur et à la totalité en cas de résiliation à la demande du bailleur, le preneur devant en outre 's'acquitter auprès du bailleur de l'ensemble des indemnités et modalités contractuelles qui auraient pu être convenues par ailleurs'.

Le contrat initial et les avenants formaient un tout indivisible ainsi qu'il était rappelé dans les avenants successifs.

L'indemnité fixée par l'article L du contrat modifié par l'avenant du 2 mars 1999, au montant du capital restant dû majoré d'une année de loyer supplémentaire, avait pour objet de contraindre la SNC à exécuter le contrat et d'évaluer forfaitairement le préjudice subi par la société Natiocrédibail du fait de l'inexécution par la débitrice de ses obligations.

Elle s'analyse donc en une clause pénale ainsi que l'a estimé le tribunal et les appelantes peuvent en solliciter la réduction en application de l'article 1152 du Code civil.

Les premiers juges ont commis une erreur en considérant que la société Natiocrédibail ne pouvait solliciter une indemnité d'un montant supérieur à la moitié du capital restant dû, montant prévu en cas de résiliation à l'initiative du crédit- preneur, alors que c'est à la suite de la mise en demeure adressée au liquidateur de la SNC par le crédit-bailleur que le juge-commissaire a constaté la résiliation du contrat et de ses avenants, que la résiliation est donc intervenue à l'initiative du crédit-bailleur.

La société Natiocrédibail réclame une somme de 715.737,21 € correspondant au montant de la créance qu'elle a déclarée le 9 janvier 2001, déduction faite de la TVA.

L'argumentation développée par les appelantes sur l'absence d'assujettissement à la TVA de l'indemnité de résiliation est donc sans objet.

Comme le souligne la société Natiocrédibail, le montant total des financements qu'elle a accordés s'est élevé à 1.118.920,73 € HT, et non à 899.448 €, l'ensemble immobilier ainsi financé était affecté à un usage spécifique, à savoir celui d'une maison de retraite, et la rupture du crédit-bail est intervenue un peu plus de sept années avant le terme convenu, fixé fin juin 2008 à la suite de la prorogation du contrat.

Elle a pu néanmoins vendre l'ensemble immobilier pour le prix de 350.163 € et a en outre perçu une somme de 30.490 € à la suite de la rupture d'une première promesse de vente, soit au total un peu plus de 380.000 €, selon les affirmations non contestées des appelantes.

Le préjudice financier qu'elle a subi du fait d'une rupture anticipée du contrat plus de 7 ans avant le terme convenu, alors qu'il restait encore dû au titre du capital une somme d'environ 700.000 €, a donc été en partie réparé par la perception de cette somme de 380.000 € qu'elle a pu réinvestir dans d'autres opérations.

Au regard de ces éléments, la somme de 715.737,21 € réclamée au titre de la clause pénale est manifestement excessive et sera ramenée à celle de 304.123 € retenue par le tribunal.

Madame D., dont la qualité d'associé de la SNC Maison Sainte Anne n'est pas contestée, répondant indéfiniment et solidairement des dettes sociales en application de l'article L 221-1 du Code de commerce, le jugement sera également confirmé sur l'admission de la créance de la société Natiocrédibail au passif de la liquidation judiciaire de Madame D.

La condamnation au titre de l'article 700 du Code de procédure civile sera également confirmée.

Il n'y a pas lieu de faire application de ces dispositions en cause d'appel.

PAR CES MOTIFS

Confirme le jugement déféré en toutes ses dispositions,

Dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du Code de procédure civile en cause d'appel,

Condamne Maître P. es-qualités de liquidateur de la SNC Maison Sainte Anne et de Madame D. aux dépens avec droit de recouvrement au profit des avoués de la cause dans les conditions fixées par l'article 699 du Code de procédure civile.