CA Paris, Pôle 1 ch. 2, 24 novembre 2022, n° 22/09546
PARIS
Arrêt
Infirmation
PARTIES
Demandeur :
Elogie-Siemp (SA)
Défendeur :
Cabinet Piernet (SARL)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Masseron
Conseillers :
M. Rondeau, Mme Chopin
Avocats :
Me Hennequin, Me Benoit Gonin
EXPOSE DU LITIGE
Par acte sous seing privé du 1er octobre 1989, Mme [C] [V], aux droits de laquelle est venue la société Elogie-Siemp a loué à la société Cabinet Piernet des locaux commerciaux dépendant d"un immeuble sis [Adresse 1].
Par exploit du 17 septembre 2021, la société Elogie-Siemp a fait délivrer à la société Cabinet Piernet un commandement visant la clause résolutoire insérée au bail et reproduisant les dispositions de l'article L.145-41 du code de commerce, d"avoir à payer la somme de 12.211,55 euros au titre de loyers et charges impayés.
Les causes du commandement n'ayant pas été réglées, la société Elogie-Siemp a fait assigner la société Cabinet Piernet par exploit du 9 novembre 2021 devant le juge des référés du tribunal judiciaire de Paris afin de voir :
' constater l'acquisition de la clause résolutoire du bail commercial liant les parties ;
' condamner la société Cabinet Piernet à lui payer une provision de 14.l60, 54 euros sur les loyers et charges impayés, outre une provision à. titre d'indemnité d'occupation égale au montant des loyers, charges et taxes qui auraient été dus si le bail s'était poursuivi à compter de la date de la résiliation et ce, jusqu'à la libération complète des lieux litigieux, par remise des clefs ;
' voir ordonner son expulsion sous astreinte de 200 euros par jour de retard ;
' ordonner la séquestration des meubles garnissant le local loué dans les conditions de ses écritures ;
' condamner la défenderesse à lui payer la somme de 1.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens.
Par ordonnance réputée contradictoire du 15 avril 2022, le juge des référés du tribunal judiciaire de Paris a :
- dit n'y avoir lieu à référé ;
- condamné la société Elogie-Siemp à payer à la société Cabinet Piernet la somme de 1.500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
- condamné la société Elogie-Siemp aux dépens.
Par déclaration du 13 mai 2022, la société Elogie-Siemp a relevé appel de cette décision.
Dans ses dernières conclusions remises et notifiées le 6 juillet 2022 la société Elogie-Siemp demande à la cour de :
- la recevoir en ses conclusions et demandes et l'y déclarer bien fondée,
- infirmer l'ordonnance entreprise en son entier dispositif ;
Statuant à nouveau,
- constater l'acquisition de la clause résolutoire et en conséquence, la résiliation de plein droit du bail commercial la liant à la société Cabinet Piernet, à compter du 17 octobre 2021 ;
- condamner par provision la société Cabinet Piernet à verser à la société Elogie-Siemp la somme de 6.723,84 euros en principal, représentant l'arriéré des loyers et des charges, somme à parfaire ;
- ordonner l'expulsion de la société Cabinet Piernet ainsi que celle de tous occupants de son chef des lieux litigieux, avec l'assistance d'un serrurier, et d'un représentant des forces de l'ordre si besoin est, ce, sous astreinte de 200 euros par jour de retard à compter de la signification de l'ordonnance de référé à intervenir ;
- ordonner la séquestration des objets mobiliers pouvant se trouver dans les lieux dans tel garde-meubles de son choix, aux frais, risques et périls de la société Cabinet Piernet, et ce, en conformité avec les dispositions combinées des articles L.433-1 et R.433-1 et suivants du code des procédures civiles d'exécution ;
- condamner par provision la société Cabinet Piernet à lui verser une indemnité mensuelle d'occupation égale au montant des loyers, charges et taxes qui auraient été dus si le bail s'était poursuivi, à compter de la date de résiliation, et ce, jusqu'à la libération complète et effective des lieux litigieux, par remise des clefs ;
- rappeler, en tant que de besoin, l'exécution provisoire de droit attachée à l'ordonnance de référé à intervenir,
- condamner la société Cabinet Piernet à lui verser à la somme de 2.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile, au titre des frais irrépétibles d'appel ;
- condamner la société Cabinet Piernet aux entiers dépens, dont distraction au profit de la société LGH & Associés, prise en la personne de Me Hennequin, avocat aux offres de droit, conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
La société Elogie-Siemp soutient en substance que :
- le bail a été consenti initialement pour une durée de 9 ans, soit jusqu'au 30 septembre 1998,
- la ville de [Localité 5] a acquis la propriété de l'immeuble du [Adresse 1] le 30 novembre 2017, comprenant le droit au bail commercial à l'égard de la société Cabinet Piernet et lui a consenti un bail emphytéotique le 1er décembre 2017, ces deux actes ayant été versés aux débats,
- l'acte de vente fait apparaître la qualité d'ancienne propriétaire de Mme [V], de sorte que le bail commercial s'est donc poursuivi aux mêmes conditions à son profit et ce, conformément à l'article L.145-9 alinéas 1 et 2 du code commerce,
- elle produit l'intégralité des avis d'échéance libellés depuis le 1er trimestre 2020 et un décompte locatif faisant apparaître les versements faits par la société Cabinet Piernet et une dette locative qui s'élève à la somme de 6.723,84 euros aujourd'hui,
- elle sollicite l'infirmation de l'ordonnance rendue en ce qu'elle l'a condamnée à la somme de 1.500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile alors même que cela est en contradiction de la motivation de la décision indiquant qu'il est « équitable d'allouer à la société Elogie-Siemp une somme de 1.500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile », alors qu'elle n'avait fait aucune demande de condamnation de la société Cabinet Piernet sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
La société Elogie-Siemp a fait signifier à la société Cabinet Piernet la déclaration d'appel et ses conclusions d'appelante par actes d'huissier de justice des 22 juin et 07 juillet 2022 par dépôt étude.
La société Cabinet Piernet n'a pas constitué avocat.
Pour un plus ample exposé des moyens de l'appelante, il est renvoyé à ses conclusions susvisées conformément à l'article 455 du code de procédure civile.
SUR CE
En application de l'article 835 du code de procédure civile, le président du tribunal judiciaire ou le juge des contentieux de la protection dans les limites de sa compétence, peuvent toujours, même en présence d'une contestation sérieuse, prescrire en référé les mesures conservatoires ou de remises en état qui s'imposent, soit pour prévenir un dommage imminent, soit pour faire cesser un trouble manifestement illicite. Dans tous les cas où l'existence de l'obligation n'est pas sérieusement contestable, ils peuvent accorder une provision au créancier ou ordonner l'exécution de l'obligation même s'il s'agit d'une obligation de faire.
Selon l'article L. 145-41 du code de commerce, toute clause insérée dans le bail prévoyant la résiliation de plein droit ne produit effet qu'un mois après un commandement demeuré infructueux. Le commandement doit, à peine de nullité, mentionner ce délai.
Faute d'avoir payé ou contesté les causes du commandement de payer dans le délai imparti, prévu au contrat de bail, le locataire ne peut remettre en cause l'acquisition de la clause résolutoire sauf à démontrer la mauvaise foi du bailleur lors de la délivrance du commandement de payer. L'existence de cette mauvaise foi doit s'apprécier lors de la délivrance de l'acte ou à une période contemporaine à celle-ci.
L'expulsion d'un locataire commercial devenu occupant sans droit ni titre en vertu du jeu d'une clause résolutoire de plein droit peut être demandée au juge des référés du tribunal judiciaire en application des dispositions de l'article 835 du code de procédure civile, dès lors que le maintien dans les lieux de cet occupant constitue un trouble manifestement illicite ou qu'à tout le moins l'obligation de libérer les lieux correspond dans cette hypothèse à une obligation non sérieusement contestable.
Il sera rappelé à cet égard qu'un commandement de payer visant la clause résolutoire délivré pour une somme supérieure à la dette véritable reste valable pour la partie des sommes réclamées effectivement due.
Il sera relevé :
- que par acte sous seing privé du 1er octobre 1989, Mme [C] [V] a consenti à la société Cabinet Piernet un bail commercial portant sur des locaux situés [Adresse 1] ;
- que ce bail stipule que les lieux sont destinés à l'usage exclusif de bureaux de courtage d'assurances et produits financiers ;
- que par avenants des 20 septembre 1991, 12 décembre 1992 et 13 janvier 1993, les parties ont ajouté respectivement deux pièces en rez-de-chaussée, deux caves, et trois locaux d'habitation dans l'assiette du bail ;
- que par acte du 30 novembre 2017, la ville de [Localité 5] s'est portée acquéreur de l'immeuble, situé dans la zone de droit de préemption urbain ;
- que par cet acte, les parties, soit la ville de [Localité 5] et les consorts [L], aux droits de Mme [V], ont constaté la vente de l'immeuble au profit de la Ville, avec différé de transfert de propriété, lequel, en application de l'article L 213-14 du code de l'urbanisme, devait avoir lieu au paiement du prix ;
- que par acte du 1er décembre 2017, la ville de [Localité 5], bailleur aux termes de l'acte, a consenti à la société Elogie-Siemp, preneur aux termes de ce même acte, un bail emphytéotique sur l'immeuble situé [Adresse 1] ;
- que cet acte précise la situation locative et d'occupation de l'immeuble en reproduisant les stipulations à ce titre de l'acte de vente du 30 novembre 2017 ;
- qu'il sera ainsi relevé que la société Elogie-Siemp est bien preneur au titre de ce bail emphytéotique, des lieux visés appartenant en réalité à la Ville de [Localité 5], son droit réel en tant qu'emphytéote devant être considéré comme un droit réel principal démembré du droit de propriété, de sorte que les locations auxquelles l'emphytéote procède, ou qu'il reprend, comme en l'espèce, sans qu'il soit besoin qu'elle ait été partie au contrat de bail initial, relèvent du champ d'application du statut des baux commerciaux statutaires.
La société Elogie-Siemp, en l'espèce, demande à voir constater l'acquisition de la clause résolutoire insérée dans le bail consenti en 1989 à la société Cabinet Piernet, en application des dispositions de l'article L.145-9 du code de commerce qui dispose qu'à défaut de congé ou de demande de renouvellement, le bail fait par écrit se prolonge tacitement au-delà du terme fixé par le contrat et justifie
Les loyers et charges n'ayant pas été régulièrement acquittés par la société Cabinet Piernet, la société Elogie-Siemp lui a fait délivrer le 17 septembre 2021 un commandement visant la clause résolutoire insérée au bail et reproduisant les dispositions de l'article L.145-41 du code de commerce, d'avoir à payer la somme de 12.211,55 euros au titre de loyers et charges impayés.
Tenant compte de l'absence de règlement des causes du commandement de payer dans le délai qui avait été imparti par cet acte à l'intimée, il convient, infirmant la décision entreprise de ce chef, de constater l'acquisition des effets de la clause résolutoire à la date du 18 octobre 2021.
Sur la base d'un décompte détaillé arrêté au 4 juillet 2022, la société Elogie-Siemp sollicite la condamnation à titre provisionnel de la société Cabinet Piernet à lui verser la somme en principal de 6.723,84 euros, mois de juillet 2022 inclus.
Il y a donc lieu de constater la résiliation du bail à la date du 18 octobre 2021, d'ordonner l'expulsion de la société Cabinet Piernet et de tous occupants de son chef, sans que le prononcé d'une astreinte ne soit nécessaire, et de la condamner à payer par provision, outre la somme de 6.723, 84 euros au titre de l'arriéré locatif, une indemnité mensuelle d'occupation égale au montant des loyers, charges et taxes exigibles jusqu'à la libération effective des lieux. La séquestration des objets mobiliers pouvant se trouver dans les lieux dans tel garde-meubles du choix de la société Elogie-Siemp aux frais, risques et périls de la société Cabinet Piernet sera ordonnée en application des dispositions des articles L.433-1 et R.433-1 et suivants du code des procédures civiles d'exécution.
L'ordonnance entreprise sera par conséquent infirmée en toutes ses dispositions.
Partie perdante, l'intimée sera condamnée aux entiers dépens de première instance et d'appel et à payer à l'appelante la somme globale de 2.000 euros au titre de ses frais irrépétibles de première instance et d'appel.
PAR CES MOTIFS
Infirme en toutes ses dispositions l'ordonnance entreprise,
Statuant à nouveau et y ajoutant,
Constate, à la date du 18 octobre 2021, l'acquisition de la clause résolutoire contenue dans le bail commercial consenti à la société Cabinet Piernet portant sur le local à usage commercial dépendant d'un immeuble sis [Adresse 1],
Ordonne l'expulsion de la société Cabinet Piernet et de tout occupant de son chef dans un délai d'un mois à compter de la signification du présent arrêt, si besoin est avec le concours de la force publique et d'un serrurier, des locaux sis [Adresse 1],
Dit n'y avoir lieu au prononcé d'une astreinte,
Dit que les meubles se trouvant sur les lieux seront remis aux frais de la personne expulsée dans un lieu désigné par elle et qu'à défaut, ils seront laissés sur place ou entreposés en un autre lieu approprié et décrits avec précision par l'huissier chargé de l'exécution, avec sommation à la personne expulsée d'avoir à les retirer dans le délai d'un mois non renouvelable à compter de la signification de l'acte, à l'expiration duquel il sera procédé à leur mise en vente aux enchères publiques, sur autorisation du juge de l'exécution, ce conformément à ce que prévoient les articles L. 433-1 et suivants et R. 433-1 et suivants du code des procédures civiles d'exécution ;
Dit qu'une indemnité d'occupation provisionnelle, égale au montant du loyer contractuel augmenté des charges et taxes qui aurait été réglés si le bail s'était poursuivi, est mise à la charge de la société Cabinet Piernet, à compter de la résiliation du bail et jusqu'à libération effective des locaux ;
Condamne la société Cabinet Piernet à verser à la société Elogie-Siem, à titre de provision, la somme en principal de 6.723,84 euros, mois de juillet 2022 inclus, au titre des loyers, charges, taxes et indemnités d'occupation impayés au 4 juillet 2022 ;
Condamne la société Cabinet Piernet à payer à la société Elogie-Siemp la somme globale de 2.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, au titre de ses frais irrépétibles de première instance et d'appel,
Condamne la société Cabinet Piernet aux entiers dépens de première instance et d'appel.