CA Toulouse, 2e ch., 23 novembre 2022, n° 20/03657
TOULOUSE
Arrêt
Infirmation partielle
PARTIES
Demandeur :
Cotton (EURL), Catalone (SCI)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Salmeron
Conseillers :
M. Balista, M. Martin de la Moutte
Avocats :
Me Maffre Bauge, Me Marfaing-Didier, Me Bourrasset
EXPOSE DU LITIGE :
Par acte du 7 août 2006, l'Eurl Cotton a acquis de l'Eurl Gabriel un fonds de commerce de pizzas situé à [Localité 4] (31).
Par acte notarié du 9 janvier 2009, [F] [S] a acquis de I'Eurl Cotton ce même fonds et, par acte notarié séparé daté du même jour, a conclu un contrat de bail avec la Sci Catalone, propriétaire du local commercial dans lequel est exploité le fonds, ainsi que d'un appartement au sein de l'immeuble.
Par acte notarié du 1er juillet 2016, la Sci Catalone a vendu l'appartement à M. [L] et à Mme [J], lesquels ont procédé à des travaux de rénovation.
Le 9 juillet 2016, à l'occasion de ces travaux, la cloison séparatrice entre le fonds de commerce et la partie de l'appartement située au rez-de-chaussée s'est désolidarisée, [F] [S] en informant la société Square Habitat, mandataire de son bailleur.
Le 19 juillet 2016, [F] [S] a fait dresser procès-verbal de constat de ces désordres.
M. [L] et Mme [J] se plaignant de la perte de toute séparation étanche entre le local commercial exploité par [F] [S] et leur appartement, l'assureur protection juridique de [F] [S] a mandaté le cabinet lXl pour une expertise amiable.
À la suite de son rapport, le 5 janvier 2017, l'expert amiable a informé la Sci Catalone de la non-conformité du local en termes de sécurité incendie, s'agissant d'un local classifié « établissement recevant du public » et l'a invitée à solliciter un bureau de contrôle.
Par courrier du 3 janvier 2017, [N] [L] a demandé à [F] [S] la réalisation de travaux concernant les mises aux normes ainsi que le déplacement de l'enseigne lumineuse et relevé le mauvais état du mur mitoyen.
Par courrier en date du 17 janvier 2017, [F] [S] a demandé à la Sci Catalone de lui délivrer un local permettant l'exploitation normale de son commerce.
Par ordonnance de référé du tribunal de grande instance de Toulouse du 30 mars 2017, rendue au contradictoire de la Sci Catalone, de l'Eurl Cotton, de M. [L] et de Mme [J], Monsieur [B] a été désigné en qualité d'expert judiciaire.
L'expert a déposé son rapport définitif le 27 décembre 2017.
Par acte d'huissier du 8 mars 2018, [F] [S] a fait assigner la Sci Catalone et l'Eurl Cotton devant le tribunal de grande instance de Toulouse en réparation de ses préjudices, sollicitant, aux termes des dernières conclusions devant le tribunal, paiement des sommes de 45316,41 € et 22940 €.
Les sociétés Catalone et Cotton ont, notamment, soulevé l'irrecevabilité de la demande de [F] [S] en raison de la prescription, en sollicitant le rejet sur le fond.
Par jugement du 21 octobre 2020, le tribunal judiciaire de Toulouse a :
-débouté la Sci Catalone et l'Eurl Cotton de leurs prétentions visant à voir déclarer irrecevable comme prescrite l'action en indemnisation de ses préjudices introduite par [F] [S] à leur encontre ;
-dit que la Sci Catalone est débitrice à l'égard de [F] [S] suivant les termes du bail du 9 janvier 2009 d'une obligation de mise en conformité du réseau électrique, de la protection incendie ainsi que de la ventilation du local commercial situé sur la commune de [Localité 4] (31) au numéro [Adresse 1] ;
-dit que I'Eurl Cotton est débitrice à l'égard de [F] [S] suivant les termes de l'acte de cession du 9 janvier 2009 d'une obligation de mise en conformité du réseau électrique du local commercial situé sur la commune de [Localité 4] (31) au numéro [Adresse 1] ;
-condamné la Sci Catalone à verser à [F] [S] une indemnité de 41092,42 € TTC, au titre des travaux de reprise du réseau électrique, de la protection incendie ainsi que de la ventilation, dont 7356 € TTC au titre des travaux de reprise du réseau électrique ;
-condamné l'Eurl Cotton, in solidum avec la Sci Catalone, à verser à [F] [S], l'indemnité susmentionnée de 7.356 € TTC au titre des travaux de reprise du réseau électrique ;
-débouté [F] [S] de sa demande visant à se voir octroyer par la Sci Catalone une indemnité de 22940 € au titre de son préjudice économique d'exploitation de son activité commerciale ;
-condamné l'Eurl Cotton à verser une indemnité de 2596,20 € à [F] [S] en réparation de son préjudice économique d'exploitation de son activité commerciale ;
-dit que dans les rapports entre coobligés, la Sci Catalone devra garantir l'Eurl Cotton dans une proportion de 50 % de la somme totale de 9952,20 € mise à sa charge et que, réciproquement, l'Eurl Cotton devra garantir la Sci Catalone dans une proportion de 50 % de la somme de 7356 € mise à sa charge ;
-condamné in solidum la Sci Catalone et l'Eurl Cotton à verser à [F] [S] une indemnité totale de 3000 € en application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile ;
-condamné in solidum la Sci Catalone et l'Eurl Cotton aux entiers dépens de l'instance, en ce compris les frais de la procédure de référé et d'expertise judiciaire ;
-ordonné l'exécution provisoire de la décision.
Par déclaration en date du 17 décembre 2020, la Sci Catalone a relevé appel du jugement. La portée de l'appel est l'infirmation de l'ensemble des chefs du jugement, excepté le chef ayant débouté [F] [S] de sa demande au titre de son préjudice économique d'exploitation de son activité commerciale.
Par déclaration en date du 22 décembre 2020, l'Eurl Cotton a relevé appel du jugement. La portée de l'appel est l'infirmation des chefs du jugement relatifs à la prescription, la garantie de conformité du réseau électrique, la responsabilité de l'Eurl Cotton, l'indemnisation des travaux de reprise et préjudices, les demandes en garantie, les condamnations à garantie, frais irrépétibles, dépens et frais d'expertise judiciaire.
Par ordonnance du 11 février 2021, le conseiller de la mise en état a joint les procédures.
Par conclusions n°3 notifiées le 21 avril 2022 auxquelles il est fait expressément référence pour l'énoncé de l'argumentation, la Sci Catalone a demandé à la cour, au visa des articles 1134, 1147, 1156, 1719, 1720, 1724 et 2224 du code civil, de :
-à titre principal,
-infirmer le jugement en date du 21 octobre 2020 par lequel le tribunal judiciaire de Toulouse a débouté la Sci Catalone de sa prétention visant à voir déclarer irrecevable comme prescrite l'action en indemnisation de ses préjudices introduite par [F] [S] à son encontre,
-infirmer le jugement en date du 21 octobre 2020 du tribunal judiciaire de Toulouse en ce qu'il a fait une interprétation rétroactive de la loi Pinel,
-en conséquence, juger que l'action de [F] [S] en responsabilité contre la Sci Catalone pour manquement à son obligation de délivrance est prescrite,
-déclarer, par conséquent, les demandes et prétentions de [F] [S] irrecevables,
-à titre subsidiaire,
-infirmer le jugement en date du 21 octobre 2020 par lequel le tribunal judiciaire de Toulouse a :
*dit que la Sci Catalone était débitrice à l'égard de [F] [S] suivant les termes du bail du 9 janvier 2009 d'une obligation de mise en conformité du réseau électrique, de la protection incendie ainsi que de la ventilation du local commercial situé sur la commune de [Localité 4] (31) au numéro [Adresse 1],
*condamné la Sci Catalone à verser à [F] [S] une indemnité de 41092,42 € TTC au titre des travaux de reprise du réseau électrique, de la protection incendie ainsi que de la ventilation, dont 7356 € TTC au titre des travaux de reprise du réseau électrique,
*condamné l'Eurl Cotton, in solidum avec la Sci Catalone, à verser à [F] [S], l'indemnité susmentionnée de 7356 € TTC au titre des travaux de reprise du réseau électrique,
*dit que, dans les rapports entre coobligés, la Sci Catalone devra garantir l'Eurl Cotton dans une proportion de 50% de la somme totale de 9952,20 € mise à sa charge et que, réciproquement, l'Eurl Cotton devra garantir la Sci Catalone dans une proportion de 50% de la somme de 7356 € mise à sa charge,
*condamné in solidum la Sci Catalone et l'Eurl Cotton à verser à [F] [S] une indemnité totale de 3000 € en application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens de l'instance, en ce compris les frais de la procédure de référé et d'expertise judiciaire,
-en conséquence, sur l'obligation de délivrance,
-juger que la Sci Catalone a respecté son obligation de délivrance à l'égard de [F] [S],
-juger que la Sci Catalone ne peut engager sa responsabilité du fait d'un quelconque manquement à son obligation de délivrance,
-juger que [F] [S] ne démontre pas la réalité des manquements qu'il impute à la Sci Catalone,
-juger que [F] [S] était débiteur à l'égard de la Sci Catalone suivant les termes du bail du 9 janvier 2009 d'une obligation de mise en conformité du réseau électrique, de la protection incendie ainsi que de la ventilation du local commercial situé sur la commune de [Localité 4] (31) au numéro [Adresse 1],
-sur la responsabilité de [F] [S],
-juger que [F] [S] engage sa responsabilité contractuelle en ce qu'il n'a pas respecté les termes du bail en date du 9 janvier 2009,
-condamner [F] [S] à verser à la Sci Catalone une indemnité de 41092,42 € TTC au titre des travaux de reprise du réseau électrique, de la protection incendie ainsi que de la ventilation, dont 7356€ TTC au titre des travaux de reprise du réseau électrique,
-sur l'interprétation du bail,
-juger qu'au regard de la commune intention des parties, du bail commercial et de la cession du fonds de commerce, [F] [S] était le seul redevable des travaux nécessités par son activité et ceux auxquels il devait se conformer conformément aux prescriptions administratives et autres concernant l'exploitation de son commerce,
-sur les préjudices,
-juger que [F] [S] ne justifie pas d'un préjudice né, actuel et certain,
-débouter, par conséquent, [F] [S] de l'ensemble de ses demandes, fins et prétentions,
-condamner solidairement l'Eurl Cotton, [F] [S], à la somme qui sera réévaluée par la cour d'appel au titre des travaux de reprise du réseau électrique, de la protection incendie ainsi que de la ventilation,
-à titre infiniment subsidiaire,
-confirmer le jugement en date du 21 octobre 2020 par lequel le tribunal judiciaire de Toulouse a débouté [F] [S] de sa demande visant à se voir octroyer par la Sci Catalone une indemnité de 22940 € au titre de son préjudice économique d'exploitation de son activité commerciale,
-débouter [F] [S] de sa demande au titre des frais de protection du matériel et de nettoyage,
-débouter [F] [S] de sa demande au titre du préjudice d'exploitation,
-ramener par conséquent les demandes indemnitaires de [F] [S] à de plus justes proportions,
-condamner l'Eurl Cotton à relever et garantir la Sci Catalone de toute condamnation pouvant être prononcée à son encontre au titre du coût de remise en état de l'installation électrique et du préjudice d'exploitation qui serait éventuellement retenu à ce titre,
-en toute hypothèse,
-débouter l'Eurl Cotton et [F] [S] de l'intégralité de leurs demandes,
-condamner [F] [S] au paiement de la somme de 5000 € des dommages et intérêts en raison du manquement à sa bonne foi dans l'exécution du bail commercial en date du 9 janvier 2009,
-condamner [F] [S] au paiement de la somme de 2000 € au titre du préjudice moral subi par la Sci Catalone,
-condamner [F] [S] au paiement d'une juste indemnité de 4000 € sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile, outre les entiers dépens,
-condamner solidairement l'Eurl Cotton [et] [F] [S] aux entiers dépens.
Par conclusions n°3 notifiées le 4 mars 2022 auxquelles il est fait expressément référence pour l'énoncé de l'argumentation, l'Eurl Cotton a demandé à la cour, au visa des articles 1231-1 et suivants du code civil, réformant le jugement dont appel, de :
-déclarer irrecevables comme prescrites les demandes formées par [F] [S] relativement aux désordres affectant l'installation électrique,
-constater qu'un bail commercial a directement été conclu à la suite de la cession du fonds de commerce, le 9 janvier 2009, entre le propriétaire des murs, la Sci Catalone, et le cessionnaire du fonds, [F] [S],
-dire et juger que la conformité de l'installation électrique du local commercial aux normes relève de la responsabilité de la seule bailleresse, en l'absence de stipulation contraire expresse dans le contrat de bail,
-dire et juger que la garantie offerte par le cédant du fonds de commerce dans l'acte de cession ne concernait que les injonctions de la commission de sécurité et que le cessionnaire a pris le fonds en l'état,
-débouter en conséquence [F] [S] et la Sci Catalone de l'intégralité de leurs demandes à l'encontre de l'Eurl Cotton,
-à titre subsidiaire, si par extraordinaire la responsabilité de l'Eurl Cotton était retenue, condamner la Sci Catalone, en sa qualité de bailleresse tenue à une obligation de délivrance d'un local conforme, à relever et garantir l'Eurl Cotton de toutes condamnations qui pourraient être prononcées à son encontre,
-condamner tout succombant à payer à l'Eurl Cotton la somme de 5000 € au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,
-condamner tout succombant aux entiers dépens de l'instance.
Par conclusions n°3 notifiées le 12 mai 2022 auxquelles il est fait expressément référence pour l'énoncé de l'argumentation, [F] [S] a demandé à la cour de :
-confirmer en toutes ses dispositions le jugement sauf en ce qu'il a, d'une part, limité le montant alloué à [F] [S] au titre du préjudice matériel, et d'autre part, débouté [F] [S] de sa demande de préjudice économique dirigée à l'encontre de la Sci Catalone,
-statuant à nouveau sur les chefs infirmés,
-condamner in solidum la Sci Catalone et l'Eurl Cotton à payer à [F] [S] au titre du préjudice matériel la somme de 43576,42 € TTC,
-condamner in solidum la Sci Catalone et l'Eurl Cotton à payer à [F] [S] la somme de 22940 € TTC au titre de son préjudice économique,
-y ajoutant, condamner in solidum la Sci Catalone et l'Eurl Cotton à payer à [F] [S] la somme de 4000 € sur le fondement des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile au titre des frais irrépétibles exposés devant la cour,
-condamner in solidum la Sci Catalone et l'Eurl Cotton à payer les entiers dépens exposés devant la cour d'appel.
La clôture est intervenue le 16 mai 2022.
MOTIFS DE LA DECISION
Sur la prescription
Au visa de l'article 2224 du Code civil, dans sa rédaction applicable en la cause, les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer.
Pour exciper de la prescription de l'action de M. [F] [S], qui n'a pas été retenue par le tribunal judiciaire, la Sci Catalone fait valoir que le point de départ de la prescription se situe au jour du manquement contractuel à l'obligation de délivrance, c'est à dire à la date de conclusion du bail, le 9 janvier 2009.
Elle expose que le preneur a accepté de prendre les lieux en l'état, que les désordres préexistaient à la signature du bail et que M. [F] [S] en avait connaissance ou ne pouvait pas ne pas en avoir connaissance, à la date du bail, dès lors qu'il existait, aux termes du rapport d'expertise, des anomalies apparentes, tels des fils électriques dénudés et une absence de grille extérieure de ventilation.
L'Eurl Cotton fait également valoir la prescription de l'action motif pris de ces anomalies apparentes, qui existaient à la date de cession du fonds de commerce.
Elle expose, pour les anomalies qui n'étaient pas apparentes, que le cessionnaire avait nécessairement conscience de l'absence de conformité de l'installation électrique dès lors que l'obligation de délivrance par le cédant d'une attestation de conformité, qui figurait dans le compromis de cession du fonds, ne figurait plus dans le contrat de cession du fonds.
Le fait que le locataire ait accepté de prendre le logement en l'état n'est pas une condition de recevabilité de son action mais une condition de son bien-fondé.
Comme relevé à bon droit par le premier juge et par l'expert judiciaire en réponse à un dire, la seule présence de fils apparents près du tableau électrique ou l'absence de grille de ventilation ne pouvait suffire à révéler à un profane tel que l'était M. [S], les nombreuses non-conformités relevées par l'expert affectant l'ensemble de l'installation électrique ainsi que la ventilation et la protection incendie du local.
L'expert a d'ailleurs pris soin de préciser qu'une partie des anomalies n'était visible que depuis le logement voisin auquel M. [S] n'avait pas accès et que certaines de ces anomalies supposaient des mesures électriques par un professionnel, notamment pour la prise de terre et la continuité de liaison équipollente, l'expert concluant sur ce point « il ne peut donc être soutenu que M. [S] aurait dû être alerté sur les non-conformités électriques dont souffre le local ».
De surcroît, le fait que le contrat de cession ne comportait pas l'obligation de fournir une attestation de conformité, alors que cette obligation figurait dans le compromis de cession, ne démontre pas que M. [S] avait connaissance de la non-conformité de l'installation électrique, le contrat de cession, pas plus que le compromis, ne comportant de mention de non-conformité de l'installation.
Était au contraire mentionné dans le contrat de cession du fonds : « le cédant déclare être en conformité avec la réglementation sur l'installation électrique du local ['] n'être sous le coup d'aucune injonction particulière concernant l'hygiène et la sécurité et garantit toute mise en conformité ».
Il n'est donc pas établi que M. [S], qui n'avait aucune compétence technique en la matière, connaissait ou aurait dû connaître, tant à la date du bail qu'à la date d'acquisition du fonds de commerce, les défauts affectant les équipements litigieux dont seules les expertises, amiable puis judiciaire, ont pu révéler l'ampleur.
C'est donc à bon droit que le tribunal n'a pas retenu la prescription de l'action, la première de ces expertises ayant eu lieu en novembre 2016, par le cabinet IXI, moins de cinq ans avant assignation sur le fond de la Sci Catalone et de l'Eurl Cotton.
Sur les manquements contractuels imputés à la Sci Catalone
La bailleresse expose que les stipulations contractuelles ne mettaient à sa charge que les travaux de toitures entières, de gros murs et la réfection des grilles métalliques accordéons extérieures.
Elle fait valoir que le preneur qui a accepté, selon stipulation du bail, de prendre le local en l'état, devait, aux termes du bail, se conformer rigoureusement aux prescriptions administratives et autres concernant l'exploitation de son commerce.
La Sci Catalone en déduit qu'elle n'est pas tenue à une mise en conformité du local laquelle incombe au preneur, invoquant par ailleurs le fait que le preneur n'a pas été empêché dans l'exercice de son activité par les non-conformités relevés par l'expert judiciaire.
Enfin, la bailleresse fait valoir que l'obligation de conformité de l'installation électrique avec la réglementation appartenait à chaque preneur successif, l'acte de cession du fonds de commerce conclu entre l'Eurl Cotton et M. [S] indiquant que le cédant est en conformité avec la réglementation électrique ce dont elle déduit une obligation à la charge des preneurs.
Au visa de l'article 1719 du Code civil, le bailleur est obligé, par la nature du contrat, et sans qu'il soit besoin d'aucune stipulation particulière, de délivrer au preneur la chose louée.
En l'espèce, le bail stipulait que « le locataire prendra les lieux loués dans l'état où il se trouveront au moment de l'entrée en jouissance, et sans pouvoir exiger aucune réfection, remise en état, adjonction d'équipements supplémentaires, ou travaux quelconques, rendus nécessaires par l'état de vétusté, ou par l'existence de vices cachés » (p.7 du bail).
Une telle clause ne peut toutefois décharger le bailleur de son obligation de délivrance (pour un bail commercial 3e Civ., 20 janvier 2009, pourvoi n° 07-20.854).
Comme rappelé par le premier juge, les clauses dérogatoires à l'obligation de délivrance sont d'interprétation stricte.
Aucune clause contractuelle ne mettait à la charge du preneur la mise en conformité du local aux normes d'isolation, de ventilation, de sécurité électrique et d'incendie, le fait qu'il s'engage à effectuer les réparations et prescriptions nécessaires à l'exercice de son commerce n'entraînant pas son obligation à une mise aux normes d'un local qui ne l'était pas, au moment de sa prise de possession.
Il ne peut être argué du fait que le preneur n'a jamais été empêché dans l'exercice de son activité en raison des non-conformités relevés par l'expert, en présence de prescriptions légales ou réglementaires à caractère obligatoire dont il n'est pas rapporté le respect par la bailleresse.
Le premier juge n'a, par ailleurs, pas effectué une application rétroactive de la loi Pinel, comme soutenu par la bailleresse, se bornant à rappeler, au visa des seules dispositions du Code civil, l'obligation de délivrance à la charge de la bailleresse, laquelle préexistait à l'application de la loi Pinel, en constatant l'absence de stipulation expresse mettant à la charge du preneur une mise en conformité du local.
De même, le fait que le précédent cédant du fonds de commerce ait indiqué être en conformité avec la réglementation électrique ne peut avoir pour effet de décharger la bailleresse de son obligation de délivrance, laquelle est une obligation qui lui est propre.
La Sci Catalone, bailleresse, fait valoir l'existence (p.33 de ses conclusions) d'une obligation à la charge du locataire, dans l'acte de cession conclu entre M. [S] et l'Eurl Cotton, qui serait « d'effectuer, à ses frais, tous travaux de mise en conformité en matière de protection de l'environnement, d'hygiène ou de sécurité qui seraient prescrits ou viendraient à être prescrits ['] de façon que le bailleur ne puisse être inquiété ou recherché ».
Si l'acte de cession comporte une telle mention, celle-ci figure sous le chapitre « dépôt de garantie » et n'est que le rappel des mentions du bail conclu par la Sci Catalone avec le cédant, l'Eurl Cotton, la mention litigieuse étant précédée de la phrase suivante : « le cédant rappelle qu'aux termes dudit bail [celui conclu par l'Eurl Cotton] il a été prévu ce qui suit ci-après partiellement retranscrit...».
Cette stipulation ne concerne donc pas M. [S] et ne lui est pas opposable dès lors qu'il a conclu un nouveau bail avec la Sci Catalone, bail qui ne comporte pas une telle mention.
Contrairement à ce que soutient la bailleresse, il n'existe aucune interdépendance entre le contrat de cession du fonds de commerce et les stipulations du contrat de bail conclu par l'Eurl Cotton, lequel ne peut engager M. [S], en présence d'un nouveau bail conclu par ce dernier.
En l'espèce, le rapport d'expertise judiciaire, conforme en cela au relevé d'un contrôleur Apave, a révélé des anomalies nombreuses, qui ne sont pas discutées et qui affectent le local litigieux, à savoir :
-une non-conformité concernant la protection incendie pour les plaques de plâtre en cloison séparative, en plafond, et pour les traversées d'eau et d'électricité,
-une non-conformité affectant l'installation électrique : canalisations électriques passant par des locaux tiers, pas de prise de terre, équipotentialité d'éclairage à revoir, pas de protection par dispositif différentiel à haute sensibilité sur les prises de courant, degré de protection d'appareillage électrique non conforme, pas de coupure locale sur pompe à chaleur dans la rue, cache borne non verrouillable sur le disjoncteur, fils à nu,
-une non-conformité affectant la ventilation du local avec une extraction d'air insuffisante au regard du règlement sanitaire départemental.
Dès lors, c'est à bon droit que le premier juge a retenu une obligation de mise aux normes à la charge de la bailleresse.
Sur le manquement contractuel imputé à l'Eurl Cotton
Le tribunal a retenu un manquement contractuel de l'Eurl Cotton au regard de la stipulation du contrat de cession du fonds de commerce qui suit : « Le cessionnaire reconnaît être informé de l'obligation qui lui incombe de se soumettre à la réglementation relative à l'hygiène, à la salubrité et aux injonctions de la commission de sécurité. Le cédant déclare être en conformité avec la réglementation sur l'installation électrique du local. » avec ajout d'une phrase en caractère gras : « Le cédant déclare n'être sous le coup d'aucune injonction particulière concernant l'hygiène et la sécurité et garantit toute mise en conformité ».
L'Eurl Cotton fait valoir que la clause de garantie de mise en conformité contenue dans l'acte ne vise que les éventuelles injonctions de la commission de sécurité et ne concerne pas toute mise en conformité.
Elle expose que la mise en conformité de cette installation électrique incombe à la bailleresse.
Au visa de l'article 1162 du Code civil, dans sa version applicable à la date du contrat, dans le doute, la convention s'interprète contre celui qui a stipulé et en faveur de celui qui a contracté l'obligation.
En l'espèce, la mention d'une garantie, dont les modalités ne sont nullement explicitées dans la clause litigieuse, doit s'interpréter strictement et par seule référence à la phrase qui la contient, c'est à dire au regard de la seule déclaration du cédant indiquant qu'il n'est sous le coup d'aucune injonction.
La garantie, qui ne figurait pas dans le compromis de cession du fonds, ne s'applique donc qu'aux seules injonctions qui auraient été délivrées au cédant à la date de la cession du fonds de commerce.
Il est constant que le cédant du fonds n'a jamais reçu une injonction de la commission de sécurité ou de tout autre organisme dont il devrait garantie.
Le jugement sera en conséquence infirmé en ce qu'il a retenu la garantie du cédant du fonds, au titre d'une obligation qui incombe par principe au bailleur et non au cédant du fonds.
Sur le préjudice matériel
La Sci Catalone fait valoir l'absence de préjudice né, actuel et certain pour M. [S] du fait des non-conformités du local pris à bail, en l'absence de conséquences sur l'exploitation du fonds qui a pu se poursuivre.
L'expert a conclu que les non-conformités relevés dans le local étaient d'ordre sécuritaire (p.25 du rapport d'expertise).
Dès lors que le bailleur a manqué à son obligation de délivrance et que l'exploitation du local ne peut s'effectuer dans des conditions garantissant la sécurité des occupants, le preneur est fondé à solliciter le coût de remise en état du local.
L'expert judiciaire a chiffré, en fonction des devis fournis, le coût de remise en état du local à l'ensemble des normes de sécurité à la somme de 45316 € TTC dont 39748,42 € TTC ou 33123,68 € HT au titre de la remise aux normes et le surplus pour protection du mobilier professionnel et nettoyage du chantier, avec un délai de réalisation de 10 semaines.
Le devis principal de la société Rbpm pour 33123,68 € HT n'a fait l'objet d'aucune réserve de la part de la Sci Catalone lors des opérations d'expertise et aucun élément probant ne vient contredire la nécessité des travaux inclus dans le devis qui a été examiné par l'expert.
Contrairement à ce qu'indique la société Catalone, ce devis est par ailleurs ventilé en fonction des différents postes de reprise.
Le preneur n'a pas, par ailleurs, l'obligation de justifier de la réalisation des travaux, la production de devis étant suffisante pour justifier d'une indemnisation.
Le tribunal a, à bon droit, déduit des devis produits à l'expert une somme de 2730 € HT soit 3276 € TTC, correspondant à un devis de la société Acp pour « protection du mobilier avant travaux », considérant que le devis de mise en conformité de la société Rbpm pour 39748 € TTC soit 33123,68 € HT incluait déjà une protection du mobilier restant, un coltinage pendant les travaux et un balayage du chantier après travaux.
Il a, en revanche, ajouté au coût du devis Rbpm une somme de 1120 € HT, soit 1344 € TTC, pour le nettoyage de l'immobilier et du mobilier qui n'est pas fondée dans la mesure où le balayage du chantier prévu dans le devis Rbpm inclut nécessairement de laisser propre le local après travaux.
Le jugement sera en conséquence infirmé sur le montant du préjudice qui sera fixé à la somme de 33123,68 € HT correspondant au seul devis de la société Rbpm qui couvre l'ensemble des travaux de remise aux normes en ce compris le nettoyage du chantier.
Concernant la TVA, la cour peut exclure la taxe sur la valeur ajoutée des sommes allouées à une partie, pour faire exécuter les travaux ou rembourser ceux qui ont été réalisés pour remédier aux désordres, s'il est établi que celle-ci est commerçante et récupère ladite taxe, nonobstant le principe de la réparation intégrale du préjudice (3e Civ., 27 mars 1996, pourvoi n° 94-11.652).
La charge de la preuve que la TVA ne peut être récupérée incombe au bénéficiaire de l'indemnité (3e Civ., 17 février 2010, pourvoi n° 09-11.900).
En l'espèce, M. [S] se borne, pour solliciter une indemnité comprenant la TVA, qu'il aura à payer la TVA aux entrepreneurs en charge de la réparation et que le principe de la réparation intégrale du préjudice s'oppose à la déduction de la TVA.
Dès lors que la victime, commerçante, n'établit pas qu'elle n'a pas la possibilité de récupérer la TVA, il n'y a pas lieu d'inclure la TVA dans l'indemnisation du préjudice.
Le jugement sera infirmé de ce chef.
Sur le préjudice de jouissance
Le tribunal a écarté la demande formée au titre d'un préjudice d'exploitation motif pris de l'existence d'une clause de souffrance incluse au bail et ci-après rapportée : « le bailleur souffrira des grosses réparations qui pourraient devenir nécessaire au corps d'immeuble pendant la durée du bail, sans indemnité, même si ces travaux duraient plus de 40 jours ».
Les parties sont en désaccord sur l'interprétation de cette clause, la bailleresse invoquant l'existence d'une erreur matérielle dans la désignation du bailleur comme obligé par la clause de souffrance alors que la clause est usuellement supportée par le preneur, ce qui est contesté par le locataire.
Comme exactement rappelé par le premier juge, au visa de l'article 1156 du Code civil, dans sa version applicable à la date du contrat, on doit dans les conventions rechercher quelle a été la commune intention des parties contractantes, plutôt que de s'arrêter au sens littéral des termes.
La clause de souffrance litigieuse est insérée dans le bail au chapitre des « obligations à la charge du preneur » et elle est usuellement mise à la charge, dans les contrats de baux commerciaux, du preneur lequel subit seul un préjudice en cas de travaux de remise en état de l'immeuble.
C'est donc à bon droit que le tribunal, considérant la commune interprétation des parties, a jugé que la clause comportait une erreur matérielle en ce qu'elle désignait le bailleur comme supportant la clause de souffrance aux lieu et place du preneur.
Néanmoins, cette clause doit être interprétée strictement en ce qu'elle ne vise que « les grosses réparations » lesquelles, au sens de l'article 606 du du Code civil, ne concernent que les gros murs, les voutes, le rétablissement des poutres et des couvertures entières.
Il ne peut en être déduit que cette clause de souffrance s'applique à des travaux de mise aux normes de sécurité imposés au bailleur en vertu de son obligation de délivrance, cette mise aux normes concernant le système électrique, la protection incendie et la ventilation, choses étrangères au gros œuvre de l'immeuble et aux réparations mentionnées à l'article 606 du Code civil.
Le jugement sera en conséquence infirmé en ce qu'il a rejeté la demande d'indemnisation du préjudice d'exploitation.
Le preneur produit un justificatif de son expert-comptable sur la perte de marge qui correspond pour 10 semaines, durée des travaux évaluée par l'expert, à une somme de 19147 €, correspondant à une moyenne de marge annuelle sur trois années (2014, 2015, 2016)
Il ne peut être reproché une évaluation trop ancienne alors que le preneur a justifié de son résultat comptable pour l'année 2018.
L'expert judiciaire n'a, par ailleurs, fait aucune observation critique, dans son rapport, sur la perte invoquée par l'expert-comptable.
La bailleresse sera en conséquence condamnée, par voie d'infirmation, à payer au preneur la somme de 19147 €.
La demande formée par le preneur au titre de la période de réouverture sera en revanche écartée, rien n'établissant que M. [S] sera empêché, même partiellement, dans son commerce à l'issue des travaux.
Sur les demandes en garantie
La demande de garantie formée par l'Eurl Cotton contre la société Catalone est sans objet dès lors que la demande formée contre l'Eurl est écartée.
La demande en garantie formée par la bailleresse, la société Catalone, à l'encontre de la cédante du fonds de commerce, l'Eurl Cotton, sera écartée dès lors qu'il n'est pas établi un manquement contractuel de l'Eurl Cotton, laquelle n'est pas tenue au coût de remise en état du local.
Sur les demandes annexes
Les demandes en dommages et intérêts formées par la Sci Catalone à l'encontre de M. [S], pour mauvaise foi et préjudice moral subi par la société, seront écartées, faute pour la bailleresse de démontrer le préjudice qu'elle a subi alors qu'elle est condamnée à prendre en charge les travaux.
L'équité commande d'allouer à l'Eurl Cotton une somme de 1000 € sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.
L'équité ne commande pas d'allouer des sommes supplémentaires à M. [S] sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile, la somme de 3000 € fixée par le premier juge devant être mise à la charge de la seule société Catalone.
L'équité ne commande pas application de l'article 700 du Code de procédure civile à l'égard de la société Catalone, qui, partie perdante, supportera seule les dépens de première instance et d'appel.
PAR CES MOTIFS,
La cour statuant en dernier ressort, par mise à disposition au greffe,
Confirme le jugement du tribunal judiciaire de Toulouse du 21 octobre 2020 en ce qu'il a:
-débouté la Sci Catalone et l'Eurl Cotton de leurs prétentions visant à voir déclarer irrecevable comme prescrite l'action en indemnisation de ses préjudices introduite par [F] [S] à leur encontre ;
-dit que la Sci Catalone est débitrice à l'égard de [F] [S] suivant les termes du bail du 9 janvier 2009 d'une obligation de mise en conformité du réseau électrique, de la protection incendie ainsi que de la ventilation du local commercial situé sur la commune de [Localité 4] (31) au numéro [Adresse 1] ;
-ordonné l'exécution provisoire.
Infirmant le jugement pour le surplus, statuant à nouveau et y ajoutant,
Condamne la Sci Catalone à payer à M. [F] [S] la somme de 33123,68 €, au titre des travaux de reprise du réseau électrique, de la protection incendie ainsi que de la ventilation.
Condamne la Sci Catalone à payer à M. [F] [S] la somme de 19147 € au titre du préjudice économique d'exploitation de son activité commerciale.
Déboute la Sci Catalone et M. [F] [S] des demandes qu'ils ont formées contre l'Eurl Cotton.
Dit sans objet la demande en garantie formée par l'Eurl Cotton.
Déboute la Sci Catalone de ses demandes en dommages et intérêts.
Condamne M. [F] [S] à payer à l'Eurl Cotton la somme de 1000 € sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.
Condamne la Sci Catalone à payer à M. [F] [S] la somme de 3000 € sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.
Déboute la Sci Catalone de sa demande formée sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.
Condamne la Sci Catalone aux dépens de première instance et d'appel.