CJUE, 10e ch., 8 décembre 2022, n° C-769/21
COUR DE JUSTICE DE L’UNION EUROPEENNE
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
AAS « BTA Baltic Insurance Company »
Défendeur :
Iepirkumu uzraudzības birojs, Tieslietu ministrija
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président de chambre :
M. Regan (rapporteur)
Juges :
M. Jarukaitis, M. Csehi
Avocat général :
M. Pitruzzella
Avocat :
M. Brizgo
LA COUR (dixième chambre),
1 La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 18, paragraphe 1, de la directive 2014/24/UE du Parlement européen et du Conseil, du 26 février 2014, sur la passation des marchés publics et abrogeant la directive 2004/18/CE (JO 2014, L 94, p. 65).
2 Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant AAS BTA Baltic Insurance Company (ci-après « Baltic ») au Tieslietu ministrija (ministère de la Justice, Lettonie) et à l’Iepirkumu uzraudzības birojs (office de surveillance des marchés publics, Lettonie) au sujet d’une décision de mettre fin à une procédure de passation d’un marché public de services d’assurance maladie.
Le cadre juridique
Le droit de l’Union
3 L’article 18 de la directive 2014/24, intitulé « Principes de la passation de marchés », dispose, à son paragraphe 1 :
« Les pouvoirs adjudicateurs traitent les opérateurs économiques sur un pied d’égalité et sans discrimination et agissent d’une manière transparente et proportionnée.
[...] »
4 L’article 55 de cette directive, intitulé « Information des candidats et des soumissionnaires », prévoit, à son paragraphe 1 :
« Les pouvoirs adjudicateurs informent dans les meilleurs délais chaque candidat et chaque soumissionnaire des décisions prises concernant la conclusion d’un accord-cadre, l’attribution du marché ou l’admission dans un système d’acquisition dynamique, y compris des motifs pour lesquels ils ont décidé de ne pas conclure un accord-cadre ou de ne pas passer un marché qui a fait l’objet d’un appel à la concurrence, de recommencer la procédure ou de renoncer à mettre en œuvre un système d’acquisition dynamique. »
Le droit letton
5 L’article 2 du Publisko iepirkumu likums (loi sur les marchés publics), du 15 décembre 2016 (Latvijas Vēstnesis, 2016, no 254), est ainsi libellé :
« L’objectif de la présente loi est de garantir :
1) la transparence des marchés ;
2) la libre concurrence entre les fournisseurs ainsi que leur traitement égal et équitable ;
3) l’utilisation efficace des ressources du pouvoir adjudicateur, en réduisant le plus possible son risque ».
6 Aux termes des points 23 et 24 du Ministru kabineta noteikumi Nr. 107 « Iepirkuma procedūru un metu konkursu norises kārtība » (décret no 107 du conseil des ministres, relatif aux procédures de passation des marchés publics et des concours), du 28 février 2017 (Latvijas Vēstnesis, 2017, n° 45):
« 23. Lorsque le soumissionnaire auquel le marché a été attribué refuse de conclure le marché avec le pouvoir adjudicateur, le comité d’évaluation est habilité à décider d’attribuer le marché au soumissionnaire suivant ayant présenté l’offre économiquement la plus avantageuse ou de mettre fin à la procédure de passation du marché en ne sélectionnant aucune offre. Lorsqu’il a été décidé d’attribuer le marché au soumissionnaire suivant qui a présenté l’offre économiquement la plus avantageuse, mais que ce dernier refuse de conclure le marché, le comité d’évaluation décide de mettre fin à la procédure de passation du marché en ne sélectionnant aucune offre.
24. Avant de prendre une décision relative à l’attribution du marché au soumissionnaire suivant ayant présenté l’offre économiquement la plus avantageuse, le comité d’évaluation examine si ce soumissionnaire et le soumissionnaire initialement retenu qui a refusé de conclure le marché avec le pouvoir adjudicateur ne doivent pas être considérés ensemble comme un opérateur économique unique. Le cas échéant, le comité d’évaluation est en droit d’exiger du soumissionnaire suivant une déclaration et, si nécessaire, la preuve, que ce dernier et le soumissionnaire initialement retenu ne doivent pas être considérés ensemble comme un opérateur économique unique. Si le soumissionnaire suivant et le soumissionnaire initialement retenu doivent être considérés ensemble comme un opérateur économique unique, le comité d’évaluation décide de mettre fin à la procédure de passation du marché en ne sélectionnant aucune offre. »
Le litige au principal et la question préjudicielle
7 Le ministère de la Justice a lancé, en tant que pouvoir adjudicateur, un appel d’offres pour l’attribution d’un marché public d’assurance maladie pour ses employés et ceux du Valsts zemes dienests (service national du cadastre, Lettonie), de la Datu valsts inspekcija (autorité nationale de la protection des données, Lettonie), du Maksātnespējas kontroles dienests (service de contrôle de l’insolvabilité, Lettonie) et de la Patentu valde (office des brevets, Lettonie).
8 Plusieurs soumissionnaires, dont Baltic et Compensa Life Vienna Insurance Group SE Latvijas filiāle (ci-après « Compensa »), ont soumis des offres afin d’obtenir l’attribution de ce marché public.
9 Par décision du 19 novembre 2020, le comité d’évaluation du ministère de la Justice a considéré que l’offre déposée par Compensa était l’offre économiquement la plus avantageuse. Cette société a cependant refusé de conclure le marché.
10 Par décision du 1er décembre 2020, ce comité d’évaluation a indiqué que Baltic était le soumissionnaire suivant en droit d’obtenir l’attribution du marché, tout en exigeant, sur le fondement du point 24 du décret no 107, du 28 février 2017, la production d’une déclaration ainsi que la preuve que Baltic et Compensa ne devaient pas être considérées comme constituant ensemble un seul et même opérateur économique.
11 En réponse à cette demande, Baltic a indiqué qu’elle devait être considérée comme formant avec Compensa un opérateur économique unique, tout en déclarant qu’elle avait préparé son offre de manière indépendante et sans concertation avec cette dernière.
12 Dans ces conditions, par décision du 9 décembre 2020, le comité d’évaluation du ministère de la Justice, se fondant sur le point 23 du décret no 107, du 28 février 2017, a mis fin à la procédure de passation du marché public.
13 Le 16 décembre 2020, le ministère de la Justice a lancé une nouvelle procédure de passation.
14 Par décision du 21 janvier 2021, l’office de surveillance des marchés publics, saisi d’une réclamation par Baltic, a confirmé la décision du 9 décembre 2020. Il a relevé que le point 24 du décret no 107, du 28 février 2017, impose au pouvoir adjudicateur, dans le but de prévenir la possibilité d’une pratique concertée entre des entreprises d’un même groupe après la soumission des offres, de mettre fin à la procédure de passation du marché public s’il constate que le soumissionnaire initialement retenu, qui a refusé de conclure le marché avec le pouvoir adjudicateur, et le soumissionnaire suivant doivent être considérés comme constituant un opérateur économique unique. En outre, selon l’office de surveillance des marchés publics, le pouvoir adjudicateur, conformément au point 23 de ce décret, est en droit, en toute hypothèse, de mettre fin au marché public si le soumissionnaire adjudicataire refuse de conclure le marché avec le pouvoir adjudicateur, aucun autre soumissionnaire n’ayant le droit subjectif d’exiger d’être déclaré attributaire.
15 Baltic a alors saisi l’Administratīvā rajona tiesa (tribunal administratif de district, Lettonie), à savoir la juridiction de renvoi, d’un recours tendant à obtenir l’annulation de cette décision.
16 Selon Baltic, le pouvoir adjudicateur était tenu d’examiner ses explications concernant la nature du lien entre les deux sociétés et la préparation des offres, pour parvenir ainsi à un juste équilibre s’agissant du respect de l’ensemble des principes consacrés à l’article 2 de la loi sur les marchés publics.
17 La présomption contenue au point 24 du décret no 107, du 28 février 2017, selon laquelle les entreprises d’un même groupe ont coordonné leurs offres dans le but de fausser la concurrence, serait disproportionnée et violerait des principes énoncés tant dans la directive 2014/24 que dans l’arrêt du 19 mai 2009, Assitur (C 538/07, EU:C:2009:317).
18 Le fait que le montant de l’offre du soumissionnaire initialement retenu était supérieur à celui de son offre prouverait que les offres n’ont pas été coordonnées, de sorte que le retrait de la première offre n’a pas pu conférer un quelconque avantage aux sociétés du groupe.
19 L’office de surveillance des marchés publics considère, pour sa part, que l’arrêt du 19 mai 2009, Assitur (C 538/07, EU:C:2009:317), concerne seulement le droit des entreprises liées de participer à une procédure de passation d’un marché public et de présenter des offres, lequel droit n’a pas été restreint en l’espèce.
20 Cette situation devrait être distinguée de la situation dans laquelle le pouvoir adjudicateur est tenu de mettre fin à la procédure de passation d’un marché public lorsque le soumissionnaire retenu refuse de conclure le marché concerné. En effet, dans le premier cas, visé par l’arrêt du 19 mai 2009, Assitur (C 538/07, EU:C:2009:317), le pouvoir adjudicateur, après avoir rejeté les offres des entreprises liées, choisirait une autre offre et le marché public aboutirait à la passation d’un contrat, tandis que, dans le second cas, le pouvoir adjudicateur mettrait fin à la procédure de passation du marché public en ne sélectionnant aucune offre, ce qui aurait pour effet de rétablir la concurrence en permettant à tous les soumissionnaires de participer à une nouvelle procédure.
21 Le ministère de la Justice soutient, par ailleurs, que, en tout état de cause, le point 23 du décret no 107, du 28 février 2017, confère au pouvoir adjudicateur un pouvoir discrétionnaire sur la poursuite de la procédure de passation lorsque l’attributaire refuse de conclure le marché visé.
22 Selon l’Administratīvā rajona tiesa (tribunal administratif de district), l’issue du litige dont il est saisi dépend de la question de savoir si la seule circonstance, non contestée en l’occurrence, selon laquelle Baltic et Compensa doivent être considérées comme constituant un seul et même opérateur économique exerce une incidence sur le droit du pouvoir adjudicateur de décider de mettre fin à la procédure de passation du marché public.
23 Cette juridiction considère qu’un État membre dispose, certes, d’un large pouvoir d’appréciation pour prévoir la possibilité d’adopter une décision de retrait de l’appel d’offres. En effet, conformément à la jurisprudence de la Cour, telle qu’elle ressort de l’arrêt du 11 décembre 2014, Croce Amica One Italia (C 440/13, EU:C:2014:2435, points 33 à 35), les motifs de retrait pourraient être fondés, notamment, sur des raisons qui ont un rapport avec l’appréciation de l’opportunité, du point de vue de l’intérêt public, de mener à terme une procédure d’adjudication, compte tenu, entre autres, de la modification éventuelle du contexte économique ou des circonstances factuelles, ou encore des besoins du pouvoir adjudicateur concerné.
24 En l’occurrence, il ressortirait, cependant, de l’exposé des faits que le pouvoir adjudicateur, en dépit du refus de l’adjudicataire de conclure le marché, a entendu poursuivre la procédure de passation en attribuant le marché public au soumissionnaire suivant ayant présenté l’offre économiquement la plus avantageuse. En effet, les besoins du pouvoir adjudicateur n’auraient pas changé, comme le confirmerait le lancement d’une nouvelle procédure de passation, et l’offre suivante répondrait aux besoins ainsi qu’aux exigences du pouvoir adjudicateur. Ce dernier aurait néanmoins mis fin, en application du point 24 du décret no 107, du 28 février 2017, à la procédure de passation du marché public, au motif que les deux soumissionnaires concernés devaient être considérés comme constituant un seul et même opérateur économique.
25 La juridiction de renvoi éprouve des doutes sur la compatibilité d’une telle réglementation nationale avec les principes du droit de l’Union applicables aux procédures de passation des marchés publics.
26 Certes, cette réglementation n’interdirait pas aux entreprises entre lesquelles il existe un rapport de contrôle ou qui sont liées entre elles de participer à un même marché public. Elle serait donc conforme à la jurisprudence de la Cour issue, notamment, des arrêts du 19 mai 2009, Assitur (C 538/07, EU:C:2009:317, points 29 et 30), ainsi que du 8 février 2018, Lloyd’s of London (C 144/17, EU:C:2018:78, points 34 à 36), selon laquelle le droit de l’Union s’oppose à une réglementation nationale qui instaure une interdiction absolue, pour des entreprises entre lesquelles il existe un rapport de contrôle ou qui sont liées entre elles, de participer de manière simultanée et concurrente à un même appel d’offres, sans leur laisser la possibilité de démontrer l’indépendance de leurs offres, une telle réglementation étant contraire à l’intérêt de l’Union à ce que soit assurée la participation la plus large possible de soumissionnaires à un appel d’offres.
27 Il résulterait, cependant, de cette même jurisprudence que des entreprises entre lesquelles il existe un rapport de contrôle ou qui sont liées entre elles ont le droit de se voir attribuer le marché auquel elles ont participé. Or, le point 24 du décret no 107, du 28 février 2017, interdirait au pouvoir adjudicateur d’attribuer le marché public au soumissionnaire suivant lorsque celui-ci et le soumissionnaire initialement retenu ayant retiré son offre constituent ensemble un seul et même opérateur économique. Une telle réglementation reposerait donc, en substance, sur la présomption irréfragable que les deux soumissionnaires se sont concertés et que l’attributaire a retiré son offre pour ce motif.
28 La juridiction de renvoi considère, dès lors, que la réglementation nationale en cause au principal, nonobstant le large pouvoir d’appréciation dont jouissent les États membres pour prévoir les cas dans lesquels il y a lieu de mettre fin à une procédure de passation de marché public dans des circonstances où les besoins du pouvoir adjudicateur n’ont pas changé et où l’offre suivante répond aux besoins ainsi qu’aux exigences du pouvoir adjudicateur, n’est pas compatible avec les principes énoncés à l’article 18, paragraphe 1, de la directive 2014/24, en particulier avec l’obligation incombant aux États membres de traiter les opérateurs économiques sur un pied d’égalité et sans discrimination ainsi que dans le respect du principe de proportionnalité. Le stade de la procédure de passation du marché public en cause serait sans importance aux fins de l’application de la jurisprudence de la Cour rappelée au point 26 du présent arrêt, celle–ci étant également applicable à une décision de mettre fin à cette procédure. Cette réglementation devrait donc laisser au soumissionnaire concerné la possibilité de démontrer l’indépendance de son offre.
29 Dans ces conditions, l’Administratīvā rajona tiesa (tribunal administratif de district) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour la question préjudicielle suivante :
« Une réglementation nationale qui impose au pouvoir adjudicateur l’obligation de mettre fin à une procédure de passation de marché s’il est constaté que le soumissionnaire initialement retenu, qui a refusé de conclure le marché avec le pouvoir adjudicateur, et le soumissionnaire suivant, qui a proposé une offre répondant aux intérêts et aux besoins du pouvoir adjudicateur, doivent être considérés comme un opérateur économique unique, est–elle compatible avec les principes de la passation de marchés énoncés à l’article 18, paragraphe 1, de la directive [2014/24], en particulier l’obligation des États membres de traiter les opérateurs économiques sur un pied d’égalité et sans discrimination ainsi que le principe de proportionnalité ? »
Sur la question préjudicielle
30 Par sa question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si les principes généraux du droit de l’Union, tels que, notamment, les principes d’égalité de traitement et de proportionnalité, au sens de l’article 18, paragraphe 1, de la directive 2014/24, doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à une réglementation nationale qui impose au pouvoir adjudicateur de mettre fin à une procédure de passation de marché public lorsque, en cas de retrait du soumissionnaire initialement retenu pour avoir déposé l’offre économiquement la plus avantageuse, le soumissionnaire ayant déposé l’offre suivante économiquement la plus avantageuse constitue avec ce dernier un opérateur économique unique.
31 À cet égard, il convient d’emblée de rappeler que, ainsi qu’il ressort de la jurisprudence de la Cour, le droit de l’Union ne s’oppose pas à ce que les États membres prévoient la possibilité, évoquée à l’article 55, paragraphe 1, de la directive 2014/24, d’adopter une décision de retrait d’un appel d’offres pour des motifs ayant un rapport, notamment, avec l’appréciation de l’opportunité, du point de vue de l’intérêt public, de mener à terme une procédure d’adjudication, compte tenu, entre autres, de la modification éventuelle du contexte économique ou des circonstances factuelles, des besoins du pouvoir adjudicateur concerné ou du niveau insuffisant de concurrence lorsque, à l’issue de la procédure de passation du marché concerné, un seul soumissionnaire demeurait apte à exécuter ce marché (voir, en ce sens, arrêt du 11 décembre 2014, Croce Amica One Italia, C 440/13, EU:C:2014:2435, point 35).
32 Toutefois, une telle décision de retrait d’appel d’offres doit être adoptée dans le respect des règles du droit de l’Union, en particulier des principes généraux du droit de l’Union, tels que les principes d’égalité de traitement, de transparence et de proportionnalité, lesquels sont également visés à l’article 18, paragraphe 1, de la directive 2014/24 (voir, en ce sens, arrêts du 18 juin 2002, HI, C 92/00, EU:C:2002:379, points 42 et 45 à 47, ainsi que du 11 décembre 2014, Croce Amica One Italia, C 440/13, EU:C:2014:2435, points 33, 34 et 36).
33 En l’occurrence, il est manifeste qu’une réglementation nationale, telle que celle en cause au principal, en imposant au pouvoir adjudicateur de mettre fin à une procédure de passation de marché public dans les circonstances visées au point 30 du présent arrêt, vise à écarter toute collusion potentielle entre les participants à une même procédure de passation d’un marché public après la soumission de leurs offres et à garantir ainsi le maintien d’un niveau suffisant de concurrence afin de sauvegarder l’égalité de traitement des candidats ainsi que la transparence de la procédure (voir, par analogie, arrêt du 8 février 2018, Lloyd’s of London, C 144/17, EU:C:2018:78, point 31).
34 Conformément au principe de proportionnalité, une telle réglementation ne doit cependant pas, selon la jurisprudence de la Cour, aller au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre ces objectifs (voir, en ce sens, arrêt du 8 février 2018, Lloyd’s of London, C 144/17, EU:C:2018:78, point 32 et jurisprudence citée).
35 À cet égard, il y a lieu de rappeler que les règles de l’Union en matière de passation des marchés publics ont été adoptées dans le cadre de la réalisation d’un marché unique visant à assurer la libre circulation et à éliminer les restrictions de la concurrence (arrêt du 8 février 2018, Lloyd’s of London, C 144/17, EU:C:2018:78, point 33 et jurisprudence citée).
36 Dans ce contexte, il est de l’intérêt du droit de l’Union que soit assurée la participation la plus large possible de soumissionnaires à un appel d’offres (arrêt du 8 février 2018, Lloyd’s of London, C 144/17, EU:C:2018:78, point 34 et jurisprudence citée).
37 Il en découle, selon une jurisprudence constante, que l’exclusion automatique de candidats ou de soumissionnaires qui se trouvent dans un rapport de contrôle ou d’association avec d’autres concurrents va au-delà de ce qui est nécessaire pour prévenir des comportements collusoires et, partant, pour assurer l’application du principe d’égalité de traitement et le respect de l’obligation de transparence. En effet, une telle exclusion automatique, en ce qu’elle constitue une présomption irréfragable d’interférence réciproque dans les offres respectives, pour un même marché, d’entreprises liées par un rapport de contrôle ou d’association et écarte ainsi la possibilité pour ces candidats ou ces soumissionnaires de démontrer l’indépendance de leurs offres, est contraire à l’intérêt de l’Union à ce que soit assurée la participation la plus large possible de soumissionnaires à un appel d’offres (arrêt du 8 février 2018, Lloyd’s of London, C 144/17, EU:C:2018:78, points 35 et 36 ainsi que jurisprudence citée).
38 À cet égard, la Cour a déjà relevé que les regroupements d’entreprises peuvent revêtir des formes et des objectifs variables, et n’excluent pas forcément que les entreprises contrôlées jouissent d’une certaine autonomie dans la conduite de leur politique commerciale et de leurs activités économiques, notamment dans le domaine de la participation à des adjudications publiques. En effet, les rapports entre les entreprises d’un même groupe peuvent être régis par des dispositions particulières susceptibles de garantir tant l’indépendance que la confidentialité lors de l’élaboration d’offres qui seraient simultanément déposées par les entreprises en cause dans le cadre d’un même appel d’offres (arrêt du 8 février 2018, Lloyd’s of London, C 144/17, EU:C:2018:78, point 37 et jurisprudence citée).
39 Le respect du principe de proportionnalité exige donc que le pouvoir adjudicateur soit tenu d’examiner et d’apprécier les faits, afin de déterminer si le rapport existant entre deux entités a exercé une influence concrète sur le contenu respectif des offres déposées dans le cadre d’une même procédure d’adjudication publique, la constatation d’une telle influence, sous quelque forme que ce soit, étant suffisante pour que lesdites entreprises puissent être exclues de la procédure (arrêt du 8 février 2018, Lloyd’s of London, C 144/17, EU:C:2018:78, point 38 et jurisprudence citée).
40 Cette jurisprudence, développée à l’égard de réglementations nationales prévoyant l’exclusion automatique de la participation à une procédure de passation de marché public, s’applique de la même manière à une réglementation telle que celle en cause au principal imposant au pouvoir adjudicateur, au stade ultérieur de l’adjudication, de mettre fin à une telle procédure.
41 En effet, une telle réglementation, si elle n’exclut certes pas de manière automatique des soumissionnaires relevant d’une même entité économique de la participation à une même procédure de passation d’un marché public, comporte des effets analogues à celle-ci.
42 À cet égard, il convient de relever que, en prévoyant la clôture automatique d’une procédure de passation de marché public lorsque, en cas de retrait du soumissionnaire initialement retenu pour avoir déposé l’offre économiquement la plus avantageuse, le soumissionnaire classé en deuxième lieu, qui avait déposé l’offre suivante économiquement la plus avantageuse, constitue avec ce dernier un opérateur économique unique, une réglementation nationale, telle que celle en cause au principal, institue une présomption irréfragable selon laquelle ces soumissionnaires se sont concertés pour la préparation de leurs offres ou après la soumission de celles-ci, au seul motif qu’ils relèvent d’une même entité économique, sans qu’ils puissent démontrer le caractère indépendant de leurs offres.
43 Or, une telle réglementation nationale, qui concerne une phase de la procédure au cours de laquelle le classement des offres et leur contenu ont été divulgués, est à plus forte raison encore contraire à l’intérêt de l’Union à ce que soit assurée la participation la plus large possible de soumissionnaires à un appel d’offres et au principe de proportionnalité.
44 En effet, non seulement cette réglementation est de nature à dissuader des sociétés relevant d’un même groupe de présenter des offres concurrentes dans une procédure de marché public, dès lors que leur classement aux deux premières places aurait pour effet automatique, en cas de retrait de la première classée, de mettre fin tant à cette procédure qu’aux suivantes, les excluant ainsi, de fait, de toute possibilité de se livrer concurrence dans le cadre d’un tel marché public, mais, en outre, ladite réglementation apparaît elle-même susceptible d’accroître le risque de distorsion de concurrence, dès lors que la divulgation du classement des offres et de leur contenu au terme de la première procédure est de nature à faciliter une éventuelle concertation entre les soumissionnaires dans le cadre de la procédure suivante.
45 S’il est vrai que le retrait du soumissionnaire initialement retenu pour avoir déposé l’offre économiquement la plus avantageuse, lorsque le soumissionnaire ayant déposé l’offre suivante économiquement la plus avantageuse constitue avec ce dernier un opérateur économique unique, pourrait constituer l’indice d’une concertation anticoncurrentielle, un tel retrait pouvant apparaître comme étant motivé par le dessein que soit retenue l’offre la plus élevée soumise par le groupe pris dans son ensemble, il demeure qu’aucune présomption irréfragable en ce sens ne saurait être instituée, sous peine de priver ces soumissionnaires de la possibilité de démontrer le caractère indépendant de leurs offres.
46 Dans ces conditions, il convient de répondre à la question posée que le principe de proportionnalité, au sens de l’article 18, paragraphe 1, de la directive 2014/24, doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une réglementation nationale qui impose au pouvoir adjudicateur de mettre fin à une procédure de passation de marché public lorsque, en cas de retrait du soumissionnaire initialement retenu pour avoir déposé l’offre économiquement la plus avantageuse, le soumissionnaire ayant déposé l’offre suivante économiquement la plus avantageuse constitue avec ce dernier un opérateur économique unique.
Sur les dépens
47 La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.
Par ces motifs, la Cour (dixième chambre) dit pour droit :
Le principe de proportionnalité, au sens de l’article 18, paragraphe 1, de la directive 2014/24/EU du Parlement européen et du Conseil, du 26 février 2014, sur la passation des marchés publics et abrogeant la directive 2004/18/CE,
Doit être interprété en ce sens que :
Il s’oppose à une réglementation nationale qui impose au pouvoir adjudicateur de mettre fin à une procédure de passation de marché public lorsque, en cas de retrait du soumissionnaire initialement retenu pour avoir déposé l’offre économiquement la plus avantageuse, le soumissionnaire ayant déposé l’offre suivante économiquement la plus avantageuse constitue avec ce dernier un opérateur économique unique.