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Décisions

CA Montpellier, 2e ch., 13 octobre 2009, n° 08/04627

MONTPELLIER

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Défendeur :

Bar Tabac le Laguiolais (SNC)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Bachasson

Conseillers :

M. Chassery, Mme Debuissy

Avoués :

SCP Argellies - Watremet, SCP Negre - Pepratx-Negre

Avocats :

Me Boquet, Me Galtier

CA Montpellier n° 08/04627

12 octobre 2009

Propriétaire à Laguiole d'un bar-tabac, plats à emporter et ayant à la suite d'une procédure judiciaire, perdu le droit de l'exploiter, Louis T. a, par acte notarié du 30.11.1998 constitué avec sa concubine Jeanne LE R.-G. une société en nom collectif prenant le nom de 'Bar Tabac Le Laguiolais'.

Sur les 100 parts sociales, 49 de celles-ci ont été attribuées à Louis T. et 51 à Jeanne LE R.-G. qui est devenue gérante statutaire de la société.

La gérante a assuré ses fonctions jusqu'en mai 2005 puis a quitté la région.

Par acte du 3 août 2005 elle a cédé ses parts sociales à son ex-concubin sous des conditions exposées dans l'acte notarié au chapitre 'PRIX' et au terme desquelles l'un et l'autre des associés renoncent mutuellement à se réclamer une quelconque somme 'tant professionnelle que personnelle'.

Le 19 septembre 2005 elle a perçu un chèque de 35.751,67 € en compensation d'une reprise du stock de tabac par la SEITA et le 27.10.2005, un chèque complémentaire de 3.283,74 €.

Louis T. devenu gérant de la SNC Bar-Tabac Le Laguiolais lui a réclamé en vain le montant de ces sommes au nom de la société et l'a fait assigner devant le Tribunal de Grande Instance de Vannes pour se faire payer ès qualités la somme de 39.035,41 €. Jeanne LE R. - G. a été condamnée à payer le montant du 1er chèque à la SNC sans obtenir le paiement de sa part dans les bénéfices, demande formulée par elle reconventionnellement.

Par exploit du 24.01.2008, Jeanne LE R.-G. a elle-même fait assigner la SNC Bar-Tabac Le Laguiolais devant le Tribunal de Commerce de Rodez pour voir celui-ci fixer la rémunération qu'elle estimait lui être due au titre de l'exercice de sa gérance entre janvier 1999 et mai 2005.

Par jugement du 10.06.2008, la juridiction saisie a déclaré la demande formulée irrecevable parce qu'il appartenait à la gérante de convoquer une assemblée générale ordinaire pour approuver les comptes sociaux et plus particulièrement fixer sa rémunération ainsi que prévu à l'article 21 des statuts.

Jeanne LE R.-G. a été condamnée à verser à Louis T. 1.500 € à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive et 1.000 € à la SNC Bar-Tabac Le Laguiolais en application de l'article 700 du Code de Procédure Civile.

Jeanne LE R.-G. a interjeté appel de cette décision le 30 juin 2008 contre la SNC et contre Louis T..

Sa demande a été jugée irrecevable constate-t-elle parce qu'elle n'avait pas été chiffrée. Elle dit régulariser sa demande en la chiffrant.

Elle estime que le jugement est nul parce qu'elle a été condamnée à l'égard de la SNC alors que celle-ci n'avait pas conclu mais seul Louis T. à sa place qui, lui, n'était pas partie au procès.

Au fond elle dit avoir ignoré ses obligations et avoir été sous la domination de son concubin ce qui fait qu'elle a travaillé gratuitement durant 6 ans et demi.

Sa demande dans la présente affaire concerne sa rémunération de gérante et non sa part dans les bénéfices, ce qui fait l'objet du procès distinct déjà évoqué. (La Cour d'Appel de Rennes doit statuer le 29 septembre 2009)

Elle estime qu'aucune assemblée générale n'ayant fixé sa rémunération, 'la Cour se voit contrainte' de la fixer. Elle dit avoir accompli ses obligations en sollicitant une décision collective des associés par l'intermédiaire de son avoué mais en vain.

Le montant des bénéfices réalisés par la SNC entre le 01.01.1999 et le 10 août 2005 est supérieur à 350.000 € soit une moyenne de 50 à 55.000 €, ce qui l'autorise dit-elle à réclamer 1.500 € par mois de rémunération.

Elle affirme que son travail a été effectif et qu'elle l'a exercé après l'avoir effectué de 1994 début de sa vie commune avec Louis T. jusqu'à fin 1998 en tant que salariée non déclarée et non rémunérée.

Sans nier avoir tiré des chèques sur la SNC comme le lui reproche la partie adverse, elle a admis que certains pouvaient venir en déduction de ses bénéfices dans la société tandis que les autres ont été par elle remboursés et que le dernier a servi à payer une dette fiscale.

Elle explique qu'elle dispose en Argentine de fonds provenant d'avoir personnels sans aucun lien avec la SNC.

Elle estime que sa renonciation à toute réclamation professionnelle ou personnelle à l'encontre du cessionnaire consigné dans l'acte du 3 août 2005 n'est pas un engagement vis à vis de la SNC mais de Louis T.

Elle met en cause la responsabilité du notaire dans l'arrangement qui a été conclu.

Elle demande le rejet de deux courriers des 21.07.2005 et 22.07.2005 échangés avec le conseil de son adversaire pour violation du principe du contradictoire parce qu'elle n'a pas eu le temps de préparer sa défense sur ce point.

Subsidiairement elle en demande le rejet au nom du respect des principes de déontologie puisqu'il s'agit de courriers échangés avec son avocat dans le cadre d'une tentative de négociation.

En toute hypothèse elle invoque la nullité de l'engagement pour violence au visa de l'article 1112 du Code Civil.

Au terme de ses écritures elle réclame :

114.750 € à la SNC Bar-Tabac le Laguiolais au titre d'une indemnité de gérance,

10.000 € à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive,

5.000 € en application de l'article 700 du Code de Procédure Civile.

Si la SNC Bar-Tabac Le Laguiolais est intimée avec lui, c'est Louis T. qui fait observer que la créance que Jeanne LE R.-G. lui réclame en sa qualité d'ancienne gérante de la SNC composée à l'époque d'eux deux seulement est indissociable des relations financières qui se sont établies entre les deux concubins.

Au demeurant ajoute-t-il les rôles se trouvent inversés puisque l'appelante agit en tant que personne physique à son encontre et alors qu'il est devenu le gérant de la SNC.

La personne morale se manifeste à travers la gérance précise-t-il.

Il invoque la malhonnêteté de son ex-concubine qui est partie en abandonnant l'exploitation du fonds qui obéissait à des règles précises puisqu'il s'agissait d'un débit de Tabac.

Il ajoute qu'elle prélevait des fonds sur la SNC, qu'elle a donné son adresse bretonne à l'administration et a ainsi perçu le chèque de la SEITA. Elle a par ailleurs falsifié un chèque qui l'a contraint d'agir en justice.

Il soutient qu'elle savait parfaitement gérer ses affaires et n'était nullement sous sa coupe.

L'accord intervenu le 3 août 2005 n'a abouti qu'après d'âpres discussions au cours desquelles tous les aspects financiers de la situation ont été étudiés.

Les relations financières de l'appelante avec la SNC et avec lui étaient mêlées et indissociables.

Jeanne LE R.-G. était gérante, il lui appartenait de convoquer les associés pour voir fixer son salaire.

Il exploite les courriers que son adversaire demande à voir écarter.

Il explique les accords des parties à l'issue desquels il y a eu renonciation réciproque à se réclamer quoi que ce soit et soutient qu'ils étaient parfaitement équitables.

Il réclame avec la SNC, confirmation du jugement attaqué.

Il demande aussi 3.000 € à titre de dommages et intérêts et 3.000 € en application de l'article 700 du Code de Procédure Civile.

SUR CE

Afin de circonscrire le débat il convient de rappeler que l'assignation délivrée à l'initiative de Jeanne LE R.-G. n'a été dirigée qu'à l'égard de la SNC Bar-Tabac Le Laguiolais et que donc Louis T. n'est pas partie à la procédure.

Il s'en suit qu'en tout état de cause, la condamnation à des dommages et intérêts prononcée par le Tribunal au profit de Louis T. pour procédure abusive ne pourra pas être confirmée.

De plus l'appel de Jeanne LE R.-G. dirigée contre Louis T. qui peut s'expliquer par la condamnation de l'appelante à payer des dommages et intérêts à celui-ci est en fait inopérant puisque l'intéressé n'est pas parti à la procédure, n'ayant jamais été assigné ou attrait de la cause.

Par ailleurs l'appelante demande à voir rejeter deux courriers des 21 et 22 juillet 2005 dont elle est l'auteur et qu'elle a adressés au Conseil de Louis T. d'abord en invoquant le principe du contradictoire.

Pourtant avant l'ouverture des débats les parties ont été d'accord pour que toutes les écritures et pièces soient acceptées puisqu'elles ont admis le report de l'ordonnance de clôture qui a effectivement été reportée au 8 septembre 2009, jours des débats.

L'appelante demande aussi à voir écarter ces pièces pour des raisons de déontologie ceci alors qu'il s'agit de courriers non pas échangés entre avocats mais de lettres écrites par elle au conseil de son adversaire.

Ces lettres seront d'autant moins écartées des débats que leur résultat est un accord matérialisé par l'acte authentique de cession de parts sociales du 3 août 2005.

Il convient de constater qu'au-delà de toute autre considération, par l'acte de cession de parts du 03.08.2005, les anciens concubins se sont engagés à ne rien se réclamer sous réserve d'un accord ainsi libellé :

PRIX

« La présente session est consentie et acceptée moyennant le prix principal de SOIXANTE DEUX MILLE CENT QUATRE VINGT DIX NEUF EUROS NEUF CENTIMES, ci...............62.199,09 €

lequel prix ne sera pas exigé par Madame Jeanne G., Cédant, à condition que Monsieur Louis T., Cessionnaire, règle d'abord trois factures principales à la SEITA pour 23.780,41€, à la Brasserie S. à Espalion pour 1.612,18 € et aux Cafés TEO à Saint-Flour pour 136,72 €, ce qui a été fait par virement (sur ordre de la SEITA vérifiable) au compte de la SEITA, en date du 26 juillet 2005, C.I.C 10057 Guichet 19070, Compte n° [...], CLE R.B 09, à la Brasserie S., par chèque n° 0000060 sur Banque Populaire Occitane, en date du 24 juillet 2005, et aux Cafés TEO, par chèque n° 0000063, même Banque, même date, et aussi à charge par Monsieur Louis T., Cessionnaire, de prendre à compter de ce jour, tous les règlements qui pourraient être dus par ladite société, notamment le solde de l'impôt sur les revenus de 2004, tout ce qu'il restera à régler de l'année 2005, I.R.P.P, U.D.S.M.A, U.R.S.S.A.F, T.V.A, Comptable, Location des Locaux du Bar, Employés, Fournisseurs, ainsi que toutes les factures qui seront dus dorénavant par la S.N.C 'Bar-Tabac Le Laguiolais', de manière à ce que Madame Jeanne G., Cédant, et Monsieur Louis T., Cessionnaire, n'aient plus aucune somme à se réclamer l'un envers l'autre, tant professionnelle que personnelle, le tout en compensation de l'abandon intégral du prix des parts sociales mentionné ci-dessus'

S'il est vrai que cet accord a été conclu entre Jeanne LE R.-G. et Louis T. personnes physiques, la première nommée, à la 1ère page de l'acte apparaît en qualité de 'gérant de société'.

Ainsi d'ailleurs que le dit Louis T., la SNC n'est pas dissociable des comptes faits entre les ex-concubins, comptes qui portent sur les conséquences de la cession de parts ainsi qu'il ressort de l'accord intervenu qui fait suite aux courriers des 21 et 22 juillet 2005 dans lesquels Jeanne LE R.-G. fait un tous des conséquences financières de la rupture du couple et de la rupture professionnelle.

La renonciation est d'ailleurs réciproque et non un abandon de droits de la part de la seule Jeanne LE R.-G.

Cette renonciation n'est pas 'sèche', sans motif, sans compensation. Elle est le résultat d'une négociation où des concessions ont été faites de part et d'autre. Elle a été réfléchie avant signature.

Jeanne LE R.-G. ne peut pas dire avoir accepté cette renonciation par crainte et sous la pression de son ex-concubin pour cette première raison.

Elle ne peut pas non plus invoquer son ignorance des affaires ou son désintérêt pour celles-ci.

Dans ses courriers son écriture est affirmée. Le ton de ses missives est péremptoire. A travers ses courriers elle manifeste ses exigences. Elle manoeuvre délibérément.

Elle ne peut dire qu'elle ignorait les droits et devoirs de la gérante. Elle disposait des statuts et elle était la gérante de la SNC. Elle pouvait faire fixer sa rémunération par l'assemblée générale des associés. Elle ne l'a pas fait.

C'est sur cette motivation première que le Tribunal de Commerce de Rodez l'a déclarée irrecevable en sa demande de fixation de sa rémunération pour seulement dire ensuite qu'elle n'avait pas chiffré sa demande.

Jeanne LE R.-G. dit avoir sollicité une réunion de l'assemblée générale pour voir fixer sa rémunération.

Elle omet cependant de dire qu'elle n'a formé cette demande qu'en cours de procédure d'appel puisqu'elle a agi par ministère d'avoué et alors qu'elle n'est plus gérante de la SNC depuis plusieurs années.

Louis T. fait état de la mauvaise foi de son ex-concubine.

Du moins peut-il être observé qu'elle n'hésite pas à utiliser des moyens contestables pour parvenir à ses fins comme il est démontré par une procédure ayant porté sur un chèque falsifié ou encore à travers la procédure que Louis T. a dû initier pour récupérer des fonds revenant à la SNC.

Louis T. a rempli ses obligations décrites au chapitre 'Prix' de l'acte de cession de parts tant personnellement qu'en tant que nouveau gérant de la SNC.

Dès lors Jeanne LE R.-G. qui a expressément renoncé à réclamer quoi que ce soit tant dans le domaine professionnel que personnel ne peut venir réclamer la fixation d'une rémunération au titre de la gérance qu'elle a exercée du 01.01.1999 au 14.05.2005.

L'appelante en était si consciente que bien qu'elle ait abandonné ses fonctions à cette dernière date, ce n'est que le 24.01.2008 soit plus de deux ans plus tard qu'elle a engagé son action et ceci quelques mois avant que le Tribunal de Grande Instance de Vannes par jugement du 20.05.2008 statue sur la restitution du chèque de 35.751,67 € qu'elle s'était appropriée, procédure sur laquelle elle avait greffé une réclamation au titre du paiement de sa part dans les bénéfices de la SNC.

Le Tribunal de Commerce de Rodez a déclaré la demande de Jeanne LE R.-G. irrecevable parce que c'était à l'assemblée générale de fixer la rémunération de la gérante et non à lui tribunal et parce que la demande n'était pas chiffrée.

La demande est aujourd'hui chiffrée et l'irrecevabilité tirée de ce fait ne peut prospérer.

Par ailleurs rien ne dit malgré l'article 21 des statuts de la SNC sur la fixation de la rémunération du gérant que le Tribunal ne pouvait pas, pour des raisons particulières qui lui auraient été exposées, fixer cette rémunération.

La demande de Jeanne LE R.-G. n'est pas irrecevable. Cependant l'appelante doit être déboutée de sa demande parce qu'il est démontré qu'elle y avait renoncé.

Le jugement doit être réformé en ce sens.

La procédure ne peut être qualifiée d'abusive par l'appelante qui succombe. L'intéressée sera déboutée de sa demande de dommages et intérêts à ce titre.

Les intimés réclament confirmation du jugement quant à la condamnation au titre de la procédure abusive avec une augmentation en cause d'appel.

Mais Louis T. qui n'est pas partie au procès ne peut prétendre à rien.

Jeanne LE R.-G. a abusé de procédure à l'égard de la SNC alors qu'elle avait renoncé à toute réclamation. Elle versera en conséquence la somme de 1.000 € à celle-ci à titre de dommages et intérêts.

Succombant elle ne peut prétendre à une quelconque indemnisation au titre de l'article 700 du Code de Procédure Civile.

Mais à ce titre elle versera la somme de 1.500 € à la SNC en plus de la somme allouée en première instance qui sera confirmée.

PAR CES MOTIFS

LA COUR,

REÇOIT en la forme l'appel interjeté,

Vu la substitution de motifs opérée par la Cour,

DÉBOUTE Jeanne LE R.-G. de sa demande de fixation de rémunération,

LA DÉBOUTE de sa demande de dommages et intérêts pour procédure abusive,

CONSTATE que Louis T. n'était pas partie au procès de première instance et ne peut se voir allouer une quelconque somme à titre de dommages et intérêts,

CONDAMNE Jeanne LE R.-G. à payer la somme de 1.000 € à titre de dommages et intérêts à la SNC Bar-Tabac Le Laguiolais pour procédure abusive,

LA CONDAMNE à lui payer la somme de 1.500 € en application de l'article 700 du Code de Procédure Civile qui s'ajoutera à la somme allouée à ce titre en première instance et qui est confirmée,

LA DÉCLARE irrecevable en cette demande,

CONFIRME la condamnation de la demanderesse aux dépens de première instance,

CONDAMNE l'appelante aux dépens d'appel qui seront distraits en application de l'article 699 du Code de Procédure Civile.