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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 4, 23 novembre 2022, n° 20/12823

PARIS

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Défendeur :

Super Centrale d'Achat Numérique (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Brun-Lallemand

Conseillers :

Mme Depelley, Mme Lignieres

Avocats :

Me Finet, Me Grappotte-Benetreau, Me Grall

T. com. Paris, du 20 juill. 2020

20 juillet 2020

Vu le jugement assorti de l'exécution provisoire rendu le 20 juillet 2020 par le tribunal de commerce de Paris qui a :

- donné acte de son intervention volontaire à la selarl MMJ, prise en la personne de Me [X], en sa qualité de mandataire judiciaire liquidateur de la société Kotow,

- dit qu'en réduisant de 80 % ses commandes à la société Kotow, sans aucun préavis, au premier semestre 2016, la société Super Centrale d'Achat Numérique a rompu brutalement sa relation commerciale établie avec la société Kotow,

- fixé le préavis à 9 mois,

- condamné la société Super Centrale d'Achat Numérique à payer à la selarl MMJ, ès qualités, la somme de 41 437,50 € au titre de la marge perdue du fait de la brutalité de la rupture,

- débouté la SELARL MMJ, ès qualités, de ses demandes au titre du déséquilibre significatif,

- débouté la SELARL MMJ, ès qualités, de sa demande reconventionnelle,

- condamné la société Super Centrale d'Achat Numérique à payer la somme de 10 000 € à la SELARL MMJ, ès qualités, au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- débouté les parties de leurs demandes plus amples ou contraires,

- condamé la société Super Centrale d'Achat Numérique aux dépens ;

Vu l'appel relevé par la selarl MMJ, en sa qualité de mandataire judiciaire liquidateur de la société Kotow et ses dernières conclusions du 15 septembre 2022 par lesquelles elle demande à la Cour de :

1) confirmer le jugement en ce qu'il :

- lui a donné acte de son intervention volontaire à l'instance,

- a dit qu'en réduisant de 80 % ses commandes à la société Kotow, sans aucun préavis, au premier semestre 2016, la SAS SCAN a rompu brutalement sa relation commerciale établie avec la société Kotow,

- a condamné la SAS SCAN aux dépens et à lui payer, ès qualités, la somme de 10 000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

2) infirmer le jugement en ce qu'il :

- a fixé le préavis à 9 mois,

- a condamné la SAS SCAN à lui payer, ès qualités, la somme de 41 437,50 € au titre de la marge brute perdue du fait de la brutalité de la rupture,

- l'a déboutée de ses demandes au titre du déséquilibre significatif,

- l'a déboutée de ses autres demandes au titre de la responsabilité contractuelle,

3) statuant à nouveau :

- fixer le préavis à 12 mois,

- condamner la sas SCAN à lui payer, ès qualités, la somme de

110.871 € au titre de la marge perdue du fait de la brutalité de la rupture,

- condamner la SAS SCAN à lui payer, ès qualités, la somme de 50 000 € au regard des fautes contractuelles démontrées,

- condamner la SAS SCAN aux entiers dépens d'appel et à lui payer la somme de 18.500 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile;

Vu les dernières conclusions du 12 septembre 2022 de la société Super Centrale d'Achat Numérique (SCAN) qui demande à la Cour, au visa des articles L 442-6-1 2° et 5° du code de commerce, dans leur rédaction en vigueur au moment des faits, de l'article 1103 (anciennement 1134) du code civil ainsi que des articles 695, 699 et 700 du code de procédure civile, de :

1) à titre principal :

- réformer le jugement en toutes ses dispositions, sauf en ce qu'il a débouté Kotow de ses demandes au titre du déséquilibre significatif et des prétendus manquements contractuels,

- la recevoir en ses écritures et l'y déclarer bien fondée,

- dire qu'il n'existe aucun déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties,

- dire que les relations commerciales entre SCAN et Kotow ont été rompues par cette dernière le 26 août 2016,

- dire qu'elle-même n'a manqué à aucune de ses obligations contractuelles,

2) à titre subsidiaire :

- dire que les demandes de dommages-intérêts formulées par Kotow sont injustifiées dans leur quantum,

- en conséquence, débouter Kotow de sa demande de dommages-intérêts à hauteur de 110.871 € sur le fondement de la prétendue rupture brutale de relations commerciales établies dont se serait rendue coupable la SCAN,

- débouter Kotow de sa demande de dommages-intérêts à hauteur de 50.000 € en raison de prétendus manquements contractuels dont se serait rendue coupable la SCAN,

3) à titre reconventionnel :

- dire que Kotow a manqué à ses obligations contractuelles en ne déclarant pas son chiffre d'affaires réalisé avec la SCAN au cours du 1er semestre 2016,

- dire que la prestation de coopération commerciale prévue par la convention annuelle conclue entre les parties pour l'année 2016 a bien été rendue par la SCAN,

- dire que Kotow reste devoir à la SCAN la rémunération de la prestation de coopération commerciale ainsi que la ristourne de fin d'année prévue par la convention annuelle 2016 conclue par les parties,

- en conséquence, enjoindre à Kotow de communiquer :

 son chiffre d'affaires réalisé avec la SCAN et ses adhérents du 1er janvier au 30 juin 2016 en vue du paiement de la prestation de coopération commerciale,

 son chiffre d'affaires réalisé avec la SCAN et ses adhérents du 1er janvier au 26 août 2016 en vue du paiement de la ristourne de fin d'année,

- condamner Kotow à payer à la SCAN les sommes dues au titre de la prestation de coopération commerciale prévue par la convention annuelle 2016 et effectivement rendue par la SCAN,

- constater la créance de la SCAN et la fixer au passif de Kotow à la somme de 3.709 € (à parfaire), à titre de créance chirographaire,

- condamner Kotow à payer à la SCAN les sommes dues au titre de la ristourne de fin d'année prévue par la convention annuelle 2016,

- constater la créance de la SCAN et la fixer au passif de Kotow à la somme de 4.782 € (à parfaire), à titre de créance chirographaire,

4) en tout état de cause :

- condamner Kotow à verser à la SCAN la somme de 30.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile et fixer cette somme au passif de Kotow,

- condamner KOTOW aux entiers dépens, dont distraction au profit de la Scp Grapotte Benetreau en application de l'article 699 du code de procédure civile.

MOTIVATION

La société Super Centrale d'Achat Numérique, ci-après SCAN, est une centrale d'achat et de référencement dans le secteur de la vente de produits et services photographiques ou vidéo. Elle a été constituée à la fin de l'année 2003 par trois sociétés :

PPPL, SAPC et JR2C qui disposent chacune de leur réseau d'exploitants de fonds de commerce distribuant de manière indépendante des produits et services de photographie et de vidéo. Ces distributeurs, adhérents de la SCAN mais n'ayant aucune obligation de s'approvisionner auprès d'elle, restent libres de s'approvisionner directement auprès de fournisseurs référencés ou non par la SCAN.

La société Kotow, ci-après Kotow, est un fournisseur de produits destinés à la photographie, en particulier de filtres de la marque Hoya.

La SCAN référençait les produits de Kotow depuis 2003.

Pour la mise en oeuvre de ce référencement, conformément à l'article L 441-7-1 du code de commerce, dans sa rédaction applicable au litige, la SCAN et Kotow ont signé des conventions annuelles définissant leurs obligations respectives, notamment pour l'année 2015 et pour l'année 2016.

La convention annuelle 2016, datée du 18 février 2016, définit les prestations de services visant à favoriser la commercialisation des produits et, pour leur rémunération, renvoie à un contrat d'application sauf pour la publicité directe consommateurs devant être rémunérée par 2,50 % du chiffre d'affaires HT 2015 réalisé par le fournisseur avec la SCAN et les adhérents des groupements SAPC, PPPL et JR2C.

Les parties ont signé des contrats d'application définissant les modalités de réalisation et la rémunération des services que la SCAN et/ou les groupements et/ou les adhérents proposaient de réaliser au bénéfice de Kotow, soit :

- 'la communication guide Kamara printemps-été 2015", à réaliser par la SAPC du 01/05/2015 au 30/09/2015, ainsi que 'la communication guide Kamara hiver 2015/2016", à réaliser par la SAPC du 01/11/2015 au 30/04/2016, moyennant pour chacune ce ces prestations une rémunération de 2,5 % du chiffre d'affaires Hoya HT réalisé par le fournisseur avec la SCAN et les adhérents du groupement,

- 'la mise en avant promotionnelle sur le Catalogue Images-Photo', à réaliser par la société JCR2C-Groupe Image du 15/05 au 30/06 2015, moyennant une rémunération de 1.130,90 € HT.

Dans un courriel du 2 décembre 2015 adressé à la SCAN, Kotow lui a déclaré : 'Voici les tarifs revus à la baisse sur notre gamme. Je vous envoie aussi les derniers tarifs pour notre gamme fusion antistatic aussi en baisse.'

Par courriel du 16 décembre 2015, Kotow a transmis à la SCAN ses tarifs 2016 comportant une augmentation générale de 1%; celle-ci lui a répondu le 17 décembre 2015 que c'était dommage puisqu'elle avait annoncé quelques jours auparavant une baisse de prix sur une sélection de produits ; Kotow l'a informée en retour qu'il s'agissait d'une hausse des tarifs pour tous ses clients suite à une hausse encore plus conséquente des tarifs Hoya Japon 2016 mais qu'elle pouvait annuler cette hausse sur tous les articles qu'elle avait baissés pour l'avantager en plus.

Par courriel du 26 janvier 2016, la SCAN a précisé à Kotow qu'elle était confrontée à un problème important concernant l'ensemble des produits Hoya, qu'elle se trouvait prise à partie sur son site internet par des consommateurs, qu'elle était très attachée à sa collaboration avec Kotow mais venait de prendre conscience qu'elle n'en avait peut être pas les moyens et qu'elle ne pouvait différer davantage une action correctrice de ses conditions d'achat.

Puis, par courriel du 13 mai 2016, Kotow a indiqué à la SCAN : « Voici notre gamme remaniée avec les nouveaux produits et un dernier effort sur les tarifs en particulier sur les gris neutres. Je ne modifierai plus les tarifs jusqu'à la fin de l'année. »

Le 20 mai suivant, Kotow a écrit à la SCAN : '...Comme je vous le disais par téléphone il y a une semaine votre dernière commande date du 2 mars 2016, soit 2 mois et demi, alors que vous nous commandiez auparavant des filtres Hoya toutes les semaines. J'attends par conséquent une éventuelle commande avant la fin de la semaine prochaine afin de décider de poursuivre ou non nos relations commerciales et éventuellement résilier notre contrat étant donné que vos achats ont chuté de 50 % comparativement à la même période sur 2014. Je vous rappelle que nous avons consenti à 3 baisses de tarifs depuis le 1er décembre 2015 comme vous vous étiez plaint des tarifs peu compétitifs que vous aviez avec Mme [F] [R] [N].'

Un réunion tenue entre les parties le 19 juillet 2016 n'a pas abouti à un accord.

C'est ainsi que le 5 août 2016, Kotow a fait assigner la SCAN devant le tribunal de commerce de Paris, lui reprochant une rupture brutale de la relation commerciale et des manquements à ses obligations contractuelles.

La liquidation judiciaire de Kotow ayant été prononcée le 28 juin 2018 par le tribunal de commerce de Pontoise, la selarl MMJ est intervenue volontairement à l'instance en qualité de mandataire judiciaire liquidateur de cette société.

Le tribunal de commerce de Paris, par le jugement déféré, a :

- condamné la SCAN à payer à la SELARL MMJ, ès qualités, la somme de 41.437,50 € au titre de la marge perdue du fait de la brutalité de la rupture de la relation commerciale établie,

- débouté la SELARL MMJ, ès qualités, de ses demandes au titre du déséquilibre significatif et au titre de la responsabilité contractuelle,

- débouté la SCAN de ses demandes reconventionnelles tendant à la fixation de ses créances au passif de Kotow.

Sur les demandes de la SELARL MMJ en sa qualité de liquidateur judiciaire de Kotow

La Cour constate que dans le dispositif de ses conclusions, l'appelante demande l'infirmation du jugement en ce qu'il l'a déboutée de ses demandes au titre du déséquilibre significatif, mais ne formule aucune demande tendant à la réparation du préjudice qui en serait résulté ; de surcroît, dans le corps de ses écritures sous la rubrique ' La soumission par la SCAN de Kotow à des obligations créant un déséquilibre significatif', elle développe les éléments qui démontreraient selon elle ce déséquilibre significatif dans les relations entre les parties, mais ajoute qu'elle ne formule pas de demande chiffrée quant à ce déséquilibre.

En toute hypothèse, c'est par des motifs pertinents que la cour adopte que le tribunal a dit que Kotow ne rapportait pas la preuve du déséquilibre significatif allégué.

Il convient de statuer sur les demandes de dommages-intérêts pour rupture brutale de la relation commerciale établie par la SCAN et pour fautes contractuelles.

 Sur la rupture de la relation commerciale

Kotow, par son liquidateur judiciaire, fait valoir pour l'essentiel :

- qu'elle avait déjà consenti des premières baisses de prix en 2015, de 14 à 15 % sur une quinzaine de produits, qu'elle en a consenti de nouvelles en mars et mai 2016 alors que le japonais Hoya dont elle distribuait la marque, avait augmenté ses tarifs de 15,85 % sur l'année 2016, que la baisse générale de ses tarifs a été de 8,56%,

- que la SCAN n'a passé que 3 commandes en 2016 : le 29 janvier pour 18.463,25 €, le 29 février pour 10.464,32 € (dernière la plus importante) et le 31 mars pour 1.863,23 €,

-qu'en 2016, les commandes de la SCAN n'ont représenté qu'un montant total de 31.275,70 € HT, alors qu'elles représentaient un chiffre d'affaires de 309.290 € en 2015, soit une baisse de 90 %,

- que la SCAN a rompu la relation commerciale, sans aucun préavis, fin février-début mars 2016,

- que la SCAN s'est mise à travailler avec le concurrent direct de Kotow, la société White Snapshot, montée par M. [U] [D], ex gérant de Kotow.

La SCAN soutient en réponse qu'elle est totalement étrangère aux difficultés financières rencontrées par Kotow et que la rupture des relations commerciales n'est imputable qu'au seul comportement hasardeux de son nouveau gérant M. [M] [D] qui, par sa grave incompétence, a fait perdre toute confiance à elle-même et à ses adhérents. Elle expose :

- que les nouveaux dirigeants de Kotow ([M] [D] et [J] [D] co-gérants) n'ont jamais eu l'intention de poursuivre les relations commerciales avec elle et se sont immédiatement situés sur un terrain contentieux, préférant approvisionner en direct les adhérents de la SCAN, sans passer par son intermédiaire,

- que la baisse des tarifs de Kotow n'a été en moyenne que de 2 % et que malgré cette baisse, ils n'étaient toujours pas compétitifs,

- qu'elle-même n'a jamais voulu intentionnellement rompre ses relations commerciales avec Kotow,

- que la baisse de commandes constatée à partir du mois de mars 2016 était indépendante de sa volonté et totalement imprévisible, car liée à une baisse soudaine de commandes de ses propres adhérents et ce dans un contexte concurrentiel de marché en crise, ce qui n'est pas contesté,

- que vu le contexte commercial tendu et la nécessité impérieuse de proposer à ses adhérents des prix attractifs pour les filtres de marque Hoya, elle n'a eu d'autres choix que de référencer un autre fournisseur de filtres Hoya, concurrent de Kotow, tout en continuant à référencer Kotow,

- qu'elle a continué à respecter ses engagements en informant ses adhérents de l'opération promotionnelle organisée par Kotow au mois de mai 2016 et a invité Kotow à participer à son salon annuel, ce que Kotow a refusé,

- qu'elle a passé quelques commandes à Kotow en juin et juillet 2016 et lui a proposé un rendez-vous en vue d'envisager la poursuite des relations mais que lors de ce rendez-vous du 19 juillet 2016, Kotow, assisté de son conseil, a coupé court à toute discussion sur la poursuite des relations.

Il ressort des pièces versées aux débats :

- que la SCAN a alerté Kotow sur les difficultés du marché, lui demandant des baisses de tarif, notamment en décembre 2015 et janvier 2016,

- que Kotow, qui avait déjà concédé des baisses de prix entre le 1er janvier et le 2 décembre 2015 variant de 3% à 16 % selon les produits, a de nouveau consenti à des baisses de prix entre décembre 2015 et mai 2016,

- qu'en janvier et février 2016, la société SCAN, qui avait signé le 18 février 2016 la convention annuelle 2016 à laquelle était annexée les tarifs de Kotow, a réduit de moitié ses commandes par rapport à l'année précédente,

- que postérieurement, elle n'a passé que trois commandes : d'un montant de 1.863,33 € HT le 31 mars 2016, de 343,44 € HT le 30 juin 2016 et de 141,46 € le 6 juillet 2016.

Il est ainsi établi qu'avant la rendez-vous du 19 juillet 2016, la SCAN a diminué ses commandes à Kotow de 80 à 90 % au cours du premier semestre 2016, sans lui notifier au prélable un préavis écrit.

C'est en vain que la SCAN invoque l'état du marché et la diminution des commandes de ses adhérents alors qu'elle indique par ailleurs s'être approvisionnée auprès d'une autre société concurrente de Kotow, sans toutefois justifier du montant de ses achats auprès de cette dernière.

L'incompétence alléguée de M. [M] [D], devenu seul gérant de Kotow après la révocation de [J] [D] de ses fonctions en octobre 2015, ne pouvait en aucune façon dispenser la SCAN de respecter un préavis.

En conséquence, la responsabilité de la SCAN est engagée pour rupture brutale de la relation commerciale établie avec Kotow.

Le mandataire liquidateur de Kotow demande la somme de 110.871 €, au titre de la marge perdue, en faisant valoir :

- que le préavis aurait dû être de 12 mois, les relations ayant duré 13 ans et Kotow se trouvant dans 'une certaine dépendance de la SCAN qui lui imposait tout', mais que son chiffre d'affaires n'était pas uniquement constitué par celui réalisé avec la SCAN,

- que le chiffre d'affaires à retenir est celui réalisé par Kotow avec la SCAN et ses trois groupements, étant précisé que c'est la SCAN qui passait les commandes pour ceux-ci et que Kotow n'a plus livré aucun produit à ces groupements,

- que la moyenne annuelle de ce chiffre d'affaires sur les trois dernières années est de 295.656 €,

- que le tribunal a justement retenu une marge brute de 42 % et en a déduit les ristournes pour aboutir à une marge de 37,50 %,

- que la SCAN prétend qu'il faut déduire les coûts variables de Kotow, ' or Kotow a été démantelée dès la rupture par la SCAN puisque de nombreux procès étaient liés aux actes de concurrence déloyale de la SCAN en complicité avec l'ancienne équipe ([U] [D])'.

La SCAN s'oppose à la demande et réplique :

- que la durée du préavis devrait être réduite au strict minimum dans la mesure où Kotow ne souffrait d'aucune dépendance économique à son égard et que les services de référencement qu'elle lui a rendus pendant plus de 10 ans lui ont permis de bénéficier d'une solution de substitution à moindre frais,

- que le chiffre d'affaires à retenir est celui réalisé par Kotow avec elle, à l'exclusion de celui réalisé directement avec les adhérents,

- que ce chiffre d'affaires annuel moyen pour les années 2013, 2014 et 2015 s'élève à 198 054,82 €, dont il faut déduire le chiffre d'affaires de 5 047,43 € réalisé entre mars et août 2013, ce qui aboutit à 193 000 €,

- que le taux de marge brute invoqué n'est pas prouvé et que certains coûts devraient être déduits pour tenir compte de la marge sur coûts variable.

Il apparaît que la relation commerciale établie a duré 12 ans, que Kotow, qui avait toujours la possibilité de proposer ses produits directement aux commerçants adhérents de la SCAN, ne se trouvait pas sous la dépendance économique de la SCAN, n'ayant réalisé avec cette dernière en 2015 que 221.208 € sur un chiffre d'affaires global de 1 791 487 € .

Dès lors, un préavis de 6 mois était suffisant pour permettre à Kotow de réorganiser son activité.

Seul le chiffre d'affaires réalisé avec la SCAN, à l'exception de celui réalisé avec les adhérents de la SCAN qui restaient libres de contracter ou non avec Kotow, doit être pris en considération. La moyenne annuelle de ce chiffre d'affaires pour les années 2013, 2014 et 2015 s'élève à 198 000 €. Le tribunal en a exactement déduit la somme de 38 000 €, montant des commandes passées en 2016. Il y a donc lieu de retenir le chiffre de 160 000 € et de tenir compte des ristournes de 4,5 % conventionnellement convenues.

Il n'est pas justifié de la marge brute réalisée par Kotow et encore moins de sa marge sur coûts variables.

Au regard des éléments d'appréciation qui lui sont soumis, la Cour fixe à la somme de 35 000 € les dommages-intérêts dus pour rupture brutale de la relation commerciale établie.

 Sur la demande de dommages-intérêts pour fautes contractuelles

En premier lieu, le mandataire liquidateur de Kotow expose :

- que Kotow a entendu effectuer une offre promotionnelle sur les filtres UV Expert et PLC Expert du 27 mai au 31 août 2016,

-que le 9 mai 2016, Kotow a informé la SCAN qu'elle souhaitait faire une offre proportionnelle de 10 % sur les UV Expert et qu'il lui a été demandé le 13 mai suivant combien de temps durerait la proposition,

- que Kotow a répondu que la promotion durerait jusqu'au 31 août 2016 et que la SCAN lui a précisé les tarifs applicables du 1er juin au 31 août avec cette promotion,

- mais que dans la publicité de son catalogue, la SCAN a laissé entendre que la promotion n'était valable que du 20 au 27 mai 2016,

- que suite à ses protestations, la SCAN a prétendu qu'il fallait spécifier un délai court, les adhérents ayant tendance à oublier les offres qui se succédaient,

- que lorsque la SCAN fait la publicité d'autres concurrents pour des filtres concurrents de la marque Cokin, elle mentionne bien la durée de 2 mois pour que les adhérents comprennent bien que la remise et l'opération durent pendant 2 mois,

- que c'est à tort que le tribunal a estimé que la SCAN avait la maîtrise de sa politique commerciale et marketing,

- que la SCAN devait se rallier aux desiderata de Kotow pour cette promotion et sa durée.

La SCAN réplique :

- que l'intérêt de Kotow comme le sien était de donner à ses adhérents, par le moyen d'un bon de commande spécial adressé à ses adhérents, une date de réponse rapprochée pour les inciter à commander au plus vite,

- qu'elle a proposé à Kotow de rééditer à ses frais les bons de commande spéciaux avec la date butoir demandée et de prévoir le retour de ces bons directement par les adhérents à Kotow, mais que Kotow n'a pas répondu à cette proposition préférant prendre contact directement avec les adhérents,

- qu'ayant la maîtrise de sa politique commerciale et marketing, elle n'avait pas l'obligation de relayer l'offre promotionnelle proposée par Kotow dans les termes choisis par cette dernière.

Il incombait à la SCAN, avant de réduire la durée de la promotion de 10 % demandée par Kotow, de l'en avertir, ce qu'elle n'a pas fait.

La Cour retient que cependant, Kotow ne démontre aucunement l'existence d'un préjudice qui serait résulté de ce manquement.

En deuxième lieu, le mandataire liquidateur de Kotor indique :

- que le 19 janvier 2016, la SCAN a demandé à Kotow la disponibilité du filtre Hoya UV Expert 82 mm,

- que Kotow demandait effectivement qu'il soit fait état dans les magasins de sa promotion sur les filtres ND PRO 01D,

- que la SCAN a répondu qu'elle n'avait pas encore averti les magasins puisque cette baisse de prix était plutôt un ajustement de prix et qu'elle avait encore un problème, n'arrivant pas à « s'aligner »,

- que la SCAN n'a pas voulu indiquer qu'il s'agissait d'une promotion plus attractive à la vente qu'un ajustement de prix, qu'elle n'a pas satisfait à sa demande et n'a pas mis tout en oeuvre pour la commercialisation des produits du fournisseur, contrairement à ce qui était contractuellement prévu.

Mais la SCAN réplique à juste raison :

- qu'en décembre 2015, Kotow a procédé à une première baisse de prix sur 28 références dont les filtres de la gamme ND PRO 01D, baisse qui a immédiatement été répercutée par la SCAN à ses adhérents,

- qu'en décembre 2015 et janvier 2016, Kotow n'a pas procédé à une promotion ou baisse de prix temporaire sur cette gamme qui aurait nécessité une communication spécifique.

Aucune faute n'est donc caractérisée.

En troisième lieu, le mandataire liquidateur de Kotow reproche à la SCAN un manquement à la bonne foi dans l'exécution du contrat pour s'être approvisionnée en produits Hoya auprès d'autres sources, dont la société White Snapshot, montée par l'oncle de [M] [D], ancien gérant de Kotow, et d'avoir cherché à le dissimuler ; il précise :

- que Kotow était le distributeur exclusif des produits Hoya en France, ce que savait la SCAN,

- que les contrats de partenariat signés entre Kotow et la SCAN mentionnaient que cette dernière avait pour obligation la mise en avant de la marque Hoya sous laquelle le fournisseur vendait ses produits,

- que dans les documents commerciaux et publicités sur internet de la marque Hoya, on constate que Kotow est le distributeur exclusif en France,

- que Kotow a découvert que la SCAN achetait des produits de la marque Hoya à l'étranger, ce qu'elle avait le droit de faire, mais aussi en France à la société White Snapshot,

- que suite à une sommation de communiquer le listing des produits Hoya achetés à des concurrents, la SCAN n'a versé aux débats qu'une facture du 9 mai 2016 établie par la société White Snapshot,

- que le 6 octobre 2017, la société Kenzo Okina, vendeur de la marque Hoya au Japon, a écrit à [M] [D] : ' En ce qui concerne votre préoccupation au sujet de White Snapshot, je voudrais vous rappeler que nous avons mis fin à la relation depuis plusieurs mois.',

- qu'en compensation des problèmes rencontrés par Kotow, la société japonaise lui a offert 4% du montant des commandes sur des filtres.

La société SCAN conteste avoir manqué à son obligation de loyauté et de bonne foi et réplique à juste raison :

- qu'elle n'était tenue par aucune clause d'approvisionnement exclusif à l'égard de Kotow,

- que la convention annuelle conclue pour 2016 avec Kotow ne mentionne à aucun moment que Kotow est le distributeur exclusif en France de la marque Hoya,

- qu'elle n'était pas informée des possibles accords d'exclusivité dont pouvait bénéficier Kotow,

- que c'est la société Tokina Company Limited qui, alors qu'elle avait consenti une exclusivité à Kotow, a approvisionné un concurrent.

En conséquence, la demande de dommages-intérêts d'un montant de 50 000 € sera rejetée.

Sur les demandes de la société SCAN

Il convient de rappeler que les créances alléguées ne peuvent faire l'objet de condamnation au paiement de Kotow du fait de sa liquidation judiciaire, mais seulement d'une fixation au passif de cette société si elles sont justifiées.

La SCAN a déclaré ses créances au passif de Kotow, à titre chirographaire, comme suit :

- 3.709 €, correspondant à une estimation des sommes dues par Kotow au titre de la rémunération de la prestation de coopération commerciale prévue à l'article II-1 de la deuxième partie de la convention annuelle 2016, calculée sur la base des chiffres d'affaires des 2 premiers trimestres 2015, Kotow n'ayant pas justifié de son chiffre d'affaires réalisé en 2016 avec la SCAN et ses adhérents,

- 4.782 €, correspondant à une estimation des sommes dues par Kotow au titre de la ristourne de fin d'année de 2% du chiffre d'affaires réalisé par Kotow avec la SCAN et ses adhérents, prévue par l'annexe 5 de la convention annuelle 2016, cette estimation étant calculée sur le chiffre d'affaires au titre des 3 premiers trimestres 2015 (les relations ayant cessé en août 2016) Kotow n'ayant pas déclaré son chiffre d'affaires avec la SCAN et ses adhérents pour l'année 2016.

Pour s'opposer à cette demande, le mandataire liquidateur de Kotow demande la confirmation du jugement en ce qu'il a débouté la SCAN de ses demandes au motif que celle-ci s'était approvisionnée en produits Hoya auprès d'autres fournisseurs en cherchant à le dissimuler à Kotow, ce qui constituait un manquement à l'obligation de bonne foi libérant Kotow de son obligation au paiement.

Cependant, les créances de la SCAN, calculées sur la base des chiffres d'affaires 2015 en raison du défaut de communication par Kotow de ceux de 2016, sont justifiées par les stipulations contractuelles et les pièces qu'elle produit.

Il convient de les fixer au passif de Kotow pour les montants réclamés, sans qu'il y ait lieu d'enjoindre à Kotow de communiquer ses chiffres d'affaires 2016, ce que cette société n'a pas cru devoir faire depuis le début de la procédure.

Sur les dépens et l'application de l'aticle 700 du code de procédue civile

La SCAN, qui est redevable de dommages-intérêts pour rupture brutale de la relation commerciale établie, doit supporter les dépens de première instance et d'appel et les frais irrépétibles de première instance.

En équité, il ne sera pas fait application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile à hauteur d'appel.

PAR CES MOTIFS

La Cour, statuant publiquement par mise à disposition au greffe, par arrêt contradictoire et en dernier ressort,

Constate qu'aucune demande de dommages-intérêts n'est formée par la Selarl MMJ, ès qualités, de mandataire judiciaire liquidateur de la société Kotow, au titre d'un déséquilibre significatif,

Confirme le jugement en ce qu'il a :

- donné acte à la SELARL MMJ, en sa qualité de mandataire judiciaire liquidateur de la société Kotow, de son intervention volontaire à l'instance,

- dit qu'en réduisant de 80 % ses commandes à la société Kotow, sans aucun préavis, au premier semestre 2016, la société SCAN a rompu brutalement la relation commerciale établie avec la société Kotow,

- condamné la société SCAN à payer à la SELARL MMJ, ès qualités, la somme de 10 000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- débouté la SELARL MMJ, ès qualités de ses demandes au titre du déséquilibre significatif et de la responsabilité contractuelle

Infirme le jugement pour le surplus et, statuant à nouveau :

Condamne la société Super Centrale d'Achat Numérique-SCAN à payer à la MMJ, en sa qualité de mandataire judiciaire liquidateur de la société Kotow la somme de 35 000 € pour rupture brutale de la relation commerciale établie,

Fixe les créances de la société Super Centrale d'Achat Numérique-SCAN au passif de la société Kotow, à titre chirographaire, pour les montants suivants :

- 3 709 €, au titre de la prestation de coopération commerciale prévue par la convention annuelle 2016,

- 4 782 €, au titre de la ristourne de fin d'année prévue par la convention annuelle 2016,

Déboute les parties de toutes leurs autres demandes,

Condamne la société Super Centrale d'Achat Numérique-SCAN aux dépens de première instance et d'appel.