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Décisions

Cass. com., 13 novembre 2013, n° 12-21.854

COUR DE CASSATION

Arrêt

Rejet

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Espel

Avocats :

Me Spinosi, SCP Vincent et Ohl

Paris, du 3 mai 2012

3 mai 2012

Attendu, selon l'arrêt attaqué (Paris, 3 mai 2012), que par décision du 18 novembre 2010, la commission des sanctions de l'Autorité des marchés financiers (l'AMF) a retenu que MM. X..., Y...et Z...avaient, en mai et juin 2008, commis des manquements d'initiés, en utilisant une information privilégiée relative à la préparation de l'offre publique d'achat simplifiée menée par la société Financière FC sur les actions de la société Clarins, et, le premier, en communiquant cette information à M. Y..., le deuxième en communiquant cette information à M. Z...; qu'une sanction pécuniaire a été prononcée à leur encontre ;

Sur le premier moyen :

Attendu que M. Y...fait grief à l'arrêt d'avoir rejeté son recours contre cette décision, alors, selon le moyen :

1°/ qu'une information n'est réputée précise que si elle fait mention d'un ensemble de circonstances ou d'un événement qui s'est produit ou qui est susceptible de se produire et s'il est possible d'en tirer une conclusion quant à l'effet possible de ces circonstances ou de cet événement sur le cours des instruments financiers concernés ou des instruments financiers qui leur sont liés ; qu'en se bornant à relever que l'information avait trait dès le 20 mai 2008 à un projet suffisamment défini pour avoir des chances raisonnables d'aboutir et répondait de ce fait dès cette date au critère de précision, sans rechercher s'il était possible d'en tirer une conclusion quant à l'effet possible de ces circonstances ou de cet événement sur le cours des instruments financiers concernés ou des instruments financiers qui leur sont liés, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 621-1 du règlement général de l'AMF, ensemble l'article L. 621-15 du code monétaire et financier ;

2°/ qu'une information n'est réputée précise que si elle fait mention d'un ensemble de circonstances ou d'un événement qui s'est produit ou qui est susceptible de se produire et s'il est possible d'en tirer une conclusion quant à l'effet possible de ces circonstances ou de cet événement sur le cours des instruments financiers concernés ou des instruments financiers qui leur sont liés ; qu'en se bornant à énoncer par des motifs généraux qu'une offre publique d'achat simplifiée émise par un groupe d'actionnaires familiaux détenant déjà le contrôle de la société cible apparaît comme moins aléatoire qu'une offre publique ordinaire dans la mesure où les intérêts de la direction et des actionnaires majoritaires de la société cible et ceux de l'initiateur de l'offre sont a priori convergents, sans rechercher, ainsi qu'elle y était pourtant expressément invitée, si l'offre était in concreto susceptible de se produire au 21 mai 2008, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 621-1 du règlement général de l'AMF, ensemble l'article L. 621-15 du code monétaire et financier ;

3°/ qu'une information n'est réputée précise que si elle fait mention d'un ensemble de circonstances ou d'un événement qui s'est produit ou qui est susceptible de se produire et s'il est possible d'en tirer une conclusion quant à l'effet possible de ces circonstances ou de cet événement sur le cours des instruments financiers concernés ou des instruments financiers qui leur sont liés, et qu'un accord de principe donné par une banque implique nécessairement que les conditions définitives de l'octroi de son concours restent à définir et oblige seulement celle-ci à poursuivre, de bonne foi, les négociations en cours ; qu'en déduisant la précision de l'information de la seule existence d'un accord de principe donné par la banque le 20 mai 2008, la cour d'appel a violé l'article 621-1 du règlement général de l'AMF, ensemble l'article 1382 du code civil ;

4°/ que M. Y...faisait valoir dans ses écritures en cause d'appel, preuves à l'appui, que les nombreuses rumeurs autour du groupe Clarins pouvaient susciter un intérêt particulier sur l'évolution du titre Clarins pour tout investisseur averti, de sorte que l'information litigieuse n'était pas susceptible, si elle était rendue publique, d'avoir une incidence sensible sur le cours du titre ; qu'en s'abstenant de répondre à ce moyen péremptoire sur les rumeurs relatives au groupe Clarins, tout en concédant par ailleurs que l'influence d'une offre publique d'achat simplifiée sur le cours de bourse peut être affectée par l'existence de rumeurs préalables, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile ;

Mais attendu, en premier lieu, que M. Y...n'ayant pas soutenu qu'à supposer que l'information relative au projet d'offre publique d'achat simplifiée menée par la société Financière FC sur les actions de la société Clarins ait porté sur un projet suffisamment défini pour avoir des chances raisonnables d'aboutir, il n'aurait pas été possible d'en tirer une conclusion quant à son effet possible sur le cours du titre Clarins, la cour d'appel n'avait pas à effectuer une recherche qui ne lui était pas demandée ;

Attendu, en deuxième lieu, que l'arrêt constate, par motifs propres et adoptés, que le mandat donnant mission de réaliser une étude de faisabilité, s'il n'a été effectivement signé que le 22 mai 2008, avait toutefois été précédé de nombreux travaux préparatoires attestés par la tenue d'au moins sept réunions depuis le 25 mars 2008 ; qu'il relève que, si l'accord formel du comité des engagements de la banque CIC, chef de file et présentatrice de l'opération, n'a été donné que le 5 juin 2008, l'accord de principe de cette banque, obtenu en interne le 20 mai 2008, a été communiqué à la société Clarins le 21 mai 2008, surlendemain du jour de la demande ; qu'il relève encore que dès le 20 mai 2008, la banque a placé le titre Clarins sur sa liste d'interdiction et a établi une liste d'initiés relative au projet d'offre publique d'achat simplifiée sur la société Clarins ; qu'en l'état de ces constatations et appréciations, la cour d'appel, qui a effectué la recherche visée par la deuxième branche, et qui n'a pas déduit la précision de l'information de la seule existence d'un accord de principe donné par la banque le 20 mai 2008, a légalement justifié sa décision ;

Et attendu, en troisième lieu, qu'ayant relevé qu'il existait en l'espèce une très forte probabilité que le projet d'offre publique d'achat simplifiée soit assorti d'une prime importante par rapport au cours de bourse, et ajouté que cette prime était susceptible d'être anticipée par un investisseur raisonnable utilisant l'information relative au projet d'offre comme l'un des fondements de ses décisions d'investissement, la cour d'appel, qui n'était pas tenue de suivre M. Y...dans le détail de son argumentation, en a exactement déduit que l'information relative à ce projet était susceptible, si elle était rendue publique, d'avoir une incidence sensible sur le cours du titre ;

D'où il suit que le moyen n'est fondé en aucune de ses branches ;

Sur le deuxième moyen :

Attendu que M. Y...fait le même grief à l'arrêt, alors, selon le moyen :

1°/ que nul ne peut être condamné pour un manquement d'initié s'il n'est pas rapporté, à son encontre, la preuve de la détention d'une information privilégiée ; qu'il appartient à l'AMF, qui entend voir condamnée la personne poursuivie, d'établir la preuve de cette détention ; qu'en énonçant que le caractère atypique de l'investissement n'était pas justifié par M. Y...et que seule la détention de l'information privilégiée visée par la notification de griefs peut expliquer les acquisitions auxquelles il a procédé, la cour d'appel, qui a fait porter la charge de la preuve de l'absence de détention de l'information privilégiée sur la personne poursuivie, a violé les dispositions de l'article L. 621-15 du code monétaire et financier et de l'article 622-1 du règlement général de l'AMF, ensemble le principe de la présomption d'innocence consacré à l'article 6 § 2 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

2°/ que la détention d'une information privilégiée par la personne poursuivie suppose que cette dernière ait détenu une information précise qui n'a pas été rendue publique, qui concerne, directement ou indirectement, un ou plusieurs émetteurs d'instruments financiers, ou un ou plusieurs instruments financiers, et qui si elle était rendue publique, serait susceptible d'avoir une influence sensible sur le cours des instruments financiers concernés ou le cours d'instruments financiers qui leur sont liés ; qu'au cas d'espèce, en retenant que l'information était précise, en ce qu'elle portait sur un projet d'offre publique d'achat simplifiée émis par un groupe d'actionnaires familiaux, la société Financière FC, tout en concédant qu'il n'était pas acquis que M. Y...aurait été mis en possession de tous les détails de l'opération préparée sur le titre Clarins, sans rechercher, ainsi qu'elle y était pourtant expressément invitée, si M. Y...avait connaissance du fait que l'offre publique d'achat simplifiée serait réalisée par la société Financière FC, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 621-1 et 622-1 du règlement général de l'AMF, ensemble l'article L. 621-15 du code monétaire et financier ;

3°/ que la transmission d'une information privilégiée par la personne poursuivie suppose que cette dernière ait transmis une information précise qui n'a pas été rendue publique, qui concerne, directement ou indirectement, un ou plusieurs émetteurs d'instruments financiers, ou un ou plusieurs instruments financiers, et qui si elle était rendue publique, serait susceptible d'avoir une influence sensible sur le cours des instruments financiers concernés ou le cours d'instruments financiers qui leur sont liés ; qu'en estimant que M. Y...avait transmis à M. Z...une information privilégiée en prenant appui sur le fait que l'un des éléments ayant conduit M. Z...à l'acquisition était que " M. Y...(¿) dit que le groupe va être vendu ", quand une telle information ne revêtait pourtant pas les caractères d'une information privilégiée, la cour d'appel a violé les articles 621-1 et 622-1 du règlement général de l'AMF, ensemble l'article L. 621-15 du code monétaire et financier ;

Mais attendu, d'une part, qu'ayant constaté que M. Y...avait au cours de la période concernée réalisé un investissement en titres Clarins sans commune mesure avec ses investissements antérieurs sur des instruments financiers, et relevé que les explications fournies par lui pour expliquer son investissement ne permettaient de justifier ni le montant investi, ni que cet investissement constituait la quasi-intégralité de son patrimoine financier au 30 juin 2008, ni enfin qu'il ait demandé à M. X...de passer certains ordres pour son compte, la cour d'appel a pu en déduire, sans inverser la charge de la preuve ni méconnaître le principe de la présomption d'innocence, que seule la détention d'une information privilégiée pouvait expliquer les acquisitions auxquelles M. Y...avait procédé ;

Attendu, d'autre part, qu'ayant constaté que M. Y...était mis en cause pour avoir transmis et (ou) utilisé une information privilégiée relative au projet d'offre publique d'achat simplifiée menée par la société Financière FC sur les actions de la société Clarins, et estimé que les éléments retenus à son encontre par la notification de griefs permettaient d'établir la détention par lui en connaissance de cause de cette information privilégiée, la cour d'appel, qui a procédé à la recherche invoquée par la deuxième branche, a légalement justifié sa décision ;

Et attendu, enfin, qu'après avoir souverainement retenu que les acquisitions de titres Clarins auxquelles M. Z...avait procédé ne pouvaient s'expliquer que par la détention d'une information privilégiée, l'arrêt constate que, lors de son audition par le rapporteur, M. Z...a indiqué que l'un des éléments ayant conduit à ses acquisitions était le fait que M. Y...lui aurait dit que " le groupe allait être vendu " ; qu'ayant ainsi fait ressortir que M. Y...avait informé M. Z...d'une opération concernant les titres Clarins, la cour d'appel a pu en déduire, sans encourir le grief de la troisième branche, que l'information transmise par M. Y...à M. Z...portait sur l'information privilégiée détenue par ce dernier ;

D'où il suit que le moyen n'est fondé en aucune de ses branches ;

Et sur le troisième moyen :

Attendu que M. Y...fait encore grief à l'arrêt d'avoir rejeté sa demande subsidiaire tendant à ramener à de plus justes proportions la sanction pécuniaire prononcée à son encontre, alors, selon le moyen :

1°/ que le montant de la sanction doit être fixé en fonction de la gravité des manquements commis et en relation avec les avantages et les profits éventuellement tirés de ces manquements ; que chaque manquement doit par conséquent donner lieu à une sanction distincte qu'il appartient au juge de justifier par une évaluation spécifique de sa gravité et, le cas échéant, des avantages et profits qui en auraient été tirés ; qu'en approuvant le prononcé d'une sanction unique globale pour les deux manquements retenus à l'encontre de M. Y..., la cour d'appel a violé l'article L. 621-15 III du code monétaire et financier, ensemble l'article 6 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

2°/ que M. Y...faisait valoir dans ses écritures en cause d'appel que la sanction prononcée à son encontre était disproportionnée au regard de sa situation personnelle, en ce que l'importance de la sanction, soit 450 000 euros, était décuplée par la publication de la décision, ce qui lui avait causé un préjudice corporel et professionnel conséquent ; qu'en s'abstenant d'analyser, même sommairement, un tel moyen, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile ;

Mais attendu, d'une part, que, dès lors que la commission des sanctions de l'AMF n'était pas tenue de prononcer une sanction distincte pour chacun des manquements commis, la cour d'appel a à bon droit statué comme elle a fait ;

Et attendu, d'autre part, qu'il ne saurait être reproché à la cour d'appel de ne pas avoir répondu à un moyen énoncé dans un mémoire déposé après l'expiration du délai fixé par l'article R. 421-46 du code monétaire et financier, et, comme tel, irrecevable en application du même texte ;

D'où il suit que le moyen n'est fondé en aucune de ses branches ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi.