Cass. com., 7 décembre 2022, n° 19-22.538
COUR DE CASSATION
Arrêt
Rejet
PARTIES
Demandeur :
Concurrence
Défendeur :
Samsung Electronics France (Sté)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Vigneau
Rapporteur :
Mme Champalaune
Avocats :
SCP Ricard, Bendel-Vasseur, Ghnassia, SCP Richard
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 5 juin 2019), la société Concurrence est un distributeur indépendant de produits électroniques grand public. Elle exploitait à ce titre un point de vente physique et un site de vente en ligne sous le nom de domaine concurrence.fr. La société Samsung Electronics France (la société Samsung) est spécialisée dans la distribution de produits dits bruns, sur le marché français.
2. La société Concurrence a distribué, à compter des années 2000, des produits de la marque Samsung. Les relations entre les deux sociétés se sont ensuite détériorées. Par lettre du 20 mars 2012, la société Samsung a notifié à la société Concurrence la rupture de la relation commerciale avec effet au 30 juin 2013.
3. Soutenant que la société Samsung avait rompu de manière abusive et infondée leurs relations contractuelles et sans respecter le préavis accordé, la société Concurrence l'a assignée en réparation de son préjudice.
Examen des moyens
Sur le premier moyen, le deuxième moyen, pris en ses quatrième, cinquième, et sixième branche, et les cinquième, sixième, septième, huitième et neuvième moyens, ci-après annexés
4. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces moyens qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Sur le deuxième moyen, pris en ses première, deuxième, troisième, septième et huitième branche, et les troisième et quatrième moyens, réunis.
Enoncé du moyen
5. Par le deuxième moyen, pris en ses première, deuxième, troisième, septième et huitième branche, la société Concurrence fait grief à l'arrêt de rejeter ses demandes au titre de la rupture brutale de la relation commerciale établie sans respect du préavis, alors :
« 1°/ qu'en énonçant que la société Concurrence ne démontre pas que ces engagements (les entretiens courants réguliers avec le PDG, l'autorisation de vente sur "market places", la non-signature du contrat sélectif, l'autorisation de vente sans mise en service dans toute l'Europe, l'autorisation de vente sans démonstration à domicile dans toute l'Europe, les remises de gré à gré de 21 % réduites entre 3 % et 0 %, la remise de 3 % pour ventes internet, la prévision de commandes, la reprise des invendus et les ventes ordinateurs et appareils photos) étaient la pratique entre les parties avant la rupture, quand elle a visé les lettres de la société Samsung du 15 janvier 2010 et du 9 décembre 2011 établissant la réalité de ces engagements, la société Samsung ayant au surplus reconnu dans ses conclusions que "Samsung a fonctionné avec Concurrence en 2011 et 2012 et continue de fonctionner sur les conditions commerciales de 2011 qui ne sont autres que celles de 2010", la cour d'appel a violé l'obligation pour le juge de ne pas dénaturer les documents de la cause ;
2°) qu'en énonçant que la société Concurrence ne démontre pas plus que ces conditions particulières lui ont été supprimées par la société Samsung pendant l'exécution du préavis, aucune pièce n'étant produite en ce sens, quand la société Samsung avait reconnu dans ses conclusions que "Samsung a fonctionné avec Concurrence en 2011 et 2012 et continue de fonctionner sur les conditions commerciales de 2011 qui ne sont autres que celles de 2010", et soutenait précisément ne pas être tenue par de tels engagements au-delà d'un an, et qu'ainsi il ressort de ses propres constatations que la société Samsung avait reconnu ne pas devoir reconduire ces conditions durant le préavis ni les avoir maintenues et avait même mis en demeure la société Concurrence le 22 novembre 2012 de cesser toute commercialisation de Produits Elite sur la « market place Amazon » sous 48 heures, la cour d'appel a violé l'obligation pour le juge de ne pas dénaturer les documents de la cause ;
3°) que si les conditions commerciales sont négociées annuellement, rien n'y oblige si cela n'a pas été expressément prévu, et tel n'est plus le cas une fois la rupture décidée, les conditions commerciales devant demeurer inchangées ; qu'en retenant que les parties ayant négocié en 2011 et 2012 notamment les conditions particulières les liant, de sorte que la société Concurrence ne peut prétendre à l'application illimitée dans le temps de conditions commerciales favorables temporaires accordées pour une année et nécessairement remises en cause par le principe de la négociation annuelle entre les parties, la cour d'appel n'a pas justifié ce prétendu principe de négociation annuelle et a validé une rupture brutale partielle des relations en violation de l'article L. 442-6, I, 5° du code de commerce ;
7°) que le fait d'imposer sans préavis les réductions des remises de gré à gré de 21,85 % à 3 %, la suppression de la remise de classement de 3 %, annoncés les 20 et 24 février 2012, et appliqués à compter du 1er mars 2012, constitue une rupture brutale partielle des relations commerciales entre les parties en application de l'article L. 442-6, I, 5° du code de commerce ;
8°) que l'obligation de passer les commandes par des grossistes (circuit long) au lieu d'acheter en direct au fabriquant (circuit court) constitue un changement de condition commerciale qui ne peut être imposé pour la première fois durant le préavis accordé, à supposer même que les conditions d'achat demeurent stables, ce qui n'a d'ailleurs pas été constaté par la cour d'appel ; qu'en ne condamnant pas cette obligation imposée dès la rupture la cour d'appel a validé une rupture brutale partielle des relations en violation de l'article L. 442-6, I, 5° du code de commerce. »
6. Par son troisième moyen, la société Concurrence fait le même grief à l'arrêt, alors :
« 1°) que le principe d'une négociation annuelle n'interdit pas des accords de plus d'une année ; que des accords ne peuvent être brutalement dénoncés sans préavis ; qu'en ne sanctionnant pas l'abandon immédiat des conditions antérieures à la rupture, la cour d'appel a violé l'article L. 442-6, I, 5° du code de commerce ;
2°) que la lettre du directeur du 15 janvier 2010 qui annonce l'octroi d'une remise supplémentaire de 3 %, implique une durée supérieure à une année, puisqu'elle est décidée pour tenir compte de relations de qualité anciennes, de la volonté d'aller en avant, et de l'axe stratégique pris par la société Concurrence ; qu'en ne sanctionnant pas l'abandon de cette remise imposé sans préavis, la cour d'appel a violé l'article L. 442-6, I, 5° du code de commerce ;
3°) que la société Samsung a reconnu que "Samsung a fonctionné avec Concurrence en 2011 et 2012 et continue de fonctionner sur les conditions commerciales de 2011 qui ne sont autres que celles de 2010" ; qu'en ne sanctionnant pas l'abandon brutal et sans préavis de ces conditions commerciales à compter de la rupture décidée le 20 mars 2012, la cour d'appel a violé l'article L. 442-6, I, 5° du code de commerce. »
7. Par son quatrième moyen, la société Concurrence fait le même grief à l'arrêt, alors :
« 1°) que la société Concurrence avait démontré que la société Samsung lui avait antérieurement à l'année 2012 vendu des ordinateurs ou appareils photos ; que la cour d'appel ne pouvait d'autant moins ignorer ces factures, qu'elle les avait consultées à l'occasion du problème des remises ; qu'en retenant que la société Concurrence ne démontre pas que la société Samsung lui avait antérieurement à l'année 2012 vendu des ordinateurs ou appareils photos, la cour d'appel a méconnu l'obligation imposée au juge de ne pas dénaturer les conclusions ;
2°) que la société Samsung avait créé chez Concurrence une confiance légitime dans la pérennité des relations commerciales entretenues, en proposant un plan d'achats et surtout des remises supplémentaires "aux fins d'encouragement au développement de l'activité Samsung" ; que la modification immédiate des conditions commerciales, dès l'annonce de la rupture et au cours de préavis, constitue une violation de l'article L. 442-6, I, 5° du code de commerce ; que la cour d'appel, qui a refusé de sanctionner une modification des relations commerciales établies dès l'annonce de la rupture, a statué en violation de l'article L. 442-6, I, 5° du code de commerce ;
3°) que l'obligation de devoir passer commande auprès des grossistes est constitutive d'un refus de vente en direct et donc d'une modification des relations commerciales en cours qui ne peut être imposée durant le préavis ; qu'en retenant que la société Concurrence ne démontre pas que la société Samsung a refusé de lui vendre des ordinateurs portables et appareils photos après la rupture, quand il était constant que la société Samsung avait imposé sans préavis dès l'annonce de la rupture l'obligation de passer désormais les commandes auprès des grossistes, la cour d'appel, qui a refusé de sanctionner une modification des relations commerciales établies, a statué en violation de l'article L. 442-6, I, 5° du code de commerce. »
Réponse de la Cour
8. Lorsque les conditions de la relation commerciale établie entre les parties font l'objet d'une négociation annuelle, ne constituent pas une rupture brutale de cette relation les modifications apportées durant l'exécution du préavis qui ne sont pas substantielles au point de porter atteinte à l'effectivité de ce dernier.
9. Après avoir relevé que la société Samsung négociait annuellement les conditions commerciales avec ses distributeurs, l'arrêt énonce qu'il est normal que celles-ci puissent évoluer, dans la mesure où un accord annuel n'est, par principe, pas immuable, l'existence de négociations annuelles permettant une évolution des conditions commerciales, y compris pendant l'exécution du délai de préavis. Il retient, ensuite, que les parties ont négocié, en 2011 et 2012, les conditions particulières les liant, de sorte que la société Concurrence ne peut prétendre à l'application illimitée dans le temps de conditions commerciales favorables accordées pour une année et nécessairement remises en cause par le principe de la négociation annuelle entre les parties. Il retient, en outre, qu'elle ne démontre ni que les engagements dont elle fait état, qui n'auraient pas été exécutés durant le préavis, étaient la pratique entre les parties avant la rupture, ni que la société Samsung s'était engagée à lui garantir ces conditions particulières concernant notamment les entretiens courants réguliers avec le président et directeur général, l'autorisation de vente sur une place de marché, l'autorisation de vente sans mise en service et sans démonstration à domicile dans toute l'Europe, l'autorisation de vente dans toute l'Europe, la prévision de commandes et la reprise des invendus.
10. Il retient, encore, que la société Concurrence ne démontre pas que la société Samsung ait supprimé ces conditions particulières pendant l'exécution du préavis et qu'elle lui ait, antérieurement à l'année 2012, vendu des ordinateurs ou appareils photos ni qu'elle ait refusé de les lui vendre, les courriels des 24 février et 1er mars 2012 de cette société ne faisant aucune référence au passé, et que l'achat de produits par des grossistes n'est pas, en soi, un changement de condition commerciale, si les conditions d'achat demeurent stables.
11. En l'état de ces énonciations et appréciations, faisant ressortir que le changement de mode d'approvisionnement aux mêmes conditions tarifaires ne caractérisait pas une modification substantielle de la relation commerciale interdite durant le préavis, c'est à bon droit, et sans dénaturer les écritures de la cause, qu'au terme d'une appréciation souveraine des éléments de preuve versés au débat, dont elle a déduit que la preuve d'un changement, en cours de préavis, des autres conditions commerciales existant, le cas échéant, entre les parties avant la rupture, n'avait pas été rapportée, la cour d'appel a rejeté la demande formée par la société Concurrence au titre de la rupture brutale de la relation commerciale établie sans respect du préavis.
12. Le moyen n'est donc pas fondé.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi