CA Aix-en-Provence, 3e et 4e ch. réunies, 14 octobre 2021, n° 21/04768
AIX-EN-PROVENCE
Arrêt
Infirmation
PARTIES
Défendeur :
CVTP Aima France (SARL)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Bourrel
Conseillers :
Mme Fillioux, Mme Alquie-Vuilloz
Faits, procédure, prétentions et moyens
La SNC S. ET CIE est une société en nom collectif créée le 02 décembre 1987, enregistrée au RCS de Fréjus sous le N° 34291639200067, ayant son siège social à Saint-Tropez, dont l'objet social est l'exploitation d'un établissement de plage et de restauration traditionnelle à Saint Tropez, plage de Pampelonne.
M. Christophe V. a été embauché par la SNC S. le 15 Novembre 2014 au poste de directeur par contrat de travail à durée indéterminée, moyennant une rémunération de 5.147,60' brute.
En date du 04/06/2015, la SNC S. lui a confié, en sus de sa fonction salariée, un mandat social en qualité de co-gérant de ladite entité.
Par avenant au contrat de travail en date du 1er août 2017 à effet du 1er janvier 2017, la rémunération de M. Christophe V. a été modifiée pour être portée à la somme de 8.746' brut par mois à compter de janvier 2017.
Enfin la société CVTP AIMA FRANCE est une SARL créée par M. Christophe V. en août 2018, ayant son siège social à Fréjus, et ayant pour objet la prise de participation dans des sociétés exploitant directement ou indirectement des fonds de commerce de plagiste, de restauration, de matériel de plage.
M. Christophe V. a perçu en 2017 et 2018, au titre des exercices avril 2016/ avril 2017 et avril 2017/avril 2018, un intéressement (' sharing profit') d'un montant de 5% maximum du bénéfice net dégagé au titre de la gestion annuelle de la plage, en tant que directeur opérationnel de la SNC S., cet intéressement lui ayant été versé par une société ABANYX HOLDING LDT, holding de la SNC S. ET CIE, immatriculée à Chypre.
Par convention de rupture conventionnelle en date du 18 décembre 2018 signée entre la SNC S. ET CIE et M. Christophe V., les parties ont convenu de rompre le contrat de travail de M. Christophe V. à compter du 10 février 2019, moyennant paiement d'une indemnité de rupture conventionnelle.
Par ordonnance en date du 22 octobre 2019 rendue sur requête du 10 octobre 2019 présentée par la société CVTP AIMA FRANCE, le Président du Tribunal de Commerce de Fréjus a fait droit à la demande de cette dernière et condamné la SNC S. ET CIE à lui verser la somme de 155.603,88' en principal outre les dépens.
Cette somme correspondait au paiement d'une facture n° BAG/SALS/CVTP/0419 d'un montant de 129.669,90' HT, soit 155.603,88' TTC émise à l'encontre de la SNC S. ET CIE au titre de ' Facturation de l'honoraire de management-part variable - Intéressement au chiffre à hauteur de 5% du résultat selon les dispositions de la section 2.4 de l'accord d'exploitation du 21 mai 2014".
L'ordonnance ayant été signifiée à la SNC S. ET CIE par acte d'huissier du 31 octobre 2019, cette dernière a fait opposition au greffe du Tribunal de Commerce le 27 novembre 2019.
Nonobstant l'opposition formée et dénoncée à la société CVTP AIMA FRANCE, cette dernière a fait procéder à une saisie conservatoire de créances sur les comptes bancaires de la SNC S. ET CIE le 10 décembre 2019. Cette dernière ayant été autorisée à assigner d'heure à heure pour contester cette saisie, par jugement en date du 21 janvier 2020 le juge de l'exécution du Tribunal Judiciaire de Draguignan a ordonné la mainlevée de cette saisie en l'absence de titre exécutoire valable du fait de l'opposition à l'ordonnance d'injonction de payer.
Une seconde saisie conservatoire a été pratiquée en février 2020 sur autorisation du juge de l'exécution du Tribunal Judiciaire de Draguignan. La demande de mainlevée de cette saisie a été rejetée et un appel est en cours contre cette décision.
À la suite de l'opposition à injonction de payer, les parties ont été convoquées à l'audience du Tribunal de Commerce afin qu'il soit statué sur la demande de condamnation de la société CVTP AIMA FRANCE contre la SNC S. ET CIE.
M. Christophe V. est intervenu volontairement à l'instance.
La société CVTP AIMA FRANCE a sollicité à titre principal la condamnation de la SNC S. ET CIE au paiement à son profit de la somme de 147.255,96' ( à parfaire au vu de la production de la liasse fiscale) au titre de l'intéressement pour l'exercice avril 2018/février 2019, et à titre subsidiaire la condamnation de la SNC S. ET CIE au paiement de cette somme à M. Christophe V. lui-même.
Par jugement sur opposition à injonction de payer en date du 15 mars 2021, le Tribunal de Commerce de Fréjus s'est déclaré incompétent au profit du Conseil des Prud'hommes de Fréjus et a mis les dépens à la charge partagée des parties.
Le Tribunal de Commerce a considéré que le litige relevait de la compétence du conseil des prud'hommes en ce que le système de bonus signé entre la société chypriote ABANYX Holding, la société BAGATELLE INTERNATIONAL Ltd et M. Christophe V. le 19 décembre 2017 faisait référence au contrat de travail de ce dernier et était un élément substantiel de celui-ci.
La SNC S. ET CIE a formé appel contre le jugement du Tribunal de Commerce de Fréjus par déclaration remise au greffe le 31 mars 2021.
Par ordonnance en date du 6 avril 2021 rendue sur requête déposée le 31 mars 2021, la SNC S. ET CIE a été autorisée à assigner à jour fixe pour l'audience du 31 août 2021.
Par exploit d'huissier en date du 20 avril 2021 la SNC S. ET CIE a assigné la SARL CVTP AIMA France et M. Christophe V. à l'audience du 31 août 2021, en leur dénonçant sa déclaration d'appel et ses conclusions, ainsi que l'ordonnance l'autorisant à assigner.
La SARL CVTP AIMA France et M. Christophe V. ont constitué avocat le 12 avril 2021.
Par ses conclusions signifiées le 20 avril 2021, la SNC S. ET CIE demande, au visa des articles L.721-3 du code de commerce et L.1411-1 du code du travail, 88, 31 et 122 du code de procédure civile, 1353 du code civil, de :
- infirmer le jugement en date du 15 mars 2021 rendu par le Tribunal de Commerce de Fréjus qui s'est déclaré incompétent au profit du conseil des prud'hommes de Fréjus,
En conséquence
- renvoyer l'affaire devant le Tribunal de Commerce de Fréjus afin qu'il statue sur le fond du litige,
Ou conformément à l'article 88 du code de procédure civile
- évoquer le fond si elle estime de bonne justice de donner à l'affaire une solution définitive,
En cas d'évocation du fond du litige
- constater l'absence d'élément permettant d'établir le bien-fondé d'une obligation de paiement d'un montant de 147.255,96' à la charge de S. tant dans son principe que dans son montant,
En conséquence
- débouter la société CVTP AIMA FRANCE et M. Christophe V. de toute demande de paiement formulée à son encontre,
En tout état de cause
- condamner solidairement la société CVTP AIMA FRANCE et M. Christophe V. à lui verser la somme de 20.000' en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamner la société CVTP AIMA FRANCE et M. Christophe V. aux dépens.
La SNC S. ET CIE soutient que c'est à tort que le Tribunal de Commerce de Fréjus s'est déclaré incompétent, le litige relevant bien de la matière commerciale et de l'article L.721-3 du code de commerce, en raison du fait que le 'sharing profit' accordé à deux reprises à M. Christophe V. ne résulte que d'un avenant du 8 février 2017 à un contrat d'exploitation du 21 mai 2014 signé entre la holding de la SNC S. ET CIE et une société BAGATELLE LDT, qu'il n'est fait aucune référence au contrat de travail de M. Christophe V., que ce bonus est indépendant du contrat de travail, de telle sorte qu'en aucun cas il ne s'agit d'un litige relevant de la compétence du conseil des prud'hommes. En cas d'infirmation du jugement, elle demande soit le renvoi devant le premier juge, soit que le litige soit évoqué, et dans cette seconde hypothèse demande le rejet de la demande de condamnation.
Par leurs conclusions signifiées et déposées le 10 mai 2021 par RPVA, la société CVTP AIMA FRANCE et M. Christophe V. demandent à la Cour, au visa de l'article L.721-3 du Code de Commerce, de :
- infirmer le jugement en date du 15 mars 2021 rendu par le tribunal de Commerce de Fréjus en ce qu'il s'est déclaré incompétent au profit du conseil des Prud'hommes de Fréjus,
En conséquence,
- renvoyer l'affaire devant le tribunal de Commerce de Fréjus afin qu'il statue sur le fond du litige,
Ou, en cas d'évocation du litige :
- constater l'accord sur le partage des bénéfices à hauteur de 5 % entre la SARL CVTP AIMA et la SNC S.,
- constater que la SNC S. a versé 5% de ses bénéfices sur les saisons 2016-2017 et 2017- 2018,
- constater dès lors que la SNC S. a failli à ses obligations
- constater par conséquent qu'elle est redevable de la somme de 113.970,96 ' TTC,
En conséquence,
- condamner la SNC S. à payer à la Société CVTP AIMA la somme correspondant aux 5 % des bénéfices net de l'exercice fiscal 2018-2019 réalisé par la SNC S., à savoir la somme de 113.970,96 ',
- condamner la SNC S. au paiement de la somme de 10.000 ' à la SARL CVTP AIMA à titre de dommages et intérêts pour résistance abusive,
- condamner la SNC S. à payer à la Société CVTP AIMA France la somme de 10.000' au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- la condamner aux entiers dépens.
Les intimés concluent également à l'incompétence du conseil des prud'hommes et à l'infirmation du jugement du Tribunal de Commerce qui a soulevé d'office cette incompétence, au motif que si contrairement aux affirmations adverses l'accord de bonus a bien été signé le 19 décembre 2017 par M. Christophe V., cet accord ne fait aucune référence au contrat de travail de ce dernier, qu'il s'agit d'un acte de commerce entre la société CVTP AIMA FRANCE et la SNC S. ET CIE et non d'un avenant à un contrat de travail, et que dès lors le litige entre dans le champ d'application de l'article L.721-3 du code de commerce. En cas d'infirmation ils demandent le renvoi devant le premier juge afin de bénéficier d'un double degré de juridiction, et à titre subsidiaire en cas d'évocation, la condamnation de la SNC S. ET CIE au paiement de la somme réclamée qui est bien fondée en son principe et son montant.
MOTIFS DE LA DECISION
Sur la juridiction compétente
L'article 83 alinéa 1 du code de procédure civile énonce que lorsque le juge s'est prononcé sur la compétence sans statuer sur le fond du litige, cette décision peut faire l'objet d'un appel dans les conditions prévues par le présent paragraphe.
Aux termes de l'article 16 du code de procédure civile, le juge doit, en toutes circonstances, faire observer et observer lui-même le principe de la contradiction.
En l'espèce il échet de constater que le Tribunal de Commerce de Fréjus s'est déclaré d'office incompétent au profit du conseil des prud'hommes sans solliciter les observations des parties sur ce point ni ordonné la réouverture des débats, violant ainsi le principe susvisé.
En tout état de cause le jugement déféré est infirmé.
L'article L.721-3 du Code de Commerce dispose que :
'Les tribunaux de commerce connaissent :
1° Des contestations relatives aux engagements entre commerçants, entre établissements de crédit, entre sociétés de financement ou entre eux ;
2° De celles relatives aux sociétés commerciales ;
3° De celles relatives aux actes de commerce entre toutes personnes.'
L'article L.1411-1 du code du travail énonce que le Conseil de prud'hommes règle par voie de conciliation les différends qui peuvent s'élever à l'occasion de tout contrat de travail soumis aux dispositions du présent code entre les employeurs, ou leurs représentants, et les salariés qu'ils emploient.
Il juge les litiges lorsque la conciliation n'a pas abouti.
Par ailleurs aucune disposition n'interdit le cumul des fonctions de gérant de société avec la conclusion d'un contrat de travail en qualité de directeur.
En l'espèce le litige concerne la demande de condamnation à paiement présentée par la société CVTP AIMA FRANCE, société commerciale, contre la SNC S. ET CIE, autre société commerciale, selon une facture en date du 15 avril 2019 dont elle demande le paiement.
Il s'agit donc d'un litige entre deux sociétés commerciales, relevant de la compétence du Tribunal de Commerce.
Il importe peu à ce stade de savoir sur quel acte se fonde le 'droit à sharing profit' ou bonus de M. Christophe V., ni quelles en étaient les modalités de paiement (par l'intermédiaire d'une société tierce), dès lors que le litige principal concerne deux sociétés. De plus même si les sommes versées au titre de ce ' sharing profit' précédemment distribuées reviennent au final à M. Christophe V., pour autant aucun des documents litigieux ne permet de rattacher cette somme au contrat de travail de ce dernier.
En conséquence le litige relève bien de la compétence du Tribunal de Commerce et c'est à tort que le Tribunal de Commerce s'est déclaré incompétent au profit du conseil des prud'hommes.
L'article 86 du code de procédure civile édicte que la cour renvoie l'affaire à la juridiction qu'elle estime compétente.
La juridiction compétente pour connaître du présent litige est le Tribunal de Commerce de Fréjus.
Toutefois, l'article 88 ajoute que lorsque la cour est cour d'appel relativement à la juridiction qu'elle estime compétente, elle peut évoquer le fond si elle estime de bonne justice de donner à l'affaire une solution définitive après avoir ordonné elle-même, le cas échéant une mesure d'instruction.
La cour d'appel d'Aix-en-Provence étant la juridiction d'appel du tribunal de commerce de Fréjus elle peut évoquer.
Cependant eu égard à la matière, et afin de ne pas priver les parties du double degré de juridiction, sachant que les intimés s'opposent à l'évocation, il convient de dire n'y avoir lieu à évoquer le litige.
Le litige est renvoyé devant le Tribunal de Commerce de Fréjus.
Les parties sont déboutées de leurs demandes respectives formées au titre de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel.
Les dépens de l'instance d'appel sont mis par moitié à la charge de la SNC S. ET CIE d'une part, M. Christophe V. et la société CVTP AIMA FRANCE d'autre part.
PAR CES MOTIFS
La Cour statuant publiquement, contradictoirement
Infirme le jugement du Tribunal de Commerce de Fréjus du 15 mars 2021
Statuant à nouveau
Dit que le Tribunal de Commerce de Fréjus est compétent pour statuer sur le présent litige ;
Dit n'y avoir lieu à évoquer le litige,
Renvoie le litige devant le Tribunal de Commerce de Fréjus,
Déboute les parties de leurs demandes formées au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
Rejette toute autre demande des parties ;
Condamne la SNC S. ET CIE d'une part, M. Christophe V. et la société CVTP AIMA FRANCE d'autre part, au paiement chacun de la moitié des dépens de l'instance d'appel.