Cass. crim., 10 avril 2018, n° 18-80.857
COUR DE CASSATION
Arrêt
Rejet
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Soulard
Avocat :
SCP Piwnica et Molinié
Sur le moyen unique de cassation, pris de la violation des articles 5 et 6 de la Convention européenne des droits de l'homme, 137, 138, 142, 591 et 593 du code de procédure pénale, défaut et contradiction de motifs, manque de base légale ;
"en ce que l'arrêt attaqué a placé M. Z... sous contrôle judiciaire avec les obligations de s'abstenir de recevoir, rencontrer ou entrer en relation avec certaines personnes et de verser une caution de 1 000 000 euros en un versement au 1er mars 2018 destinée à garantir à concurrence de 250 000 euros sa représentation à tous les actes de la procédure, l'exécution du jugement et l'exécution des autres obligations prévues, et à concurrence de 750 000 euros le paiement de la réparation des dommages causés par l'infraction et des amendes ;
"aux motifs qu'il résulte des éléments précis ci-dessus rappelés des raisons précises de retenir l'implication directe et personnelle de M. Z..., nonobstant ses dénégations, dans les faits qui lui sont reprochés et pour lequel il est mis en examen ; que la discussion sur le quantum éventuel de la peine d'amende encourue et sur le caractère inconstitutionnel d'une peine d'amende automatique en cas de condamnation est extérieure à l'unique objet dont la cour est saisie ; que compte tenu de l'état d'avancement de l'information et de la situation personnelle de M. Z... mis en examen, le placement de l'intéressé sous contrôle judiciaire est justifié par les nécessités de l'instruction et doit être confirmé ; que M. Z... était accompagné de son avocat lors de son audition par la brigade financière le 4 octobre 2017 ; qu'il a indiqué être marié, avoir trois enfants, exercer la profession de gérant de fortune dans le cadre de la société "Stokors" qui gérait les actifs de plus de 60 clients en précisant qu'en 2017, Stokors n'avait plus qu'une vingtaine de clients, recevoir de la plupart de ses clients une commission de gestion calculée sur la valeur des actifs confiés et une rétrocession sur les courtages ; qu'il déclarait avoir un salaire mensuel de 15 000 CHF, être propriétaire de son logement et supporter un crédit de 2 000 CHF, qu'il précisait avoir un patrimoine de plus de 4 millions d'euros et que ses revenus nets annuels étaient de 200 000 euros environ ; qu'il ne souhaitait pas répondre à la question qui lui était posée concernant le montant actuel des actifs de ses comptes personnels ; que, pour fixer le montant du cautionnement à un million d'euros, le juge d'instruction retenait que M. Z... faisait état de ressources annuelles de 250 000 euros et d'un patrimoine de 4 millions d'euros observant, en outre, que ces éléments résultaient des seules déclarations de M. Z..., dès lors que celui-ci n'apportait pas le moindre élément justificatif de ses ressources, de ses charges courantes et de son patrimoine ; que M. Z... produit devant la chambre de l'instruction plusieurs pièces se rapportant à ses revenus et charges ainsi qu'à son patrimoine ; qu'il fait toujours état de revenus annuels de 200 000 CHF, soit 168 000 euros et produit, pour en justifier, sa déclaration fiscale suisse de l'année 2016 mentionnant 216 360 CHF (181 742 euros) dans la case "revenu brut de l'activité dépendante" ainsi qu'un "récapitulatif des salaires touchés en 2017" à l'en-tête de Stokors SA, document dépourvu de toute signature susceptible de l'authentifier et mentionnant un salaire net annuel de 181 851,45 CHF ; qu'il ressort de l'avis de taxation de l'année 2015 (sa pièce n°7) que les salaires bruts de M. Z... étaient de 258 202 CHF (216 890 euros), son revenu mobilier de 192 000 CHF (161 280 euros) et ses revenus immobiliers de 24 485 CHF ; que le revenu brut total de M. Z... ressortait à 418 962 CHF pour l'année 2015 et son revenu imposable à 268 871 CHF ; que la déclaration fiscale suisse de l'année 2016 mentionne aussi un revenu brut immobilier de 40 808 CHF, une "fortune brute immobilière" de 909 200 CHF ainsi qu'une "fortune brute mobilière" de 634 581 euros ; que cette déclaration mentionne un enfant à charge ; que le bordereau fiscal relatif à l'année 2015 (sa pièce n°8) mentionne une fortune mobilière de 1 112 946 CHF, une fortune brute immobilière de 917 200 CHF et une fortune brute totale du contribuable et de son conjoint de 2 317 988 CHF ; que M. Z... qui indique être propriétaire de sa résidence principale pour moitié avec son épouse, se disant séparé de bien, s'abstient de produire l'acte d'acquisition de ce bien ; qu'il produit, cependant, un "rapport d'estimation" de ce bien daté du 28 novembre 2011 mentionnant une valeur vénale de 3 400 000 CHF compte tenu de la rareté du bien ; que, dans son mémoire, il affirme que la valeur actuelle de ce bien est voisine de 4 000 000 CHF, sans produire la moindre actualisation, ni d'indication sur la durée du crédit ; qu'il en résulte que les ressources de M. Z... ne se limitent pas à ses seuls revenus salariaux, mais comportent aussi des revenus mobiliers et immobiliers sur la nature et l'origine desquels il est taisant, de même que sur sa participation, par lui évoquée, dans des société de M. A... (né [...] dépourvu d'activité officielle et à la tête d'un patrimoine considérable) ; que l'absence de versement de dividendes en 2016 et 2017, alléguée par M. Z..., mais qui n'est attestée par aucun document de la société Stokors, n'exclut un choix de gestion, voire une décision d'opportunité ; que les documents fiscaux produits révèlent l'existence d'une fortune mobilière de 1 112 946 CHF en 2015 sur laquelle M. Z... ne s'explique pas, alors même qu'il avait refusé de préciser lors de son audition par les enquêteurs de la brigade financière le montant des actifs de ses comptes personnels ; que de même la fortune immobilière de M. Z... ne peut pas non plus être appréciée avec certitude, en l'absence de production de l'acte d'acquisition du bien immobilier constituant sa résidence principale ; qu'ainsi, M. Z... ne produit pas d'éléments qui contrediraient ses déclarations devant les enquêteurs selon lesquelles son patrimoine était de plus de 4 millions d'euros alors qu'il allègue désormais une valeur de 2 millions d'euros en raison de sa situation matrimoniale ; qu'au terme de l'article 138 12° du code de procédure pénale, le cautionnement est fixé compte tenu notamment des ressources et des charges de la personne mise en examen ; que le seul descriptif de M. Z... de ses charges avec des justificatifs très parcellaires, sans justificatifs détaillés de ses ressources de toutes natures, revenus professionnels et extra-professionnels, valeurs mobilières et capital immobilier ne constitue pas une appréciation s'imposant à la juridiction ; qu'au regard non seulement des ressources et des charges mais aussi des éléments recueillis quant au patrimoine et aux intérêts de M. Z..., le montant du cautionnement d'un million d'euros fixé par le juge d'instruction, proportionné à ceux-ci, doit être confirmé ; que l'affectation du cautionnement prévue à l'article 142 du code de procédure pénale est fixée par le juge en fonction de la situation de chacun des mis en examen, et des éléments de fait et de droit le concernant ; que la fixation de la partie du cautionnement destinée à garantir notamment la réparation des dommages causés par l'infraction n'est pas subordonnée à l'existence de parties civiles régulièrement constituées à la date de cette fixation ; qu'elle est également destinée à garantir, le cas échéant, le paiement de l'amende pouvant être prononcé ; que M. Z..., de nationalité suisse et résidant en Suisse, la garantie des deux finalités du cautionnement doit être assurée ; qu'il n'y a pas lieu de modifier l'affectation du cautionnement sauf à préciser, conformément à l'article 138 susvisé que celui-ci garantit, à concurrence de 250 000 euros la représentation à tous les actes de la procédure et pour l'exécution du jugement ainsi que l'exécution des autres obligations prévues dans l'ordonnance du 27 novembre 2017 et à concurrence de 750 000 euros le paiement dans l'ordre suivant : de la réparation des dommages causés par l'infraction et des amendes ; que le cautionnement sera versé en une seule fois, au plus tard le 1er mars 2018 étant rappelé que M. Z... a été placé sous contrôle judiciaire le 27 novembre 2017, soit depuis moins de deux mois ; qu'en raison des nécessités de l'instruction, M. Z... a été mis en examen du chef de complicité de délit d'initié en lien avec l'opération réalisée au profit et pour le compte de M. A... ; que l'information n'est pas achevée ; que les nécessités de l'instruction imposent de prévenir toute concertation frauduleuse entre les différents mis en examen et donc d'imposer notamment à M. Z... en application du 9° de l'article 138 du code de procédure pénale, l'abstention de recevoir ou de rencontrer certaines personnes spécialement désignées, ainsi que d'entrer en relation avec elles, de quelque façon que ce soit ; que cette obligation est d'autant plus nécessaire que les faits pour lesquels M. Z... a été mis en examen seraient survenus à l'occasion de l'exercice de son activité professionnelle de gestionnaire de fortune notamment de M. A..., qu'il connaît M. Lucien B... et Mme Vania C..., comme indiqué aux enquêteurs ; qu'ainsi l'ordonnance entreprise doit être confirmée en son principe, celle-ci étant complétée quant à l'affectation du cautionnement également pour l'exécution du jugement et la date limite de versement de ce cautionnement modifiée ;
"1°) alors que l'article 138 alinéa 2 11°, du code de procédure pénale prévoit que l'obligation de fournir un cautionnement dans le cadre du contrôle judiciaire doit être déterminée en considération des ressources et des charges de la personne mise en examen ; que la chambre de l'instruction a fixé le montant du cautionnement à la somme d'un million d'euros en un seul versement, en se fondant sur les revenus bruts, les salaires bruts, la fortune brute, ou encore la qualité de propriétaire du mis en examen, sans s'expliquer concrètement sur ses charges et notamment sur les montants de ses impositions, crédits, cotisations, primes d'assurance et charges de famille qu'il invoquait ; qu'en se bornant à énoncer que le descriptif des charges n'est pas une appréciation s'imposant à la juridiction, pour s'abstenir d'en tenir compte, la chambre de l'instruction n'a pas donné de base légale à sa décision ;
"2°) alors que la contradiction de motifs équivaut à son absence ; que la chambre de l'instruction qui a énoncé que la fortune de M. Z... « ne peut pas (
) être appréciée avec certitude », ne peut, sans se contredire, établir que son patrimoine s'élèverait à 4 millions d'euros et non à 2 millions d'euros et estimer le cautionnement proportionné aux ressources, incertaines, de M. Z... ;
"3°) alors qu'une mesure de cautionnement ne peut être ordonnée dans le cadre d'un contrôle judiciaire qu'afin de garantir la représentation de la personne mise en examen ainsi que l'exécution par celle-ci d'une éventuelle condamnation à des amendes et à des dommages et intérêts ; que la chambre de l'instruction est tenue de répondre aux moyens du mis en examen ; que celui-ci soulignait que sa représentation était certaine dès lors qu'il avait toujours répondu aux convocations des enquêteurs et du juge d'instruction ; qu'en s'abstenant de toute réponse à ce moyen, la chambre de l'instruction n'a pas justifié sa décision ;
"4°) alors que de même, le mis en examen invoquait l'absence de tout dommage découlant des faits reprochés ; qu'en se bornant à énoncer que l'affectation du cautionnement n'est pas subordonnée à l'existence de parties civiles constituées à la date de cette fixation, la chambre de l'instruction n'a pas répondu à ce moyen et n'a pas justifié sa décision ;
"5°) alors que l'affectation du cautionnement au paiement des amendes impose à la juridiction de déterminer le montant de l'amende encourue ; que le mis en examen établissait que le montant maximum de l'amende encourue était de 150 000 euros et qu'en conséquence l'affectation d'une somme de 750 000 euros pour ce paiement était disproportionnée ; qu'en énonçant que la détermination de l'amende encourue serait étrangère à l'unique objet dont la cour est saisie, la chambre de l'instruction n'a pas donné de base légale à sa décision" ;
Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué, de l'ordonnance qu'il confirme et des pièces de la procédure que M. Thierry Z..., soupçonné d'avoir rendu possible l'acquisition de titres par un tiers sur la base de la détention d'informations privilégiées, pour un profit de 4,4 millions d'euros, a été mis en examen du chef susvisé et placé, par ordonnance du juge d'instruction, sous un contrôle judiciaire l'astreignant notamment à fournir un cautionnement d'une somme d'un million d'euros, garantissant à hauteur de 250 000 euros sa représentation en justice et du restant le paiement de la réparation des dommages causés par l'infraction et des amendes ; qu'il a relevé appel de cette décision ;
Attendu que, pour confirmer l'ordonnance entreprise et après avoir rappelé les faits et analysé tant les pièces produites par la personne mise en examen que les déclarations de celle-ci relatives à son patrimoine, ses ressources et ses charges, l'arrêt énonce notamment qu'aucun élément n'est produit de nature à contredire les déclarations initiales de l'intéressé évaluant son patrimoine à 4 millions, et que le descriptif fait par M. Z... de ses charges, s'appuyant sur des justificatifs très parcellaires, sans que soient produites des justifications détaillées de ses ressources de toute nature, ses valeurs mobilières et son capital immobilier, ne constitue pas une appréciation s'imposant à la juridiction, de sorte que le montant du cautionnement, tel que fixé par le juge d'instruction, est proportionné aux ressources et aux charges de la personne mise en examen, mais aussi aux éléments recueillis sur son patrimoine et sur ses intérêts ; que les juges ajoutent que la discussion sur le quantum éventuel de l'amende encourue et la constitutionnalité d'une peine d'amende qui aurait un caractère automatique est étrangère à l'unique objet de l'appel et que la fixation de la partie du cautionnement destinée à garantir notamment la réparation des dommages causés par l'infraction n'est pas subordonnée à l'existence de parties civiles régulièrement constituées à la date de cette fixation ;
Attendu qu'en l'état de ces énonciations exemptes d'insuffisance comme de contradiction, et dès lors que, d'une part, les juges ne sont pas tenus de motiver spécialement leur décision en ce qui concerne la garantie de représentation en justice de la personne concernée, d'autre part, l'infraction de délit d'initié est susceptible de causer un préjudice personnel direct, notamment aux actionnaires, la chambre de l'instruction, qui a souverainement apprécié la proportionnalité du cautionnement au regard du montant des sommes concernées par l'infraction et du patrimoine, des ressources et des charges de la personne mise en examen, telles qu'elles résultaient des pièces produites, et n'avait pas à déterminer à ce stade le montant exact de l'amende susceptible d'être encourue en application de l'article L. 465-1 du code monétaire et financier dans sa rédaction applicable aux faits, a justifié sa décision ;
D'où il suit que le moyen doit être écarté ;
Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme ;
REJETTE le pourvoi.