Livv
Décisions

CA Aix-en-Provence, 1re ch. c, 26 novembre 2009, n° 09-01330

AIX-EN-PROVENCE

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Jalabert Frères (SAS)

Défendeur :

Société des Auteurs Compositeurs et Editeurs de Musique (Sté)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Falcone

Conseillers :

Mme Vidal, Mme Fenot

Avoués :

SCP Bottai-Gereux-Boulan, SCP Ermeneux-Champly - Levaique

Avocats :

Me Juan, Me Chatel, Me Bluzat

TGI Tarascon, du 15 janv. 2009, n° 08/33

15 janvier 2009

EXPOSÉ SUCCINCT DU LITIGE :

La SOCIÉTÉ JALABERT FRÈRES et M. JALABERT Luc sont appelants d'une ordonnance de référé rendue le 15 janvier 2009 par le président du tribunal de grande instance de Tarascon qui les a condamnés, in solidum, à payer à la SOCIÉTÉ DES AUTEURS COMPOSITEURS ET EDITEURS DE MUSIQUE (la Sacem) la somme de 4193 € à titre de provision à valoir sur la réparation de son préjudice et qui les a condamnés à remettre à la Sacem les états de recettes des spectacles par eux organisés entre 2002 et 2006, à peine d'astreinte.

Les appelants ont conclu le 24 mars 2009 ; ils demandent à la cour d'appel d'infirmer la décision, de constater que leurs obligations se heurtent à des contestations sérieuses, et de débouter la Sacem de ses demandes.

La Sacem a conclu le 11 juin 2009 à la confirmation de la décision ; elle demande à la cour d'appel d'augmenter le montant de l'astreinte, la décision n'ayant pas été exécutée et qu'il lui soit donné acte de ce qu'elle se réserve le droit de liquider le montant des redevances de droits d'auteur après avoir reçu les états des recettes réalisées.

MOTIFS DE LA DÉCISION :

Il n'est pas contesté que les appelants ont organisé et produit, dans les arènes d'Arles, des spectacles tauromachiques, entre 2002 et 2006, sans avoir obtenu l'autorisation préalable de la Sacem ni signé un contrat général de représentation, alors que des oeuvres musicales ont été jouées lors de ces spectacles.

Pour contester leurs obligations envers la Sacem, les appelants font valoir en premier lieu que la preuve de ce que des oeuvres musicales protégées, faisant partie du répertoire de la Sacem, ont été jouées lors des spectacles litigieux. Les programmes des oeuvres diffusées, établis par le chef d'orchestre seraient, pour certains, non signés, ou rédigés plusieurs mois après le spectacle ; ils n'indiquent pas la durée de diffusion de l'oeuvre et ne seraient pas fiables.

La Sacem a pour principal objet d'assurer la perception et la répartition des redevances dues au titre du droit d'auteur en raison de l'exécution publique et de la reproduction mécanique des oeuvres de ses membres. Elle est habilitée à autoriser les tiers à diffuser publiquement les oeuvres de son répertoire, par le biais de contrats généraux de représentation définis à l'article L 132-18 du code de la propriété intellectuelle.

Ce contrat qui doit être préalable, autorise l'entrepreneur de spectacle à user ou ne pas user du répertoire de la Sacem, en fonction des besoins de son activité et du déroulement du spectacle.

Les appelants qui n'ont pas respecté la législation en la matière ne sont pas fondés, inversant la charge de la preuve, à soutenir que ne serait pas établi par la Sacem, le fait que des oeuvres relevant de son répertoire ont été jouées lors des spectacles litigieux. Il leur appartenait à tout le moins, de verser aux débats des éléments de preuve contraire, ce qu'ils se sont abstenus de faire.

M. JALABERT Luc et la société JALABERT FRERES soutiennent en second lieu que lors des spectacles en cause, le chef d'orchestre, M. Marchand Robert lui-même auteur de plusieurs oeuvres jouées, a nécessairement consenti à la diffusion de ses oeuvres, et qu'il a été rémunéré.

Outre les motifs déjà exposés, il y a lieu de rappeler qu'en contrepartie de l'autorisation donnée par la Sacem à l'organisateur d'utiliser les oeuvres de son répertoire, la redevance est due « quelle que soit la composition du programme des oeuvres exécutées au cours de la manifestation». La redevance est en effet calculée indépendamment de l'utilisation effective du répertoire de la Sacem, voire en dehors de toute utilisation.

Pour ce qui concerne M. Marchand Robert, membre de la Sacem depuis le 11 septembre 2000, ne doivent pas être confondus, comme le font les appelants, la prestation artistique par lui fournit en qualité de chef d'orchestre, pour laquelle il a été rémunéré, et les droits d'auteur qu'il a apportés à la Sacem, en adhérant à cette société, de sorte que cette dernière, titulaire de ces droits, se trouve seule susceptible de délivrer l'autorisation d'exploiter l'œuvre.

Les appelants font valoir encore que la Sacem ne rapporte pas la preuve que les oeuvres musicales de son répertoire sont des oeuvres originales, méritant protection, qu'elle doit rapporter cette preuve dès lors qu'ils sont eux-mêmes dans l'incapacité matérielle de le faire, faute de posséder les bandes musicales des titres litigieux.

Le rôle de la Sacem consiste à percevoir auprès des utilisateurs les rémunérations dues en contrepartie des exploitations faites des oeuvres déclarées à son répertoire sur lesquelles elle n'a pas à exercer un contrôle préalable, (notamment articles 29 et 38 des statuts de la Sacem). La déclaration est faite sous la responsabilité du déclarant, qui est seul garant, notamment à l'égard des tiers, de l'originalité de son œuvre et de ses droits sur celle-ci.

Il appartient en conséquence à celui qui conteste le caractère original d'une œuvre musicale de rapporter la preuve contraire ; en vertu de l'article L 321-17 les sociétés de perception et de répartition des droits doivent tenir à la disposition des utilisateurs éventuels le répertoire complet des auteurs et compositeurs français et étrangers qu'elles représentent ; l'article R 321 -17 du même code précise les conditions dans lesquelles cette information peut être délivrée aux utilisateurs ; les appelants n'ont pas usé de cette faculté et leur contestation de principe, nullement étayée, n'est pas sérieuse.

M. JALABERT Luc et la société JALABERT FRERES contestent le fait que les auteurs des oeuvres protégées auraient adhéré aux statuts de la Sacem. Il ne serait pas démontré en outre que la Sacem serait toujours liée avec une société d'auteurs étrangère, notamment espagnole, par un contrat de représentation réciproque.

La Sacem verse aux débats le contrat de représentation réciproque signé avec la société générale des auteurs d'Espagne « SGEA », le 21 novembre 1988 et le 4 novembre 1988.

Quant à la preuve de ce que les oeuvres musicales figurant dans les programmes musicaux exécutés lors des spectacles litigieux, font bien partie du répertoire protégé dont la Sacem assure la gestion, elle résulte des attestations délivrées par les agents assermentés, en application de l'article L 331-2 du code de la propriété intellectuelle, dont les constatations font foi jusqu' à preuve du contraire, non administrée en l'espèce.

Le préjudice subi par la Sacem en raison de l'usage non autorisé des oeuvres dont elle a la gestion, correspond à la rémunération qu'elle aurait perçue et qui lui appartenait de fixer si elle avait conventionnellement autorisé l'usage desdites oeuvres.

Les conditions pécuniaires d'utilisation des oeuvres musicales ne sont pas arbitrairement fixées ; elles sont élaborées dans le cadre de discussions collectives entreprises avec des groupements professionnels représentatifs des différentes catégories d'usagers ; en particulier, pour ce qui concerne le présent litige, les spectacles tauromachiques et assimilés sont distingués selon qu'il s'agit de corridas et novilladas avec cérémonial espagnol ou populaire et courses landaises, ou bien de courses camarguaises, libres à la cocarde etc. Ces conditions sont rassemblées dans un document intitulé « règles générales d'autorisation et de tarification», lesquelles prévoient pour les spectacles dont s'agit, une redevance proportionnelle, calculée par application d'un pourcentage sur une assiette constituée par la totalité des recettes, toutes taxes et services inclus produites par la vente de titres d'accès pour les séances avec droit d'accès.

Il ne peut être contesté que la musique joue un rôle essentiel dans les corridas ; elle contribue à l'intensité dramatique du spectacle ; il ne peut être envisagé l'absence de musique au cours d'une corrida dont elle accompagne nécessairement les moments forts et son rôle ne peut être assimilé à celui qu'elle tient dans les spectacles de courses camarguaises.

Certes la musique n'est pas suffisante, comme dans un concert ou un bal, dès lors qu'elle accompagne un véritable spectacle ; en outre, son utilisation est réduite et aléatoire puisqu'elle dépend du déroulement de la manifestation.

C'est pourquoi le taux d'intervention de la Sacem est fixé non à 8,80% des recettes mais à 0,63%, pour tenir compte de l'ensemble des données particulières qui régissent les spectacles tauromachiques.

Ainsi la tarification appliquée, qu'il appartient à la Sacem de fixer par application de l'article L 132-18 du code de la propriété intellectuelle, si elle n'a pas fait l'objet d'un accord avec la chambre syndicale française des entrepreneurs de spectacles taurins, procède d'une analyse objective, précise du rôle de la musique dans les différents spectacles tauromachiques ; il n'est pas démontré dès lors par les appelants qu'elle est manifestement illicite ou discriminatoire et procède d'un abus de position dominante.

M. JALABERT Luc, en sa qualité de président de la société JALABERT FRÈRES, a engagé sa responsabilité personnelle, par application de l'article 1382 du code civil, en procédant à la diffusion non autorisée d'oeuvres musicales protégées lors des spectacles organisés par la société qu'il représente alors qu'il ne pouvait en rien ignorer le caractère illicite de cette diffusion, qu'il est un professionnel de la branche d'activité concernée, et qu'à maintes reprises la Sacem lui avait rappelé par courriers recommandés et par sommations, ses obligations.

C'est en conséquence à bon droit, par des motifs que la cour d'appel adopte au surplus, que le premier juge a estimé non sérieusement contestable l'obligation de M. JALABERT et de la société JALABERT Frères envers la Sacem, les a condamnés, in solidum, au paiement d'une provision calculée en fonction de la rémunération qu'elle aurait perçue si l'usage des oeuvres pour les spectacles dont s'agit avait été autorisé, et a ordonné la remise à la Sacem des états de recettes des spectacles litigieux, à peine d'astreinte ;

La décision n'ayant pas été exécutée il convient de porter à 80 € par jour de retard, le montant de l'astreinte.

Il est donné à la Sacem l'acte qu'elle sollicite.

La Sacem a exposé des frais non compris dans les dépens qui selon l'équité sont fixés à 2000€.

Les dépens sont à la charge des appelants qui succombent.

PAR CES MOTIFS

La Cour, statuant publiquement, contradictoirement en matière civile et en dernier ressort :

Recevant l'appel,

Vu les articles 809 du code de procédure civile, 1382 du code civil,

Le déclare mal fondé,

Confirme la décision dans toutes ses dispositions,

Y ajoutant vu l'évolution du litige,

Fixe l'astreinte due par les appelants, à 80 € par jour de retard passé le délai de 60 jours à compter de la signification de l'arrêt pour la communication à la Sacem des états de recette pour les spectacles dont s'agit,

Donne à la SACEM l'acte qu'elle sollicite,

Condamne in solidum M. JALABERT Luc et la société JALABERT FRERES à payer à la SACEM 2000€ pour frais irrépétibles,

Les condamne in solidum aux dépens, qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.