CA Paris, Pôle 5 ch. 11, 2 décembre 2022, n° 22/16600
PARIS
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Groupe Canal + (SA)
Défendeur :
Ligue de Football Professionnel, BeIn Sports France (SAS)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Ardisson
Conseillers :
Mme Primevert, Mme L'Eleu de la Simone
Avocats :
Me Regnier, Me Garaud, Me Guerre, Me d’Alès, Me Boccon Gibod, Me Bretzner
Vu l'ordonnance du 29 mars 2022 par laquelle le juge de la mise en état du tribunal judiciaire de Paris a :
- accueilli l'exception de sursis à statuer soulevée à titre principal par l'association Ligue de football professionnel ('la LFP') sur les demandes de la société beIN sports France ('société beIN') et de la société Groupe Canal+ ('société Canal+') jusqu'à l'arrêt de la chambre 11 du pôle 5 de la cour d'appel de Paris statuant sur l'appel interjeté à l'encontre du jugement du tribunal de commerce de Paris du 11 mars 2021,
- constaté que la LFP a communiqué par voie électronique des conclusions au fond le 14 février 2022 conformément au calendrier de procédure fixé,
- rappelé que le juge de la mise en état a indiqué aux parties que les fins de non-recevoir soulevées par la LFP seraient examinées avec le fond par le tribunal, quelle que soit la date retenue pour les plaidoiries au fond,
- réservé les demandes formées au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- rejeté le surplus des demandes formées dans le cadre de l'incident,
- renvoyé l'affaire à l'audience de mise en état dématérialisée du 4 avril 2022 pour faire un point avec les parties,
- réservé les dépens ;
Vu l'appel de l'ordonnance interjeté le 23 septembre 2022 par la société Groupe Canal+ ;
Vu la requête de la société beIN sports France du 27 Avril 2022 en autorisation d'assigner à jour fixe ;
Vu l'ordonnance prise sur délégation du premier président de la cour du 8 septembre 2022 autorisant l'assignation à jour fixe pour l'audience du 24 novembre 2022.
PRÉTENTIONS DES PARTIES EN APPEL :
Vu les conclusions remises par le réseau privé virtuel des avocats le 23 novembre 2022 pour la société beIN sports France aux fins de voir, en application des articles 378 du code de procédure civile et 6 § 1 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales :
- déclarer recevable et bien fondé l'appel interjeté par BeIN ;
- rejeter la fin de non-recevoir présentée par la société Filiale LFP 1 et faire échec à la mise hors de cause de la LFP,
- infirmer l'ordonnance du juge de la mise en état du tribunal judiciaire de Paris du 29 mars 2022 en ce qu'elle a accueilli l'exception de sursis à statuer jusqu'à l'arrêt de la chambre 11 du pôle 5 de la cour d'appel de Paris statuant sur l'appel interjeté à l'encontre du jugement du tribunal de commerce de Paris du 11 mars 2021, réservé les demandes formées au titre de l'article 700 du code de procédure civile,- rejeté le surplus des demandes formées dans le cadre de l'incident, mais uniquement lorsqu'elle rejette les demandes de beIN et réservé les dépens,
Statuant à nouveau,
- rejeter la demande de sursis à statuer,
- condamner in solidum la LFP et la société Filiale LFP 1 à acquitter une somme de 10.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamner in solidum la LFP et Filiale LFP 1 aux dépens ;
Vu les conclusions remises par le réseau privé virtuel des avocats le 24 novembre 2022 pour la société Groupe Canal+ aux fins d'entendre :
- rejeter la demande de mise hors de cause de la LFP,
- infirmer l'ordonnance rendue le 29 mars 2022 par le juge de la mise en état,
- juger qu'il n'y a pas lieu de surseoir à statuer dans cette procédure,
- statuer ce que de droit sur les dépens ;
Vu les conclusions remises par le réseau privé virtuel des avocats le 24 novembre 2022 pour l'association Ligue de football professionnel et la société Filiale LFP 1 aux fins d'entendre, en application des articles 378 et 379 du code de procédure civile :
À titre liminaire,
- prononcer la mise hors de cause de l'association Ligue de football professionnel,
À titre principal,
- confirmer en toutes ses dispositions l'ordonnance,
- rejeter l'appel interjeté par les sociétés Canal+ et beIN,
- débouter les sociétés Canal+ et beIN de toutes leurs demandes,
À titre subsidiaire,
- surseoir à statuer dans l'attente de l'issue donnée par l'Autorité de la concurrence aux plaintes pour abus de position dominante et aux demandes de mesures conservatoires formulées par la société beIN et la société Canal+ respectivement les 2 novembre et 24 décembre 2021,
Ajoutant à l'ordonnance,
- condamner la société beIN et la société Canal+ à payer à la société Filiale LFP 1 la somme de 20.000 euros chacune sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamner les société beIN et société Canal+ aux entiers dépens ;
Appelée à l'audience du 24 novembre 2022, le président a prononcé la clôture de l'affaire et les parties ont été entendues par la voix de leur conseil.
SUR CE, LA COUR,
En liminaire, la cour ordonnera la jonction des appels de la société Canal + et de BeIN Sports France enregistrés sous le registre 22-16600 et 22-16110.
Les procédures d'attribution des droits de diffusion télévisuelle de la Ligue 1 pour les saisons 2020/2021 à 2023/2024 et leur exploitation
1. Au terme de la consultation qu'elle a lancée en avril 2018, la LFP, qui bénéficie d'un mandat exclusif des clubs professionnels de football pour commercialiser les droits de diffusion télévisuelle de la Ligue 1 et de la Ligue 2, a organisé un appel à candidatures portant sur ces droits pour les saisons 2020-2021 à 2023-2024. Les droits de la Ligue 1 répartis en sept lots ont été attribués à la société Mediapro pour les lots 1, 2, 4, 5 et 7, à la société beIN pour le lot 3 que celle-ci a sous-licencié en février 2020 à la société Canal+ pour les saisons 2020/2021 à 2023/2024 au prix d'acquisition initiale de 330 millions d'euros, et enfin à la société Free pour le lot 6.
2. La société Mediapro ayant lancé sa chaîne Telefoot le 17 août 2020 dédiée à la diffusion de ses droits a rencontré des difficultés pour honorer ses échéances de paiement des droits avant de convenir avec la LFP un accord sur la résiliation anticipée de leur contrat homologué par le tribunal de commerce de Nanterre le 22 décembre 2020.
3. Le 19 janvier 2021, la LFP a lancé une consultation de marché pour la réattribution des lots attribués à la société Mediapro, répartis en quatre lots, à laquelle ont participé les sociétés Amazon, Discovery79 et DAZN, mais non les sociétés beIN et Canal+, et qui s'est avérée infructueuse en raison des prix de réserve qui n'ont pas été atteints.
4. Le 4 février 2021, la LFP a passé un accord de gré à gré avec la société Canal+ sur les droits audiovisuels de la Ligue 1 pour la fin de la saison 2020/2021 au terme duquel il a accepté en qualité de sous-licencié de verser à la LFP la contrepartie financière due au titre du lot 3 en lieu et place de beIN et acquis le reliquat des droits de la Ligue 1 pour la fin de la saison 2020/2021 moyennant 35 millions d'euros.
5. Destinataire pour l'acquisition des droits de retransmission restitués par la société Mediapro des offres des sociétés beIN, Canal+ et Amazon, la LFP a attribué ces droits à cette dernière de gré à gré, le 11 juin 2021.
6. Le 24 juillet 2021, la société Canal+ a notifié à la société BeIN la résiliation de leur contrat de sous-licence.
- Les procédures contentieuses
7. Le 26 janvier 2021, la société Canal+ a assigné la LFP devant le tribunal de commerce de Paris pour entendre, avec la société beIN et au visa des articles L. 333-1 et suivants et R. 333-1 et suivants du code du sports, 102 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, L. 420-2, L. 420-3 et L. 462-3 du code de commerce et 1240, 1103 et 1193 du code civil, annuler l'appel a candidatures lancé le 19 janvier 2021 par la LFP pour la commercialisation des droits du championnat de Ligue 1 restitués par la société Mediapro ainsi que tout accord de gré à gré subséquent portant sur les saisons 2021-2022 a 2023-2024, faire injonction à la LFP d'organiser un appel a candidatures pour la commercialisation des droits du championnat de Ligue 1 restitués par la société Mediapro pour les saisons 2021-2022 a 2023-2024 incluant le lot 3 attribué a la société beIN et exploité par la société Canal+ , saisir pour avis l'Autorité de la concurrence ('l'Autorité') sur les pratiques d'abus de position dominante reprochées à la LFP et condamner la Ligue de football professionnel a verser à la société Canal+ la somme de 100.000 euros au titre de son préjudice moral.
Par jugement du 11 mars 2021, le tribunal de commerce a rejeté ces demandes.
Le 6 avril 2021, la société belN sports et la société Canal+ ont interjeté appel de ce jugement devant la cour d'appel de Paris. L'affaire enrôlée devant la chambre 11 du pôle 5 est fixée à l'audience du 8 décembre 2022.
8. Le 29 janvier 2021, la société Canal+ a aussi saisi l'Autorité pour dénoncer comme contraires aux articles 101 et 102 du TFUE et L. 420-1 et L. 420-2 du code de commerce, les pratiques mises en oeuvre par la LFP dans le secteur de la vente de droits de diffusion télévisuelle de compétitions sportives et qui sont résulté du refus de la LFP de ne pas inclure le lot 3 exploité par la société Canal+ dans la réattribution des lots de la société Mediapro, avec pour effet d'imposer à la société Canal+ des conditions de transaction inéquitables et serait constitutif d'une discrimination abusive, la société Canal+ soutenant encore que tout accord qui résulterait de la consultation de marché de 2021 serait anticoncurrentiel par objet.
Par une décision n° 21-D-12 du 11 juin 2021, l'Autorité a rejeté la demande.
Saisi des recours de la société belN Sports et de la société Canal+, la chambre 7 du pôle 5 de la cour d'appel de Paris a confirmé cette décision par arrêt du 30 juin 2022.
9. Le 26 juillet 2021, la société beIN a assigné la LFP et la société Canal+ devant le tribunal judiciaire de Paris pour entendre, aux terrmes de ses conclusions déposées le 4 novembre 2021, prononcer au visa des articles 1186, 1110, 1171, 1195, 1224 et 1227 du code civil la caducité du contrat relatif au lot 3 conclu entre la LFP et beIN à compter du 11 juin 2021, dire la société BeIN sports déliée de ses engagements envers la LFP à compter de cette date, condamner LFP à restituer à beIN 68,1% des sommes versées par cette dernière au titre du contrat relatif au lot 3 depuis le 11 juin 2021, subsidiairement, résilier le contrat relatif au lot 3 conclu entre la LFP et beIN avec effet à la date d'introduction de l'instance, par application de l'article 1195 du code civil et ordonner à la LFP de restituer à beIN 68,1% des sommes versées par cette dernière au titre du contrat relatif au lot 3 depuis la date d'introduction de l'instance, subsidiairement, prononcer la résolution du contrat relatif au lot 3 conclu entre la LFP et beIN, aux torts de la LFP, eu égard au fait que le comportement adopté en l'espèce par la LFP caractérise une violation grave de ses obligations au sens de l'article 1224 du code civil etcondamner la LFP à verser à beIN des dommages et intérêts représentant 68,1% des sommes versées par cette dernière au titre du contrat relatif au lot 3 depuis le 11 juin 2021.
Devant cette juridiction, la société Canal+ demande aux termes de ses conclusions déposées le 9 novembre 2021, au visa de l'article 1186 du code civil, de prononcer les caducités du contrat relatif au lot 3 entre beIN et la LFP à compter du 11 juin 2021, et du contrat de sous-licence entre BeIN et Canal+ à compter du 11 juin 2021, et en conséquence, condamner la LFP à restituer à beIN un montant correspondant à 68,1% des sommes qu'elle a perçues au titre du contrat relatif au lot 3 depuis le 11 juin 2021, de dire que BeIN devra verser à Canal+ l'intégralité des sommes restituées par la LFP, subsidiairement au visa des articles 1110, 1171 et 1195 du code civil, de prononcer la résiliation du contrat relatif au lot 3 entre BeIN et la LFP avec effet au 26 juillet 2021 ainsi que la résiliation du contrat de sous-licence entre beIN et Canal+ à compter du 26 juillet 2021 et en conséquence, condamner la LFP à restituer à BeIN un montant correspondant à 68,1% des sommes qu'elle a perçues au titre du contrat relatif au lot 3 depuis le 26 juillet 2021, dire que beIN devra verser à Canal+ l'intégralité des sommes restituées par la LFP, enfin subsidiairement au visa des articles 1104, 1224, 1227 et 1240 du code civil, de prononcer la résolution du contrat relatif au lot 3 entre beIN et la LFP,-prononcer la résiliation du contrat de sous-licence entre beIN et Canal+, et en conséquence, condamner la LFP à verser à Canal+ un montant correspondant à 68,1% des sommes que Canal+ a payé à beIN au titre de la sous-licence du lot 3 à titre de dommages et intérêts.
10. Par ordonnance de référé du 4 août 2021, le président du tribunal judiciaire de Paris a fait injonction à la société beIN, sous astreinte d’un million d'euros par jour de retard et par infraction constatée, d'exécuter l'ensemble de ses obligations contractuelles résultant du contrat du 29 mai 2018.
11. Par ordonnance de référé du 5 août 2021, le président du tribunal de commerce de Nanterre a ordonné à la société Canal+ d'honorer l'intégralité des obligations mises à sa charge par le contrat de sous-licence du 11 février 2020, sous astreinte d’un million d'euros, jusqu'au jour où le juge du fond ait statué sur la résiliation de ce contrat ou la caducité du contrat de licence passé entre la entre la LFP et la société BeIN ou l'intervention d'un accord amiable entre les parties.
12. Les 2 novembre et 24 décembre 2021 la société beIN et la société Canal+ ont de nouveau saisi l'Autorité de demandes tendant à faire grief à la LFP, selon les conclusions que la société Canal+ a déposé le 24 novembre 2022 dans le cadre du présent appel, 'à l'Autorité de la concurrence est celle de savoir si la décision de la LFP d'attribuer 80% des droits de Ligue 1 à Amazon pour 250 millions d'euros par saison tout en contraignant Canal+/ beIN à exploiter les droits restants dans les conditions de concurrence résultant de l'Appel à Candidatures de 2018 constitue une discrimination entre les attributaires des droits de Ligue 1 sur les marchés de l'édition et de la commercialisation de chaînes de télévision payante et de la distribution de services de télévision payante de nature à déstabiliser la concurrence sur les marchés avals de la télévision payante'.
13. Dans le cadre de l'instance ouverte devant le tribunal judiciaire précitée au paragraphe 9 ci-dessus, la LFP a saisi le juge de la mise en état d'un incident tendant à demander, le 21 février 2022, qu'il soit sursis à statuer sur les demandes des sociétés Canal+/ et beIN dans l'attente de l'arrêt à intervenir de la chambre 11 du pôle 5 de la cour d'appel de Paris concernant saisie des appels interjetés par Canal+ et BeIN à l'encontre du jugement du tribunal de commerce de Paris en date du 11 mars 2021, ou subsidiairement dans l'attente de l'arrêt à intervenir de la chambre 7 du pôle 5 de la cour d'appel de Paris concernant le recours de la société Canal+ à l'encontre de la décision de l'Autorité saisie le 29 janvier 2021, ou subsidiairement dans l'attente de l'issue donnée par l'Autorité aux plaintes pour abus de position dominante et aux demandes de mesures conservatoires formulées par beIN et Canal+ respectivement les 2 novembre et 24 décembre 2021.
Par ordonnance du 29 mars 2022, le juge de la mise en état a accueilli l'exception de sursis à statuer soulevée à titre principal sur les demandes de la société SAS BeIN Sports France et de la société GROUPE CANAL+ jusqu'à l'arrêt de la chambre 11 du pôle 5 de la cour d'appel de Paris statuant sur l'appel interjeté à l'encontre du jugement du tribunal de commerce de Paris du 11 mars 2021.
I. Sur l'intervention volontaire de la société Filiale LFP 1
14. Il n'est pas sérieusement soutenu de moyen outre ou contre la preuve du traité d'apport partiel d'actifs signé le 26 juillet 2022 entre la LFP et la Filiale LFP 1 en vertu duquel la première a cédé à la seconde son activité de commercialisation et de gestion des droits audiovisuels de la Ligue 1, de sorte qu'il convient de donner acte de l'intervention volontaire de Filiale LFP 1 dans les droits et obligations de la LFP.
II. Sur le bien-fondé de la suspension de l'instance et son terme
15. Pour entendre infirmer le sursis à statuer décidé par le juge de la mise en état, la société Canal+ le conteste en premier lieu en ce qu'il est motivé d'après 'l'attribution à AMAZON des droits du championnat de Ligue 1 rétrocédés par MEDIAPRO est un élément central de la motivation des demandes [des sociétés beIN et Canal+ devant le tribunal judiciaire]' et dont il est déduit de cette attribution qu'elle 'est susceptible d'être annulée par la cour d'appel', alors que cette allégation n'était pas invoquée par la LFP et qu'elle a été relevée en violation de la prescription de l'article 16 du code de procédure civile.
16. Néanmoins, la LFP s'est prévalue devant le juge de mise en état d'une demande de fixation du terme du sursis à statuer subsidiairement fondée sur la seconde saisine, les 2 novembre et 24 décembre 2021, par les sociétés beIN et Canal+ de l'Autorité sur les conditions d'octroi du lot 3 à la société Amazon, en sorte que le motif a pu être adopté dans le respect du principe de la contradiction.
17. En deuxième lieu, la société beIN et la société Canal+ relèvent que le prix que la première a payé à la LFP pour l'attribution du lot 3 en 2018 était déterminé par rapport à la structure de l'appel d'offres des lots 1, 2, 4, 5 et 7 et des prix auxquels ils ont été acquis par la société Mediapro, et qu'en suite de la résiliation de son contrat puis du prix de réattribution de ses lots à la société Amazon en juin 2021, le prix initialement acquitté par la société beIN en 2018 pour son lot 3, et qu'elle a sous-licencié à la société Canal+, est devenu trois fois plus élevé.
18. Les sociétés beIN et Canal+ déduisent qu'à la suite de la réattribution des lots de la société Mediapro, leur contrat pour l'exploitation des droits du lot 3 est caduc depuis l'origine, en application de l'article 1186 du code civil, ou que cette réattribution constitue un changement des circonstances de l'exploitation de leurs droits qui n'était pas prévisible au moment de la soumission de leur offre et a rendu l'exécution de leur contrat excessivement onéreuse, suivant la prévention de l'article 1195 du code civil, ou enfin, que la LFP a manqué à son obligation de loyauté et a engagé sa responsabilité contractuelle ou délictuelle.
19. Elles en concluent que leurs demandes sont différentes dans leur fondement et dans leur objet de celles tirées des pratiques anticoncurrentielles et de l'abus de position dominante qu'elles reprochent à la LFP devant l'Autorité ainsi que devant la cour saisie de l'appel sur le jugement du tribunal de commerce, de sorte qu'aucun risque de contradiction de décisions ne peut intervenir à l'issue de ces différentes instances et qu'en tout état de cause, l'appréciation des conditions de réattribution des lots de la société Mediapro à la société Amazon le 11 juin 2021 est sans effet sur les chefs de demandes dont le tribunal judiciaire est saisi.
20. En troisième lieu, la société beIN soutient que la suspension du cours de l'instance porte atteinte à son droit au procès équitable et à l'accès en temps utile au juge, tandis que la société Canal+ reproche à cette suspension le préjudice irrémédiable qu'elle lui cause, alors d'une part que, supportant un coût d'exploitation de leur lot 3 trois fois supérieur à celui ultérieurement négocié pour la réattribution des lots 1, 2, 4, 5 et 7 par la LFP à la société Amazon, cette dernière jouit d'un avantage concurrentiel qui lui a permis de capter des abonnés à des conditions d'abonnement avantageuses au détriment de la société Canal+, et d'autre part, que la décision sur la caducité du contrat recherchée sera privée de tout effet utile si elle intervient au terme de son exécution et avant la prochaine mise en concurrence des droits de diffusion télévisuelle de la Ligue 1 pour les saisons 2023-2024.
21. Au demeurant, l'inéquité du prix des droits d'exploitation audiovisuelle du lot 3 telle que les sociétés beIN et Canal+ la déplorent devant le tribunal judiciaire pour fonder la caducité de leur contrat, sa résiliation pour cause d'imprévision ou sa résolution et réclamer la condamnation de la LFP en restitution du prix, ou en dommages et intérêts, n'est pas indépendante de l'appréciation contextuelle et économique des manquements de la LFP aux règles ayant pour objet ou pour effet de garantir le jeu de la concurrence ou de limiter l'exercice de sa position dominante dans la formation des prix à l'occasion des consultations qu'elle a organisées en 2018, pour l'attribution de l'ensemble des lots, puis en 2021 pour la remise en concurrence des lots de la société Mediapro et enfin, lors de la réattribution de ceux-ci de gré à gré à la société Amazon, ce dont il suit que le dénouement du litige est subordonné à l'appréciation de l'existence de la pratique anticoncurrentielle reprochée à la LFP, avant d'en déterminer la portée sur les demandes présentées devant le tribunal judiciaire.
22. Et si l'autonomie procédurale nationale en matière d'attribution des litiges nés des manquements aux dispositions des articles L. 420-1 et L. 420-2 du code de commerce, et 101 et 102 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, autorisait l'initiative des sociétés beIN et Canal+ de saisir, concurremment et successivement, l'Autorité ainsi que la juridiction civile de faisceaux d'indices communs dans l'origine de litiges distincts, il en résulte cependant un risque manifeste de contradiction dans la qualification de ces faits et l'examen des moyens propres à fonder les décisions pouvant être prises par l'Autorité et la juridiction civile.
23. Il est par ailleurs rappelé les dispositions de l'article L. 481-1 du code de commerce selon lesquelles :
Toute personne physique ou morale formant une entreprise ou un organisme mentionné à l'article L. 464-2 est responsable du dommage qu'elle a causé du fait de la commission d'une pratique anticoncurrentielle définie aux articles L. 420-1, L. 420-2, L. 420-2-1, L. 420-2-2 et L. 420-5 ainsi qu'aux articles 101 et 102 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne.
24. Et encore, l'article L. 481-2 du code de commerce disposant que :
Une pratique anticoncurrentielle mentionnée à l'article L. 481-1 est présumée établie de manière irréfragable à l'égard de la personne physique ou morale désignée au même article dès lors que son existence et son imputation à cette personne ont été constatées par une décision qui ne peut plus faire l'objet d'une voie de recours ordinaire pour la partie relative à ce constat, prononcée par l'Autorité de la concurrence ou par la juridiction de recours.
25. Alors que l'Autorité dispose d'instruments dans la recherche de la preuve des pratiques anticoncurrentielles privilégiés par rapport aux règles d'administration de la preuve réservées à la juridiction civile, il convient de confirmer l'ordonnance en ce qu'elle a retenu que, pour une bonne administration de la justice, il convenait d'ordonner le sursis à statuer.
26. En revanche, au jour des débats, il est constant que la seconde contestation relative à la réattribution des lots de la société Mediapro à la société Amazon, dont les sociétés beIN et Canal+ ont saisi l'Autorité les 2 novembre et 24 décembre 2021 dans les termes cités au paragraphe 12 ci-dessus, est toujours en cours.
27. Enfin, la cour saisie du présent appel relève que l'Autorité, comme la chambre 7 du pôle 5 de la cour d'appel de Paris désignée pour connaître de ses décisions, sont diligentes pour juger les demandes des sociétés beIN et Canal+ et préservent par conséquent leur droit au recours effectif pour la réparation de leurs préjudices susceptible d'être recherchée sur le fondement de l'article L. 481-1 du code de commerce précité comme sur ceux des dispositions du code civil qu'elles invoquent, et dont l'étendue est garantie par le principe de sa réparation intégrale, de sorte que le terme de la suspension du cours de l'instance sera fixé à compter de l'intervention d'une décision de l'Autorité non susceptible de recours ordinaire.
III. Sur les dépens et les frais irrépétibles
28. Les sociétés beIN et Canal+ succombant au recours, l'ordonnance sera infirmée en ce qu'elle a réservé les dépens et les frais irrépétibles et statuant à nouveau de ces chefs y compris en cause d'appel, la cour les condamnera, chacune par moitié, aux dépens, ainsi qu'à payer à la société Filiale LFP 1, chacune, la somme de 3.000 euros sur le fondement de l'article de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS,
Ordonne la jonction des appels des sociétés Groupe Canal+ et beIN sports France enregistrés sous les numéros de registre 22-16600 et 22-16110 ;
Donne acte à la société Filiale LFP 1 de son intervention dans les droits et obligations de l'association Ligue de football professionnel ;
Confirme l'ordonnance sauf en ce qu'elle a fixé le terme du sursis à statuer ;
Dit l'instance suspendue au jour de l'extinction des voies de recours ordinaires à l'encontre de la décision de l'Autorité de la concurrence saisie les 2 novembre et 24 décembre 2021 par les sociétés beIN sports France et Groupe Canal+ ;
Condamne les sociétés beIN sports France et Groupe Canal+ aux dépens ;
Condamne les sociétés beIN sports France et Groupe Canal+ à payer à la société Filiale LFP 1, chacune, la somme de 3.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.