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Décisions

Cass. crim., 3 septembre 2002, n° 01-83.738

COUR DE CASSATION

Arrêt

Cassation

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Cotte

Rapporteur :

Mme Beaudonnet

Avocat général :

M. Chemithe

Avocats :

SCP de Chaisemartin et Courjon, SCP Boulloche

Paris, du 24 avr. 2001

24 avril 2001

Sur le premier moyen de cassation, pris de la violation des articles L. 121-1, L. 122-1 et L. 335-3 du Code de la propriété intellectuelle, 591 et 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs et de base légale :

" en ce que l'arrêt confirmatif attaqué a prononcé la relaxe du délit de contrefaçon en raison de la prétendue absence de l'élément matériel de l'infraction ;

" aux motifs que lors de la construction du lycée Jacques Feyder à Epinay-sur-Seine, le sculpteur Marcel X... a été chargé, au titre du 1 % de la décoration des bâtiments publics, de la réalisation de deux monolithes placées à l'entrée du lycée ; que bien qu'aucune indication particulière sur place ne mentionne le nom de l'artiste, ces deux sculptures, destinées à un lieu public, fruits de l'esprit de leur créateur, constituent une oeuvre protégée par le droit d'auteur, et sont la propriété de la région Ile-de-France ; que la Cour remarque que les sculptures verticales en béton brut, répondaient aux structures horizontales des bâtiments, elles aussi en béton laissé à l'état brut ; qu'en 1995, la région Ile-de-France, propriétaire des locaux, a décidé d'entreprendre des travaux de réfection du lycée, et de faire peindre les bétons salis par le temps ; que ces travaux ont été commandés par le maître de l'ouvrage à Philippe Y..., architecte, qui a pris en charge l'étude et la réalisation de cette rénovation ; que tous les bétons des bâtiments de l'établissement ont été repeints, ainsi que les deux monolithes situés à l'entrée du lycée ; qu'une couverture en métal a été placée sur le haut d'une des sculptures, pour éviter aux eaux de ruissellement de couler le long de la structure de l'oeuvre ; que le procès-verbal de réception des travaux a été signé sans réserves par le maître de l'ouvrage ; qu'à la suite de la peinture de ses sculptures, et de la pose d'une "casquette en métal", Marcel X... estimant que l'architecte avait porté atteinte à son oeuvre, l'a fait citer directement devant le tribunal correctionnel de Bobigny ; qu'une sculpture peut être dénaturée si elle est remaniée ou modifiée dans son aspect extérieur ; que l'auteur d'une oeuvre est seul juge de l'opportunité de modifier son oeuvre et n'a pas à s'expliquer sur les raisons qui le décident à refuser ou tolérer une modification quelconque, puisque c'est lui qui donne la mesure à son droit moral ; qu'en l'espèce, d'après Marcel X..., les modifications de ses sculptures ont compromis un ensemble original et modifié une impression d'ensemble qu'il avait voulu donner à son oeuvre ; qu'il a donc été porté atteinte au droit du respect de l'oeuvre, ou droit au maintien de l'intégrité de l'oeuvre, c'est-à-dire au droit moral de Marcel X... ; que la Cour constate que le propriétaire des sculptures qui n'a pas appelé l'artiste à donner son avis sur les travaux qu'il souhaitait entreprendre, a mis l'artiste devant le fait accompli et a porté atteinte à son droit moral ; que le délit de contrefaçon, prévu par l'article L. 335-3 du Code de la propriété intellectuelle se constitue d'une part, par le fait matériel de la reproduction, représentation ou diffusion d'une oeuvre de l'esprit, réalisé en l'absence de bonne foi, et d'autre part, par l'atteinte aux droits de l'artiste, définis et réglementés par la loi ; que la Cour constate que s'il y a eu atteinte au droit moral de Marcel X..., il n'y a eu ni reproduction, ni représentation, ni diffusion des sculptures existantes, mais seulement modification ou altération de ces oeuvres ; que dès lors, la loi pénale étant d'interprétation stricte, l'élément matériel de la contrefaçon n'est pas constitué en l'espèce, et la Cour confirmera la décision des premiers juges, qui ont affirmé que l'élément matériel du délit faisait défaut ;

" alors que, comme le soutenait Marcel X... dans ses conclusions, l'exposition en permanence dans un lieu public de l'oeuvre en cause, exposition constatée par la Cour de même que son altération portant atteinte au droit moral de l'auteur, constitue une "représentation", au demeurant permanente, de cette oeuvre, au sens de l'article L. 335-3 du Code de la propriété intellectuelle ; qu'en décidant néanmoins qu'il y avait eu modification ou altération de l'oeuvre mais non représentation des sculptures existantes, la cour d'appel a violé le texte susvisé " ;

Vu les articles L. 335-3 et L. 122-2 du Code de la propriété intellectuelle ;

Attendu, selon ces textes, qu'est un délit de contrefaçon toute reproduction, représentation ou diffusion, par quelque moyen que ce soit, d'une oeuvre de l'esprit en violation des droits de l'auteur, tels qu'ils sont définis et réglementés par la loi ; que la représentation consiste dans la communication de l'oeuvre au public par un procédé quelconque, et notamment par présentation publique ;

Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué que Marcel X..., sculpteur, est l'auteur de deux sculptures monolithiques qui lui ont été commandées lors de la construction d'un lycée à Epinay-sur-Seine ; que ces oeuvres, placées à l'entrée de l'établissement scolaire, y sont exposées depuis 1977 ; qu'en 1995, la région Ile-de-France, propriétaire de l'ensemble, a chargé Philippe Y..., architecte, de la rénovation du lycée ; que, courant 1997, lors de la peinture des bétons des bâtiments, les monolithes ont également été peints ; qu'en outre, une couverture en métal a été placée sur le haut de l'une des sculptures ;

Que Marcel X..., estimant que ces modifications portent atteinte à l'intégrité de son oeuvre, a fait citer directement Philippe Y... devant le tribunal correctionnel, sur le fondement de l'article L. 335-3 du Code de la propriété intellectuelle, pour avoir représenté les sculptures dont il est l'auteur en violation de ses droits ; qu'après relaxe du prévenu, il a été débouté de ses demandes ;

Attendu que, pour confirmer le jugement, sur le seul appel de la partie civile, la cour d'appel retient qu'en l'absence de reproduction, représentation ou diffusion des sculptures existantes, l'élément matériel de la contrefaçon fait défaut ;

Mais attendu qu'en prononçant ainsi, alors qu'une nouvelle représentation de l'oeuvre est réalisée par sa communication au public sous une forme altérée ou modifiée, la cour d'appel a méconnu le sens et la portée des textes susvisés ;

D'où il suit que la cassation est encourue ;

Par ces motifs, et sans qu'il y ait lieu d'examiner l'autre moyen de cassation proposé :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt susvisé de la cour d'appel de Paris, en date du 24 avril 2001, et pour qu'il soit à nouveau jugé, conformément à la loi :

RENVOIE la cause et les parties devant la cour d'appel de Paris, autrement composée.