Cass. com., 3 avril 2013, n° 11-14.233
COUR DE CASSATION
Arrêt
Cassation
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Espel
Avocats :
Me Spinosi, SCP Boutet, SCP Hémery et Thomas-Raquin, SCP Roger et Sevaux
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Versailles, 12 janvier 2011), rendu sur renvoi après cassation (2ème chambre civile, 30 avril 2009, pourvoi n° 07-16. 467), que la société Editions du Félin, soutenant avoir conclu le 2 mars 1987 avec Mme X..., dite Y..., coauteur des chansons " Etienne " et " Un espoir ", M. Z..., coauteur de la chanson " Etienne ", et M. A..., coauteur de la chanson " Un espoir ", des contrats de cession et d'édition d'oeuvres musicales et faisant état de ce que ces derniers avaient signé le 8 octobre 1987, alors qu'ils n'étaient plus titulaires de ces droits, des contrats de cession et d'édition portant sur ces mêmes oeuvres avec les sociétés EMI music publishing France (EMI) et Comotion SARL, a engagé une action afin d'obtenir paiement des redevances détenues par la SACEM pour le compte de la société Comotion SARL, devenue New Deal, depuis mise en liquidation judiciaire ; que la société Comotion musique, à laquelle la société Comotion SARL avait transmis, par acte du 10 février 1987, le bénéfice des contrats de cession et d'édition signés avec MM. B..., C..., D...et E..., membres du groupe " Porte Mentaux ", et qui reprochait à cette dernière d'avoir, en fraude de ses droits, cédé à la Banque centrale des coopératives et des mutuelles (BCCM) aux droits de laquelle vient la société GMF recouvrement, des créances éditoriales et transféré à la société EMI lesdits contrats de cession et d'édition, a fait saisir les sommes détenues à ce titre par la SACEM et la SDRM puis a engagé une action en vue d'obtenir le versement à son profit de ces redevances ; que la société GMF recouvrement, assignée en intervention, a sollicité le versement de celles-ci ; que les deux instances ont été jointes ;
Sur le premier moyen du pourvoi des sociétés Editions du Félin, Comotion musique et César Edition :
Attendu que les sociétés Editions du Félin, Comotion musique et César Edition font grief à l'arrêt d'avoir dit qu'elles ne pouvaient se prévaloir de la cession à leur profit des droits patrimoniaux d'auteur ainsi que des contrats d'édition sur les oeuvres " Etienne " et " Un espoir " et de les avoir en conséquence déboutées de l'ensemble de leurs demandes au titre de ces oeuvres à l'encontre tant de la société EMI que de la SACEM et de la SDRM, alors, selon le moyen :
1°/ que la constatation écrite du contrat d'édition prescrite par l'article L. 131-2 du code de la propriété intellectuelle n'est requise que pour la preuve du contrat ; que les dispositions de l'article L. 131-3 du même code, subordonnant la transmission des droits de l'auteur à la condition que chacun des droits cédés fasse l'objet d'une mention distincte dans l'acte de cession et que le domaine d'exploitation des droits cédés soit délimité quant à son étendue et à sa destination, quant au lieu et quant à la durée, étant destinées à protéger l'intérêt des auteurs, leur inobservation est sanctionnée par une nullité relative dont seuls ces derniers peuvent se prévaloir ; qu'en décidant que d'autres modalités de preuve que l'écrit ne sont admissibles qu'à la condition qu'elles permettent de délimiter le domaine d'exploitation des droits cédés quant à son étendue et à sa destination, quant au lieu et quant à sa durée conformément aux prescriptions de l'article L. 131-3, et en écartant des éléments de preuve produits aux débats parce qu'ils ne pouvaient suffire à démontrer que le contrat en cause remplissait les exigences prescrites par les dispositions légales susvisées pour la preuve d'un tel contrat, la cour d'appel a violé l'article L. 131-3 du code de la propriété intellectuelle ;
2°/ que la cour d'appel ayant constaté que le contrat de cession et d'édition conclu par écrit le 2 mars 1987 entre, d'une part, les sociétés Editions du Félin et Comotion musique et, d'autre part, Mme X...et M. A...était produit aux débats, elle ne pouvait juger que la preuve n'était pas rapportée de la qualité d'éditeurs des sociétés Editions du Félin et Comotion musique relativement à l'oeuvre « Un espoir » sans rechercher si, comme le soutenaient ces sociétés, l'acte satisfaisait aux prescriptions de l'article L. 131-3 du code de la propriété intellectuelle ; qu'en se bornant à relever que le contrat portant sur l'oeuvre « Un espoir » n'était ni signé ni paraphé par les deux éditeurs et à rejeter les autres éléments de preuve produits, motif pris qu'ils n'étaient admissibles qu'à la condition de permettre de délimiter le domaine d'exploitation des droits cédés quant à son étendue et à sa destination, quant au lieu et quant à sa durée conformément aux prescriptions de l'article L. 131-3, sans rechercher si le respect de ces prescriptions ne ressortait pas des stipulations de l'acte lui-même, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard du texte précité ;
3°/ que l'aveu qui ne satisfait pas aux conditions pour être judiciaire peut tout de même valoir comme aveu extrajudiciaire ; qu'en jugeant que l'aveu fait au cours d'une instance précédente, même opposant les mêmes parties, n'a pas le caractère d'un aveu judiciaire et n'en produit pas les effets pour décider que la preuve des droits d'éditeur revendiqués par les sociétés Editions du Félin et Comotion musique ne pouvait dès lors résulter des conclusions de Mme X...signifiées le 4 mars 1998 devant la 18e chambre sociale de la cour d'appel de Paris dans le cadre d'un litige qui ne portait pas sur le droit d'auteur relatif à un contrat de cession et d'édition musicale, la cour d'appel, qui a ainsi dénié toute valeur probatoire à l'aveu de Mme X..., a violé les articles 1354 et 1356 du code civil ;
4°/ que la cour d'appel, qui n'a pas apprécié, comme elle y était invitée, si la double circonstance que la qualité d'éditeur des sociétés Editions du Félin et Comotion musique était mentionnée sur le disque commercialisé en avril 2007 et que ces sociétés avaient réglé aux auteurs des avances de droits d'auteur n'établissait pas la réalité des contrats de cession et d'édition conclus le 2 mars 1987, a privé sa décision de base légale au regard de l'article 131-2 du code de la propriété intellectuelle ;
5°/ que les sociétés Editions du Félin et Comotion musique faisaient valoir, dans leurs conclusions d'appel, qu'il avait été établi au cours de la procédure pénale que les contrats de préférence accessoires aux contrats de cession et d'édition conclus par la société Comotion SARL et portant la date du 2 mars 1987 avaient été antidatés et constituaient par conséquent des faux, ayant en réalité été signés en octobre 1987 pour pouvoir être mentionnés dans le contrat de coédition signé à la même date par la société EMI music publishing ; qu'elles soutenaient que les contrats d'édition et de cession conclus par la société Comotion SARL et datés du 2 mars 1987, dont les contrats de préférence constituaient des annexes, avaient également été antidatés ; qu'en prenant en considération ces contrats pour reconnaître la qualité de coéditeur de la société EMI music publishing aux termes du contrat de cession et d'édition conclu le 8 octobre 1987 en remplacement desdits contrats, sans répondre au moyen des conclusions des exposantes, la cour d'appel a méconnu les exigences de l'article 455 du code de procédure civile ;
6°/ qu'ayant constaté la production aux débats de contrats de cession et d'édition d'oeuvre musicale en date du 2 mars 1987 conclus, pour l'un, entre les auteurs Y...et Vincent Z...et la société Comotion SARL relativement à l'oeuvre « Etienne » et, pour l'autre, entre les auteurs Y...et Christophe A...et la société Comotion relativement à l'oeuvre « Un espoir », la cour d'appel, qui a jugé que les auteurs compositeurs des chansons avaient gardé la titularité des droits de reproduction de ces oeuvres lorsqu'ils ont régularisé les contrats des 8 et 9 octobre 1987 et que, à compter de la signature de ces contrats, la société EMI music publishing était devenue coéditeur aux côtés de la société Comotion SARL, devenue New Deal, des oeuvres « Etienne » et « Un espoir », n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations et a violé l'article L. 131-3 du code de la propriété intellectuelle ;
Mais attendu, en premier lieu, qu'ayant relevé que le contrat de cession et d'édition portant sur l'oeuvre " Un espoir " n'était ni signé ni paraphé par les deux éditeurs prétendus, la cour d'appel, qui n'avait pas à procéder à une recherche que ses constatations rendaient inopérante, a retenu que les aveux judiciaires et extrajudiciaires dont se prévalaient les sociétés demanderesses, dont elle a souverainement apprécié la portée, ne pouvaient suffire à établir l'existence à leur profit d'une cession de droits d'auteur dont le domaine d'exploitation soit délimité conformément aux prescriptions de l'article L. 131-3 du code de la propriété intellectuelle et en a exactement déduit, sans être tenue de suivre les parties dans le détail de leur argumentation ni de s'expliquer sur les éléments de preuve qu'elle avait décidé d'écarter, qu'il n'était pas établi que les sociétés Editions du Félin et Comotion musique se soient vues attribuer le 2 mars 1987 les droits de cession et d'édition sur les oeuvres litigieuses ;
Attendu, en deuxième lieu, que les sociétés Editions du Félin, Comotion musique et César Edition n'ayant pas soutenu devant les juges d'appel que les conclusions de Mme X..., signifiées au cours d'une autre instance, puissent être considérées comme un aveu extrajudiciaire, le moyen est de ce chef nouveau et mélangé de fait ;
Et attendu, enfin, qu'ayant constaté, d'abord, que des contrats de cession et d'édition d'oeuvres musicales avaient été signés le 2 mars 1987 entre les coauteurs des oeuvres " Etienne " et " Un espoir " et la société Comotion SARL et, ensuite, que les contrats de cession et d'édition conclus le 8 octobre 1987 entre, d'une part, ces coauteurs et, d'autre part, les sociétés EMI et Comotion SARL comportaient la mention selon laquelle " cette cession annule et remplace la cession du 2 mars 1987 ", la cour d'appel a retenu à bon droit qu'à compter de la signature de ces derniers contrats, la société EMI était devenue coéditeur, aux côtés de la société Comotion SARL, des oeuvres en cause ;
D'où il suit que le moyen, irrecevable dans sa troisième branche, est mal fondé pour le surplus ;
Sur le second moyen du pourvoi des sociétés Editions du Félin, Comotion musique et César Edition :
Attendu que les sociétés Editions du Félin, Comotion musique et César Edition font grief à l'arrêt d'avoir annulé les dispositions de la convention intervenue le 10 février 1987 entre la société Comotion SARL, devenue New Deal, et la société Comotion musique, en tant qu'elles emportent le transfert à cette dernière des contrats de préférence, de cession et d'édition d'oeuvres musicales sur les oeuvres des membres du groupe " Porte Mentaux " et d'avoir en conséquence débouté la société Comotion musique de l'ensemble de ses demandes au titre de ces oeuvres à l'encontre tant de la société EMI que de la SACEM et de la SDRM, alors, selon le moyen :
1°/ qu'aux termes de l'article L. 132-16 du code de la propriété intellectuelle, l'éditeur ne peut transmettre, à titre gratuit ou onéreux, ou par voie d'apport en société, le bénéfice du contrat d'édition à des tiers, indépendamment de son fonds de commerce, sans avoir préalablement obtenu l'autorisation de l'auteur ; que ces dispositions ayant été prises dans le seul intérêt patrimonial des auteurs, leur violation ne donne lieu qu'à une nullité relative dont l'action se prescrit par cinq ans à compter de la découverte du vice ; qu'en ne recherchant pas, comme elle y était invitée, si les auteurs membres du groupe Porte mentaux avaient eu connaissance du projet de cession à la société Comotion musique des contrats liant la société Comotion SARL à MM. D..., E..., C...et B..., cession intervenue le 10 février 1987, ce dont il se déduisait que l'action de ces derniers en nullité de la cession était prescrite, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 132-16 du code de la propriété intellectuelle ;
2°/ que l'autorisation préalable de l'auteur n'est pas nécessaire en cas de transmission de contrat d'édition consécutive à l'aliénation du fonds de commerce ; qu'en se bornant à retenir, pour annuler la cession intervenue le 10 février 1987, qu'elle ne portait pas sur l'ensemble des éléments corporels et incorporels composant un fonds de commerce puisque la société Comotion SARL était titulaire d'autres droits éditoriaux qui n'étaient pas inclus dans la cession quand cette dernière circonstance était inopérante à écarter en soi une cession du fonds et qu'il revenait aux juges d'apprécier si la cession portant sur un ensemble de contrats d'édition d'oeuvres musicales par le cédant cessant son activité ne devait pas être assimilée à une cession du fonds, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 132-16 du code de la propriété intellectuelle, ensemble de l'article L. 141-1 du code de commerce ;
3°/ que les formalités prévues par l'article L. 141-1 du code de commerce pour la cession d'un fonds de commerce, qui sont seulement destinées à renseigner l'acquéreur sur la valeur réelle du fonds, sont étrangères à l'existence et à la preuve de la cession ; que leur omission donne lieu à une nullité relative que seul l'acquéreur peut invoquer ; que, pour écarter l'existence d'une cession du fonds de la société Comotion SARL aux termes du contrat conclu le 10 février 1987 avec la société Comotion musique, la cour d'appel a retenu que ce contrat ne comportait pas la mention des énonciations légales prescrites par l'article L. 141-1 du code de commerce et qu'il n'avait pas été soumis à enregistrement, ni notifié à la SACEM ; qu'en se déterminant ainsi par des motifs inopérants pour écarter l'existence d'une cession, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 132-16 du code de la propriété intellectuelle, ensemble de l'article L. 141-1 du code de commerce ;
4°/ qu'en retenant que la société Comotion musique ne démontrait pas avoir obtenu l'autorisation des auteurs en vue de la cession à son profit des contrats d'édition d'oeuvres musicales liant la société Comotion SARL aux membres du groupe Porte mentaux quand cette autorisation, qui n'a pas besoin d'être écrite, peut résulter a posteriori de ce que les auteurs ont sollicité, en exécution de la cession, le paiement d'avances sur leurs redevances éditoriales, la cour d'appel, qui a exclu implicitement mais nécessairement une telle preuve, a violé l'article L. 132-16 du code de la propriété intellectuelle ;
Mais attendu qu'il ne résulte ni de l'arrêt ni des pièces de la procédure que les sociétés Editions du Félin, Comotion musique et César Edition avaient soutenu devant la cour d'appel que la demande en nullité de la convention était prescrite ; que le moyen pris en sa première branche est donc nouveau et mélangé de fait, partant irrecevable ;
Et attendu qu'après avoir souverainement estimé que la société Comotion musique ne démontrait pas avoir obtenu l'autorisation des auteurs en vue de la cession à son profit des contrats d'édition d'oeuvres musicales liant ces derniers à la société Comotion SARL, les juges d'appel, qui n'étaient pas tenus de suivre les parties dans le détail de leur argumentation, ont relevé que l'acte du 10 février 1987 ne portait pas sur l'ensemble des éléments corporels et incorporels composant un fonds de commerce et retenu que cette convention ne pouvait dès lors s'analyser en une vente de fonds de commerce ; qu'ils ont ainsi, abstraction faite du motif surabondant critiqué par la troisième branche du moyen, légalement justifié leur décision de ce chef ;
Mais sur le moyen unique du pourvoi de la société GMF recouvrement, pris en sa quatrième branche :
Vu les articles L. 236-3 et L. 236-22 du code de commerce ;
Attendu que pour déclarer les demandes de la société GMF recouvrement irrecevables pour défaut de qualité à agir, l'arrêt retient que la société BCCM a apporté en juillet 1989 à la société Maxi plus finance, devenue GMF banque, puis GMF recouvrement, « une partie de ses actifs » ; qu'après avoir relevé que, selon l'article 2 du contrat d'apport conclu entre elles le 27 juillet 1989, a été apporté par la société BCCM à la société Maxi plus finance « l'ensemble des branches d'activités bancaires de la BCCM, à l'exception du recouvrement des créances litigieuses », l'arrêt retient encore que les trois créances revendiquées par la société GMF recouvrement, qui lui ont été cédées par la société Comotion suivant bordereaux signifiés à la SACEM respectivement le 24 novembre 1986, le 10 septembre 1987 et le 12 octobre 1987 en contrepartie des contrats de prêts consentis à cette société, ont été qualifiées de créances sérieusement contestables par ordonnance de référé du président du tribunal de grande instance de Nanterre du 26 mai 1989, confirmée par arrêt de la cour d'appel de Versailles du 28 mars 1990, que, dès lors, ces créances étaient incontestablement « litigieuses » à l'époque de la régularisation du contrat d'apport et qu'au demeurant, ces créances litigieuses ne figurent pas expressément sur la liste des actifs apportés par la société BCCM à la société Maxi plus finance, en particulier à la rubrique « crédits à la clientèle » visée au chapitre VI « actif circulant » du contrat d'apport ;
Attendu qu'en se déterminant ainsi, sans rechercher s'il ne résultait pas des stipulations du traité d'apport partiel d'actif du 27 juillet 1989, portant sur la branche d'activité " banque'", approuvé par les assemblées générales mixtes des deux sociétés parties à cette opération, que celle-ci avait été placée sous le régime des scissions, et dès lors si les créances invoquées étaient étrangères à la branche visée par l'opération ou si elles en avaient été exclues par la volonté expresse des parties, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision ;
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs :
Rejette le pourvoi n° G 11-13. 874 ;
Et sur le pourvoi n° Y 11-14. 233 :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il a déclaré irrecevables les demandes de la société GMF recouvrement, l'arrêt rendu le 12 janvier 2011, entre les parties, par la cour d'appel de Versailles ; remet, en conséquence, sur ce point, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Versailles, autrement composée.