CA Paris, 4e ch. B, 23 mars 2008, n° 06/13001
PARIS
Arrêt
Infirmation
PARTIES
Défendeur :
ABTO (Sté)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Girardet
Conseillers :
Mme Regniez, M. Marcus
Avoués :
SCP Bommart-Forster - Fromantin, SCP Roblin - Chaix De Lavarene
Avocats :
Me Sauvage, Me Pierrat, Me de Leusse, Me Kalayan-Drillaud
Il convient de rappeler que la société ABTO est spécialisée dans la commercialisation de parquet et a, sur la page de couverture d'un catalogue, reproduit, sur une photographie présentant du parquet, un fauteuil et d'un canapé créés par Charles Edouard J. dit LE C., par Charlotte P. et par Pierre J..
La Fondation LE C., Mesdames Claude M.-B. et Jacqueline J.-G., ayant droits des auteurs, estimant que la reproduction de ce mobilier, faite sans leur autorisation, était constitutive de contrefaçon, ont assigné la société ABTO, devant le tribunal de grande instance de Paris, par acte du 19 mars 2004.
Par le jugement entrepris, le tribunal de grande instance de Paris a :
- dit que la société ABTO n'a pas commis d'actes de contrefaçon en reproduisant le canapé et le fauteuil créés par Charles Edouard J. dit LE C., par Charlotte P. et par Pierre J. dans la page de couverture de son catalogue,
- débouté en conséquence la FONDATION LE C., Mesdames Claude M.-B. et Jacqueline J.-G. de leurs demandes,
- débouté les parties du surplus de leurs demandes,
- condamné in solidum la Fondation LE C., Mesdames Claude M.-B. et Jacqueline J.-G. en tous les dépens.
Dans ses conclusions du 10 novembre 2006, la Fondation LE C. invite la cour à :
- infirmer le jugement,
- dire que la société ABTO a commis des actes de contrefaçon au préjudice de la Fondation LE C. en reproduisant sans autorisation la photographie litigieuse,
- lui faire interdiction d'exploiter sur tous supports la photographie litigieuse sous astreinte de 2 000 euros par infraction constatée dans un délai de huit jours à compter de la signification de l'arrêt à intervenir,
- la condamner à lui verser la somme de 6 700 euros en réparation du préjudice patrimonial, et la somme de 15 000 euros en réparation du préjudice moral,
- ordonner la publication de la décision à intervenir dans trois journaux ou revues de son choix aux frais de la société ABTO, dans la limite de 5 000 euros par publication,
- la condamner à lui verser la somme de 5000 euros au titre de l'article 700 du (nouveau) code de procédure civile et aux entiers dépens de première instance et d'appel dont le recouvrement sera poursuivi par la SCP BOMMART FORSTER & FROMANTIN, avoué, selon les dispositions de l'article 699 du (nouveau) Code de procédure civile.
Dans leurs dernières conclusions du 6 avril 2007, Mesdames Claude M.-B. et Jacqueline J.-G. demandent à la cour de :
- infirmer le jugement entrepris,
- dire que la société ABTO s'est rendue coupable de contrefaçon au préjudice des appelantes en reproduisant la photographie comprenant le fauteuil et le canapé créés par LE C., Pierre J. et Charlotte P., œuvres de l'esprit, sur un catalogue publicitaire destiné au public,
- lui faire interdiction d'exploiter sur tous supports la photographie litigieuse, sous astreinte de 2 000 euros par infraction constatée, dans les huit jours du prononcé de l'arrêt à intervenir,
- la condamner à verser à Madame Jacqueline J.-G. et à Madame Claude M.-B., la somme de 13 300 euros chacune au titre des droits patrimoniaux, ainsi que la somme de 15 000 euros chacune au titre du préjudice moral ainsi qu'à chacune d'elle celle de 2800 euros par application de l'article 700 du (nouveau) Code de procédure civile et aux entiers dépens que la SCP BOMMART FORSTER & FROMANTIN pourra recouvrer dans les termes de l'article 699 du (nouveau) Code de procédure civile.
Dans ses dernières conclusions du 5 avril 2007, la société ABTO demande à la cour de :
- confirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions, y ajoutant, condamner solidairement les appelantes à lui verser la somme de 7000 euros au titre de l'article 700 du (nouveau) Code de procédure civile,
- à titre subsidiaire, si la cour devait entrer en voie de condamnation, dire que le montant du préjudice n'est pas justifié, constater la suppression du catalogue litigieux et débouter la Fondation LE C. de sa demande de publication du jugement,
- à titre plus subsidiaire, ramener le quantum des condamnations à de plus justes proportions en fonction de la dimension de la société ABTO et des circonstances entourant la prise du cliché,
- en tout état de cause, les condamner au paiement d'une indemnité de 7000 euros au titre de l'article 700 du (nouveau) Code de procédure civile et aux dépens de première instance et d'appel don't le recouvrement sera poursuivi par la SCP ROBLIN CHAIX DE LAVARENE conformément aux dispositions de l'article 699 du (nouveau) Code de procédure civile.
SUR CE, LA COUR
Considérant qu'il est constant que le fauteuil et le canapé figurant sur la photographie incriminée sont des oeuvres créées par Madame P., Messieurs Charles Edouard J. (dit LE C.) et Pierre J. et que les parties appelantes sont les ayants droit des coauteurs ;
Considérant qu'il est également constant qu'en violation des dispositions de l'article L.122-4 du Code de la propriété intellectuelle selon lequel 'toute reproduction intégrale ou partielle faite sans le consentement de l'auteur ou de ses ayants droit ...est illicite', aucune autorisation n'a été demandée par la société ABTO ;
Considérant que le tribunal a rejeté la demande en contrefaçon, estimant, pour l'essentiel, que les meubles représentés sur la photographie incriminée n'étaient qu'un accessoire au regard du reste du cliché et non pas le centre d'intérêt de la photographie, que le but poursuivi par la société ABTO était de représenter le parquet et que, par voie de conséquence, l'autorisation n'avait pas à être demandée aux ayants droit ;
Considérant que les appelantes font essentiellement valoir qu'alors que les premiers juges avaient mis en valeur l'importance des meubles dans la photographie, ils ont, à tort, retenu qu'ils avaient un caractère accessoire, étant rappelé que l'usage à des fins publicitaires d'oeuvres d'art appliqué ne déroge pas au principe général de l'autorisation du titulaire des droits pour exploiter l'oeuvre; qu'elles soulignent également que même si l'oeuvre reproduite est l'accessoire du sujet principal, il est encore nécessaire pour écarter la contrefaçon que la présence de l'oeuvre accessoire n'ait pas été délibérée et qu'en l'espèce, le caractère délibéré de l'utilisation des meubles n'est pas contestable, les meubles contribuant à mettre en valeur le parquet commercialisé par la société ABTO alors qu'il aurait été aisé de les supprimer ;
Considérant que la société ABTO, outre le caractère accessoire retenu par les premiers juges, étant, selon elle, clair et sans ambiguïté que l'objet du cliché est le parquet photographié, insiste également sur le caractère non intentionnel de la reproduction, sur sa bonne foi et sur les fins non publicitaires de la publication, s'agissant d'un 'outil destiné à l'information du client', soutenant encore que des oeuvres des arts appliqués devraient avoir un régime particulier et ne pas être soumises à autorisation préalable lorsque l'usage qui en est fait est conforme à leur destination ;
Considérant, cela exposé, que les exceptions relatives au libre exercice du droit d'auteur s'interprètent restrictivement, étant rappelé que la théorie de l'accessoire a été élaborée principalement en raison des conflits existant entre le droit d'auteur et l'exercice d'autres droits (tel celui du droit à l'information) ;
Considérant qu'en l'occurrence, comme d'ailleurs l'avait relevé le tribunal, la photographie est visuellement découpée en deux parties : la moitié haute plus claire représentant une bibliothèque et un mur blanc comportant une fenêtre et la moitié basse sombre représentant le parquet WENGE et les meubles LE C. ; que ces meubles ne sont ainsi nullement en arrière plan de la photographie mais sont parfaitement identifiables et constituent un élément aussi important que le parquet présenté, les objets en cause participant au caractère luxueux recherché pour présenter les parquets commercialisés par la société ABTO ;
Considérant qu'en l'espèce, le but revendiqué de la photographie, qui, selon la société ABTO, consisterait uniquement dans la mise en valeur du parquet, importe peu dès lors que les meubles qui accompagnent le parquet participent également à cette mise en valeur, la clientèle appréciant l'harmonie d'ensemble et non seulement la beauté du parquet ;
Considérant qu'en outre, même s'il peut être admis que la société ABTO n'a pas eu conscience qu'elle reproduisait des oeuvres protégées, sa responsabilité est néanmoins engagée car il lui appartenait de faire toute diligence pour s'assurer que ces meubles, constituant des oeuvres originales, pouvaient être reproduits sur un dépliant commercial ; que, par ailleurs, si elle n'a pas mis en scène les meubles qui se trouvaient dans le salon du client où la photographie a été prise, elle a, toutefois, procédé à un choix en jugeant préférable de les laisser apparaître sur la photographie ; qu'ainsi, il s'agit non pas d'une reproduction fortuite mais délibérée qui nécessitait l'autorisation des ayants droit ;
Considérant qu'enfin, contrairement à ce que soutient la société ABTO, le catalogue incriminé a un caractère publicitaire dès lors qu'il ne s'agit nullement d'un usage interne mais d'un catalogue mis à la disposition de la clientèle pour présenter les produits proposés et mettre en scène leur installation ; qu'il est indifférent que les oeuvres représentées soient des oeuvres d'art appliqué, ces oeuvres étant protégées par le Livre 1 du Code de la propriété intellectuelle au même titre que les autres oeuvres ;
Considérant en conséquence que le jugement sera infirmé en ce qu'il a retenu que la reproduction des meubles était un élément de décor accessoire qui ne nécessitait aucune autorisation des ayants droit des auteurs ;
Considérant, sur les mesures réparatrices, que les appelantes n'ont pas la même appréciation de leur préjudice mais estiment toutes avoir subi un préjudice moral et patrimonial important, dans la mesure où elles n'autorisent pas d'exploitation des oeuvres à des fins publicitaires et où une telle exploitation banalise les oeuvres reproduites et dans la mesure où le nom des coauteurs n'a pas été mentionné ;
Considérant que la société ABTO soutient qu'il était de la volonté des auteurs eux-mêmes de 'banaliser' leurs créations par une large diffusion et que le comportement des ayants droits qui cherchent à préserver la valeur marchande des meubles, à l'encontre d'une divulgation voulue par les créateurs, est abusif au regard de la pensée des auteurs ; que le principe d'une atteinte au droit patrimonial et au droit moral n'est dès lors pas rapporté ; qu'elle expose, à titre subsidiaire, que les sommes réclamées sont excessives au regard du nombre d'exemplaires diffusés de manière confidentielle, soit 5000, les autres exemplaires imprimés, 25000, ayant été modifiés dès qu'elle a eu connaissance des protestations ;
Considérant que, dès lors que des actes de contrefaçon ont été commis, les auteurs, et en l'occurrence leurs ayants droit sont fondés à demander réparation du préjudice qu'ils ont subi, les principes rappelés par la société ABTO selon lesquels les coauteurs souhaitaient que leurs oeuvres soient largement diffusées - ce qui ne signifiait pas qu'ils autorisaient toute reproduction- étant indifférents ; qu'il convient pour apprécier le préjudice de tenir compte de l'ampleur de la publication ; qu'en l'espèce, comme il en est justifié par la société ABTO, la diffusion litigieuse a été limitée dans le temps et en quantité ; que la documentation ne s'adressait, en outre, qu'à la clientèle de la société ABTO ; qu'il en résulte que le préjudice patrimonial ne saurait avoir l'importance alléguée par les appelantes et sera exactement réparé par l'allocation de la somme de 800 euros à chacun des ayants droit ;
Considérant que les appelantes ont également subi un préjudice moral du fait de la reproduction des oeuvres à des fins publicitaires et de l'absence du nom des auteurs ; que ce préjudice sera réparé par l'allocation à chacun des ayants droit de la somme de 500 euros ;
Considérant que les mesures d'interdiction seront prononcées dans les termes du dispositif ci-dessous énoncé ; que les mesures de publication ne sont pas nécessaires compte tenu du caractère limité de la diffusion ;
Considérant que des raisons d'équité commandent d'allouer à chacune des appelantes la somme de 800 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;
PAR CES MOTIFS :
Infirme le jugement en toutes ses dispositions ;
Statuant à nouveau,
Dit que la société ABTO a commis des actes de contrefaçon en reproduisant sans autorisation une photographie sur laquelle sont représentés un fauteuil et un canapé dont sont coauteurs LE C., Madame P. et Pierre J.,
La condamne à verser à chacune des appelantes, la Fondation LE C., Mesdames M.-B. et J.-G. à titre de dommages et intérêts la somme de 800 euros en réparation du préjudice patrimonial et celle de 500 euros au titre du préjudice moral et au titre de l'article 700 du Code de procédure civile celle de 800 euros,
Fait interdiction à la société ABTO d'exploiter sur tous supports la photographie litigieuse comportant la reproduction du fauteuil et du canapé créés par les coauteurs ci-dessus désignés, sous astreinte de 500 euros par infraction constatée, passé le délai de quinze jours suivant la signification de l'arrêt,
Rejette toutes autres demandes,
Condamne la société ABTO aux entiers dépens que la SCP BOMMART FORSTER et FROMENTIN pourra recouvrer pour les dépens d'appel, dans les termes de l'article 699 du Code de procédure civile.