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Décisions

Cass. com., 7 décembre 2022, n° 21-15.649

COUR DE CASSATION

Arrêt

Cassation

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Vigneau

Rapporteur :

M. Blanc

Avocats :

SARL Delvolvé et Trichet, SCP Gatineau

T. com. Paris, du 12 déc. 2017

12 décembre 2017

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 25 juin 2020), soutenant que la société Carrefour hypermarchés avait, en juin 2015, partiellement rompu de manière brutale la relation commerciale établie qu'elle entretenait avec elle, la société Star's service, qui exerce l'activité de livraison à domicile de produits alimentaires, l'a assignée en réparation de son préjudice.

Examen des moyens

Sur le premier moyen, pris en sa troisième branche

Enoncé du moyen

2. La société Carrefour hypermarchés fait grief à l'arrêt de la déclarer responsable à l'égard de la société Star's service du préjudice résultant de la rupture brutale partielle d'une relation commerciale établie et de la condamner à payer à cette société une certaine somme en réparation du préjudice financier résultant de l'insuffisance du préavis observé, alors « que l'existence d'une relation commerciale établie, au sens de l'article L. 442-6, I, 5°, du code de commerce dans sa rédaction applicable à l'espèce, suppose que la relation entre les parties ait revêtu un caractère suivi, stable et habituel, et que la partie qui se prétend victime de son interruption brutale ait pu légitimement s'attendre pour l'avenir à une certaine continuité de flux d'affaires avec son partenaire commercial ; que tel n'est pas le cas lorsque la relation entre les parties procède de contrats à durée déterminée excluant expressément toute reconduction tacite ainsi qu'une quelconque exclusivité et dont la conclusion intervient en conséquence d'une procédure d'appels d'offres ; que la circonstance d'avoir vu sa candidature retenue au terme d'une procédure d'appel d'offres passée ne peut fonder la croyance légitime d'un contractant en la sélection de sa candidature au terme des appels d'offres susceptibles d'être émis dans le futur, peu important que son partenaire ne l'ait pas expressément informé de sa volonté de recourir systématiquement à ce mode de sélection ; que l'arrêt constate que le contrat conclu le 6 juillet 2012 entre les sociétés Star's service et la société Carrefour hypermarchés dont le non-renouvellement fondait la demande en indemnisation pour rupture abusive, l'avait été au terme d'une procédure d'appel d'offres, qu'il prévoyait la nécessité d'une renégociation à son échéance, qu'il excluait tout renouvellement tacite et ne prévoyait pas d'exclusivité ; que pour dire cependant établie la relation entre la société Carrefour hypermarchés et la société Star's service, la cour d'appel s'est fondée sur les circonstances que la société Star's service avait vu sa candidature retenue par le passé et qu'elle n'avait pas été avisée de ce que son cocontractant recourrait systématiquement à l'avenir à une procédure d'appel d'offres ; qu'en se prononçant par de tels motifs impropres à caractériser l'existence d'une relation établie alors que le caractère précaire de la relation découlait de ses propres constatations, la cour d'appel a violé le texte susvisé. »

Réponse de la Cour

Vu l'article L. 442-6, I, 5°, du code de commerce, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2019-359 du 24 avril 2019 :

3. Selon ce texte, engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait de rompre brutalement une relation commerciale établie, sans préavis écrit tenant compte de la durée de la relation commerciale.

4. Pour juger que la relation entre la société Carrefour hypermarchés et la société Star's service présentait un caractère établi, l'arrêt retient que la succession de contrats à durée déterminée, pour partie renouvelables tacitement, depuis 1999 pour les livraisons concernant les commandes sur le site internet Ooshop et depuis 2007 pour les livraisons depuis les magasins, témoigne d'une relation stable entre ces sociétés pendant de nombreuses années. Il retient ensuite que le recours à une procédure de consultation, en 2006 pour les livraisons de commandes depuis le site Ooshop puis en 2011 pour l'ensemble des livraisons, n'a pu rendre précaire cette relation établie dès lors qu'à la suite de ces deux consultations, la société Star's service a été sélectionnée et que la société Carrefour hypermarchés n'a jamais avisé sa partenaire de son souhait de recourir de manière systématique à une mise en concurrence.

5. En se déterminant ainsi, par des motifs impropres à démontrer le caractère établi, à la date de sa rupture, de la relation commerciale unissant les sociétés Star's service et Carrefour hypermarchés, dès lors que ni le fait que la société Carrefour hypermarchés n'ait pas avisé la société Star's service de son intention de recourir systématiquement à des consultations, ni la sélection de la société Star's service à l'issue des deux premières, n'étaient de nature à écarter le caractère précaire de leur relation, qui résultait de ces mises en concurrence, la cour d'appel a privé sa décision de base légale.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'infirmant le jugement, il dit que les relations entre la société Carrefour hypermarchés et la société Star's service présentaient un caractère établi et que le préavis de douze mois et dix jours observé par la société Carrefour hypermarchés avant la rupture partielle des relations commerciales établies était insuffisant et qu'un préavis de dix-huit mois aurait dû être observé, déclare la société Carrefour hypermarchés responsable à l'égard de la société Star's service du préjudice résultant de la rupture brutale partielle des relations commerciales établies qui lui est imputable, condamne la société Carrefour hypermarchés à régler à la société Star's service une somme de 642 141 euros de dommages et intérêts en réparation du préjudice financier résultant de l'insuffisance du préavis observé et statue sur les dépens et l'application de l'article 700 du code de procédure civile, l'arrêt rendu le 25 juin 2020, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;

Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Paris, autrement composée.