CC, 9 décembre 2022, n° 2022-1029 QPC
CONSEIL CONSTITUTIONNEL
Décision
M. Sami C. [Clause statutaire d'exclusion d'un associé d'une société par actions simplifiée]
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
M. Laurent FABIUS, Président, Mme Jacqueline GOURAULT, M. Alain JUPPÉ, Mmes Corinne LUQUIENS, Véronique MALBEC, MM. Jacques MÉZARD, François PILLET, Michel PINAULT et François SÉNERS
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL A ÉTÉ SAISI le 13 octobre 2022 par la Cour de cassation (chambre commerciale, arrêt n° 699 du 12 octobre 2022), dans les conditions prévues à l'article 61-1 de la Constitution, d'une question prioritaire de constitutionnalité. Cette question a été posée pour M. Sami C. par Me Olivier Dillenschneider, avocat au barreau de Paris. Elle a été enregistrée au secrétariat général du Conseil constitutionnel sous le n° 2022-1029 QPC. Elle est relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit du premier alinéa de l'article L. 227-16 du code de commerce, dans sa rédaction issue de l'ordonnance n° 2000-912 du 18 septembre 2000 relative à la partie législative du code de commerce, et du second alinéa de l'article L. 227-19 du même code, dans sa rédaction résultant la loi n° 2019-744 du 19 juillet 2019 de simplification, de clarification et d'actualisation du droit des sociétés.
Au vu des textes suivants :
la Constitution ;
l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel ;
le code civil ;
le code de commerce ;
l'ordonnance n° 2000-912 du 18 septembre 2000 relative à la partie législative du code de commerce ;
la loi n° 2019-744 du 19 juillet 2019 de simplification, de clarification et d'actualisation du droit des sociétés ;
le règlement du 4 février 2010 sur la procédure suivie devant le Conseil constitutionnel pour les questions prioritaires de constitutionnalité ;
Au vu des pièces suivantes :
les observations présentées pour le requérant par Me Dillenschneider, enregistrées le 25 octobre 2022 ;
les observations présentées pour la société LT Capital et autres, parties au litige à l'occasion duquel la question prioritaire de constitutionnalité a été posée, par la SCP Piwnica et Molinié, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation, enregistrées le même jour ;
les observations présentées par la Première ministre, enregistrées le 26 octobre 2022 ;
les secondes observations présentées pour la société LT Capital et autres par la SCP Piwnica et Molinié, enregistrées le 9 novembre 2022 ;
les secondes observations présentées pour le requérant par Me Dillenschneider, enregistrées le 10 novembre 2022 ;
les autres pièces produites et jointes au dossier ;
Après avoir entendu Me Dillenschneider, pour le requérant, Me Emmanuel Piwnica, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation, pour la société LT Capital et autres, et M. Antoine Pavageau, désigné par la Première ministre, à l'audience publique du 29 novembre 2022 ;
Et après avoir entendu le rapporteur ;
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL S'EST FONDÉ SUR CE QUI SUIT :
1. Le premier alinéa de l'article L. 227-16 du code de commerce, dans sa rédaction issue de l'ordonnance du 18 septembre 2000 mentionnée ci-dessus, prévoit : « Dans les conditions qu'ils déterminent, les statuts peuvent prévoir qu'un associé peut être tenu de céder ses actions ».
2. Le second alinéa de l'article L. 227-19 du même code, dans sa rédaction résultant de la loi du 19 juillet 2019 mentionnée ci-dessus, prévoit : « Les clauses statutaires mentionnées aux articles L. 227-14 et L. 227-16 ne peuvent être adoptées ou modifiées que par une décision prise collectivement par les associés dans les conditions et formes prévues par les statuts ».
3. Le requérant reproche à ces dispositions de permettre qu'un associé soit tenu de céder ses actions en application d'une clause statutaire d'exclusion à laquelle il n'aurait pas consenti. Selon lui, la privation de propriété qui en résulterait pour l'associé exclu ne serait pas justifiée par une nécessité publique légalement constatée, en méconnaissance des exigences de l'article 17 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789. En tout état de cause, ces dispositions porteraient une atteinte disproportionnée au droit de propriété de l'associé, garanti par l'article 2 de la Déclaration de 1789.
4. Par conséquent, la question prioritaire de constitutionnalité porte sur le premier alinéa de l'article L. 227-16 du code de commerce et sur les mots « et L. 227-16 » figurant au second alinéa de l'article L. 227-19 du même code.
5. La propriété figure au nombre des droits de l'homme consacrés par les articles 2 et 17 de la Déclaration de 1789. Aux termes de son article 17 : « La propriété étant un droit inviolable et sacré, nul ne peut en être privé, si ce n'est lorsque la nécessité publique, légalement constatée, l'exige évidemment, et sous la condition d'une juste et préalable indemnité ». En l'absence de privation du droit de propriété au sens de cet article, il résulte néanmoins de l'article 2 de la Déclaration de 1789 que les atteintes portées à ce droit doivent être justifiées par un motif d'intérêt général et proportionnées à l'objectif poursuivi.
6. Les articles L. 227-13 à L. 227-19 du code de commerce sont relatifs aux clauses statutaires d'une société par actions simplifiée fixant les conditions d'acquisition ou de cession de ses actions par les associés. En application des dispositions contestées de l'article L. 227-16 du même code, les statuts de la société peuvent prévoir que, dans certaines conditions, un associé peut être tenu de céder ses actions. Selon les dispositions contestées du second alinéa de l'article L. 227-19 de ce code, une telle clause statutaire d'exclusion peut être adoptée ou modifiée sans recueillir l'unanimité des associés. Il en résulte qu'un associé peut se voir exclu de la société et contraint de céder ses actions, le cas échéant, en application d'une clause d'exclusion à laquelle il n'aurait pas consenti.
7. En premier lieu, ces dispositions ont pour seul objet de permettre à une société par actions simplifiée d'exclure un associé en application d'une clause statutaire. S'il en résulte qu'un associé peut être contraint de céder ses actions, elles n'entraînent donc pas une privation de propriété au sens de l'article 17 de la Déclaration de 1789.
8. En deuxième lieu, en permettant à une société par actions simplifiée de contraindre un associé à céder ses actions, le législateur a entendu garantir la cohésion de son actionnariat et assurer ainsi la poursuite de son activité. Il ressort des travaux préparatoires de la loi du 19 juillet 2019 que, en prévoyant que l'adoption ou la modification d'une clause d'exclusion puisse être décidée sans recueillir l'unanimité des associés, il a également entendu éviter les situations de blocage pouvant résulter de l'opposition de l'associé concerné à une telle clause. Ce faisant, il a poursuivi un objectif d'intérêt général.
9. En troisième lieu, il résulte de la jurisprudence constante de la Cour de cassation que la décision d'exclure un associé ne peut être prise qu'à la suite d'une procédure prévue par les statuts. Elle doit reposer sur un motif, stipulé par ces statuts, conforme à l'intérêt social et à l'ordre public, et ne pas être abusive.
10. En quatrième lieu, l'exclusion de l'associé donne lieu au rachat de ses actions à un prix de cession fixé, selon l'article L. 227-18 du code de commerce, en application de modalités prévues par les statuts de la société, ou, à défaut, soit par un accord entre les parties, soit par un expert désigné dans les conditions prévues à l'article 1843-4 du code civil.
11. En dernier lieu, la décision d'exclusion peut être contestée par l'associé devant le juge, auquel il revient alors de s'assurer de la réalité et de la gravité du motif retenu. L'associé peut également contester le prix de cession de ses actions.
12. Dès lors, les dispositions contestées ne portent pas une atteinte disproportionnée au droit de propriété. Le grief tiré de la méconnaissance de ce droit doit donc être écarté.
13. Par conséquent, ces dispositions, qui ne méconnaissent aucun autre droit ou liberté que la Constitution garantit, doivent être déclarées conformes à la Constitution.
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL DÉCIDE :
Article 1er. - Le premier alinéa de l'article L. 227-16 du code de commerce, dans sa rédaction issue de l'ordonnance n° 2000-912 du 18 septembre 2000 relative à la partie législative du code de commerce, et les mots « et L. 227-16 » figurant au second alinéa de l'article L. 227-19 du même code, dans sa rédaction résultant de la loi n° 2019-744 du 19 juillet 2019 de simplification, de clarification et d'actualisation du droit des sociétés, sont conformes à la Constitution.
Article 2. - Cette décision sera publiée au Journal officiel de la République française et notifiée dans les conditions prévues à l'article 23-11 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée.