Cass. com., 23 juin 2009, n° 08-16.644
COUR DE CASSATION
Arrêt
Rejet
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Favre
Avocats :
SCP Célice, Blancpain et Soltner, SCP Piwnica et Molinié, SCP Vincent et Ohl, SCP Waquet, Farge et Hazan
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Paris, 27 mai 2008), que la société Altran technologies (la société Altran), dont les titres ont été admis aux négociations sur le premier marché d'Euronext Paris en 1998, avait pour dirigeants, en 2001 et 2002, M. X..., président du conseil d'administration, et MM. Y..., Z... et A..., directeurs généraux délégués et administrateurs, M. B... étant l'un des commissaires aux comptes ; qu'après ouverture d'une enquête sur l'information financière et le marché du titre Altran à compter du 31 décembre 2001, la commission spécialisée du collège de l'Autorité des marchés financiers (l'AMF) a adressé des notifications de griefs, sur le fondement des articles L. 621-14 et L. 621-15 du code monétaire et financier et des articles 1 à 4 du règlement n° 98-07 de la Commission des opérations de bourse (la COB), à la société Altran et à ses dirigeants ainsi qu'aux commissaires aux comptes ; qu'à la suite de la révélation de faits délictueux par ces derniers, une information judiciaire a parallèlement été ouverte ; que par décision du 29 mars 2007, la commission des sanctions de l'AMF a prononcé une sanction pécuniaire à l'encontre de la société Altran ainsi que des dirigeants et des commissaires aux comptes ; que la cour d'appel a réformé cette décision en ce qu'elle avait sanctionné les commissaires aux comptes mais a rejeté les recours formés par la société Altran et par MM. X..., Y..., A... et Z... ;
Sur le premier moyen :
Attendu que M. Y... fait grief à l'arrêt d'avoir rejeté son recours en annulation de la décision de l'AMF prononçant contre lui une sanction pécuniaire de 1 000 000 euros alors, selon le moyen :
1° / que dans son mémoire devant la cour d'appel, il soutenait, à l'appui de sa demande d'annulation de la procédure suivie devant la commission des sanctions, que la demande de transmission de pièces, dont le rapporteur était à l'origine, et, par voie de conséquence, la transmission, elle-même, desdites pièces et la notification complémentaire de griefs qui lui avait été adressée, en suite de cette transmission, étaient irrégulières et devaient être annulées ; qu'il indiquait ainsi que l'article L. 621-15 du code monétaire et financier ne permet à l'AMF de demander communication de pièces pénales que lorsqu'elle est directement à l'origine de l'ouverture de la procédure pénale et que, dans cette hypothèse, toutes les pièces relatives aux faits, " objet de la transmission ", doivent être communiquées et que tel n'avait manifestement pas été le cas en l'espèce, de sorte que la communication irrégulière et la notification complémentaire de griefs, qui lui avait été adressée " au vu des nouveaux éléments entrés en procédure, procès-verbaux d'auditions et copies des pièces du dossier de l'information judiciaire " devaient être annulées ; qu'en rejetant, sans aucun motif, cette demande d'annulation, formée par M. Y..., de la transmission des pièces et de la notification complémentaire de griefs qui lui avait été adressée, la cour d'appel a méconnu les exigences de l'article 455 du code de procédure civile ;
2° / que les conditions des exceptions au principe du secret de l'instruction ne peuvent s'interpréter que strictement ; qu'il ressort des termes mêmes de l'article L. 621-15 du code monétaire et financier que seule est envisagée la communication, par le procureur de la République, à l'AMF, de la copie de toute pièce de la procédure pénale lorsque l'action publique a été mise en mouvement suite à la transmission par l'AMF du rapport d'enquête ; qu'à supposer que les motifs de l'arrêt, statuant sur la demande de M. X..., puissent justifier le débouté de la demande de M. Y..., notamment quant à la notification complémentaire de griefs qui lui a été personnellement adressées suite à cette communication, la cour d'appel, en énonçant que " la transmission était de toute façon intervenue dans des conditions régulières, au regard des dispositions de l'article L. 621-15-1 du code monétaire et financier, qui n'imposent pas la condition revendiquée par les requérants, en ce qui concerne la mise en mouvement préalable de l'action publique ", a violé le texte susvisé ;
3° / que dans son mémoire devant la cour d'appel, M. Y... observait que, si la commission des sanctions avait écarté des débats, dans sa décision, les pièces irrégulièrement transmises et la notification de griefs subséquente, elle avait néanmoins, pour fixer le montant de la sanction, pris en considération les griefs notifiés dans cette notification complémentaire, à savoir la prétendue connaissance personnelle qu'aurait eue M. Y... des irrégularités comptables et du caractère inexact de l'information, de sorte que la communication irrégulière des pièces du dossier pénal, ensemble l'absence d'annulation de la seconde notification, lui faisait grief ; qu'à supposer que les motifs de l'arrêt, statuant sur la demande d'annulation formée par M. X..., puissent justifier le débouté de la demande de M. Y..., notamment quant à la notification complémentaire de griefs qui lui a été personnellement adressée, suite à cette communication, la cour d'appel, en se bornant à énoncer, pour dire que les griefs formulés par les requérants étaient inopérants, que la commission des sanctions avait écarté des débats les pièces en question et la notification complémentaire de griefs, sans s'expliquer sur le moyen des conclusions de M. Y..., faisant valoir qu'elle avait pris en compte cette notification de griefs pour déterminer le montant de la sanction, a derechef méconnu les exigences de l'article 455 du code de procédure civile ;
4° / que le droit, pour tout justiciable, à un procès équitable impose le respect par le rapporteur, du principe d'impartialité ; qu'en l'espèce, M. Y... faisait valoir, dans son mémoire, à l'appui de sa demande d'annulation de la procédure conduite devant la commission des sanctions, que M. J..., rapporteur initialement désigné, avait saisi le président de l'AMF en vue d'obtenir la transmission des éléments du dossier pénal " susceptibles de démontrer la culpabilité à l'encontre de MM. Y... et X... " et indiquait que, ce faisant, le rapporteur avait préjugé de la participation de M. Y... aux irrégularités commises au sein du groupe Altran, au mépris de la présomption d'innocence et du principe d'impartialité auquel il était tenu ; qu'en se bornant, pour dire régulière la procédure suivie devant la commission des sanctions, à constater que les pièces pénales litigieuses et la notification complémentaire de griefs avaient été écartées par la commission des sanctions, sans s'expliquer sur le moyen tiré de l'atteinte, par le rapporteur, qui a préjugé de la culpabilité de M. Y..., à la présomption d'innocence, ensemble le droit à être jugé par un tribunal impartial, la cour d'appel a encore méconnu les exigences de l'article 455 du code de procédure civile ;
Mais attendu, en premier lieu, qu'ayant relevé que la commission des sanctions avait écarté des débats les pièces litigieuses ainsi que la notification complémentaire de griefs ayant suivi leur transmission, c'est par une décision motivée et sans avoir à répondre au moyen dès lors inopérant visé par la quatrième branche que la cour d'appel a retenu, abstraction faite du motif surabondant critiqué par la deuxième branche, que les griefs formulés à cet égard par les requérants étaient inopérants ;
Et attendu, en second lieu, qu'ayant retenu, sans se référer à la connaissance personnelle qu'aurait eue M. Y... des irrégularités comptables et du caractère inexact de l'information, que les sanctions prononcées par la commission des sanctions à l'encontre de chacun des requérants avaient pris en considération la gravité des manquements à la bonne information du public, la cour d'appel a ainsi répondu au moyen visé par la troisième branche ;
D'où il suit que le moyen, qui ne peut être accueilli en sa deuxième branche, n'est pas fondé pour le surplus ;
Sur le deuxième moyen :
Attendu que M. Y... fait le même grief à l'arrêt alors, selon le moyen, que le droit effectif, pour tout justiciable, d'être jugé par un tribunal impartial s'impose également au rapporteur ; que méconnaît ce principe d'impartialité, la décision de sanction rendue par une autorité administrative, au vu d'un rapport remis par une personne dont les intérêts n'étaient pas objectivement étrangers au dossier, peu important, à cet égard que les termes du rapport litigieux aient été ultérieurement adoptés par le successeur de son auteur ou que les mentions du rapport ne laissent pas présumer de la partialité de son auteur ; qu'en en jugeant autrement, pour débouter les requérants de leur demande de nullité de la procédure suivie devant la commission des sanctions, ensemble la décision prononcée à leur encontre, la cour d'appel a violé l'article 6 § 1 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
Mais attendu qu'après avoir relevé que la société Matignon développement 3, contrôlée indirectement par la société Axa investment managers, société dont M. H... rapporteur ayant succédé à M. J... courant 2006, était administrateur et vice-président, détenait depuis le mois de novembre 2005 une participation dans le capital de la société Altran inférieure à 5 % et qu'elle a franchi ce seuil à la hausse le 19 octobre 2006, l'arrêt retient que M. H... qui avait déposé son rapport le 19 octobre 2006, a demandé à être déchargé du dossier aussitôt qu'il a appris l'existence de cette participation ; que de ces constatations, desquelles il résulte que le lien existant, pendant l'exercice de ses fonctions de rapporteur, entre M. H... et la société Altran, présentait un caractère indirect, lointain et ténu et que le rapport au vu duquel avait statué la commission des sanctions n'avait pas été élaboré dans des conditions de nature à susciter un doute légitime quant à l'impartialité de ses auteurs, la cour d'appel a exactement déduit que les critiques formulées à cet égard étaient vaines ; que le moyen n'est pas fondé ;
Sur le troisième moyen :
Attendu que M. Y... fait encore le même grief à l'arrêt alors, selon le moyen :
1° / que le principe de la légalité des délits et des peines, ensemble la rétroactivité des lois pénales plus douces, exclut qu'une sanction puisse être prononcée à l'encontre d'une personne sur le fondement d'un texte abrogé pendant le temps de la poursuite ; que le texte de l'article 222-1 du règlement général de l'AMF, tel qu'issu de l'arrêté du 4 janvier 2007, abrogeant et remplaçant l'article 1er du règlement COB n° 98-07, a supprimé l'application aux " dirigeants de l'émetteur, de l'entité ou de la personne morale concernée " des dispositions relatives à l'obligation d'information du public, laquelle n'a été rétablie que par l'arrêté du 26 février 2007 ; qu'il s'ensuit que les dirigeants de la société Altran ne pouvaient plus être sanctionnés, ès qualités, du seul fait d'un manquement à l'obligation de délivrer au public une information exacte, sincère et non trompeuse ; qu'en en jugeant autrement, au motif inopérant qu'il résultait de la combinaison des articles L. 621-14 et L. 621-15 du code monétaire et financier, de l'article 632-1 du règlement général de l'AMF et de l'article 1er du règlement COB n° 98-07, alors applicable, qu'une sanction pécuniaire pouvait être prononcée à l'encontre de toute personne physique ou morale ayant manqué aux obligations d'informtion du public définies par ce règlement, la cour d'appel a violé l'article 7 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme, ensemble l'article 8 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen ;
2° / qu'un dirigeant ne peut se voir sanctionner du fait d'un manquement à l'obligation de bonne information du public qu'à la condition qu'il soit établi qu'il a communiqué au public une information non conforme aux exigences d'exactitude, de précision et de sincérité requises ; qu'en l'espèce, M. Y..., simple directeur général délégué faisait valoir qu'il n'était, à l'époque des faits litigieux, en charge ni de la comptabilité du groupe, ni de la communication financière, de sorte qu'il ne pouvait se voir imputer les manquements relatifs aux informations en cause ; qu'en se bornant, pour sanctionner M. Y..., à affirmer que, directeur général délégué et administrateur, il était dans l'obligation, relevant nécessairement de sa fonction, de veiller au respect des dispositions du code monétaire et financier et du règlement COB n° 98-07 sur la qualité de l'information communiquée au public, sans rechercher quelle était l'étendue de la délégation accordée à M. Y... et son pouvoir effectif quant à l'initiative et au contrôle de la communication financière de la société, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 222-1 du règlement général de l'AMF, ensemble l'article L. 621-15 du code monétaire et financier ;
3° / que dans la décision entreprise, la commission des sanctions a écarté des débats la notification de griefs qui, seule, visait un manquement personnel de M. Y..., en ce qu'il aurait effectivement connu, du fait de son appartenance au comité des directeurs et de sa participation hebdomadaire aux " boards ", l'existence des irrégularités comptables et le caractère inexact et trompeur de l'information délivrée au public ; que, dès lors, était uniquement en débat, devant la cour d'appel, la question de savoir si M. Y... avait, en sa qualité de dirigeant, communiqué une information au public dont il aurait dû savoir qu'elle était inexacte et trompeuse ; qu'en retenant, néanmoins, pour dire que le manquement était imputable à M. Y..., que ce dernier était membre du CODIR, lequel avait pour objet d'examiner, toutes les semaines, les questions relatives au groupe et à sa gestion, dont le développement, le chiffre d'affaires, les comptes et la communication, que cette réunion hebdomadaire était suivie de " boards " auxquels participaient non seulement les directeurs opérationnels du groupe mais encore M. X... et M. Y... et qu'il ressortait des déclarations, non démenties, de M. A... que, d'une part, M. Y... était, au sein du groupe, l'homme des chiffres et que, d'autre part, toutes les décisions étaient prises collégialement par le comité de direction auquel il participait, de sorte qu'il ne pouvait ignorer les majorations fictives du chiffre d'affaires et le caractère inexact des informations délivrées, la cour d'appel a méconnu les limites de la saisine et violé l'article L. 621-15 du code monétaire et financier, ensemble l'article 6 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
4° / que dans son mémoire devant la cour d'appel, M. Y... indiquait expressément que les dépositions de MM. A... et C... s'inscrivaient dans une stratégie concertée visant à minimiser leur responsabilité en tentant d'imputer aux autres dirigeants la décision de création d'un chiffre d'affaires fictif, que la lecture de l'ensemble des dépositions versées à la procédure de sanction, autres que celles de MM. A... et C..., révélait qu'aucune des personnes entendues, tant par le magistrat instructeur que par l'AMF ne prétendait que M. Y... avait connaissance des irrégularités relevées, que le CODIR n'avait pour but que de fixer les grandes orientations stratégiques du groupe et de discuter de son évolution, que les chiffres qui y étaient évoqués étaient présentés et élaborés par MM. A... et C..., qu'il n'y était décidé ni d'objectifs à atteindre, ni de création de chiffre d'affaires fictif et qu'il ressortait de l'ensemble des dépositions des dirigeants de filiales, versées au dossier de l'AMF, qu'il n'avait à aucun moment été question, lors des " boards " auxquels participait M. Y..., de création de chiffre d'affaires fictif ; qu'en énonçant, néanmoins, pour retenir la connaissance personnelle que ce dernier aurait eue du caractère inexact des informations délivrées au public, que les déclarations de M. A... n'avaient jamais été démenties par les autres requérants, la cour d'appel a dénaturé le mémoire de M. Y... qui lui était soumis, et violé l'article 4 du code de procédure civile ;
Mais attendu, en premier lieu, qu'ayant exactement énoncé qu'il résulte de la combinaison des articles L. 621-14 et L. 621-15 du code monétaire et financier, dans leur rédaction applicable à l'époque des faits, de l'article 632-1 du règlement général de l'AMF et de l'article 1er du règlement n° 98-07 de la COB, alors applicable, qu'une sanction pécuniaire peut être prononcée à l'encontre de toute personne, physique ou morale, ayant manqué aux obligations d'information du public définies par ce règlement, la cour d'appel a retenu à bon droit, sans méconnaître les textes et principes invoqués par la première branche, que M. Y... pouvait être sanctionné au titre des manquements commis par lui, en sa qualité de dirigeant de la société Altran, aux obligations d'information imposées à celle-ci ;
Attendu, en deuxième lieu, que l'arrêt relève que M. Y..., directeur général délégué de la société Altran, participait, avec les autres dirigeants, aux réunions hebdomadaires du comité de direction, qu'il présidait avec M. X..., que ce comité prenait collégialement les décisions pour le groupe et qu'il avait pour objet d'examiner les questions relatives au groupe et à sa gestion, dont le développement, le chiffre d'affaires, les comptes et la communication ; qu'après avoir retenu que M. Y... était dans l'obligation, relevant de ses fonctions, de veiller au respect des dispositions du code monétaire et financier et du règlement n° 98-07 de la COB sur la qualité de l'information délivrée au public par la société, l'arrêt relève encore qu'il n'allègue pas que des circonstances particulières l'auraient privé de l'exercice total ou partiel de ces fonctions, justifiant qu'il ait légitimement ignoré le caractère fallacieux des informations délivrées, et retient qu'il en résulte que M. Y... devait normalement savoir que le chiffre d'affaires avait été artificiellement majoré et que l'information délivrée au public était inexacte ; qu'en l'état de ces constatations et appréciations desquelles il résulte que M. Y... avait participé aux décisions relatives à la communication d'informations inexactes ou trompeuses alors qu'il aurait dû savoir que ces informations présentaient un caractère fallacieux, la cour d'appel a légalement justifié sa décision ;
Et attendu, en troisième lieu, que, contrairement à ce que soutiennent les deux dernières branches, la cour d'appel n'a pas retenu que M. Y... avait eu personnellement une connaissance effective du caractère inexact et trompeur des informations délivrées ;
D'où il suit que le moyen, qui manque en fait en ses deux dernières branches, n'est pas fondé pour le surplus ;
Et attendu que le quatrième moyen ne serait pas de nature à permettre l'admission du pourvoi ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi.