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Décisions

Cass. 2e civ., 30 janvier 2020, n° 18-14.542

COUR DE CASSATION

Arrêt

Cassation

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Pireyre

Rapporteur :

Mme Leroy-Gissinger

Avocat général :

M. Girard

Avocats :

SCP Célice, Texidor, Périer, SCP Fabiani, Luc-Thaler et Pinatel

Paris, du 1 févr. 2018

1 février 2018

Attendu, selon l'arrêt attaqué et les productions, qu'agissant sur le fondement d'une sentence arbitrale exécutoire du 24 avril 2014, M. T... a fait pratiquer deux saisies-attributions entre les mains de la BNP Paribas et de la Société générale au préjudice de la société T... R... et associés (la société) ; que la sentence arbitrale avait débouté M. T... de sa demande de paiement immédiat de la somme de 190 000 euros au titre d'un « reliquat de salaires et charges » qui lui était dû pour une période antérieure au 31 décembre 2011 mais avait indiqué que cette somme devrait lui être payée par la société, au plus tard le 31 décembre 2015, et que M. F... restait garant de ce paiement, conformément à l'engagement de caution personnelle et solidaire signé le 15 février 2012 ; que la société et M. F... ont contesté ces mesures devant un juge de l'exécution, en soutenant, notamment, que la sentence arbitrale ne constatait pas une créance exigible et que devaient être déduites de la somme due les charges patronales ainsi que des salaires versés en exécution d'un contrat de travail conclu le 2 mars 2012 entre la société et M. T... ;

Attendu qu'il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur la sixième branche du moyen unique, annexé, qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation ;

Sur le moyen unique du pourvoi, pris en sa première branche, qui est recevable :

Attendu que la société et M. F... font grief à l'arrêt de les débouter de leur demande de mainlevée des deux saisies-attributions pratiquées le 11 mars 2016, de cantonner le montant de celles-ci à la somme en principal de 151 834,93 euros - compte non tenu du paiement effectué le 11 juillet 2017 pour un montant de 20 000 euros, et non à celle de 23 142,31 euros demandée par eux - et de les débouter de leurs autres demandes, alors, selon le moyen, que seul un créancier muni d'un titre exécutoire constatant une créance liquide et exigible peut, pour en obtenir le paiement, saisir entre les mains d'un tiers les créances de son débiteur portant sur une somme d'argent ; qu'il est constant que la sentence arbitrale rendue le 24 avril 2014 avait débouté M. T... de sa demande de paiement immédiat du reliquat de salaires et charges et « confirm[é] que la somme de 190 000 euros (salaires et charges sociales) incluses devra bien être réglée par la société TVA, au plus tard le 31 décembre 2015 »; qu'ainsi, à la date à laquelle la sentence arbitrale avait été rendue, soit le 24 avril 2014, la créance de salaires et charges de M. T... à l'égard de la société TVA n'était pas exigible ; que, partant, cette sentence ne constituait pas un titre exécutoire permettant à M. T... de faire pratiquer des saisies-attributions à l'encontre de la société TVA pour en obtenir le paiement ; qu'en jugeant le contraire, la cour d'appel a violé les articles L. 111-2 et L. 211-1 du code des procédures civiles d'exécution ;

Mais attendu que la sentence arbitrale, qui constatait une créance à terme, constituait un titre exécutoire permettant l'engagement d'une procédure d'exécution forcée, une fois le terme échu ;

D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;

Sur le moyen unique, pris en sa deuxième branche :

Attendu que la société et M. F... font encore le même grief à l'arrêt alors, selon le moyen, que les cotisations patronales sur les salaires doivent être payées par l'employeur aux organismes sociaux, et non au salarié ; qu'en rejetant la demande des exposants tendant à ce que les charges patronales soient déduites de la somme de 190 000 euros mentionnée dans la sentence arbitrale du 24 avril 2014 comme étant « charges sociales incluses », au motif que les charges patronales incombaient à l'employeur et ne pouvaient dès lors être déduites de la somme dont le salarié était créancier, quand ce dernier n'était pas créancier de ces charges, la cour d'appel a violé les articles L.241-1 et suivants du code de la sécurité sociale, dans leur rédaction applicable au litige, ensemble les articles L. 211-1 et suivants du code des procédures civiles d'exécution ;

Mais attendu que la cour d'appel n'a pas dit que M. T... était créancier des charges patronales, mais, interprétant souverainement la sentence arbitrale, a considéré qu'elle comportait une condamnation de laquelle seules les charges salariales devaient être retranchées ;

D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;

Sur les troisième, quatrième et cinquième branches du moyen unique, telles que reproduites en annexe :

Attendu que la société et M. F... font encore le même grief à l'arrêt ;

Mais attendu qu'il incombe au demandeur de présenter dès l'instance relative à la première demande l'ensemble des moyens qu'il estime de nature à fonder celle-ci ; que c'est donc à bon droit que la cour d'appel, qui a fait une application implicite de ce principe, a retenu que l'autorité de la chose jugée par le tribunal arbitral s'opposait à la déduction des salaires versés en vertu du contrat conclu le 2 mars 2012 de la somme de 190 000 euros retenue par ce tribunal comme devant être payée à M. T... au plus tard le 31 décembre 2015 dès lors que la société et M. F... n'avaient pas invoqué cette déduction, devant le tribunal arbitral, alors que celui-ci statuait après leur versement ;

D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;

Mais sur le moyen unique pris en sa septième branche :

Vu l'article 562 du code de procédure civile ;

Attendu que les juges d'appel ne peuvent aggraver le sort de l'appelant sur son seul appel, en l'absence d'appel incident de l'intimé ;

Attendu que l'arrêt cantonne le montant des saisies-attributions pratiquées le 11 mars 2016 à la somme en principal de 151 834,93 euros, compte non tenu du paiement effectué le 11 juillet 2017, soit postérieurement au jugement, pour un montant de 20 000 euros, alors que le jugement les avait cantonnées à la somme de 148 255,64 euros ;

Qu'en statuant ainsi, alors que l'appel avait été interjeté par la société et M. F... et que le dispositif des conclusions de M. T... ne comportait aucun appel incident, la cour d'appel a violé l'article susvisé ;

Et vu l'article L.411-3, alinéa 1er, du code de l'organisation judiciaire, et l'article 627 du code de procédure civile, après avis donné aux parties en application de l'article 1015 du même code ;

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il ne confirme pas le jugement du chef du montant du cantonnement des saisies et cantonne le montant des saisies-attributions à la somme en principal de 151 834,93 euros, compte non tenu du paiement effectué le 11 juillet 2017 pour un montant de 20 000 euros, l'arrêt rendu le 1er février 2018, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;

DIT n'y avoir lieu à renvoi ;

Confirme le jugement en ce qu'il cantonne les deux saisies-attributions réalisées le 11 mars 2016 auprès de la Société générale et de la BNP Paribas à la requête de M. T... à l'encontre de la société T..., R... et associés sur le fondement de la sentence arbitrale de l'ordre des experts comptables du 24 avril 2014 à la somme de 148 255,64 euros en principal, intérêts et frais.