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Décisions

Cass. crim., 6 juin 2007, n° 06-86.520

COUR DE CASSATION

Arrêt

Rejet

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Dulin

Rapporteur :

Mme Nocquet

Avocat général :

M. Fréchède

Avocats :

SCP Delaporte, Briard et Trichet, Me Bouthors, SCP Piwnica et Molinié

Paris, 6e sect., du 4 avr. 2006

4 avril 2006

Vu les mémoires produits en demande et en défense ;

Sur la recevabilité des mémoires en défense de Pierre Y..., Marc Z... et Guy A... ;

Attendu que, n'étant pas partie à la procédure, les témoins assistés ne tirent d'aucune disposition légale la faculté de déposer un mémoire ; que, dès lors, les mémoires produits par ceux-ci sont irrecevables ;

Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure que l'ordonnance de refus d'informer des chefs de diffusion d'informations fausses ou trompeuses sur la situation d'un émetteur de titres, présentation de comptes inexacts, faux et abus de biens sociaux rendue par le juge d'instruction saisi de la plainte avec constitution de partie civile d'Alain X..., actionnaire de la société Alcatel, a été infirmée par la chambre d'accusation, qui a dit y avoir lieu à instruire sur ces trois derniers délits ; qu'à l'issue de l'information, a été rendue une ordonnance de non-lieu qui a été confirmée par la chambre de l'instruction ;

En cet état ;

Sur le premier moyen de cassation, pris de la violation des articles 575, alinéa 2, 3 , et 593 du code de procédure pénale, L. 225-38, L. 225-40 et L. 242-6 du code de commerce, 6 1 de la Convention européenne des droits de l'homme, défaut de motifs et manque de base légale ;

" en ce que l'arrêt attaqué a dit n'y avoir lieu à suivre du chef d'abus de biens sociaux et recel au titre de la cession par Pierre Y... à la société Alcatel de ses actions dans la société Alcatel NV ;

"aux motifs que, s'agissant de l'attribution à Pierre Y... de 105 600 options de souscription d'actions Alcatel NV exerçables au prix unitaire de 100 euros, celle-ci a eu lieu en vertu d'un plan du 9 janvier 1988 concernant 88 hauts cadres du groupe répartis dans le monde entier ; que Pierre Y..., qui a bénéficié de 13 % du nombre total d'options allouées, a exercé 100.000 de ces options entre le 9 janvier 1991 et le 6 janvier 1994 et a, en vertu de la convention de liquidité consentie à tous les attributaires d'options dans le cadre de ce plan, cédé ces titres aux sociétés du groupe Alcatel ; que ces faits, qui n'ont jamais été dissimulés, étaient donc, à les supposer constitutifs d'abus de biens sociaux, prescrits lors du dépôt de la plainte avec constitution de partie civile, plus de 3 ans après leur commission ;

"alors, en premier lieu, que dans son mémoire devant la chambre de l'instruction, Pierre Y... n'invoquait la prescription de l'action publique que pour les délits de présentation de comptes inexacts et d'abus de biens sociaux concernant les indemnités et avantages en nature perçus lors de son départ ; qu'en relevant d'office la prescription de l'action publique concernant le délit d'abus de biens sociaux résultant de l'attribution d'options de souscription d'actions de la société Alcatel NV à Pierre Y... sans inviter les parties, et notamment la partie civile, à produire leurs observations sur ce moyen, la chambre de l'instruction a violé les textes susvisés et le principe du procès équitable ;

"alors, en deuxième lieu, que la commission du délit d'abus de biens sociaux dénoncé par Alain X... dans sa plainte avec constitution de partie civile du 16 juin 1999 résultait non pas du fait que Pierre Y... avait exercé à certaines dates ses options de souscription d'actions de la société Alcatel NV, filiale de la société Alcatel non cotée en bourse, mais qu'à une date ultérieure, il avait revendu ses titres à la SA Alcatel, dont il était le président directeur général, en fixant lui-même le prix de cession, réalisant ainsi une plus-value de 32,4 millions de francs ; qu'en fixant le point de départ de la prescription au plus tard au 6 janvier 1994, date d'exercice de ses options par Pierre Y..., sans rechercher à quelle date les titres ainsi acquis avaient été revendus à Alcatel, la chambre de l'instruction n'a pas légalement justifié sa décision ;

"alors, en troisième lieu, qu'en toute hypothèse, la prescription du délit d'abus de biens sociaux ne court en principe que du jour de l'assemblée générale au cours de laquelle ont été présentés les comptes annuels par lesquels les dépenses litigieuses ont été indûment mises à la charge de la société, sauf dissimulation ; qu'en déclarant l'action publique prescrite du chef des options de souscription d'actions de la société Alcatel NV en retenant que Pierre Y... avait exercé ces options entre 1991 et 1994 et qu'il n'y avait pas eu dissimulation, sans rechercher à quelle(s) date(s) l'assemblée générale de la société Alcatel avait statué sur les comptes annuels faisant apparaître les plus-values réalisées par son dirigeant, la chambre de l'instruction n'a pas légalement justifié sa décision ;

"alors, en quatrième lieu, que lorsque l'abus de biens sociaux trouve son siège dans une convention réglementée pour laquelle la loi exige l'autorisation préalable du conseil d'administration et un rapport spécial des commissaires aux comptes, la prescription ne peut courir qu'à compter de la date de ce rapport, quelle que soit l'information reçue auparavant par les actionnaires ; qu'en l'espèce, comme le faisait valoir expressément Alain X..., dans son mémoire devant la chambre de l'instruction, le rachat par la SA Alcatel des actions de la société Alcatel NV détenues par son dirigeant constituait une convention réglementée qui n'avait fait l'objet d'aucun rapport spécial des commissaires aux comptes ; qu'en déclarant néanmoins l'action publique prescrite, la chambre de l'instruction a violé les textes susvisés" ;

Attendu que, pour constater l'extinction de l'action publique engagée à la suite de l'attribution, le 8 janvier 1988, d'options de souscription d'actions à Pierre Y..., qui a exercé ces options entre le 9 janvier 1991 et le 6 janvier 1994, puis a cédé les titres aux sociétés du groupe Alcatel, l'arrêt attaqué énonce que ces faits, qui n'ont jamais été dissimulés, étaient, "à les supposer constitutifs d'abus de biens sociaux, prescrits lors du dépôt de la plainte avec constitution de partie civile", intervenu plus de trois ans après leur commission ;

Attendu qu'en l'état de ces énonciations, d'où il résulte que les faits sont apparus dès leur commission, la chambre de l'instruction a justifié sa décision ;

D'où il suit que le moyen, inopérant en sa première branche, la prescription de l'action publique constituant une exception d'ordre public qui peut être relevée d'office, ne saurait être admis ;

Sur le deuxième moyen de cassation, pris de la violation des articles 86, 575, alinéa 2, 1 et 5 , et 593 du code de procédure pénale, L. 465-2 et L. 465-1 du code monétaire et financier, défaut de motifs et manque de base légale ;

"en ce que l'arrêt attaqué a dit n'y avoir lieu à suivre du chef de diffusion d'informations fausses ou trompeuses sur la situation d'un émetteur de titres ;

"aux motifs que le juge d'instruction n'a à instruire que sur les faits expressément indiqués dans l'acte qui le saisit ; qu'en l'espèce, si, dans sa plainte initiale, Alain X... a mentionné le délit d'information fausse ou trompeuse sur la situation d'un émetteur de titres, force est de constater qu'il n'y a relaté aucun fait de publication ou de diffusion d'information fausse ou trompeuse, qu'il ne précise ni quelles sont les informations trompeuses ni les modalités et la date de leur diffusion ; qu'entendu par le doyen des juges d'instruction il a indiqué avoir visé le délit de faux pour pouvoir atteindre les comptes consolidés ; qu'il n'a pas fait état de la qualification de diffusion d'informations fausses ou trompeuses sur la situation d'un émetteur de titres, qualification qui, en conséquence, n'a pas davantage été visée par l'arrêt de la chambre d'accusation ayant infirmé l'ordonnance de refus d'informer ; qu'il s'ensuit que le juge d'instruction n'ayant pas été saisi de faits de diffusion d'informations fausses ou trompeuses sur la situation d'un émetteur de titres, la partie civile ne saurait, dans son mémoire, reprocher au juge d'instruction de ne pas avoir respecté les dispositions de l'article 12-1 de l'ordonnance du 28 septembre 1967 devenu L. 466-1 du Code monétaire et financier en ne sollicitant pas l'avis de la COB ou de l'AMF ;

"alors que la chambre de l'instruction doit se prononcer sur chacun des faits dénoncés par la plainte avec constitution de partie civile ; qu'en l'espèce, Alain X... dénonçait expressément dans sa plainte avec constitution de partie civile du 16 juin 1999 la présentation aux actionnaires d'Alcatel, lors de l'assemblée générale du 20 juin 1996, de comptes consolidés inexacts pour l'exercice 1995 ; que de tels faits, qui ne pouvaient être poursuivis sous la qualification de comptes annuels inexacts, constituaient le délit de diffusion de fausses informations sur la situation d'un émetteur de titres ; que la chambre de l'instruction, qui a omis de se prononcer sur ces faits expressément visés par la plainte d'Alain X..., a violé les textes susvisés" ;

Attendu que, pour constater que le juge d'instruction n'était pas saisi du délit de diffusion d'informations fausses ou trompeuses sur la situation d'un émetteur de titres, l'arrêt énonce que, si dans sa plainte initiale Alain X... a effectivement mentionné ce délit, il n'a, en revanche, relaté aucun fait susceptible de caractériser une telle infraction ; que les juges ajoutent qu'il a ultérieurement précisé que, s'agissant des comptes consolidés, il avait visé le délit de faux ;

Attendu qu'en l'état de ces énonciations, et dès lors qu'elle s'est prononcée sur les comptes consolidés prétendument inexacts, la chambre de l'instruction a justifié sa décision ;

D'où il suit que le moyen ne peut être accueilli ;

Sur le troisième moyen de cassation, pris de la violation des articles 575, alinéa 2, 6 , 593 du code de procédure pénale, et L. 242-6 du code de commerce ;

"en ce que l'arrêt attaqué a dit n'y avoir lieu à suivre du chef d'abus de biens sociaux concernant les conditions financières du départ de Pierre Y... ;

"aux motifs que, s'il peut se comprendre que l'ancien dirigeant d'un grand groupe conserve, après la démission de ses fonctions de dirigeant, la disposition d'un bureau, d'une voiture et d'un chauffeur, c'est à la condition qu'il exerce tout au long de cette mise à disposition des activités effectives au sein du groupe justifiant ces mises à dispositions, or tel n'a pas été le cas en l'espèce, puisque Pierre Y... était, par l'effet de la mesure de contrôle judiciaire empêché d'exercer toute fonction au sein du groupe ; que la prise en charge par Alcatel des frais d'avocat exposés par Pierre Y... au titre des poursuites engagées à son encontre du chef d'abus de biens sociaux commis au préjudice de cette société en raison des travaux dits de sécurité effectués à son domicile personnel paraît contraire à l'intérêt social d'Alcatel, et ce d'autant que Pierre Y... a été définitivement condamné pour ces faits ; qu'il en va de même de l'avance du cautionnement imposé à Pierre Y..., qui n'aurait jamais dû être avancé par Alcatel ; que toutefois, Pierre Y... n'était ni présent ni représenté lors du conseil d'administration ayant adopté ces dispositions ; qu'il n'apparaît pas que les onze membres du conseil d'administration présents et les deux membres représentés, qui ont adopté cette décision à l'unanimité, auraient agi dans un intérêt personnel ou

dans l'intérêt personnel même indirect de l'un d'eux ou encore de mauvaise foi ; qu'en effet ces décisions, prises par treize personnes en présence de trois délégués du comité d'entreprise, n'ont en aucun cas été dissimulées ; que les dirigeants de la société Alcatel, comme le commissaire aux comptes, ont considéré que ces rémunérations, qui ne rétribuaient pas une mission particulière, ne relevaient pas de l'article 101 de la loi du 24 juillet 1966, mais de l'article 110 de cette même loi ; que le non-respect des dispositions de l'article 101 n'est pas pénalement sanctionné ; qu'aucune intention frauduleuse ne saurait se déduire du fait que ces rémunérations résultant pour partie de conventions préalables n'ont pas été mentionnées dans le rapport spécial du commissaire aux comptes ; qu'en outre, rien ne permet de penser que ces décisions collectives auraient, comme le soutient la partie civile, eu pour but d'entretenir de bonnes relations avec Pierre Y... ou de créer un précédent favorable pour son successeur, Serge Tchuruk qui, nommé le même jour mais postérieurement à cette décision, et à un âge relativement jeune, dans une situation de crise, n'a pas voté ;

qu'il résulte au contraire du procès-verbal du conseil que l'objectif essentiel était, non pas de préparer les conditions de départ du nouveau président, mais de redonner le moral à un personnel désorienté par les affaires judiciaires et médiatiques et de créer une commission d'audit des comptes ;

" alors qu'à moins qu'il soit justifié de leur utilisation dans le seul intérêt de la société, les fonds sociaux prélevés de manière occulte par les dirigeants l'ont nécessairement été dans leur intérêt personnel, direct ou indirect ; qu'en énonçant, en l'espèce, que les décisions prises par le conseil d'administration le 22 juin 1995 d'accorder divers avantages financiers et en nature à son ancien président Pierre Y..., bien que contraires à l'intérêt social, n'étaient pas constitutives d'abus de biens sociaux dès lors qu'elles n'avaient pas été dissimulées et n'avaient pas été prises dans l'intérêt personnel de ses membres, tout en constatant qu'elles n'avaient pas été mentionnées dans le rapport spécial du commissaire aux comptes, ce qui caractérisait en soi leur dissimulation, la chambre de l'instruction a entaché sa décision de contradiction, laquelle ne satisfait pas en la forme aux conditions essentielles de son existence légale" ;

Attendu que les énonciations de l'arrêt attaqué mettent la Cour de cassation en mesure de s'assurer que, pour confirmer l'ordonnance de non-lieu entreprise, la chambre de l'instruction, après avoir analysé les autres faits dénoncés dans la plainte et répondu aux articulations essentielles du mémoire produit par la partie civile appelante, a exposé les motifs pour lesquels elle a estimé qu'il n'existait pas de charges suffisantes contre quiconque d'avoir commis le délit d'abus de biens sociaux reproché, ni toute autre infraction ;

Que le demandeur se borne à critiquer ces motifs, sans justifier d'aucun des griefs que l'article 575 du code de procédure pénale autorise la partie civile à formuler en l'absence de recours du ministère public ;

Que, dès lors, le moyen est irrecevable ;

Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme ;

REJETTE le pourvoi ;

Attendu que la condamnation prévue par l'article 618-1 du code de procédure pénale ne pouvant être prononcée que contre l'auteur de l'infraction, la demande faite à ce titre par la partie civile n'est pas recevable ;

DECLARE IRRECEVABLE la demande présentée par Alain X...