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Décisions

CA Montpellier, 2e ch. soc., 14 septembre 2022, n° 19/02884

MONTPELLIER

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

Steven Kevin (SNC)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Masia

Conseillers :

Mme Ferranet, Mme Martinez

Avocats :

Me Monsarrat Lacourt, Me Jabot

Cons. Prud'h. Montpellier, du 1er avril …

1 avril 2019

EXPOSE DU LITIGE :

Le 10 novembre 2014, lors d'une assemblée générale extraordinaire, M. [E] est nommé co-gérant de la société Steven Kevin exploitant la brasserie [Adresse 5].

Le 23 août 2017, lors de l'assemblée générale de la société Steven Kevin, le mandat de M. [E] est révoqué.

M. [E] a saisi le conseil de prud'hommes de Montpellier le 5 octobre 2017, sollicitant la reconnaissance d'une relation de travail ainsi que le versement de diverses sommes à titre de rappel de salaire, heures supplémentaires, dommages-intérêts et indemnités.

Par jugement rendu le 1er avril 2019, le conseil de prud'hommes de Montpellier s'est déclaré compétent pour statuer sur le litige et a :

Dit le licenciement de M. [E] comme étant sans cause réelle et sérieuse ;

Condamné la société Steven Kevin à verser à M. [E] les sommes suivantes :

- 10 000 € à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

- 7 500 € à titre d'indemnité compensatrice de préavis, outre la somme de 750 € au titre des congés payés afférents ;

- 1 416,67 € à titre d'indemnité légale de licenciement ;

- 2 000 € à titre d'indemnité pour irrégularité de la procédure de licenciement ;

- 14 500 € à titre de rappel de salaire depuis mars 2015, outre la somme de 1 450 € au titre des congés payés afférents ;

Dit que les sommes seront assorties des intérêts légaux depuis l'introduction de la demande ;

Ordonné la délivrance des bulletins de salaire et documents de fin de contrat : Attestation Pôle Emploi, certificat de travail et reçu pour solde de tout compte ;

Dit que M. [E] n'apporte pas la preuve de ses heures supplémentaires ;

Débouté M. [E] de ses autres demandes ;

Condamné la société Steven Kevin à payer à M. [E] la somme de 1 000 € sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile ;

Condamné la société Steven Kevin à rembourser à Pôle Emploi les indemnités de chômage versées à M. [E] dans la limite de 1 mois ;

Débouté la société Steven Kevin de ses demandes ;

Dit n'y avoir pas lieu à exécution provisoire ;

Dit que chacune des parties conservera la charge de ses propres dépens.

La société Steven Kevin a interjeté appel de ce jugement le 25 avril 2019.

Dans ses dernières conclusions déposées par RPVA le 21 janvier 2020, elle demande à la cour de :

A titre principal, juger que M. [E] avait la qualité de mandataire social et en conséquence débouter M. [E] de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions au titre de :

- la requalification du mandat social en un contrat de travail ;

- la reconnaissance d'un contrat de travail préexistant au mandat social et rappel de salaire et congés payés afférents ;

- la modification de la rémunération en février 2015 et le rappel de salaire et de congés payés afférents ;

- le licenciement sans cause réelle et sérieuse et les indemnités subséquentes ;

- le rappel de salaire à titre d'heures supplémentaires et les congés payés afférents ;

- la reconnaissance d'un emploi dissimulé et l'indemnité afférente ;

A titre subsidiaire,

Sur la rupture du contrat de travail :

Constater que l'effectif de l'entreprise lors de la rupture est inférieur à 8 salariés et que M. [E] n'établit pas l'existence du préjudice allégué ;

Ramener à de plus justes proportions les condamnations pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et irrégularité de procédure ;

Juger non applicable le texte fixant le remboursement des indemnités chômage au Pôle Emploi ;

Débouter M. [E] de sa demande au titre de l'indemnité pour travail dissimulé ;

Sur l'exécution du contrat de travail :

Juger que la demande formulée au titre du rappel de salaire du mois de mars 2015 au 17 août 2017 se limite à la somme de 14 250 € ;

Juger que M. [E] avait le statut de cadre dirigeant et le débouter de sa demande au titre d'heures supplémentaires et indemnité forfaitaire pour travail dissimulé ;

A titre infiniment subsidiaire encore, juger que M. [E] n'étaye pas sa demande d'heures supplémentaires et le débouter de sa demande au titre d'heures supplémentaires et indemnité forfaitaire de travail dissimulé ;

En tout état de cause,

Débouter M. [E] de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions, y compris de ses demandes incidentes ;

Débouter M. [E] de sa demande au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;

Juger que les intérêts au taux légal sur les sommes à caractère indemnitaire ne courront qu'à compter de la décision à intervenir ;

Débouter M. [E] de sa demande de délivrance des bulletins de paie et dire qu'en cas de condamnation ces dernières apparaîtront sur un bulletin de paie unique ;

Condamner M. [E] à lui verser la somme de 3 000 € sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens de l'instance.

Dans ses dernières conclusions déposées par RPVA le 23 octobre 2019, M. [E] demande à la cour de :

Se déclarer compétente pour statuer sur le présent litige ;

Dire que son emploi a été dissimulé et que son licenciement est sans cause réelle et sérieuse ;

En conséquence,

Condamner la société Steven Kevin au paiement des sommes suivantes :

- 30 000 € à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

- 7 500 € à titre d'indemnité compensatrice de préavis, outre la somme de 750 € au titre des congés payés afférents ;

- 1 416,67 € à titre d'indemnité légale de licenciement ;

- 2 000 € à titre d'indemnité pour irrégularité de la procédure de licenciement ;

- 15 000 € à titre d'indemnité pour travail dissimulé ;

- 3 583,33 € à titre de rappel de salaire (octobre et novembre 2014), outre la somme de 358,33 € au titre des congés payés afférents ;

- 15 000 € à titre de rappel de salaire (maintien de rémunération depuis mars 2015), outre la somme de 1 500 € au titre des congés payés afférents ;

- 81 062,72 € à titre de rappel de salaire sur heures supplémentaires, outre la somme de 8 106,27 € au titre des congés payés afférents ;

- 5 773,67 € à titre d'indemnité compensatrice de congés payés non pris, outre la somme de 577,36 € au titre des congés payés afférents ;

Dire que les sommes seront assorties des intérêts légaux depuis l'introduction de la demande ;

Ordonner la délivrance des bulletins de salaire et documents de fin de contrat (Attestation Pôle Emploi, certificat de travail et reçu pour solde de tout compte), sous astreinte de 100 € par jour de retard et document manquant ;

Condamner la société Steven Kevin à lui verser la somme de 3 000 € sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.

Pour l'exposé des moyens il est renvoyé aux conclusions précitées en application des dispositions de l'article 455 du Code de procédure civile.

L'instruction du dossier a été clôturée par ordonnance du 30 mai 2022 fixant la date d'audience au 13 juin 2022.

MOTIFS :

Sur l'existence du contrat de travail :

Le contrat de travail peut se définir comme étant une convention par laquelle une personne s'engage à travailler pour le compte d'une autre et sous sa subordination, moyennant une rémunération. Trois éléments indissociables le caractérisent : l'exercice d'une activité professionnelle, la rémunération et le lien de subordination.

Le lien de subordination est l'élément déterminant du contrat de travail, puisqu'il s'agit là du seul critère permettant de le différencier d'autres contrats comportant l'exécution d'une prestation rémunérée. Il est caractérisé par l'exécution d'un travail sous l'autorité d'un employeur qui a le pouvoir de donner des ordres et des directives, d'en contrôler l'exécution et de sanctionner les manquements de son subordonné.

L'existence de relations de travail ne dépend, ni de la volonté exprimée par les parties, ni de la dénomination qu'elles ont donnée à leur convention, mais des circonstances de fait dans lesquelles est exercée l'activité professionnelle. Il appartient à celui qui invoque l'existence d'un contrat de travail d'en rapporter la preuve.

Il incombe à celui qui invoque le caractère fictif d'un contrat de travail apparent d'en rapporter la preuve.

En l'espèce, M. [E] soutient avoir été embauché au poste de gérant de la [Adresse 4] à compter du 19 octobre 2014, sans avoir signé de contrat de travail écrit. Au soutien de cette prétention, il produit des bulletins de paie émis par la société Steven Kévin sur la période du 1er décembre 2014 au 31 mars 2015 et le bulletin de salaire du mois de juillet 2017, ainsi que la copie d'un registre du personnel et de déclarations automatisées de données sociales le désignant comme bénéficiaire d'un contrat de travail à durée indéterminée en qualité de gérant statut cadre dirigeant à compter du 1er décembre 2014.

Ces différents éléments révèlent l'existence d'un contrat de travail apparent.

La société Steven Kevin soutient quant à elle que M. [E] n'avait pas la qualité de salarié mais était titulaire d'un mandat social de gérant rémunéré non associé, relevant du régime général de la sécurité sociale. Elle ajoute que c'est à ce titre que des bulletins de paie ont été établis. Au soutien de cette affirmation, elle produit aux débats un procès-verbal d'assemblée générale extraordinaire du 10 novembre 2014 dont il résulte que M. [E] a été nommé co-gérant à compter de ce jour. Elle produit également un procès-verbal d'assemblée générale ordinaire du 9 février 2015 dont il résulte que la rémunération de gérance de M. [E], jusqu'alors égale à 2 500 € brut, est portée à 2 000 € brut à compter du 1er mars 2015.

La société produit également aux débats les bulletins de paie émis pour la période du 1er décembre 2014 au 31 août 2017. Ces bulletins de paie confirment les dires de la société s'agissant du montant de la rémunération. Par ailleurs, si la société a bien cotisé au régime général de la sécurité sociale, tel que cela est rendu obligatoire pour un gérant rémunéré non associé, les bulletins de paie ne font apparaître aucune cotisation chômage, celles-ci étant dues uniquement pour les salariés.

Par ailleurs, la société Steven Kevin produit aux débats la déclaration de mutation de la licence détenue par M. [E] à ladite société en date du 23 janvier 2015.

Elle produit la fiche descriptive de travaux datée du 1er octobre 2015 au nom de M. [E], faisant apparaître une rature sur l'orthographe de son nom de famille.

Elle produit également un contrat général de représentation conclu avec la SACEM le 6 octobre 2015 visant « M. [H] [E] » comme président de la société ayant pouvoir de stipuler en son nom et comprenant étrangement une faute d'orthographe dans le nom de famille de M. [E] et une signature qui n'est manifestement pas la sienne.

Enfin, elle produit aux débats la copie d'un imprimé non daté non signé à retourner à la commission nationale des titres restaurant désignant M. [E] comme personne à contacter.

Toutefois, dans la mesure où le gérant d'une société en nom collectif qui n'a pas le statut d'associé peut cumuler son statut avec celui de salarié, le statut de mandataire social établi par la société Steven Kevin pour M. [E] à compter du 14 novembre 2014 n'exclut pas l'existence d'un contrat de travail dès lors que ce dernier n'était pas associé.

De plus, l'absence de cotisations aux Assedic ne suffit pas à exclure l'existence d'un contrat de travail.

Ces éléments, eu égard au fait que Mme [S] témoigne dans son attestation produite aux débats par le salarié daté du 14 mars 2018 de ce que M. [Z], le co-gérant, l'a convoquée en lui disant qu'il allait licencier M. [E], ne suffisent pas à démontrer l'absence de lien de subordination entre M. [E] et la société Steven Kevin, représentée par son autre gérant M. [Z].

Par conséquent, la société Steven Kevin n'apporte pas la preuve du caractère fictif du contrat de travail apparent, de sorte que la cour constatera l'embauche par la société Steven Kevin de M. [E] selon contrat à durée indéterminée à compter du 1er décembre 2014 en qualité de gérant, en complément de son mandat social. Le jugement sera confirmé de ce chef.

Sur le rappel de salaire pour la période du 19 octobre 2014 au 30 novembre 2014 :

M. [E] sollicite le versement de la somme de 3 583,33 € à titre de rappel de salaire, outre les congés payés afférents, pour la période du 14 octobre 2014 au 30 novembre 2014 au motif qu'il effectuait à cette période des opérations de nettoyage et de préparation de l'ouverture de la brasserie sans être rémunéré.

Au soutien de sa prétention, il produit aux débats un courrier non daté non signé qu'il aurait adressé à M. [Z] affirmant qu'il aurait travaillé bénévolement durant cette période ainsi qu'un relevé manuscrit des heures effectuées. Il produit également une attestation de M. [G], serveur, qui témoigne de ce que lorsqu'il est venu à son entretien d'embauche le 22 octobre 2014 il a vu M. [E] nettoyer la brasserie, tout comme le 29 octobre 2014 lorsqu'il s'y est rendu pour un second entretien et les 12 et 18 novembre lorsqu'il est venu compléter ses documents d'embauche.

Toutefois, dès lors qu'à compter du 10 novembre 2014 M. [E] exerçait les fonctions de gérant au titre d'un mandat social et qu'il n'a été vu qu'à deux reprises avant cette date dans les locaux de la brasserie, les éléments produits par le salarié ne suffisent pas à établir l'existence d'une prestation de travail accomplie sous un lien de subordination avec la société Steven Kevin sur la période du 14 octobre 2014 au 30 novembre 2014.

Par conséquent, M. [E] sera débouté de sa demande de rappel de salaire et de congés payés afférents. Le jugement sera confirmé de ce chef.

Sur le maintien de rémunération :

La modification de la rémunération du salarié, élément essentiel du contrat de travail, constitue une modification des conditions de travail qui nécessite l'accord préalable du salarié.

En l'espèce, M. [E] sollicite le versement de la somme de 15 000 € à titre de rappel de salaire, outre la somme de 1 500 € au titre des congés payés afférents pour la période du 1er mars 2015 au 31 août 2017, au motif que la société Steven Kevin a modifié sa rémunération de manière unilatérale à compter du 1er mars 2015.

Effectivement, il résulte des bulletins de paie produits aux débats que la rémunération brute de M. [E] a été diminuée de 500 € à compter du 1er mars 2015, sans qu'il ne soit justifié d'aucun avenant au contrat de travail démontrant l'accord du salarié. Par ailleurs, les bulletins de salaire produits aux débats démontrent que le salarié a travaillé à temps plein jusqu'au 31 août 2017.

Par conséquent, il sera fait droit à la demande de rappel de salaire de M. [E] à hauteur de 500 € brut sur 30 mois, soit 15 000 €, outre la somme de 1 500 € au titre des congés payés afférents. Le jugement sera infirmé de ce chef.

Sur le rappel d'heures supplémentaires :

Il ressort des termes de l'article L.3171-4 du Code du travail qu'en cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail effectué, il appartient au salarié de présenter, à l'appui de sa demande, des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu'il prétend avoir accomplies afin de permettre à l'employeur, qui assure le contrôle des heures de travail effectuées, d'y répondre utilement en produisant ses propres éléments.

Le salarié peut prétendre au paiement des heures supplémentaires accomplies, soit avec l'accord au moins implicite de l'employeur, soit s'il est établi que la réalisation de telles heures a été rendue nécessaire par les tâches qui lui ont été confiées.

Le juge forme sa conviction en tenant compte de l'ensemble de ces éléments, après analyse des pièces produites par l'une et l'autre des parties. Dans l'hypothèse où il retient l'existence d'heures supplémentaires, il évalue souverainement, sans être tenu de préciser le détail de son calcul, l'importance de celles-ci et fixe les créances salariales s'y rapportant.

En l'espèce, M. [E] sollicite le versement de la somme de 81 062,72 € à titre de rappel d'heures supplémentaires, outre la somme de 8 106,27 € au titre des congés payés afférents sur la période de décembre 2014 à juillet 2017 au motif qu'il travaillait en moyenne 60 heures par semaine alors qu'il était rémunéré sur la base de 35 heures par semaine. Au soutien de sa prétention, il produit aux débats un relevé manuscrit des heures effectuées jour par jour de décembre 2014 à août 2017 ainsi que trois attestations (M. [G], Mme [U] et M. [R]).

Dans son attestation datée du 4 octobre 2017, M. [G], serveur, témoigne de ce qu'à compter de son embauche le 24 novembre 2014 il commençait à 9 heures alors que M. [E] était déjà présent, partait à 15 heures en coupure et revenait à 17 heures pour faire la fermeture avec M. [E] jusqu'à 19 heures ou 20 heures.

Dans son attestation datée du 8 octobre 2017, Mme [U], chef cuisine, témoigne de ce qu'elle a travaillé de juin 2015 à juillet 2017 du lundi au samedi et de ce qu'elle commençait à travailler à 8 heures et partait à 15 heures, que M. [E] était toujours présent sur cette période et que lorsqu'elle téléphonait vers 17h30-18h pour annoncer le plat du jour du lendemain c'était toujours M. [E] qui répondait.

Dans son attestation datée du 13 octobre 2017, M. [R], cuisinier, témoigne de ce qu'il a travaillé du 15 septembre 2016 au 15 septembre 2017 de 9 heures à 15 heures du lundi au samedi. Il précise que lorsqu'il arrivait M. [E] était déjà présent et qu'il attendait dans la brasserie ou allait « faire un tour » dans la galerie marchande jusqu'à ce que M. [E] parte, vers 18 heures, car, habitant non loin de chez lui, M. [E] le déposait à son domicile en rentrant jusqu'à mi-juillet 2017.

Il est nécessaire de relever que les attestations de M. [R] et de M. [G] sont contradictoires s'agissant de la période du 15 septembre 2016 à mi-juillet 2017.

Toutefois, M. [E] produit aux débats des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu'il prétend avoir accomplies afin de permettre à l'employeur, qui assure le contrôle des heures de travail effectuées, d'y répondre utilement en produisant ses propres éléments.

La société Steven Kevin soutient d'une part que M. [E] avait le statut de cadre dirigeant de sorte qu'il ne bénéficiait pas des dispositions du Code du travail sur la durée du travail, le repos hebdomadaire, les jours fériés et la journée de solidarité.

Toutefois, la société Steven Kevin ne justifie pas de l'ensemble des conditions d'application du statut de cadre dirigeant requises par l'article L.3111-2 du Code du travail, notamment de ce que M. [E] percevait une rémunération se situant « dans les niveaux les plus élevés des systèmes de rémunération pratiqués dans leur entreprise ou établissement ». Dès lors, M. [E] ne peut être exclu du bénéfice des dispositions relatives à la durée du travail.

D'autre part, la société Steven Kevin relève notamment qu'elle n'a jamais ordonné ni demandé à M. [E] d'effectuer des heures supplémentaires ni explicitement ni implicitement, que ses fonctions ne nécessitaient pas l'accomplissement d'heures supplémentaires, que le relevé manuscrit ne prend pas en compte les périodes de pause ni les temps de déplacement inhérents à ses fonctions de gérant et que le montant demandé n'est pas justifié par semaine et ne précise pas les taux de majoration appliqués par semaine.

Effectivement, les attestations produites aux débats démontrent tout au plus que M. [E] était présent de 8 heures à 15 heures et de 17 heures à 19 heures ou 20 heures jusqu'au 15 septembre 2016 (soit 54 heures par semaine) et jusqu'à 18 heures du 15 septembre 2016 à mi-juillet 2017 (soit 48 heures par semaine) de sorte qu'il ne peut prétendre au versement d'un rappel d'heures supplémentaires égal à 60 heures par semaine.

En outre, M. [E] ne démontre pas que les heures supplémentaires ont été accomplies soit avec l'accord au moins implicite de l'employeur, soit qu'elles ont été rendues nécessaires par les tâches qui lui ont été confiées.

Par conséquent, M. [E] sera débouté de sa demande de rappel d'heures supplémentaires et de congés payés afférents. Le jugement sera confirmé de ce chef.

Sur la rupture du contrat de travail :

En cas de cumul d'un contrat de travail et d'un mandat social, la révocation de ce dernier ne constitue pas en soi une cause réelle et sérieuse de licenciement.

L'employeur qui prend l'initiative de rompre le contrat de travail doit énoncer son ou ses motifs dans la lettre de licenciement qui fixe les limites du litige.

En l'espèce, la société Steven Kevin a rompu le contrat de travail de M. [E] par courriel du 24 août 2017, confirmé par une lettre recommandée avec accusé de réception du 4 septembre 2017 rédigée en ces termes : « Monsieur, par la présente, nous vous confirmons ce qui vous a été notifié par mail du 24 août 2017 et auquel vous avez répondu le 2 septembre 2017. A savoir : il a été décidé de ne pas vous maintenir au poste de gérant. Veuillez agréer, Monsieur, l'expression de nos salutations les meilleures. ».

Il en résulte que le licenciement de M. [E] n'est pas motivé, de sorte qu'il sera requalifié en licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Au jour du licenciement, M. [E] était âgé de 54 ans et avait une ancienneté de 2 ans, 8 mois et 23 jours (2,72 années) dans une entreprise de moins de 11 salariés. Sa rémunération brute de référence s'élève à 2 500 €.

En application des articles L.1235-3 et L.1235-5 du Code du travail, M. [E] est fondé à solliciter des dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse. Il sollicite le versement de la somme de 30 000 € à ce titre. Au soutien de cette prétention, M. [E] justifie de ce que du fait du comportement de l'employeur, il n'a pu être inscrit au bénéfice de l'allocation de retour à l'emploi qu'à compter de fin novembre 2017, ce qui l'a mis en difficulté financière et a entraîné l'impossibilité pour lui de payer ses impôts 2017 et ainsi une saisie sur allocations. Le préjudice de M. [E] sera justement évalué à la somme de 10 000 €. Le jugement sera confirmé de ce chef.

En application de la convention collective nationale applicable, M. [E] devait bénéficier d'un préavis de 3 mois, de sorte que la société Steven Kevin sera condamnée au versement de la somme de 7 500 € à titre d'indemnité compensatrice de préavis, outre la somme de 750 € au titre des congés payés afférents. Le jugement sera confirmé de ce chef.

En application de l'article R.1234-2 du Code du travail, M. [E] est fondé à solliciter une indemnité de licenciement égale à un cinquième de mois de salaire par année d'ancienneté, préavis compris (soit 2,97 années en l'espèce). Le salarié est fondé à solliciter une indemnité égale à (2500/5x2,97) soit 1 485 €. Il sollicite le versement de la somme de 1 416,67 € de sorte que c'est cette indemnité qui lui sera accordée. Le jugement sera confirmé de ce chef.

En application des articles L.1235-2 et L.1235-5 du Code du travail, le licenciement de M. [E] étant survenu sans que la procédure requise ait été observée, le salarié est fondé à percevoir une indemnité qui ne peut être supérieure à un mois de salaire. M. [E] sollicite le versement de la somme de 2 000 € à ce titre. Dès lors, la société Steven Kevin devra lui verser ce montant à titre d'indemnité pour licenciement irrégulier. Le jugement sera confirmé de ce chef.

Sur le travail dissimulé :

L'article L 8221-5 du Code du travail dispose que « Est réputé travail dissimulé par dissimulation d'emploi salarié le fait pour tout employeur :

« 1° Soit de se soustraire intentionnellement à l'accomplissement de la formalité prévue à l'article L. 1221-10, relatif à la déclaration préalable à l'embauche ;

« 2° Soit de se soustraire intentionnellement à la délivrance d'un bulletin de paie ou d'un document équivalent défini par voie réglementaire, ou de mentionner sur le bulletin de paie ou le document équivalent un nombre d'heures de travail inférieur à celui réellement accompli, si cette mention ne résulte pas d'une convention ou d'un accord collectif d'aménagement du temps de travail conclu en application du titre II du livre Ier de la troisième partie ;

« 3° Soit de se soustraire intentionnellement aux déclarations relatives aux salaires ou aux cotisations sociales assises sur ceux-ci auprès des organismes de recouvrement des contributions et cotisations sociales ou de l'administration fiscale en vertu des dispositions légales. »

L'article L 8223-1 du Code du travail dispose que « En cas de rupture de la relation de travail, le salarié auquel un employeur a eu recours dans les conditions de l'article L. 8221-3 ou en commettant les faits prévus à l'article L. 8221-5 a droit à une indemnité forfaitaire égale à six mois de salaire. ».

En l'espèce, M. [E] sollicite le versement de la somme de 15 000 € à titre d'indemnité de travail dissimulé au motif qu'il n'a pas été déclaré et n'a pas reçu de bulletin de paie pour la période du 14 octobre 2014 au 30 novembre 2014.

Toutefois, il n'a pas été démontré que M. [E] était embauché par la société Steven Kevin avant le 1er décembre 2014. Or, M. [E] produit aux débats la déclaration annuelle des données sociales qui prévoit une embauche à compter du 1er décembre 2014 et M. [E] ne conteste pas avoir reçu ses bulletins de paie à compter de cette date, de sorte que l'élément matériel du délit de travail dissimulé n'est pas établi.

Par conséquent, M. [E] sera débouté de sa demande d'indemnité de travail dissimulé. Le jugement sera confirmé de ce chef.

Sur les congés payés non pris :

L'article L.3141-1 du Code du travail prévoit que « tout salarié a droit chaque année à un congé payé à la charge de l'employeur. ».

L'article L.3141-3 du Code du travail ajoute que « le salarié a droit à un congé de deux jours et demi ouvrables par mois de travail effectif chez le même employeur. La durée totale du congé exigible ne peut excéder trente jours ouvrables. ».

L'article L.3141-24 du même code précise que « le congé annuel prévu à l'article L. 3141-3 ouvre droit à une indemnité égale au dixième de la rémunération brute totale perçue par le salarié au cours de la période de référence. ».

Toutefois, l'indemnité de congés payés n'est due qu'au salarié qui prend ses congés ou, s'il ne les prend pas, qui a été empêché de les prendre du fait de l'employeur. Il appartient au salarié demandeur d'établir que l'impossibilité dans laquelle il s'est trouvé de bénéficier de ses congés était du fait de l'employeur et les juges du fond doivent rechercher si le salarié avait sollicité la prise de ses congés et s'il avait été mis, du fait de l'employeur, dans l'impossibilité de les prendre.

En l'espèce, M. [E] sollicite le versement de la somme de 5 773,67 € à titre d'indemnité compensatrice de congés payés non pris, outre la somme de 577,36 € au titre des congés payés afférents, au motif qu'il n'a pu bénéficier que de 4 semaines de congés payés sur l'ensemble de la relation de travail.

Toutefois, M. [E] ne produit aux débats aucun élément de nature à démontrer qu'il a été, du fait de l'employeur, dans l'impossibilité de prendre ses congés pendant la période contractuelle, de sorte qu'il sera débouté de sa demande à ce titre. Le jugement sera confirmé de ce chef.

Sur le remboursement de Pôle Emploi :

L'article L.1235-4 du Code du travail dispose que « dans les cas prévus aux articles L. 1132-4, L. 1134-4, L. 1144-3, L. 1152-3, L. 1153-4, L. 1235-3 et L. 1235-11, le juge ordonne le remboursement par l'employeur fautif aux organismes intéressés de tout ou partie des indemnités de chômage versées au salarié licencié, du jour de son licenciement au jour du jugement prononcé, dans la limite de six mois d'indemnités de chômage par salarié intéressé.

« Ce remboursement est ordonné d'office lorsque les organismes intéressés ne sont pas intervenus à l'instance ou n'ont pas fait connaître le montant des indemnités versées. ».

L'article L.1235-5 du même code précise que « ne sont pas applicables au licenciement d'un salarié de moins de deux ans d'ancienneté dans l'entreprise et au licenciement opéré dans une entreprise employant habituellement moins de onze salariés, les dispositions relatives (') au remboursement des indemnités de chômage, prévues à l'article L. 1235-4, en cas de méconnaissance des articles L. 1235-3 et L. 1235-11. ».

En l'espèce, M. [E] a été licencié par une entreprise employant habituellement moins de onze salariés, de sorte que la société Steven Kevin ne peut être condamnée au remboursement des indemnités chômage versées par Pôle emploi.

Par conséquent, le jugement sera infirmé de ce chef.

Sur la remise des documents sociaux :

M. [E] sollicite la remise par la société Steven Kevin sous astreinte de 100 euros par jour de retard et document manquant des bulletins de salaire, certificat de travail, attestation Pôle emploi et reçu pour solde de tout compte conformes couvrant la période contractuelle.

La société Steven Kevin sollicite que les condamnations apparaissent sur un bulletin de paie unique.

Or, il est de droit que le salarié puisse disposer de l'ensemble de ces documents, de sorte que la société Steven Kevin devra remettre à M. [E], sans qu'il soit fait droit à sa demande d'astreinte, les bulletins de salaire, le certificat de travail, l'attestation Pôle emploi et le reçu pour solde de tout compte conformes couvrant la période contractuelle. Le jugement sera confirmé de ce chef.

Sur les intérêts :

L'article R.1452-5 du Code du travail précise que la convocation du défendeur devant le bureau de conciliation vaut citation en justice. Dès lors, elle veut aussi sommation de payer, faisant ainsi courir les intérêts légaux. Toutefois, la créance de réparation ne peut produire d'intérêts que du jour où elle est allouée en justice.

Par conséquent, les sommes à caractère salarial produiront intérêts au taux légal à compter de la réception de la convocation devant le bureau de conciliation et les sommes à caractère indemnitaire produiront intérêts au taux légal à compter de la décision les ayant prononcées. Le jugement sera infirmé de ce chef.

Sur les autres demandes :

La société Steven Kevin, qui succombe principalement, sera tenue aux dépens de première instance et d'appel et condamnée à verser à M. [E] la somme de 1 000 € sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS :

La cour,

Infirme le jugement rendu le 1er avril 2019 par le conseil de prud'hommes de Montpellier sur le quantum du rappel de salaire depuis mars 2015, en ce qu'il a condamné la société Steven Kevin à rembourser les indemnités chômage à Pôle emploi et en ce qu'il a dit que les sommes seront assorties des intérêts légaux depuis l'introduction de la demande et que chacune des parties conservera la charge de ses propres dépens, et le confirme pour le surplus ;

Statuant à nouveau ;

Condamne la société Steven Kevin à verser à M. [E] la somme de 15 000 € à titre de rappel de salaire de mars 2015 à août 2017, outre la somme de 1 500 € au titre des congés payés afférents ;

Dit que les sommes à caractère salarial produiront intérêts au taux légal à compter de la réception de la convocation devant le bureau de conciliation et les sommes à caractère indemnitaire produiront intérêts au taux légal à compter de la décision les ayant prononcées ;

Y ajoutant ;

Condamne la société Steven Kevin à verser à M. [E] la somme de 1 000 € sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile ;

Condamne la société Steven Kevin aux dépens de première instance et d'appel.