Cass. 1re civ., 7 décembre 2022, n° 21-18.673
COUR DE CASSATION
Arrêt
Rejet
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Chauvin
Rapporteur :
Mme Robin-Raschel
Avocats :
SCP Rocheteau, Uzan-Sarano et Goulet, SARL Ortscheidt
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 3 février 2021), suivant offre acceptée le 9 août 2009, la société BNP Paribas Personal Finance (la banque) a consenti à M. [V] (l'emprunteur) un prêt immobilier, libellé en francs suisses et remboursable en euros, dénommé Helvet Immo et destiné à financer l'acquisition d'un appartement à usage locatif.
2. Le 3 novembre 2015, l'emprunteur a assigné la banque en annulation de la stipulation d'intérêts en raison de l'irrégularité du taux effectif global. En appel, il a invoqué le caractère abusif de certaines clauses du contrat.
Examen des moyens
Sur le second moyen, pris en ses quatre branches, ci-après annexé
2. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Mais sur le premier moyen
Enoncé du moyen
3. L'emprunteur fait grief à l'arrêt de déclarer irrecevable comme prescrite la demande relative aux clauses abusives, alors « que la Cour de justice de l'Union européenne a dit pour droit (CJUE, 10 juin 2021, 2 arrêts aff. C-609/19 et aff. jointes C-776/19 à C-782/19 BNP Paribas Personnal Finance) que « l'article 6, § 1, et l'article 7, § 1, de la directive 93/13/CEE du Conseil, du 5 avril 1993, concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs, lus à la lumière du principe d'effectivité, doivent être interprétés en ce sens qu'ils s'opposent à une réglementation nationale soumettant l'introduction d'une demande par un consommateur aux fins de la constatation du caractère abusif d'une clause figurant dans un contrat conclu entre un professionnel et ce consommateur, à un délai de prescription (et) aux fins de restitution de sommes indument versées sur le fondement de telles clauses abusives à un délai de prescription de 5 ans, dès lors que ce délai commence à courir à la date de l'acception de prêt de telle sorte, que le consommateur a pu, à ce moment là ignorer l'ensemble de ses droits découlant de cette directive » ; que la demande tendant à voir une clause abusive réputée non écrite, qui ne s'analyse pas en une demande d'annulation, n'est pas soumise à la prescription ; qu'ainsi l'action en constatation du caractère abusif d'une clause n'est pas soumise à un délai de prescription ; qu'en affirmant au contraire que l'action tendant à voir réputée non écrite une clause abusive relève du régime de la prescription quinquennale de droit commun, la cour d'appel a violé les articles 2224 du code civil, L. 132-1 ancien du code de la consommation, devenu l'article 212-1 du même code, ainsi que les articles 6, § 1 et 7 de la directive 93/13/CEE du Conseil du 5 avril 1993. »
Réponse de la Cour
Vu les articles L. 110-4 du code de commerce et L. 132-1 du code de la consommation, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-301 du 14 mars 2016 :
4. Selon le premier de ces textes, les obligations nées à l'occasion de leur commerce entre commerçants ou entre commerçants et non-commerçants se prescrivent par cinq ans si elles ne sont pas soumises à des prescriptions spéciales plus courtes.
5. Il résulte du second que, dans les contrats conclus entre professionnels et non-professionnels ou consommateurs, sont abusives et réputées non écrites les clauses qui ont pour objet ou pour effet de créer, au détriment du non-professionnel ou du consommateur, un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat.
6. Par arrêt du 10 juin 2021 (C-776/19 à C-782/19), la Cour de justice de l'Union européenne a dit pour droit que l'article 6, § 1, et l'article 7, § 1, de la directive 93/13/CEE du Conseil, du 5 avril 1993, concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs, lus à la lumière du principe d'effectivité, doivent être interprétés en ce sens qu'ils s'opposent à une réglementation nationale soumettant l'introduction d'une demande par un consommateur aux fins de la constatation du caractère abusif d'une clause figurant dans un contrat conclu entre un professionnel et ce consommateur à un délai de prescription.
7. Il s'en déduit que la demande tendant à voir réputer non écrite une clause abusive sur le fondement de l'article L. 132-1 précité n'est pas soumise à la prescription quinquennale.
8. Pour déclarer la demande irrecevable, comme prescrite, l'arrêt retient que l'action engagée par l'emprunteur pour voir déclarer non écrites des clauses qualifiées d'abusives, qui relève du droit commun des contrats, est soumise à la prescription quinquennale et que celle-ci a été formée plus de cinq ans après l'acceptation de l'offre de prêt.
9. En statuant ainsi, la cour d'appel a violé le texte susvisé.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu'il rejette la fin de non-recevoir soulevée par la société BNP Paribas Personal Finance tirée du défaut d'intérêt à agir de M. [V] en nullité de la stipulation d'intérêts, déclare irrecevable comme prescrite l'action en déchéance du droit du prêteur aux intérêts conventionnels et déclare irrecevable comme nouvelle en appel la demande indemnitaire formée par M. [V] pour manquement de la banque à son devoir de mise en garde, l'arrêt rendu le 3 février 2021, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;
Remet, sauf sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Paris autrement composée ;
Condamne la société BNP Paribas Personal Finance aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société BNP Paribas Personal Finance et la condamne à payer à M. [V] la somme de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du sept décembre deux mille vingt-deux