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Décisions

CA Riom, 1re ch., 6 décembre 2022, n° 22/00344

RIOM

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

Enedis (SA)

Défendeur :

Caisse Régionale d'Assurances Mutuelles Agricoles de Rhône Alpes Auvergne - Groupama Rhône Alpes Auvergne (Sté)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Valleix

Conseillers :

M. Acquarone, Mme Bedos

Avocats :

Me Peltier, Me Asselin, Me Poulet

CA Riom n° 22/00344

5 décembre 2022

EXPOSÉ DU LITIGE :

Dans le cadre de la mobilisation d'une garantie contractuelle d'assurance, la société CAISSE RÉGIONALE D'ASSURANCES MUTUELLES AGRICOLES DE RHÔNE-ALPES AUVERGNE, dite GROUPAMA RHÔNE-ALPES AUVERGNE, a accepté d'indemniser le GAEC DU [Localité 6], gérant une exploitation agricole située au lieu-dit Le [Localité 6] sur le territoire de la commune de [Localité 7] (Puy-de-Dôme) des conséquences dommageables sur une stabulation de ruptures répétitives de fourniture d'électricité ainsi que de variations de tension électrique, survenues dans la nuit du 8 au 9 mai 2016.

C'est dans ces conditions que la société GROUPAMA a par subrogation, par acte d'huissier de justice signifié le 7 mai 2021 assigné la SA ENEDIS, venant aux droits et obligations de la société ERDF, devant le tribunal judiciaire de Clermont-Ferrand afin de :

- condamner la société ENEDIS à lui payer :

* au visa de l'article L.121-12 du code des assurances, le remboursement à titre subrogatoire de la somme principale de 8.410,77 € (en l'absence de tout visa juridique quant au régime de responsabilité allégué) ;

* la somme distincte de 2.000,00 € à titre de dommages-intérêts pour résistance abusive ;

* une indemnité de 2.000,00 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

- au visa des articles 514 et suivants du code de procédure civile, dire n'y avoir lieu à écarter l'exécution provisoire de la décision à intervenir ;

- condamner la société ENEDIS aux entiers dépens de l'instance.

Suivant une ordonnance n° RG-21/01715 rendue le 16 décembre 2021, le Juge de la mise en état du tribunal judiciaire de Clermont-Ferrand, a :

- considérant que la société GROUPAMA avait engagé son action sur le régime de la responsabilité contractuelle de droit commun relevant de la prescription quinquennale et non sur le régime de la responsabilité des produits défectueux relevant de la prescription triennale, déclaré recevable l'action diligentée par la société GROUPAMA à l'encontre de la société ENEDIS, après avoir dit que le délai de cinq ans avait couru du 8 mai 2016 au 8 mai 2021 soit jusqu'à une date postérieure à l'assignation du 7 mai 2021 ;

- débouté en conséquence la société ENEDIS de sa fin de non-recevoir, celle-ci s'étant prévalue de l'expiration du délai de prescription triennale relevant du régime de la responsabilité des produits défectueux ;

- condamné la société ENEDIS à payer au profit de la société GROUPAMA une indemnité de 800,00 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

- rejeté le surplus des demandes des parties ;

- renvoyé le dossier à l'audience de mise en état virtuelle du 15 février 2022 ;

- condamné la société ENEDIS aux dépens de l'incident contentieux de mise en état.

Par déclaration formalisée par le RPVA le 11 février 2022, le conseil de la SA ENEDIS a interjeté appel du jugement susmentionné, l'appel portant sur l'intégralité de la décision.

' Par dernières conclusions d'appelant notifiées par le RPVA le 16 septembre 2022, la SA ENEDIS a demandé de :

' au visa des articles 122 et 789 ainsi que 12 du code de procédure civile et des articles 1386-1 et suivants et plus particulièrement de l'article 1386-17 du Code civil, dans leurs numérotations applicables au moment des faits ;

' infirmer en toutes ses dispositions l'ordonnance du 16 décembre 2021 du Juge de la mise en état du tribunal judiciaire de Clermont-Ferrand et statuer à nouveau ;

' déclarer irrecevable l'action ayant été intentée par la société GROUPAMA sur le fondement de la responsabilité contractuelle de droit commun et la base invoquée d'un défaut de fourniture électrique ;

' au visa des articles 1386-1 et suivants du Code civil, devenus 1245 et suivants du Code civil, déclarer irrecevable en raison de la prescription triennale l'action de la société GROUPAMA ;

' débouter en conséquence la société GROUPAMA de l'intégralité de ses demandes ;

' condamner la société GROUPAMA à lui payer une indemnité de 2.500,00 € au titre de l'incident de première instance et une indemnité de 2.500,00 € au titre de la présente procédure d'appel, en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;

' condamner la société GROUPAMA aux entiers dépens de première instance et d'appel.

' Par dernières conclusions d'intimé notifiées par le RPVA le 18 mars 2002, la société CAISSE RÉGIONALE D'ASSURANCES MUTUELLES AGRICOLES DE RHÔNE-ALPES AUVERGNE, dite GROUPAMA RHÔNE-ALPES AUVERGNE, a demandé de :

' au visa des articles 121 et 789 du code de procédure civile, 1231-1 du Code civil et de L.121-12 du code des assurances ;

' confirmer la décision de première instance ;

' déclarer son action recevable ;

' débouter la société ENEDIS de l'ensemble de ses demandes ;

' condamner la société ENEDIS à lui payer une indemnité de 1.500,00 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

' condamner la société ENEDIS aux dépens de l'incident et aux entiers dépens de l'instance.

Par application des dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, les moyens développés par chacune des parties à l'appui de leurs prétentions respectives sont directement énoncés dans la partie MOTIFS DE LA DÉCISION.

Après évocation de cette affaire et clôture des débats lors de l'audience civile en conseiller-rapporteur du 20 octobre 2022 à 14h00, au cours de laquelle chacun des conseils des parties a réitéré et développé ses moyens et prétentions précédemment énoncés. La décision suivante a été mise en délibéré au 6 décembre 2022, par mise à disposition au greffe.

MOTIFS DE LA DÉCISION :

Il n'y a pas lieu de faire droit à la demande formée par le RPVA le 30 novembre 2022 par le conseil de la société ENEDIS aux fins de réouverture des débats en lecture d'un arrêt rendu le 24 novembre 2022 par la Cour de justice de l'Union européenne. Le conseil de la société GROUPAMA n'a d'ailleurs lui-même formé aucune réponse à ce sujet.

L'article 122 du code de procédure civile dispose que « Constitue une fin de non-recevoir tout moyen qui tend à faire déclarer l'adversaire irrecevable en sa demande, sans examen au fond, pour défaut de droit d'agir, tel le défaut de qualité, le défaut d'intérêt, la prescription, le délai préfix, la chose jugée. » tandis l'article 789 du code de procédure civile dispose notamment que « Lorsque la demande est présentée postérieurement à sa désignation, le juge de la mise en état est, jusqu'à son dessaisissement, seul compétent, à l'exclusion de toute autre formation du tribunal, pour : / (') / 6° Statuer sur les fin de non-recevoir. / (') ».

Le premier juge était donc pleinement compétent en qualité de Juge de la mise en état pour se prononcer sur les questions de recevabilité qui lui étaient soumises.

En ce qui concerne la responsabilité civile de droit commun telle que résultant des dispositions de l'article 1231-1 du Code civil, suivant lesquelles « Le débiteur est condamné, s'il y a lieu, au paiement de dommages et intérêts soit à raison de l'inexécution de l'obligation, soit à raison du retard dans l'exécution, s'il ne justifie pas que l'exécution a été empêchée par la force majeure. », l'article 2224 du Code civil dispose que « Les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer. ».

Il existe toutefois des régimes spécifiques de prescription extinctive qui sont plus courts, dont celui en matière de responsabilité civile du fait des produits défectueux. À ce sujet, l'article 1386-1 du Code civil [ancien] dispose que « Le producteur est responsable du dommage causé par un défaut de son produit, qu'il soit ou non lié par un contrat avec la victime. », tandis que l'article 1386-3 du Code civil [ancien] dispose notamment que « (') L'électricité est considérée comme un produit. » et que l'article 1386-17 du Code civil [ancien] dispose que « L'action en réparation fondée sur les dispositions du présent titre se prescrit dans un délai de trois ans à compter de la date à laquelle le demandeur a eu aurait dû avoir connaissance du dommage, du défaut et de l'identité du producteur. ». Ces dispositions législatives ont été abrogées à compter du 1er octobre 2016 par ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016. Elles sont donc applicables à la date du 8 mai 2016 de survenance de l'événement litigieux, étant par ailleurs intégralement reproduites à l'identique dans les nouvelles dispositions des articles 1245, 1245-2 et 1245-16 du Code civil.

Il convient d'abord de rappeler les dispositions de l'article 12 du code de procédure civile, suivant lesquelles notamment « Le juge tranche le litige conformément aux règles de droit qui lui sont applicables. / Il doit donner ou restituer leur exacte qualification aux faits et actes litigieux sans s'arrêter à la dénomination que les parties en auraient proposée. / (') ». Ainsi, quand bien même la société GROUPAMA n'aurait agi que sur le seul fondement de la responsabilité contractuelle de droit commun, il appartient précisément au Juge de déterminer l'exact régime de prescription lui paraissant applicable, celui-ci pouvant donc être le cas échéant la prescription résultant à titre particulier de la responsabilité du fait des produits défectueux. Par ailleurs, la société ENEDIS n'avait pas manqué de mettre en débat en première instance l'applicabilité et l'exclusivité de ce régime spécifique de prescription.

Or, dans l'assignation en première instance du 7 mai 2021, la société GROUPAMA invoque comme seuls griefs subis par son assuré des coupures d'électricité répétitives ainsi que des variations de tension électrique ayant causé des dommages matériels et d'exploitation dans la stabulation dépendant de l'exploitation agricole de ce dernier. Il s'agit donc de défectuosités alléguées de fournitures d'électricité tendant à s'objectiver dans sa matérialité (coupures) comme dans son intensité contractuellement exigible (variations), avec réclamation en conséquence de réparations quant à l'ensemble des conséquences dommageables.

En l'occurrence, force est de constater que les dispositions de l'article 1386-3 du Code civil [ancien] définit explicitement l'électricité comme un produit au sens des dispositions de l'article 1386-1 du Code civil [ancien], ce qui entraîne l'application exclusive du dispositif de prescription triennale prévu à l'article 1386-17 du Code civil [ancien]. À ce sujet, si la société ENEDIS n'est pas le producteur à l'état brut de l'électricité qu'elle distribue, il n'en demeure pas moins qu'elle ne peut qu'être elle-même également considérée comme un producteur dès lors que l'électricité produite en amont de son intervention n'est pas un produit fini. En effet, l'électricité qu'elle distribue n'est préalablement produite qu'à haute tension alors qu'elle doit consécutivement procéder à des modifications de tension afin de pouvoir en faire un produit fini en vue de sa distribution au consommateur final. La société GROUPAMA ne peut dès lors sérieusement contester que la société ENEDIS a elle-même la qualité de producteur dans la mesure où elle se trouve être le fabricant de l'adaptation de la tension de l'électricité distribuée par l'emploi d'une technologie et d'un process industriels qui lui sont propres. Elle apparaît ainsi pleinement comme fabricant d'une partie composante dans ce processus complexe de production, conformément aux dispositions de l'article 1386-6 alinéa 1er du Code civil [ancien] suivant lesquelles « Est producteur, lorsqu'il agit à titre professionnel, le fabricant d'un produit fini, le producteur d'une matière première, le fabricant d'une partie composante. ».

De plus, la société GROUPAMA ne met aucunement en débat le fait que la responsabilité contractuelle de droit commun qu'elle invoque pourrait être recherchée sur un motif autre que la défectuosité du produit incriminé, étant rappelé à ce sujet que la discussion portant sur une fin de non-recevoir n'exclut aucunement l'évocation de questions de fond. La seule allégation de faute qu'elle formule à l'encontre de la société ENEDIS en termes de manquement à une obligation de résultat du fait de l'interruption de fourniture électrique, afin de se prévaloir du plus vaste champ de responsabilité et de prescription qu'offre l'application du droit commun de la responsabilité civile, fait en effet double emploi avec la notion de faute nécessairement contenue dans la responsabilité automatiquement acquise du fait de la défectuosité du produit. Son objection suivant laquelle les dispositions de l'article 1386-18 du Code civil [ancien] ne feraient pas obstacle à la mise en oeuvre de la responsabilité civile de droit commun en dépit de l'applicabilité du régime spécifique de la responsabilité du fait des produits défectueux sera en conséquence écartée.

En définitive, la décision de première instance doit être infirmée dans la mesure où le délai de prescription applicable relève spécifiquement et exclusivement de ce délai de trois ans et où ce délai a commencé à courir à compter de la date du 8 mai 2016 de survenance des désordres allégués alors que l'acte introductif de première instance n'a été initié, sans aucun acte interruptif, que plus de trois années après, soit le 7 mai 2021. Par voie de conséquence, la décision de première instance sera également infirmée en son application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile et de l'imputation des dépens de première instance afférents à cet incident contentieux de mise en état.

Il serait effectivement inéquitable, au sens des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, de laisser à la charge de la société ENEDIS les frais irrépétibles qu'elle a été contrainte d'engager à l'occasion de cette instance et qu'il convient d'arbitrer à la somme de 4.000,00 €, en tenant compte à la fois des frais et dépens de première instance et d'appel.

Enfin, succombant à l'instance en cause d'appel, la société GROUPAMA sera purement et simplement déboutée de sa demande de défraiement formée au visa de l'article 700 du code de procédure civile et supportera les entiers dépens de première instance et d'appel.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant publiquement et contradictoirement,

DIT n'y avoir lieu à ordonner la réouverture des débats.

INFIRME en toutes ses dispositions l'ordonnance n° RG-21/01715 rendue le 16 décembre 2021 par le Juge de la mise en état du tribunal judiciaire de Clermont-Ferrand.

Statuant à nouveau.

JUGE que la prescription applicable à la situation litigieuse relève exclusivement de la prescription de trois ans prévus à l'article 1386-17 du Code civil [ancien].

JUGE IRRECEVABLE, pour cause de prescription prévue à l'article 1386-17 du Code civil [ancien], l'ensemble des demandes formé par la société CAISSE RÉGIONALE D'ASSURANCES MUTUELLES AGRICOLES DE RHÔNE-ALPES AUVERGNE, dite GROUPAMA RHÔNE-ALPES AUVERGNE, à l'encontre de la SA ENEDIS.

CONDAMNE la société GROUPAMA RHÔNE-ALPES AUVERGNE à payer au profit de la SA ENEDIS une indemnité de 4.000,00 € en dédommagement de ses frais irrépétibles prévus à l'article 700 du code de procédure civile.

REJETTE le surplus des demandes des parties.

CONDAMNE la société GROUPAMA RHÔNE-ALPES AUVERGNE aux entiers dépens de première instance et d'appel.